Paul Ollendorff (p. 328-343).

III

Et son bonheur persistait…

… Non point un bonheur fait de joies réelles et de grandes ivresses, mais cet état de béatitude passive que causent l’absence de chagrins et la satisfaction des appétits essentiels.

Sa vie avait été coupée en deux, net, d’une incision précise, comme une plaine où s’entr’ouvre subitement un abîme. Et l’abîme était insondable, et si large que d’une rive elle distinguait à peine l’autre rive, cette terre où elle avait connu de plus intenses félicités. Elle la voyait confusément, effacée, estompée, ainsi qu’à travers un voile de brouillard. Et elle n’avait, en aucune façon, la nostalgie de son ancienne patrie. Comme une plante gonflée d’une sève généreuse, elle prenait racine dans le sol où la jetait le hasard, et que ce sol fût riche ou rocailleux, humide ou sec, elle y croissait en toute liberté.

Çà et là, à son lit de douleur, aux palmiers des Anglais, aux roses de la Corniche, à la cime du Righi, aux rocs du Saint-Gothard, restaient accrochés les derniers lambeaux de son enveloppe défunte. L’air pur de la baie des Anges, l’air vif des montagnes avaient nettoyé son corps.

Et comme toujours, elle s’abandonnait au gré des circonstances, ainsi qu’une chose inerte ballottée par la mer. Les vagues étaient gigantesques autrefois, elle montait à leur crête, roulait dans leurs gouffres, secouée, retournée, lancée de droite et de gauche. Aujourd’hui, sur l’onde assagie, elle flottait, confiante, sans un mouvement, suivait le courant paresseux qui l’emportait insensiblement vers la vieillesse.

Tant qu’elle avait pu demander beaucoup à la destinée, sa part ne la satisfaisait pas, et elle avait beaucoup exigé. Maintenant que ses droits diminuaient, ses besoins se restreignaient et elle acceptait, sans récriminations, le peu qui lui était octroyé.

Son genre d’existence ne changeait pas parce que ses goûts avaient changé, mais ses goûts plutôt se conformaient au genre d’existence que lui imposaient des forces multiples.

D’abord elle eût été incapable de reprendre sa vie dissipée. Quoiqu’elle ne fût alors jamais lasse de ses aventures, elle gardait la sensation mal définie d’une insupportable fatigue, et de cette fatigue imaginaire elle éprouvait une réelle courbature. La seule idée d’une chute lui brisait les membres. Il lui semblait que ses reins en seraient meurtris.

Puis, en bloc, son passé l’effrayait. Elle le considérait comme quelque chose de noir et de lugubre, une époque funeste où même elle avait dû subir de grandes infortunes. Il ne s’en détachait que les rares minutes de ses souffrances et de ses désillusions. Et elle appréciait d’autant plus la quiétude du présent.

Quel effort il lui eût fallu pour recommencer ses poursuites, pour répondre à un inconnu, se rendre à son hôtel, se déshabiller devant lui, se donner surtout et jouer son rôle monotone d’amoureuse ! Elle avait si souvent exécuté ces actes ! Rien ne l’intéressait désormais de cette comédie, dont elle savait toutes les phases.

La crainte du monde aussi la retenait. On ne peut éternellement se gausser de lui. Un jour vient où la vérité se découvre. Il se méfiait déjà. Une preuve quelconque suffirait à l’instruire. La perspective de ce dénouement inévitable lui inspirait une réserve salutaire.

En outre, une infinité d’autres causes l’influençaient. Dès le retour du Midi, de nombreux plaisirs l’avaient dédommagée de son honnêteté, sa voiture, plus tard le voyage en Suisse, plus tard l’éducation de son fils et sa lutte contre Mme Berchon. Ces divertissements, bien que mesquins, avaient adouci cependant la brutalité de la transition. Ils masquaient un vide qui, sans eux, eût paru intolérable. D’autres, analogues, qui leur succédèrent, finirent même par constituer, avec l’habitude, des distractions équivalentes pour Lucie à ses débauches anciennes.

