Imprimerie ESTAMPE & DUQUENOY (p. 139-141).

XXIX


En 1870, par une matinée de décembre, un fort contingent de l’armée prussienne arrivait à Douchy pour y faire halte jusqu’à la nuit suivante ; aussitôt plusieurs pelotons de ulhans étaient envoyés sur plusieurs points, car la tactique des chefs c’était d’en faire déployer en reconnaissance à environ un ou deux kilomètres de la route suivie par le gros de la troupe, c’est ainsi qu’au petit jour, une dizaine de ces cavaliers, commandés par un officier, firent irruption en trombe dans la cour de la ferme des Ruches.

Après avoir mis pied à terre, en un instant ces hommes ouvrirent toutes les portes et la maison fut visitée de la cave au grenier, sans oublier écuries et granges ; ensuite deux factionnaires furent placés sous le hangar, tandis que les autres cavaliers pansaient les chevaux ou faisaient le café, que l’on but de suite.

Comme les domestiques venaient de quitter leur lit, quelques prussiens s’y couchèrent tout habillés, tandis que les autres se couchèrent sur de la paille prise dans la grange ; quand les deux factionnaires furent remplacés, ils entrèrent dans la chambre de Brigalot, qui n’était pas encore levé, et lui demandèrent de leur céder sa place aussitôt ; il ne répondit rien et ne bougea pas ; il n’ouvrit la bouche que pour dire à son chien, qui grognait, de rester tranquille auprès de lui.

Comme ces deux cavaliers insistaient, il leur dit : Moi ! laisser coucher des Prussiens dans mon lit, jamais de la vie ! Alors, sans brutalité cependant, ils le prirent l’un par les épaules, l’autre par les pieds et le firent glisser du lit ; le chien, voyant cela, planta ses crocs dans la cuisse de celui qui tenait le vieillard par les épaules, puis sauta au cou de l’autre, qu’il mordit cruellement ; alors, celui qui avait été mordu le premier se retourna et, d’un seul coup de son sabre, fendit la tête de la bête.

Cette scène s’était passée en quelques secondes, qui cependant avait suffi à Brigalot pour mettre la main sur la lourde pelle en fer forgé qui était dans la cheminée et d’en frapper celui qui avait abattu son chien ; cet homme tomba comme une masse, à moitié assommé. Entendant tout ce bruit, d’autres Prussiens intervinrent et le vieillard fut jeté sur son lit avec forces bourrades, il y fut attaché et y resta jusqu’à l’arrivée de l’officier venu pour enquêter ; à ses questions, posées en français, Brigalot répondit : ils m’ont sorti du lit par force, ils ont tué mon chien, j’ai frappé des ennemis, je n’en ai pas regret. L’officier lui dit : vous ont-ils frappé avant que vous, vous les frappiez ; il répondit : Non.

Les deux soldats, interrogés, répondirent que c’était vrai et qu’ils avaient sorti de force le vieillard de son lit. Le chef fit délier Brigalot aussitôt et tous les cavaliers furent réunis en cercle dans la cour, puis les deux coupables reçurent de lui une correction de coups de cravache pour s’être conduits de la sorte envers un vieillard.

Ce même matin, une autre scène se passait à Douchy ; un bûcheron, franc-tireur, qui était au café du Cheval-Blanc, en train de déjeuner d’un morceau de pain et de fromage, arrosés d’un verre de vin blanc, quand les Prussiens y entrèrent et le reconnurent pour un franc-tireur ; de suite il fut pris, traîné sur la place et attaché aux mancherons d’une charrue, en attendant qu’un officier vienne vers 10 heures avec son peloton d’exécution pour le fusiller (car jamais il n’était fait grâce aux prisonniers franc-tireurs.) Quand le peloton arriva, le malheureux était mort des coups qu’il avait reçus.