Une famille parisienne à Madagascar avant et pendant l’Expédition/Partie II/Chapitre 5

CHAPITRE V

Infirmière et capitaine


Quand il rentra à Maevasamba, l’oncle Daniel n’était pas encore calmé. Marguerite le consola très gentiment en lui persuadant que, somme toute, elle n’était pas autrement fâchée d’avoir encore quelques jours de répit devant elle, attendu que ses petites installations n’étaient pas encore tout à fait prêtes. Le docteur Hugon réclamait, de son côté, un appareil distillatoire, dans la crainte que l’eau du ruisseau d’Antsingo, qui alimentait Maevasamba, ne vint à s’altérer quelque jour, pour une cause ou pour une autre. Il désirait également une machine à fabriquer de la glace qui, pendant les heures chaudes de l’après-midi, pourrait rendre d’inappréciables services.

« Tu auras ton appareil distillatoire, dit Daniel à son vieil ami. Quant à ta machine à fabriquer de la glace, j’en ai vu une montée à Majunga par un individu de Bourbon et qui fonctionne parfaitement ; je te promets de t’ en rapporter une semblable, à mon prochain voyage.

— A ce propos, tu n’as pas idée, mon vieil Hugon, des changements que j’ai trouvés en arrivant à Majunga. La ville est presque européanisée, ou francisée, maintenant. C’est au point que j’avais quelque peine à m’y retrouver, et Dieu sait pourtant si je la connais dans les coins et les recoins ! Les anciennes rues, étroites et tortueuses, ont été nettoyées, redressées, élargies, et les vieilles cases construites à l’arabe qui les bordaient remplacées par des maisons bâties à l’européenne. On a installé des trottoirs avec un éclairage superbe. Des faubourgs s’élèvent petit à petit sur de nouveaux tracés. En même temps que d’aspect, les rues ont changé de nom ; il y a maintenant l’avenue de France, la rue du Primauguet, la rue de la Résidence, la rue Laborde, la rue Sylvain-Roux. Il y a même l’avenue du Bois-de-Boulogne ; d’ici peu sans doute on y pourra voir les belles Malgaches faisant la roue en de mirifiques équipages attelés de bœufs, pendant que nos plus brillants officiers caracoleront dans l’allée cavalière. En attendant, j’ai failli moi-même y être écrasé par un jeune sous-lieutenant monté sur une bicyclette et qui filait comme le vent sous les regards ahuris de la population noire. Car il y a encore une population noire ; si les Hovas et les Sakalaves, qui en formaient le fond naguère, ont disparu, les Makoas, les Comoriens, les Arabes et les Indous sont restés pour la plupart, dans l’espérance de profiter du séjour des Français pour s’enrichir. Ils sont noyés, il est vrai, dans le flot des arrivants qui augmente chaque jour. Outre une partie de l’état-major et les chefs de différents services installés en permanence à Majunga avec leur nombreux personnel, il y a dans la ville un croisement incessant d’hommes partant pour l’intérieur et de malades ou de convalescents redescendant à la côte. Toute la journée c’est un va-et-vient perpétuel d’officiers, de soldats, de chevaux, de mulets attelés aux voitures Lefebvre, de coolies et de porteurs de toutes les races chargés de caisses et de marchandises. Mais c’est le mouvement du port surtout qui est extraordinaire ; j’y ai vu à la fois jusqu’à quarante ou cinquante bateaux de différents tonnages à l’ancre dans la rade, où naguère encore on voyait tout juste un seul bateau des Messageries Maritimes, le Mpanjaka, et de loin en loin un navire de guerre. J’ai compté quinze à vingt affrétés de gros tonnage, cinq bâtiments de guerre, et une légion de boutres arabes. Du matin au soir le port est sillonné par des embarcations et des remorqueurs de toute taille et de toute forme, employés au débarquement des voiliers arrivés de Bourbon, de Maurice, de Zanzibar, des Comores, du Cap ou de l’Amérique, avec d’énormes stocks de marchandises et une foule d’émigrants de toute couleur venant chercher fortune à l’abri de notre drapeau. Enfin, sais-tu où j’ai dîné, et fort bien dîné, ma foi ! la veille de mon départ ?

