Un soir « sur des marais de gangrène et de fiel » (Verhaeren)

Poèmes (IIe série)Société du Mercure de France (p. 167-169).

UN SOIR


Sur des marais de gangrène et de fiel
Des cœurs d’astres troués saignent du fond du ciel.

Horizon noir et grand bois noir
Et nuages de désespoir
Qui circulent en longs voyages
Du Nord au Sud de ces parages.

Pays de toits baissés et de chaumes marins
Où sont allés mes yeux en pèlerins,

Mes yeux vaincus, mes yeux sans glaives,
Comme escortes, devant leurs rêves.

Pays de plomb — et longs égouts
Et lavasses d’arrière-goûts
Et chante-pleure de nausées,
Sur des cadavres de pensées.

Pays de mémoire chue en de la vase,
Où de la haine se transvase,
Pays de la carie et de la lèpre,
Où c’est la mort qui sonne à vêpre ;

Où c’est la mort qui sonne à mort,
Obscurément, du fond d’un port,
Au bas d’un clocher qui s’exhume
Comme un grand mort parmi la brume ;


Où c’est mon cœur qui saigne aussi,
Mon cœur morne, mon cœur transi,
Mon cœur de gangrène et de fiel,
Astre cassé, au fond du ciel.