Une femme m’apparut/1905/22

Alphonse Lemerre, éditeur (p. 119-124).


XXII


Toute la lumière entrait dans la chambre, une lumière si intense que les prunelles en étaient éblouies.

Ione était entrée, avec la lumière. Sa chevelure et ses yeux rayonnaient. Une félicité émanait d’elle. Et je la vis, riant au jour.

« La clarté, » dit-elle, « la clarté ! Ne sens-tu point, autant que moi, la puissance de ce grand mot, qui déchire les ténèbres et qui descend, avec la grâce, jusqu’au fond du cœur ! »

Je ne trouvai que ces pauvres mots :

« Enfin, enfin, tu es heureuse, Ione… »

Pour toute réponse, elle tourna vers moi la gloire de son visage.

« J’ai reçu la foi, comme on reçoit l’hostie, les yeux clos et les mains croisées sur la poitrine… Je n’ai de tristesse qu’en revenant au sentiment de la réalité, en retombant sur la terre. Je suis si lasse des angoisses et des laideurs humaines !

— Tu parles comme si tu ne désirais plus que la mort, Ione.

— La mort serait pour moi la naissance à la vie paradisiaque.

— Alors, ma chère Ione, ma douce Ione, ma sœur et ma compagne de toujours, puisses-tu bientôt trouver cette mort qui est ton plus beau désir ! »

Je refoulais, en parlant, les larmes qui me montaient aux yeux. Je voyais Ione exténuée, malgré son courage, épuisée par les longs doutes d’autrefois. Elle ne pouvait pas vivre… Elle gardait en elle une âme avide d’éternité, et que jamais ne contenteraient les pauvres tendresses mortelles, les tendresses brèves, les tendresses incertaines.

Dans un élan de pitié fraternelle, je lui dis :

« Puisses-tu atteindre bientôt à la mort que tu rêves ! »

… Ione possédait enfin la foi. Et la foi éclairait le rude chemin qu’elle suivait en trébuchant. Mais la clarté la plus éclatante ne saurait triompher de l’accablement qui brise les membres, ni de l’ennui sur la route monotone…

« Crois-tu aux miracles ? » interrogea Ione.

« Je crois à tout ce qui n’est point réel.

— Et crois-tu aux visions ? » interrogea-t-elle de nouveau. « Je parle des visions intérieures. »

Aussitôt, elle s’aperçut que je ne la comprenais point, et reprit :

« Je pense que la Très-Sainte Vierge et le doux Sauveur se manifestent aux âmes qui les appellent. On les entend, et même on les voit. Mais on les voit en soi, on les entend au plus profond de soi-même. Ils resplendissent, non point devant les prunelles, mais au cœur tremblant. C’est ainsi que Marie se révéla hier à moi, et me parla dans la chapelle où se sont accomplis déjà des miracles.

— Je connais cette chapelle dont l’ombre est si mystérieuse que l’on y admet sans peine l’accomplissement des miracles.

— Je m’y suis agenouillée en plein jour. Le soleil était aussi pénétrant qu’il l’est à cette place où nous sommes. L’air bleuissait, limpide. Il n’y avait aucun trouble, aucune énigme. Et c’est dans cette simplicité, dans cette grande lumière, que le miracle s’est très naturellement accompli. »

Elle poursuivit, plus bas :

« Une clarté s’est levée en mon âme. Cette clarté était si odorante, si musicale, que je compris… Cette clarté était la Vierge elle-même. Et une voix intérieure se fit entendre, une voix qui était la sienne. Cette voix me dit : « Ne pleure plus. Bientôt tu seras consolée. Bientôt, Ione, tu vas mourir… »

Je jetai un cri.

« Je sortis de la chapelle, » continua Ione. « J’étais très calme. Jamais je n’ai été aussi calme. Oui, je portais en moi la paix qui dépasse toute paix humaine… Il ne faut point s’étonner des miracles. Car les miracles sont choses très simples… »

J’écoutais avec un respect silencieux. Je sentais qu’Ione disait vrai : que la vision lui avait parlé dans la chapelle pleine de soleil et que cette vision ne l’avait point abusée.

Peut-être les prunelles des malades perçoivent-elles plus loin et plus distinctement… Peut-être…

Nul ne le saura jamais. Il faut courber la tête devant l’inexplicable, si l’on ne croit point comme Ione…

Sachant qu’elle devait mourir, je la considérai de toute ma tendresse lamentable. Et j’eus l’enfantine tentation de tomber à genoux devant elle, en pleurant… Mais une pensée me consola :

« Elle est heureuse… Il ne faut point troubler sa félicité surhumaine… »

Ione me regarda jusqu’à l’âme :

« Puisse la clarté qui m’a toute éblouie, t’illuminer un jour ! » dit-elle.

Et, sur ces paroles d’espérance, elle me quitta.

Je pleurai jusqu’au soir. Et, vers la nuit, j’eus assez de force et de volonté pour me réjouir avec Ione sur sa mort prochaine.