— Chez Justin Leroy, ton correspondant.

— Non pas, mais au restaurant ! Oui, mon vieux Hugon, il y a maintenant un restaurant à Majunga, un grand restaurant en bois, construit de toutes pièces par trois économes des Messageries Maritimes. C’est là que mangent presque tous les officiers. Il y a aussi un cercle, le Cercle français, avec des terrasses élevées qui donnent sur la mer. J’y ai passé la soirée, en compagnie de nombreux consommateurs, tant civils que militaires, qui, leur besogne terminée, venaient y chercher un peu de brise et commenter les nouvelles du jour. Ce que j’y ai entendu de potins ! Ah ! je t’assure qu’ils ne s’en privaient pas de tomber les uns sur les autres ! »

Cependant le temps passait et le fameux médecin-major de première classe annoncé ne se montrait pas vite à Maevasamba. Déjà le bouillant Daniel commençait à perdre patience, lorsqu’il arriva enfin. Après une visite minutieuse de toutes les installations, il déclara que rien ne laissait à désirer : air excellent, chambres vastes et parfaitement meublées, appareils hydrothérapiques très bien compris, précautions hygiéniques de toute nature, distractions, jeux, promenades, tout avait été prévu avec une sollicitude éclairée. En un mot il était impossible de trouver mieux. Le docteur rédigea son rapport séance tenante et promit de le remettre lui-même au chef du service de Santé, aussitôt qu’il serait rentré à Majunga.

Malgré ces belles promesses, huit jours, dix jours, deux semaines s’écoulèrent encore sans qu’on entendît parler de rien de nouveau à Maevasamba. Il y avait de quoi désespérer ! C’était bien la peine d’avoir préparé avec amour tout ce qu’il fallait pour remettre sur pied vingt-six convalescents si, par le fait de ces formalités étroites de l’administration, tout cela devait rester inutile, pendant que là-bas de malheureux malades voyaient leur état s’aggraver tous les jours faute d’aménagements suffisants, ou d’un personnel médical un peu moins surmené ?

Enfin, n’y tenant plus, le vieux Daniel déclara que si le lendemain le convoi de convalescents promis n’arrivait pas, il irait lui-même à Majunga le chercher. Et le lendemain, eu effet, n’ayant rien vu venir, il monta dans son filanzane et se mit en route. Cette fois encore, en arrivant à Majunga, il se heurta aux mêmes formalités administratives qui l’avaient si fort irrité à son précédent voyage ; mais il tint bon, résolu à ne point repartir sans avoir obtenu satisfaction. Tout en courant la ville pour tâcher d’employer ses relations à faire fléchir la rigueur absurde des règlements, il n’oublia point les acquisitions que lui avait demandées le docteur Hugon. Mais là encore sa patience, qui n’était pas excessive, comme on a pu en juger, devait être mise à une rude épreuve. Il put se procurer assez facilement un appareil distillatoire et une machine à faire de la glace ; mais, lorsqu’il voulut acheter le supplément de médicaments qui lui manquait, ce fut une autre affaire. L’affluence extraordinaire que les événements avaient attirée à Majunga avait eu pour conséquence immédiate le renchérissement exagéré des denrées de toute sorte. Le marché installé sur la place principale était assez bien approvisionné, mais tout s’y vendait trois fois plus cher que dans les conditions normales : la bière – et quelle bière ! – 2 francs la bouteille ; les saucissons 8 et 10 francs le kilo ; les pruneaux 30 et 40 sous la livre ; le beurre – du soi-disant beurre d’Isigny – 6 francs les 500 grammes ; le fromage de Hollande, une petite boule desséchée, 12 francs ; le savon de ménage – un des articles les plus demandés, on se battait pour en avoir ! – 4 francs le kilo ; et le reste en proportion. Les drogues n’étaient pas moins chères, d’autant qu’elles commençaient à devenir rares. La quinine elle-même manquait à Majunga. Tout ce que put recueillir le vieux Daniel, en battant les divers quartiers et en fouillant les cases des innombrables mercantis établis dans la ville, ce fut un certain nombre de bouteilles d’eau minérale qu’on lui vendit 3 fr. 75 la pièce, bien qu’elles ne continssent que de l’eau légèrement chargée de bicarbonate de soude.

