Un monde inconnu/Première partie/1

Ernest Flammarion, Éditeur (p. 1-11).


  UN MONDE INCONNU
DEUX ANS SUR LA LUNE


PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE PREMIER
L’ANNONCE DU « NEW-YORK HERALD »

« Oui, mon cher Marcel, dit Jacques en posant ses coudes sur la table et inclinant sa tête dans ses mains, tu vois en moi le plus malheureux des hommes, et je ne sais vraiment pas s’il ne serait pas plus sage pour moi d’aller de ce pas piquer une tête au fond de la Seine que de continuer à traîner une existence misérable et désormais sans but. C’est à quoi je songeais sérieusement tout à l’heure quand tu m’as rencontré et que tu m’as entraîné ici.

— Comment ! mon vieux Jacques, tu en es réduit là ?… Toi que j’ai laissé, il y a deux ans, quand je suis parti pour les Montagnes Rocheuses, si vaillant et si confiant dans l’avenir, je te trouve ainsi désespéré ! Après de brillantes études médicales qu’avaient couronnées des succès sans nombre dans les concours, avec, ce qui ne gâte rien, une fortune personnelle qui te permettait d’attendre la clientèle, tu pouvais envisager la vie sans crainte, et te voilà déjà vaincu d’avance sans avoir combattu !

— Ah ! c’est que tu ne sais pas ce que j’ai souffert. Écoute, et vois si j’ai sujet d’être absolument découragé ; « Tu sais que, resté orphelin vers l’âge de quatorze ans, j’ai été élevé par mon tuteur, le frère de ma mère, le savant François Mathieu-Rollère, connu dans l’Europe entière par ses travaux astronomiques et son célèbre mémoire sur les satellites d’Uranus. Mais ce que tu ne sais pas, c’est que j’ai été élevé dans sa maison avec sa fille Hélène, ma cousine ; que nous avons vécu toujours l’un près de l’autre, et que de cette douce communauté de vie est né un sentiment qui, peu à peu, est devenu un amour ardent et profond. Nous nous sommes juré d’être l’un à l’autre. C’est dans cet espoir que j’ai vécu, c’est pour assurer à Hélène une condition digne d’elle, pour qu’elle put être fière de son époux, que je me suis voué à un travail acharné, que j’ai voulu devenir l’un des premiers parmi les médecins de la nouvelle école.

— Eh ! mais, il me semble, interrompit Marcel, que tu n’y as pas mal réussi.

— Oui, peut-être ; mais à quoi cela m’a-t-il servi ? Lorsque j’ai présenté ma demande au père d’Hélène, il m’a regardé d’un air surpris. « Mon cher enfant, m’a-t-il dit, j’ai voué ma vie à la science ; ma fille n’épousera jamais qu’un homme qui lui apportera en dot quelque éclatante découverte dans l’ordre astronomique. » À cette déclaration je demeurai stupéfait : rien ne m’avait fait pressentir un pareil obstacle. Tout préoccupé de mon amour et de mon avenir, je ne m’étais pas aperçu que la passion de mon oncle pour la science tournait peu à peu à l’obsession et à la manie. Maintenant, c’était une idée fixe ; le mal était incurable. En vain nous essayâmes, celle que j’aimais et moi, de le fléchir : sa résolution fut immuable, comme le cours des astres qu’il observe. Lassé de mes instances, il m’interdit sa maison et m’enjoignit de ne paraître devant lui que lorsque j’aurais rempli la condition que m’imposait son égoïsme de savant.

« Trop faible pour résister à l’autorité paternelle, Hélène n’a pu que pleurer devant le refus obstiné qui brisait son cœur. Je l’ai quittée désespérée, ne sachant s’il me sera jamais permis de la revoir.

— Et tu n’as rien tenté pour essayer de satisfaire cet intraitable savant ? demanda Marcel d’un air où l’on sentait percer une légère ironie.