Mais, avant tout, l’arrêtait un obstacle invincible : la maladie avait déformé son corps. La taille s’était épaissie, les seins tombaient, des rides notamment rayaient le ventre. Quoiqu’elle refusât de se l’avouer, la conscience sourde de ces imperfections abolissait l’envie d’étaler sa nudité. Son orgueil ne fléchissait pas, elle en enfermait le culte en elle-même, comme une religion mystérieuse dont elle était, à elle seule, la prêtresse et la foule des croyants.

Elle ne souffrait point de ce sacrifice. Tant de fois elle avait offert son corps et surpris l’extase des élus admis à le contempler, qu’elle se trouvait blasée sur cette catégorie de jouissances.

Du reste, quels que fussent les motifs auxquels obéît Mme Chalmin, elle ne s’embarrassait pas à les démêler. Elle constatait ceci, simplement : sa conduite ne lui convenait plus, elle vivait donc d’autre sorte. Jamais même elle ne songeait à ces questions. Jamais elle ne se laissait glisser aux rêveries douces où surgissent, avec leurs sourires et leurs larmes, les heures d’antan. À peine certains souvenirs s’éveillaient-ils au choc d’un incident fortuit, rencontre d’amant, vision d’endroit fréquenté. Et ces souvenirs ne lui procuraient ni enchantement ni amertume.

Elle ne regrettait rien. Elle avait plutôt un sentiment de plénitude. Elle ignorait la tristesse de ceux qui regardent en arrière et à qui paraissent creuses des périodes d’années, des années futiles, sans bien ni mal, sans gloire ni désastre, des années perdues, irréparablement, cinq, six, sept à retrancher du maigre lot qui nous est échu.

Une telle désespérance lui était épargnée. Sa jeunesse formait une chaîne de jours où nul maillon ne manquait. Peu d’entre eux qui ne fussent illustrés de quelque événement saillant.

Cette idée l’avait jadis frappée durant l’une de ses dernières visites à M. Lesire. Elle arrachait les feuilles d’un calendrier. Et elle dit en riant une de ces phrases cyniques dont elle était coutumière :

— Je pourrais presque établir un calendrier, moi aussi, avec l’histoire de ma vie. Je canoniserais mes amoureux : Saint-Amédée, Saint-Bouju, Sainte-Marthe, Saint-Lesire. Et en bas je raconterais en substance l’anecdote d’un jour correspondant : aujourd’hui mon mariage, demain premier faux pas, après-demain deuxième, ici une rupture, plus loin une autre chute. Les trois cent soixante-cinq cases seraient remplies.

De là naissait une satisfaction. Elle oubliait ce qui composait cet amas de réminiscences pour ressentir l’agrément que donne une mémoire bien garnie, un spectacle d’ensemble, où nulle interruption fâcheuse ne déroute l’esprit. Son passé lui plaisait, de ce plaisir vague que procure la vue d’un fruit par sa rondeur et la cohésion de sa masse. Un trou vous y choquerait, et l’insuffisance des yeux ne permet pas d’en distinguer les parties blettes et gâtées.

Des mois s’ajoutèrent à des mois. Les Chalmin allèrent à Cauterets et en Espagne, la saison suivante sur les bords du Rhin. Et d’autres mois vinrent.

Lucie se fanait vite. La peau de son visage revêtait des teintes jaunes. Sa démarche s’alourdissait. Elle se soignait moins. Ne renouvelant plus ses dessous élégants, elle se servait de son linge de trousseau. Elle eut un corset qui accentua le grossissement de sa taille. Ses robes furent plus riches et plus disgracieuses.

Le moral aussi s’épaississait. Elle devint pot-au-feu, maniaque, « regardante », tracassière avec les domestiques. Elle leur mesurait la nourriture et réduisait la quantité de beurre employée à la cuisine.

Dans le monde elle acquérait une place prépondérante, grâce à sa fortune et à ses réceptions. On la considérait. Les jeunes maris la citaient en exemple à leurs femmes.