Furieux, il prit le parti de télégraphier directement à ses correspondants de Marseille, la maison Cassoute frères, de lui expédier par le prochain courrier un fort approvisionnement de quinine, d’ipéca, de teinture d’iode, de bandes, de charpie, de vins de coca et de Banyuls, et de diverses eaux minérales.

Justement le câble destiné à relier Majunga à la France par Mozambique avait été inauguré et livré au public depuis déjà deux mois. Jusqu’alors, en effet, la voie la plus courte pour télégraphier en France était d’envoyer la dépêche à Port-Louis, la capitale de Maurice, qui correspondait avec l’Europe par l’Eastern Telegraph Company ; or l’aviso le Papin, préposé à ce service, ne mettait pas moins de deux jours pour franchir les cinq cents milles qui séparent Port-Louis de Tamatave ; soit quarante-huit heures de perdues pour aller confier à des mains anglaises le sort d’un câblogramme auquel les circonstances pouvaient donner parfois une haute gravité. Aussi l’immersion du câble, long de sept cent quarante kilomètres, entre Majunga et Mozambique avait-elle été une des premières opérations exécutées à l’ouverture de la campagne ; ce travail, d’une utilité si urgente, avait admirablement réussi et dans un délai remarquablement court : dix jours avaient suffi pour le mener à bonne fin et depuis le 3 avril la ligne fonctionnait parfaitement. Bien que les dépêches envoyées par cette voie dussent encore emprunter l’Eastern Telegraph Company à partir de Mozambique, l’opération si heureusement et si rapidement conduite de l’immersion de notre câble avait eu le don d’exaspérer nos bons amis les Anglais, qui se montraient chaque jour plus hargneux et plus hostiles.

Tout en étant ouverte aux dépêches privées, la nouvelle ligne, établie surtout en vue des besoins du Corps expéditionnaire, n’était pas encore très accessible au public civil ; non seulement le prix des transmissions était très élevé – dix francs par mot, – mais encore aucune dépêche ne pouvait être expédiée sans le visa du Général, et les messages chiffrés n’étaient pas admis.

Sur ce point, toutefois, le vieux Daniel eut assez facilement cause gagnée. En l’absence du Général, le colonel commandant la place visa tout de suite sa dépêche ; et, dès le lendemain, il recevait, par la même voie, la réponse de la maison Cassoute frères, l’avisant que l’envoi demandé serait fait par le Yang-Tsé, des Messageries Maritimes, courrier de Madagascar et de Maurice, lequel devait partir de Marseille le 23 courant.

Quelques jours après, l’Ambohimanga, l’un des petits vapeurs loués au sultan de Zanzibar pour le service du Betsiboka, arrivait de Marovoay avec vingt-cinq hommes indisponibles, c’est-à-dire profondément anémiés à la suite d’une atteinte de fièvre, et qui n’étaient guère bons qu’à être rapatriés. Or le steamer affrété la Provence venait justement de prendre la mer avec six cent cinquante-quatre convalescents de la Guerre et de la Marine, et il ne devait pas y avoir de nouveau départ pour France avant une quinzaine au plus tôt. D’autre part, l’hôpital de Majunga était comble, ainsi que le Shamrock et le Vin-Long, ce dernier récemment transformé, lui aussi, en hôpital flottant ; quant au sanatorium de Nossi-Comba et aux autres sanatoria installés sur les hauts plateaux de la Réunion, à Saint-Denis, Saint-François et Salazie, ils n’avaient qu’un très petit nombre de lits disponibles ; de sorte qu’on ne savait où caser les nouveaux arrivants.

Daniel offrit au service de Santé de s’en charger et de les emmener tous à Maevasamba. Cette fois la nécessité pressante fit passer par-dessus règlements et formalités, et la proposition du vieux colon fut acceptée.

