Un voyage. Belgique, Hollande, Allemagne, Italie/00
UN VOYAGE
J’ai toujours senti de la tendresse pour ce voyageur légendaire : dès son entrée à l’auberge, il est frappé par les cheveux de la servante et, saisissant un carnet, il note aussitôt que toutes les femmes du pays sont rousses.
J’aime le brave garçon, comme on aime ces mythes dans lesquels on retrouve un peu de son âme. Naïf, curieux, pressé, également avide de nouveautés et de certitudes, n’est-il pas sympathique ? Sans doute, la chose qu’il aperçoit lui cache toutes les autres, mais comme il la voit bien ! Sans doute il dit mainte bêtise, mais comme il s’amuse !
Les vrais voyageurs, ce ne sont pas les grands artistes, habiles à choisir parmi les aspects du monde, celui qui permettra l’ample développement de leur manière ; ni les penseurs qui emportent dans leur malle une idée toute construite et dont, suivant le conseil de Taine, ils cherchent la vérification au delà des monts et des mers. Ce ne sont pas non plus les personnes qui partent pour oublier, ni celles qui voyagent par élégance spirituelle. Non, le vrai voyageur, c’est lui, le bon sot !
Ne le traitez pas avec trop de mépris. D’abord, les femmes du pays sont peut-être rousses, qu’en sait-on ? Et, ne fait-il pas mieux de l’affirmer que de lire obstinément Baedecker sans regarder si les cheveux de celle qui met la table ont la couleur des braises et du soleil couchant ?
Il n’est pas malin, je l’accorde : il est attentif, fervent — et il vit.
Pourquoi serait-il tenu d’instruire les gens ? Veulent-ils savoir la vérité ? Qu’ils aillent eux-mêmes examiner comment les choses se passent ! Le chimérique voyageur aura fait son devoir si, — malgré les conclusions déraisonnables qu’il tire parfois de ce qui l’émeut — ses pauvres notes donnent, à un seul, l’envie de partir pour chercher au long des routes ces « vastes voluptés changeantes, inconnues, et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom » : les plaisirs pensifs, joyeux, tristes, pénétrants, enivrants du voyage.
Ainsi soit-il !