Elle s’estima assez forte pour couper court aux relations qui ne réunissaient pas toutes les garanties d’honorabilité. Elle se créa des ennemis. Que lui importait ? Son salon fut réputé d’accès difficile : on essaya d’en franchir le seuil.

Son ambition lui suscita l’envie de se tourner vers Mme Bouju-Gavart. Elle s’en ouvrit à Robert qui acquiesça :

— Tu as raison, elle a eu de graves torts, seulement tu es la plus jeune, et c’est à toi de faire les premiers pas.

Elle se crut très miséricordieuse en accomplissant cette démarche. Le pardon des injures est l’attribut des nobles caractères. La bonne de Mme Bouju-Gavart la pria d’attendre, puis revint avec cette réponse : Madame était souffrante et ne recevait pas. Une seconde tentative fut également infructueuse.

Mme Chalmin en conçut un grand étonnement. Cette ingratitude la navrait. Elle dit à son mari :

— À quoi sert d’être esclave de son devoir !

En visite, elle prenait une part active aux potins. Les amours des autres la captivaient, comme un soldat retraité frissonne au bruit du canon. Ses jugements étaient durs et causés moins par sa rigueur de femme envers une autre femme, que par son mépris pour ces sottes qui se compromettaient. On admirait son inflexibilité.

Une occasion excellente donna libre cours à cette humeur vertueuse.

Au lycée, le jeune Chalmin progressait. Sa mère ne pouvait plus le suivre dans ses études, mais elle le stimulait au travail et les succès de René la récompensaient. La suprématie cependant demeurait à Max Berchon.

Les deux concurrents faisaient leur quatrième. Ils tenaient la tête de la classe. Mais malgré quelques triomphes en mathématiques, René n’espérait pas dérober à son rival le prix d’excellence. Lucie enrageait.

Or, tout d’un coup, un bruit incroyable éclata en ville : Henriette Berchon avait pris la fuite. On savait le nom du monsieur. Mme Chalmin se renseigna. La nouvelle était exacte.

Immédiatement, elle se mit en campagne. Elle trouva le monde fort émotionné. La plupart de ces dames même niaient la possibilité d’un tel événement.

Elle affectait d’abord de ne point comprendre leur stupéfaction. Que voyaient-elles d’invraisemblable en un fait aussi naturel ? Une femme habillée comme Henriette, extravagante, coquette, indifférente à l’opinion publique, ne devait pas finir autrement. Puis son indignation débordait :

— J’ai beau me raidir et vouloir défendre une ancienne amie, je ne peux pas. Il y a des choses qui n’admettent pas l’indulgence.

Une jeune femme insinua :

— Je la connaissais, moi, Henriette. Elle était si gentille, si bonne. Somme toute, on n’avait à lui reprocher que ses toilettes et son dédain du qu’en-dira-t-on. Elle avait beaucoup de cœur. Son mari et elle ne se sont jamais entendus. Il était avare, la boudait pour une note de couturière, s’abaissait à supplier les marchands de ne rien vendre à sa femme. Il la poussait à bout. Elle a aimé ce monsieur, elle lui sacrifie tout, il y a là une certaine crânerie. Et puis on disait tant de mal d’elle, sans preuve, qu’elle n’avait rien à sauvegarder.

Mme Chalmin l’interrompit sèchement :

— Vous avez une manière de juger ! Permettez-moi de ne pas avoir la même.

Elle se rendit aussi près du maître de pension :

— On vous a sans doute mis au courant d’un scandale qui a eu votre parloir pour théâtre. Mme Berchon m’a grièvement offensée. Je me suis tue, par dignité, et j’ai eu raison, car vous voyez à qui j’avais affaire.

Ce départ d’Henriette l’obsédait. Elle en rabâchait à Robert les péripéties probables. Devant son fils même, elle ne se contenait pas.

Il advint que René, disputant avec Max, lui jeta des injures sur sa mère. Max, doué de muscles plus solides, lui administra une correction un peu brutale et lui cassa deux dents d’un coup de poing. Lucie se plaignit. On voulut obtenir des excuses du jeune Berchon. Il refusa. Il fut renvoyé. Ce changement de pensionnat détraqua ses habitudes. Il n’eut plus d’ardeur au travail. René décrocha le prix d’excellence. Quelle victoire pour Lucie !