— Qu’aurais-je pu faire ? Voué à l’étude d’une science à laquelle je me suis consacré tout entier et jusqu’aux limites extrêmes de laquelle je me suis avancé, comment aurais-je pu recommencer, avec un autre but, une vie d’études ? Pour atteindre à ce point où l’esprit peut reculer les bornes d’une science et réaliser quelque grande conquête sur l’inconnu, il faut d’abord avoir absorbé tout ce que, dans cet ordre d’idées, l’humanité a emmagasiné de connaissances. Pour cela il me faudrait dix années d’études acharnées, sans avoir même la certitude du succés. Non, la lutte est impossible ; j’y renonce, je m’abandonne à ma malheureuse destinée.

— Homme de peu de foi, reprit Marcel en souriant, je t’ai connu plus brave et plus vaillant. Comme l’amour détrempe les âmes et amollit les courages ! Eh bien ! c’est moi qui vais t’apporter le salut.

— Toi ? s’écria Jacques.

— Oui, moi ; regarde. »

Et il déploya sous ses yeux la quatrième page d’un journal américain en date du 1er juin 188., qu’il tira de sa poche, et sur laquelle se détachait en caractères gigantesques l’annonce suivante, dont nous donnons la traduction :

SOCIÉTÉ NATIONALE
DES COMMUNICATIONS INTERSTELLAIRES


VENTE APRÈS FAILLITE, AUX ENCHÈRES PUBLIQUES

Sir Francis Dayton, syndic de la faillite de la Société Nationale des communications interstellaires, dont le siège social est à Baltimore (Maryland), a l’honneur d’informer le public qu’il sera procédé, le 10 février prochain, en la grande salle de l’Hôtel des Ventes de Baltimore, à la vente aux enchères publiques de :

1o Le canon gigantesque dit la Columbiad, fondu et établi par les soins du Gun-Club de ladite ville de Baltimore et qui a servi à envoyer à la Lune le projectile dans lequel ont pris place les célèbres voyageurs Barbicane, Nicholl et Michel Ardan, à la date du 4 décembre 186. ;

2o Le projectile de forme cylindro-conique en aluminium, muni de ses hublots, plaques et boulons de sûreté, capitonnage intérieur, qui a servi aux voyageurs précités pour effectuer ledit voyage ;

3o Les hangars et constructions diverses élevés dans le voisinage de la Columbiad, ayant servi de magasins et d’ateliers lors de la première expérience ;

4o Les appareils, palans, grues, moufles, chaînes ayant servi au chargement dudit obus, et encore en parfait état de conservation, ainsi que les batteries électriques, piles, bobines, fils conducteurs, etc., employés pour la déflagration de la charge de la Columbiad.

Ladite vente sera faite sur la mise à prix de deux cent mille dollars[1] et sur une seule enchère.

N. B. — Les opérations de la vente auront lieu sous la surveillance de l’honorable Harry Troloppe, juge-commissaire.

Jacques rendit le journal à Marcel.

« Que signifie cette plaisanterie ? fit-il.

— Ce n’est pas une plaisanterie, répliqua Marcel, et, si tu veux m’écouter, je vais t’édifier en peu de mots.

« Je suis parti, tu te le rappelles, au commencement de 187., pour la région des Montagnes Rocheuses. J’avais, dans un précédent voyage, cru reconnaître dans la partie du nord du territoire du Missouri d’importants gisements de cuivre ; je m’étais résolu à vérifier plus tard ces premières données et, si mes prévisions ne m’avaient pas trompé, à en tenter l’exploitation sur une vaste échelle.

« À cet effet, muni des autorisations suffisantes, j’organisai une petite expédition pour mener cette œuvre à bonne fin. J’ai passé là, aux confins du désert, dans cette contrée montagneuse, aride et désolée, deux années de la plus rude existence, obligé de disputer sans cesse ma vie aux Indiens au milieu desquels je campais, et qui m’accusaient de venir profaner de mes travaux sacrilèges la terre sacrée de leurs ancêtres. À chaque instant, en effet, mes opérations de sondage étaient bouleversées, mes ateliers d’essayage détruits : c’était toujours à recommencer.

