Une femme m’apparut/1905/38

Alphonse Lemerre, éditeur (p. 201-205).


XXXVIII


Le tourment de l’avril s’éteignit enfin. L’été, cher à Notre-Dame des Fièvres, surgit de la terre brûlante. L’image de Lorély régnait implacablement sur les heures torrides…

Je craignais les fleurs, comme de sournois adversaires ; je craignais la musique, comme une perfide ennemie ; car fleurs et musique recélaient toutes les trahisons du souvenir. Les colères voluptueuses d’autrefois me déchiraient, ainsi que des monstres charmants… Parfois, les dents serrées pour une muette défense, je luttais contre la force qui m’attirait vers Lorély…

Un jour, pourtant, je me réveillai l’âme moins lourde. Il me sembla que des parfums de violettes avaient baigné mon front pendant que je dormais.

L’oppression qui m’étouffait à mon réveil avait disparu. Je ne redoutais plus le soleil entrant par la fenêtre ouverte, ni l’odeur de chèvrefeuille qui montait du jardin.

Je me demandai très bas quelle douceur inconnue dissipait ainsi le souffle pestilentiel de Notre-Dame des Fièvres. Et, regardant au dehors, je m’aperçus que l’été venait de fuir devant l’automne.

Longuement, j’errai près de l’eau où se trempaient les chevelures rousses des saules… L’apaisement des fleurs fanées s’infiltrait en moi.

Avec une incertaine attente, je levai les yeux… Devant moi, sereine de la sérénité d’octobre, je vis Éva.

Elle semblait l’incarnation même de l’automne. Dans ses longues mains de martyre, expiraient des chrysanthèmes mêlés aux feuilles mortes. Les plis mélancoliques de sa robe tombaient autour d’elle. Elle était enchâssée de vitraux plus splendides que l’arc-en-ciel et que le couchant…

Je songeai que, jadis, dans une ville trop bruyante, j’avais murmuré son nom mystique. Et, soudain, une envolée de cloches aériennes avait plané au-dessus du tumulte des rues discordantes. Le carillon pieux chantait son nom, le clamait, le jetait aux vents :

Éva ! Éva ! Éva !

… Elle s’approchait. Nulle parole ne brisa le charme du mystère.

« Ma douce Automne, ma chère Automne, » bégayai-je enfin.

Je crus que nous étions, elle et moi, debout, sur le seuil de l’éternité. Les invisibles verrières jetaient autour d’elle une gloire si miraculeuse que je ne pus en soutenir l’éclat. Un espoir vaste autant que la tristesse se levait dans mon cœur.

Elle ne me répondit que par son grave sourire.

Je ne sais pourquoi l’image de Dagmar, ce poème de porcelaine, se dressa entre nous avec son charme inquiétant de fragilité.

Une angoisse plus terrible que toutes les angoisses humaines m’étreignit à ce moment. Mes prunelles s’attachèrent sur les prunelles d’Éva, lointaines et grises et comme vues à travers des fumées d’encens.

Je répétai les paroles d’hier :

« Ne crains-tu rien, Éva ?

— Je ne crains rien, » dit-elle.

Ce fut un murmure d’orgue au fond des chapelles crépusculaires…

« Seras-tu plus forte que mon mal ? » implorai-je.

« Je serai plus forte que tous les maux humains, puisque je suis la pitié. »

Il se fit autour de nous un silence religieux. Je n’osai point lui sangloter : Je t’aime !