Entre M. et Mme Chalmin l’entente ne cessait de régner. Jamais la moindre querelle ne troublait leur bonne intelligence. Elle le prisait beaucoup.

Elle ne se sentait aucun repentir envers lui. Un jour elle s’assit sur ses genoux et prononça :

— Regarde-moi bien en face et réponds-moi franchement.

Comme il riait de cette solennité, elle le gronda :

— Non, sois sérieux, c’est une inquiétude qui me tourmente souvent et dont je voudrais être délivrée. Dis-moi, t’ai-je rendu heureux, mais là, absolument heureux ?

Il répéta d’un ton grave :

— Entièrement heureux, Lucie, pas une minute de ma vie je n’ai regretté notre union.

Cette affirmation ne l’absolvait-elle pas ? Car enfin, qu’avait-elle atteint, par sa faute, en lui ? Son nom ? Intact. Sa fortune ? Quadruplée. Son bonheur ? Inaltérable, il l’avouait lui-même. La mauvaise conduite d’une femme, si elle parvient à la dissimuler, ne porte préjudice qu’à elle seule. Un mari n’est pas déshonoré tant qu’on l’ignore.

Elle s’empêtra peu dans d’aussi puérils scrupules.

Elle sortait constamment avec Mme Ramel qui l’entraînait à l’église. Elle s’y asseyait et ne priait point. Mais le repos de la nef déserte l’enveloppait. Et elle s’assoupissait, tandis que se courbait dévotement le dos de sa mère. À la fin cependant, ces longues stations dans la demi-obscurité, dans le silence qui suinte des voûtes et des piliers, la pénétrèrent de recueillement. Elle marmotta les prières qu’inspirent ces endroits saints. Ses apparences pieuses ne furent pas sans profit. Elle y gagna un surcroît de considération.

Des mois encore vinrent. Elle s’embourgeoisa. Ses idées se rétrécirent. Son cerveau se dessécha. Elle grossit. Le menton et le cou s’empâtèrent. Elle adopta des opinions politiques précises, n’en ayant pas eu d’autres que celles de ses amants ; elle prôna les partis religieux.

Elle ne songeait pas à son passé. Un jour elle croisa Javal, son unique passion, suivant elle. Ils se saluèrent. Son cœur fut muet. Elle regretta, néanmoins, sa bague de fiançailles.

La présence de ses amants, leur contact même, ne la remuaient pas. Au bal, parfois, l’invitaient des hommes qui l’avaient possédée. Elle restait indifférente entre leurs bras.

Ils la menaient au buffet, lui parlaient, galants, attentifs. Elle, se disait simplement : « J’ai été la maîtresse de cet homme », sans que cette phrase évoquât en elle l’ordinaire cortège des jouissances communes. Aucune honte ne rougissait son front. Elle ne sentait point qu’un lien de chair indissoluble la liait à eux. Quelques-uns risquèrent des allusions. Elle semblait ne point comprendre. Cela l’ennuyait. Jamais elle ne connut la joie des souvenirs que l’on échange, des heures voluptueuses où sonnent à nouveau la sonnerie des anciennes caresses et le tintement des bouches qui se baisaient.

De ce passé, il subsistait deux sensations bizarres, toutes deux d’amour-propre, toutes deux confuses.

Sa beauté n’était pas morte. Elle commençait à admettre la déchéance de son corps, mais ce corps vivait toujours dans les yeux de ses amants. Il vivait avec sa splendeur première, avec son exquise pureté, avec la blancheur de sa peau, avec l’harmonie de ses formes. Il vivait gravé dans des cerveaux qui ne pourraient l’effacer. Il vivait comme toute chose parfaite, indestructible parce qu’elle est d’essence divine. Si vieille qu’elle fût, plus tard, elle verrait des êtres qui l’auraient admirée, et la certitude que s’éternisait en eux l’image de son corps éblouissant de jeunesse, la consolerait de son corps usé, déprimé, flétri.