« Je serais mort d’ennui si, dans le voisinage des gisements que j’explorais, à une distance de 20 milles environ (mais à 20 milles dans cette zone peu habitée on est voisin), ne se fût élevée la montagne de Long’s Peak.

« Tu n’as pas oublié sans doute que lors de la célébre tentative faite en 186. pour atteindre la Lune, le Gun-Club de Baltimore avait fait construire sur ce sommet, l’un des plus élevés des montagnes, un télescope géant destiné à suivre dans leur vol les audacieux explorateurs. Des relations assez suivies s’étaient établies entre les astronomes de l’observatoire et moi. Dans cette station perdue, à 4,350 mètres au-dessus du niveau de la mer, ils ne rencontraient pas souvent à qui parler et m’avaient fait l’accueil le plus gracieux et le plus empressé. Je passai auprès d’eux tout le temps que m’ont laissé libre les explorations que j’avais entreprises. J’y demeurais d’ordinaire plusieurs jours de suite, pendant lesquels je me considérais non comme un hôte, mais comme un des observateurs attachés à ce poste astronomique.

« J’avais senti se réveiller en moi un goût très prononcé pour la science du ciel et, bientôt, le maniement des cercles méridiens, des lunettes et des télescopes m’était devenu familier. Mon imagination s’exaltait aux souvenirs de 186., et je ne pouvais m’arracher à l’oculaire du grand télescope. Cet admirable instrument mettait la Lune à une distance bien plus rapprochée que ne l’avaient fait jusqu’ici les plus puissants appareils d’optique.

« J’ai longuement observé notre satellite, et j’ai pu rectifier en bon nombre de ses parties la carte de Beer et Madler, qui passait jusqu’alors pour la plus complète et la plus exacte. J’ai pu faire des constatations nouvelles qui me semblent présenter tous les caractères d’une entière certitude. C’est ainsi que j’ai pu établir que les derniers astronomes qui ont écrit sur la Lune se sont trompés, lorsqu’ils ont constaté à sa surface la présence d’une certaine quantité d’eau. Il est maintenant établi pour moi que ce n’est pas de l’eau, mais de l’air, qu’ils ont vu ; c’est ce que l’on peut induire de l’aspect que présentent certains contours et certaines arêtes légèrement estompées des extrémités du croissant lunaire. Pour moi les grandes dépressions qui existent à la surface de notre satellite, telles que celle qu’on appelle la mer du Froid, renferment dans leurs parties les plus basses une couche d’air dont l’épaisseur est sans doute excessivement faible, mais suffisante à mon avis pour entretenir, au moins dans ces régions, la vie d’êtres animés. Et puis, qui sait ? Dans la rapide éclaircie qui leur a permis d’entrevoir la portion du disque de la Lune toujours invisible pour nous, les voyageurs du Gun-Club n’ont-ils pas cru apercevoir des eaux, des montagnes boisées, de profondes forêts ? Les lueurs fulgurantes du bolide qui a failli les pulvériser ne se sont-elles pas réfléchies sur la surface de vastes océans ? Cela se trouverait d’accord avec l’hypothèse de quelques astronomes, qui soutiennent que ce qui reste de l’atmosphère lunaire a pu se condenser sur la partie invisible de son disque. Ce sera, du reste, un point à vérifier. Bref, je sentais grandir en moi le désir d’accomplir ce qu’avaient tenté les Américains avec l’espoir que, cette fois, aucun malencontreux bolide ne viendrait me faire dévier de la route et m’empêcher d’atteindre le but.

« Un événement imprévu vint hâter ma résolution.

« J’avais pour aide dans mes travaux un Anglais, John Parker, en qui je mettais toute ma confiance. Ingénieux et adroit, fertile en ressources, il m’avait été d’un puissant secours pour conduire mes travaux et diriger les ouvriers que j’employais à mes sondages et à mes essais. C’est à lui que je laissais la surveillance des chantiers et que je confiais la garde de mes plans et de mes notes, lorsque je m’éloignais du lieu de mes explorations.

« Je l’avais toujours trouvé si fidèle et si sûr, que j’avais pris l’habitude de prolonger mes absences.