Le jour même, la Ville-de-Paris levait l’ancre, ayant à bord les deux officiers et les vingt-trois soldats amenés par l’Ambohimanga. Sauf un des officiers, aucun d’entre eux ne paraissait trop gravement atteint pour que le changement d’air et un régime reconstituant n’eussent pas raison de leur état d’anémie. Daniel emportait en outre la machine à faire de la glace et l’appareil distillatoire réclamés par le docteur Hugon, ainsi que trois cents bouteilles d’eaux minérales, tout ce qu’il avait pu rafler chez les mercantis de Majunga, en attendant l’envoi que devait lui apporter le Yang-Tsé.

La première étape, c’est-à-dire la courte traversée à bord de la Ville-de-Paris, fut rapidement franchie, sans fâcheux incident. Ce fut à Manakarana seulement que les difficultés commencèrent. Il fallut tout d’abord – ce qui n’était pas chose aisée pendant ces temps troublés – trouver immédiatement des filanzanes et des porteurs en quantité suffisante pour transporter jusqu’à Maevasamba, non seulement les vingt-cinq convalescents, mais encore les nombreuses caisses dans lesquelles Daniel avait entassé un fort supplément de literie et de lingerie pour les besoins de l’ambulance. Heureusement l’excellent colon était débrouillard, il chargea immédiatement des hommes de confiance de battre les villages voisins et, grâce à sa situation considérable dans la région et à sa réputation de générosité, il eut en moins de vingt-quatre heures autant d’hommes et autant de filanzanes qu’il lui en fallait. Il organisa aussitôt sa petite caravane et se mit en route après avoir envoyé en avant un courrier prévenir Marguerite et le docteur Hugon de sa prochaine arrivée.

Lorsque le convoi parvint en vue de Maevasamba, tout était prêt à le recevoir ; une heure après, chacun des vingt-cinq nouveaux pensionnaires de l’ambulance était installé dans un bon lit garni de sa moustiquaire, sous la direction du docteur, qui se contenta d’un examen sommaire pour ne pas ajouter à la fatigue du voyage.

Dès le premier jour, Marguerite se révéla infirmière consommée. Il faut dire qu’elle mettait à sa délicate besogne le meilleur de son cœur et cet instinct quasi maternel qui existe, en germe au moins, chez presque toutes les femmes. Là où elle excella surtout, ce fut dans l’art de faire oublier à ses malades qu’ils étaient des malades ; s’ingéniant à écarter de leurs yeux ce qui pouvait le leur rappeler ; dissimulant adroitement, à l’aide d’un pan de rideau, d’un paravent, d’un bout d’étoffe de couleur claire, l’attirail peu réjouissant des flacons et des remèdes ; égayant même l’atmosphère de chaque chambre avec des petits riens coquets, des images de journaux illustrés, des photographies encadrées, ou quelque fleur piquée dans un verre de Bohême ou de Venise. Elle avait mis au pillage tous ses bibelots, son petit trésor de jeune fille, ne trouvant rien d’assez beau, rien d’assez gai surtout pour ses chers malades.

La première fois que le vieux Daniel avait vu les fleurs de Marguerite, il les avait jetées brutalement par la fenêtre, en disant à sa nièce qu’elle était folle de mettre des fleurs auprès des malades, que rien n’était plus mauvais pour eux. La pauvre Marguerite en aurait pleuré ! elle avait justement choisi les fleurettes les plus inoffensives, celles qui n’avaient point d’odeur, ou qui en avaient à peine. Et, par le fait, personne ne semblait s’en être mal trouvé ; tout au contraire, à partir du jour où les fleurs eurent disparu par ordre du vieux Daniel, la dépression physique, et morale, si préjudiciable à la guérison des anémies paludéennes, montra une tendance marquée à revenir. Consulté en cachette par Marguerite, le docteur Hugon fit entendre raison à l’oncle féroce, qui se contenta, pour toute vengeance, de lui répondre en bougonnant :

« Oh ! toi ! elle te fait faire tout ce qu’elle veut, cette petite ! Elle te dirait d’avaler une couleuvre grosse comme mon bras, que tu l’avalerais !

— Et avec plaisir encore ! riposta gaîment Hugon.

— Vieille bête, va ! » grommela Daniel entre ses dents, et il sortit furieux.