Puis, en second lieu, elle se sentait supérieure aux autres femmes qu’elle fréquentait. Elle s’attribuait plus d’expérience. La vie lui avait divulgué les mystères cachés à la foule. Elle était en droit de discuter et de résoudre les problèmes complexes sur l’amour, le vice, le désespoir, la lassitude, sur l’attachement et sur la passion furieuse, sur les moyens de conserver l’affection d’un homme et sur les moyens de rompre. Elle pouvait pérorer, trancher les questions, conseiller, blâmer et approuver. Car elle savait ce que la plupart de ces femmes ne savaient pas, avantage dont elle tirait, à son insu, un grand orgueil.

Sa religiosité s’accentua. Elle ne devint pas dévote. La grâce ne la touchait pas. Mais les pratiques de l’église l’occupaient et lui paraissaient utiles. C’était un but de promenade, l’obligation de respirer l’air du matin. Sa santé s’en trouvait à merveille. Elle obéissait complaisamment à la discipline sévère des offices. Comme ses voisins, un coup de clochette la mettait debout, la jetait à genoux, l’asseyait, lui inclinait la tête, tournait les pages de son livre, lui imposait l’articulation mentale de telle prière. Elle éprouvait la petite fièvre des soldats à l’exercice quand une manœuvre réussit, que les bras retombent ensemble dans le rang, ou que les déclenchements des fusils ne forment qu’un bruit sec, au commandement : « Feu. »

Elle voulut se confesser. Cette envie la prit soudain, irrésistible. Mme Ramel, enchantée, lui signala un prédicateur de la Cathédrale. Elle y courut dans un accès d’exaltation.

Elle s’affranchit d’abord des péchés quotidiens, des péchés véniels, de ceux qu’on ne peut éviter. Puis elle s’arrêta, hésitante. Le prêtre dit :

— C’est tout, ma fille ?

Alors elle s’attaqua bravement à son passé. Sa vie se dévoila, sa vie d’adultère. Ce fut long. Le prêtre, atterré, ne cessait de l’interroger. Elle répliquait aussi exactement que sa nature l’y autorisait. À la fin il murmura :

— Vous repentez-vous, mon enfant ?

Elle répondit :

— Oui, mon père.

Il comprit que ses lèvres seules affirmaient ce repentir. Devait-il refuser l’absolution ? À quoi bon ! N’était-elle pas inaccessible au remords ? Sa chair ne présentait nulle tache avilissante. Comment lui persuader que l’âme, elle, reste flétrie éternellement ? Elle ne savait même point qu’elle avait mal agi. Sa vie eût recommencé qu’elle ne l’eût pas vécue autrement.

Il prononça les paroles sacrées.

Mme Chalmin partit. Lui, ne bougea pas, troublé.


À la maison, Lucie trouva René qui l’attendait, en vacances. Ils sortirent.

Le temps était chaud, le ciel ensoleillé. Ils marchèrent allègrement. Elle le serrait contre elle, un bras derrière son cou, sur l’épaule. Elle était fière de lui, de ses quinze ans, de sa sagesse, de son joli visage où se dessinaient certains de ses traits, à elle. La confession l’avait soulagée, lui semblait-il, de quelque fardeau incommode. L’avenir s’ouvrait, calme, large, un avenir qu’emplissait son fils. Des projets l’effleurèrent. Elle les traduisit. René les approuva. Certes ses aptitudes le destinaient au métier d’ingénieur, peut-être à la carrière des armes.

Elle le vit, vêtu d’un uniforme brillant, que constellaient des décorations.

Elle le vit fiancé, marié, possesseur d’une jolie femme qu’il aimerait et dont il serait aimé.

Elle se vit, elle, dans le décor intime de sa famille, entre sa mère et son mari, entre son fils et les enfants de son fils.

Et, en rêve, son incorruptible bonheur, le bonheur de son passé, le bonheur actuel, se prolongeait indéfiniment, l’accompagnait jusqu’à la vieillesse, jusqu’à la mort.


Nice, Vaucottes, 1891-1892.



FIN