« Un jour, le 27 juillet de l’année dernière, en revenant à ma station après un séjour d’un mois passé à l’observatoire de Long’s Peak, je fus tout surpris d’y trouver installés des travailleurs que je ne connaissais pas, une administration qui fonctionnait au nom de la Great Western Copper mining Company ; et quand je demandai des explications, on me répondit en me montrant un act en due forme accordant à la nouvelle société l’exploitation des mines de toute la région que j’avais explorée. Je voulus protester, on me rit au nez ; je m’emportai et criai au vol : le canon d’un revolver braqué sur ma poitrine m’apprit que je n’avais rien à attendre des nouveaux occupants.

« J’eus bientôt l’explication de ce mystère : le lendemain même de mon départ, John Parker avait pris la fuite emportant tous mes plans et mes croquis, mes notes, mes tableaux d’essayages, mes échantillons, tout ce qui en un mot établissait la réalité de ma découverte. Il s’élait rendu à New-York, avait vendu le tout à la Great Western Copper mining Company, dont le directeur, lié avec des membres influents du Congrès, qu’il avait du reste grassement rétribués, avait enlevé sans coup férir la concession ; mes ouvriers avaient été congédiés avec une gratification ; de nouveaux travailleurs avaient été amenés, et comme les résultats que j’avais obtenus étaient probants, les travaux préparatoires d’exploitation avaient immédiatement commencé.

« J’étais indignement volé ; mais que faire ? À quelle juridiction m’adresser ? Comment surtout établir l’antériorité de mon droit, maintenant que j’étais complètement dépouillé ?

« J’aurais peut-être tenté malgré tout de me faire rendre justice ; j’aurais tout au moins cherché ce misérable John Parker pour lui brûler la cervelle, si je n’avais été tourmenté par la pensée dont je te parlais tout à l’heure. J’eus donc bientôt pris mon parti, et après m’être fait restituer à grand’peine par mes voleurs certains objets que je te montrerai tout à l’heure et qui étaient pour eux sans valeur, je résolus de me consacrer tout entier à la réalisation du projet dont j’étais hanté. Quelques jours après, j’étais à Chicago, où l’annonce que je viens de le faire lire me tomba sous les yeux, et mon projet commença à prendre corps.

— Tout cela est fort bien, interrompit Jacques avec un sourire ; mais jusqu’ici je ne vois rien qui puisse te permettre d’affirmer que notre satellite est habité, et dès lors je ne saisis pas bien, quand même tu parviendrais à l’atteindre…

— Écoute, fit Marcel en baissant la voix ; tout à l’heure tu vas m’accompagner chez moi, ici tout près, rue Taitbout, et je te donnerai la preuve indéniable non seulement que la Lune est habitée, mais que ses habitants ont tenté d’entrer en communication avec nous. Tu as beau prendre un air d’incrédulité, tu seras bien forcé de te rendre à l’évidence.

— Eh bien ! soit, dit Jacques ; voyons maintenant comment tu comptes t’y prendre pour réaliser cette entreprise qui, sauf preuve contraire, me paraît tout à fait extravagante.

— Mon projet est bien simple, reprit Marcel, et je suis en France depuis une semaine précisément pour le réaliser. Je vais fonder, sous le nom de « Société anonyme d’explorations astronomiques », une société au capital de cinq millions de francs divisés en mille parts de cinq mille francs chacune, car notre entreprise ne doit avoir rien de commercial, et ceux qui s’y associeront ne devront être mus que par l’amour désintéressé de la science. Je ne doute pas d’arriver promptement en France, où toute entreprise généreuse et élevée trouve nombre d’adhérents, à réaliser le modeste capital qui nous sera nécessaire. Il est à Paris même un financier bien connu que possède la passion de la science, qui déjà a donné des preuves éclatantes de son goût pour l’astronomie, et à qui cette science doit déjà d’importantes fondations. Je suis bien sûr que lorsqu’il connaîtra mon projet dans tous ses détails, il le jugera praticable et ne lui refusera pas un large concours. Aussitôt les fonds souscrits, je pars pour Baltimore, j’achète la Columbiad, son obus et tous les accessoires, qui ne me seront certes pas disputés par beaucoup d’amateurs ; je répare le tout, j’achève mes préparatifs


On répondit en me montrant un act. (p. 7).

et, le 15 décembre de l’année prochaine, nous renouvelons ensemble, mais cette fois avec un succès complet, la tentative de Barbicane, Ardan et Nicholl.