Ce qui n’empêcha pas, du reste, que cinq minutes plus tard, il n’y pensait plus du tout.

Tout marchait donc le mieux du monde dans la plus confortable et la plus coquette des ambulances. Soignés, dorlotés, gâtés comme peu d’entre eux l’avaient jamais été, malades et convalescents se rétablissaient à vue d’œil. Seul, un des officiers, le plus sérieusement atteint, était toujours dans un état des plus précaires. Depuis son arrivée à Maevasamba, il n’était pas encore sorti de la prostration profonde où l’avaient plongé les secousses du voyage. Ce n’était pas sans les plus grandes peines qu’on arrivait à lui faire prendre un œuf ou un verre de lait. Et cependant il fallait le soutenir à tout prix.

« Ne vous découragez pas, disait à Marguerite le docteur Hugon : si on l’écoutait, il se laisserait parfaitement, mourir, ce gaillard-là ! »

L’oesophage se refusant à accepter aucun aliment solide, Marguerite essaya d’y glisser de la viande crue hachée. Deux fois de suite, le malade eut des nausées et rejeta la viande. Sans se lasser, Marguerite recommença jusqu’à ce que la viande eût passé. Enfin, la prostration céda quelque peu, mais la faiblesse restait extrême ; personne ne pouvait toucher le pauvre malade sans qu’il poussât des gémissements d’enfant ; le moindre bruit lui brisait le tympan et la lumière lui causait une véritable douleur ; aussi était-on obligé de le laisser dans une demi-obscurité.

Une nuit que Marguerite entrait doucement dans sa chambre, elle s’aperçut, à la faible lueur de la veilleuse voilée encore par un large écran, que les yeux du malade, creusés profondément par la fièvre, étaient grands ouverts et se posaient sur elle avec une sorte d’égarement.

« Vous n’avez besoin de rien ? dit-elle, en s’approchant du lit. Voulez-vous boire ?

— Merci, ma sœur ! » articula le malheureux officier d’une voix à peine intelligible.

Trompé par le costume de nuit de Marguerite, une ample robe de chambre de couleur sombre et sur la tête une mantille de dentelles qui ressemblait vaguement à une cornette, il avait pris sans doute la jeune fille pour une religieuse d’hôpital.

Quand on l’avait amené de Majunga, il était dans un tel état de faiblesse que c’est à peine s’il avait eu conscience de la traversée, des deux journées de filanzane et de son installation dans la meilleure chambre de l’ambulance ; aussi, en reprenant possession pour la première fois de son intelligence, avait-il pu se croire dans un hôpital, avec une sœur de charité à son chevet.

Le lendemain, toutefois, l’amélioration s’étant maintenue, il se rendit mieux compte des choses. Quand Marguerite reparut, il comprit son erreur et fixant la jeune fille avec des yeux surpris, il dit :

« Où suis-je ? Et qui êtes-vous ?

— Vous êtes chez des amis, répondit Marguerite simplement.

— Par pitié, mademoiselle ! insista-t-il. J’ai la tête encore si faible ! Dites-moi que je ne suis pas fou, ou que je ne rêve pas. Il me semble que je vous ai déjà vue. Où ? Je ne sais pas, je ne me souviens plus. Mais je vous reconnais.

— Voulez-vous bien ne pas parler autant ! dit Marguerite vivement sans autrement répondre. Vous allez me faire gronder par notre bon docteur. Justement, voici l’heure de sa visite. Je me sauve. »

Et, légère comme un oiseau, elle quitta la chambre. Elle avait reconnu, elle aussi, le malheureux officier dès le premier moment, malgré sa figure amaigrie, rendue plus effrayante encore par une barbe de deux mois. Dans cet ordre d’idées, les jeunes filles ont des yeux particulièrement pénétrants. Elle n’avait même pas eu besoin de consulter la feuille des hospitalisés délivré à l’oncle Daniel par le service de Santé de Majunga et qui portait en tête :

« Gaulard, Georges, capitaine breveté, attaché à l’état-major du général de brigade, commandant le 1er groupe ; 33 ans ; fièvre, anémie paludéenne. »