Éditions Albert Lévesque (p. 133-138).

XX

LA MISSION DE LA FÉE BIENVEILLANTE



LA tempête redoubla soudain de violence. Le vent s’engouffra dans le long corridor d’entrée de la caverne et se mit à siffler, à gronder avec une force vraiment terrifiante. À ces plaintes, se mêlèrent les cris des divers animaux qui habitaient la caverne. Le bruit fut quelque chose d’infernal.

L’assemblée devint houleuse. L’appréhension gagnait tous les rangs. Les sorciers et les lutins ne maintinrent l’ordre qu’avec peine.

Envie se prit à parler avec volubilité. On eut dit que cette lugubre atmosphère plaisait à son cœur haineux. Elle promit de faire cesser ce ridicule début d’offensive. Elle avait une proposition à faire à la Reine des fées, tombée entre ses griffes. Ah ! elle était bien leur chose maintenant, cette belle souveraine invincible, elle était… leur esclave, pour peu qu’on le voulût !

L’assemblée trépigna. Des exclamations sortirent de tous les coins.

« Es-tu folle, Envie ? criait-on… Où est ton esprit, fielleux mais clair ?… Tu radotes ! Aux armes, aux armes !… Nous allons être foudroyés… Voyez, ce vent, cette pluie, ces décharges électriques !… À plus tard ta revanche, hein !…

— En effet, vociféra tout à coup l’Étranger du Champ-du-diable de Rigaud, en profitant d’une accalmie de la tempête, l’heure est grave. La bataille finale s’engage. Aux armes, compagnons ! Qui que vous soyez. Laissons Envie faire de l’éloquence… Les dogues, les serpents et tous les crapauds de Rageuse l’admireront pour nous. Il faut vaincre, vaincre, entendez-vous ? Finissons-en avec nos ennemis, eux si doux, si bons, même quand ils nous écrasent, ah ! ah ! ah !… Emparons-nous de leurs privilèges. Aux armes ! aux armes ! » rugit-il en terminant, l’épée haute.

Le désordre fut à son comble. Un cliquetis d’épées et de sabres rendit la scène étourdissante. Peu à peu, cependant, un assemblage régulier des forces se pratiquait. Les sorciers et les mauvais génies en tête de chacun des groupes donnèrent quelques ordres auxquels on obéit. Le Magicien africain se rapprocha de la belle fée toujours enchaînée, immobile et voilée. « Que Votre Majesté veuille prendre la tête de nos troupes… Je propose à l’instant cette mesure à l’assemblée… Vous ne refuserez pas, je suis sûr, de nous servir de bouclier, Madame. Venez, venez ! »

En prononçant ces derniers mots, le Magicien voulut poser sa main sur le bras de la fée.

« Arrière, insolent ! cria le duc de Clairevaillance en s’interposant entre l’agresseur et la victime.

— Misérable petit seigneur, hurla le noir en brandissant son sabre recourbé d’oriental. De quoi vous mêlez-vous ? Faites place. Vous ne m’entendez pas ? »

La belle fée doucement les écarta tous deux. Elle fit un signe à la foule qui se calma comme par miracle. Puis, elle rejeta bien en arrière son long voile bordé de dentelles.

Surpris, médusés, tous considéraient avidement la noble personne qui leur faisait face. Une petite tiare de diamants posée sur d’ardents cheveux blonds nimbait de lumière et d’or cette fée qui les mâtait tous en les ravissant.

Comme si les éléments, eux aussi, eussent tombé sous le charme, le vent et le tonnerre cessèrent, soudain, leurs clameurs. Seule, une plainte triste et douce, une lamentation harmonieuse se fit entendre.

« Pauvres malheureux, ah ! pauvres malheureux, commença la fée, puis elle prononça avec netteté ces mots : « Je ne suis pas la Reine des Fées. Je m’appelle la fée Bienveillante et ne suis que sa cousine. Oui, je sais, nous nous ressemblons… et parfois, mais parfois seulement, on nous prend l’une pour l’autre. Mais en moi, votre prise est tout aussi importante, croyez-moi. J’étais chargée de vous voir, d’essayer de vous faire revenir de vos erreurs…

— Malédiction ! Misère ! C’est la fin de tout, criait la foule, en détresse cette fois. Sa déception lui était pénible à supporter…

— Renversons Envie et Rageuse, souffla un groupe de petits génies noirs aux dents aiguës. Tout ceci arrive par leur faute…

— Oui, oui, à bas Rageuse, à bas Envie ! cria le Magicien africain. Emmurons-les ! Avec leurs victimes ! En route pour le cachot voisin de la belle Aube et des petits terriens. En route ! »

Un cri terrible du filleul du roi Grolo domina un moment le tumulte. Avec des forces quintuplées par le désespoir, il rompit ses chaînes. Puis, écartant avec ces chaînes qui lui servaient de fouets, tous ceux qui se trouvaient sur son chemin, le duc vint se placer juste en face des trônes de Rageuse et d’Envie.

« Créatures d’enfer, dit-il d’une voix tonnante. Ah ! c’est ainsi que vous avez osé traiter les miens… Sorciers, ajouta-t-il, en se tournant vers ceux-ci, acceptez mon aide. Je veux que ces femmes hideuses goûtent au supplice qu’elles ont infligé à mon Aube bien-aimée… Venez ! Tenez, Envie ne bouge déjà plus sous mon poignet de fer.

— Hé ! hé ! mon beau duc, s’exclama la voix railleuse de l’Étranger du Champ-du-diable de Rigaud, tu vas vite en besogne et tu te mêles beaucoup trop de nos affaires. Entre Envie et toi, vois-tu, nous n’hésiterons peut-être pas. Nous choisirons…

— Envie ! Envie ! Grâce, grâce, pour elle ! cria la foule. À bas Jean de Clairevaillance, l’ami des gnomes !…

Mais cette fois, heureusement, le duc put esquiver tous les coups. Un minuscule poignard enchanté que la fée Bienveillante mit soudain dans sa main fit le vide autour de lui. Il dégagea alors de ses liens la fée et quelques autres de ses compagnons. Puis, tous se dirigèrent, vers la sortie de la caverne, alors que la tempête reprenait avec une fureur inouïe. La foule hurlait, vexée de son impuissance qu’elle ne comprenait plus. Même, la sorcière d’Haberville vit ses dogues refuser de se lancer à la poursuite des ennemis. Furieuse, elle sortit avec eux.