— Peste ! comme tu y vas, s’écria Jacques, riant malgré lui de l’assurance enthousiaste de son ami, je ne suis pas encore décidé.

— Incrédule ! va, fit Marcel ; viens jusque chez moi et tu vas être convaincu, — Garçon ! cria-t-il, l’addition. »

L’entretien que nous venons de rapporter avait lieu à Paris, dans la grande salle du Café Anglais, par une belle matinée du mois d’août 188.. — Les deux jeunes gens qui causaient ainsi à cœur ouvert étaient à peu près du même âge : ils avaient de vingt-huit à trente ans. Mais ils différaient et par l’aspect et par la stature. Marcel de Rouzé, d’une taille élevée et de large carrure, aux membres à la fois souples et robustes, à la tête couverte d’une épaisse forêt de cheveux d’un blond tirant sur le roux, avait le visage coloré et coupé par une longue moustache. Ses grands yeux bleus, largement ouverts, respiraient la franchise et la gaieté. Ses lèvres rouges, un peu épaisses, exprimaient une bonté un peu dédaigneuse. On eût cru ne voir en lui qu’un bon et joyeux garçon toujours disposé à prendre la vie par ses meilleurs côtés, si la lueur qui parfois animait son regard et le pli qui creusait son front n’eussent dénoté une volonté énergique au service d’une intelligence vive et capable des plus hautes conceplions.

Jacques Deligny offrait avec son compagnon un contraste frappant.

D’une taille moins élevée, mais élégante et bien prise, il semblait réaliser le type dvune rare distinction. Sa tête fine et intelligente, qu’encadraient une barbe et des cheveux d’un noir de jais, offrait la pâleur mate de ceux que de patientes et difficiles études ont tenu longtemps renfermés dans le cabinet de travail ou dans le laboratoire.

Sa bouche, aux lèvres un peu serrées, semblait avoir désappris le sourire. Son front élevé était d’un penseur et ses yeux, assez profondément enfoncés, se voilaient d’ordinaire d’une teinte de mélancolie.

Tous les deux s’étaient connus enfants, alors qu’ils s’asseyaient ensemble sur les bancs du lycée Louis-le-Grand.

Plus tard, lorsque Marcel était entré l’un des premiers à l’École polytechnique, tandis que Jacques suivait les cours de l’École de médecine, ils ne s’étaient jamais perdus de vue, et les liens qui les unissaient et qui étaient formés d’un peu de protection de la part de Marcel et d’une grande confiance du côté de Jacques, n’avaient fait que se resserrer. Ensuite la vie les avait séparés, Jacques était resté à Paris poursuivant à travers les contours de l’externat, puis de l’internat, ses laborieux travaux ; Marcel était allé chercher dans un autre continent un champ plus vaste où exercer son exubérante activité.

Il était orphelin, et sa fortune personnelle lui permettait de voyager et d’attendre sans trop d’impatience le succès de quelqu’une des grandes entreprises que caressait toujours son ardente imagination.

En se quittant on s’était promis de s’écrire, et on s’était en effet écrit quelque temps. Mais bientôt les lettres étaient devenues plus rares, puis avaient cessé tout à fait. Cependant les deux amis pensaient souvent l’un à l’autre ; la Séparation n’avait en rien affaibli leur affection, et, lorsque le hasard les avait mis en présence, c’était avec une véritable joie qu’ils étaient tombés dans les bras l’un de l’autre. Comme ils avaient de longues confidences à échanger, ils étaient entrés dans le premier endroit qui s’était présenté à eux, et avaient causé en savourant le déjeuner délicat qu’ils étaient en train d’achever.

  1. Un million de francs environ.