Un crime étrange/Partie 1/Chapitre 7

Un crime étrange, 3e édition.
Hachette ((A study in scarlet)p. 101-116).


CHAPITRE VII


UNE LUEUR DANS LES TÉNÈBRES


La nouvelle que nous apportait Lestrade était si grave et si inattendue que nous restâmes tous les trois interdits. Gregson en sursauta sur son siège, renversant ce qui restait de son verre de whiskey. Pour moi, je me contentai d’examiner en silence Sherlock Holmes dont les lèvres se serraient et dont les sourcils s’abaissaient jusque sur les yeux.

« Stangerson aussi ! murmura-t-il ; l’affaire se complique.

— C’était déjà bien assez compliqué, grommela Lestrade en s’asseyant. Mais il me semble que je suis tombé en plein conseil de guerre.

— Vous…, vous…, vous êtes sûr de cette nouvelle ? balbutia Gregson.

— Je sors de sa chambre, dit Lestrade, et j’ai été le premier à faire cette découverte.

— Nous venons d’entendre l’opinion de Gregson sur l’affaire, observa Holmes. Auriez-vous la complaisance de nous dire tout ce que vous avez vu et fait ?

— Volontiers, répondit Lestrade en s’asseyant. Je dois avouer que j’étais convaincu de la complicité de Stangerson dans le meurtre de Drebber, avant que ce nouvel incident soit venu me prouver mon erreur. Avec cette idée fixe, je me mis à la recherche du secrétaire. On les avait vus ensemble, son maître et lui, vers huit heures et demie dans la soirée du 3 à la station d’Euston. À deux heures du matin, Drebber était trouvé mort dans la maison de Brixton Road : le point important était donc de connaître l’emploi du temps de Stangerson entre huit heures et demie et l’heure du crime et de savoir ensuite ce qu’il était devenu. Je télégraphiai à Liverpool en donnant le signalement de l’homme et en recommandant d’exercer une surveillance sur les paquebots américains. Puis, je me mis à travailler de mon côté, explorant tous les hôtels et toutes les maisons meublées qui se trouvent dans le voisinage de la station d’Euston. Car je supposais que si, contrairement à mes prévisions, Drebber et son compagnon s’étaient séparés à un moment donné, ce dernier avait dû passer la nuit quelque part dans les environs pour revenir ensuite rôder aux abords de la gare dans la matinée du lendemain.

— Ils avaient probablement convenu d’un rendez-vous, avant de se quitter, remarqua Sherlock Holmes.

— C’était ce que je pensais. J’ai donc passé toute ma soirée d’hier à faire des recherches qui n’ont abouti à rien. Ce matin j’ai recommencé de très bonne heure et à cinq heures je suis arrivé à l’hôtel d’Halliday dans la rue Little Georges. Lorsque je demandai si M. Stangerson habitait là on me répondit affirmativement.

« Vous êtes sans doute le monsieur qu’il attendait, me dit-on. Voilà deux jours qu’il l’espère.

« — Où est-il maintenant ? demandai-je.

« — Il est en haut et encore dans son lit. Il a demandé qu’on n’entre chez lui qu’à neuf heures.

« — Je vais monter le voir tout de suite », répliquai-je.

« Je pensais que mon apparition soudaine lui porterait un coup et lui arracherait peut-être quelque exclamation involontaire. Le portier s’offrit à me mener dans sa chambre ; elle était située au deuxième étage et on y accédait par un petit couloir. L’homme me désigna la porte et allait redescendre, lorsqu’un spectacle si affreux s’offrit à mes regards que mon cœur se souleva, malgré mes vingt années d’expérience. Sous la porte coulait un mince ruisseau de sang qui avait traversé le corridor et avait formé une mare contre la cloison opposée. Je poussai un cri qui fit revenir le portier sur ses pas. Il se trouva presque mal en voyant ce sang. La porte de la chambre était fermée à clef à l’intérieur, mais, réunissant nos efforts, nous l’enfonçâmes au moyen de quelques coups d’épaule. Près de la fenêtre ouverte, gisait, la face contre terre, le corps d’un homme en chemise de nuit. Il devait être mort depuis quelque temps, car il était déjà tout raide et complètement froid. Lorsque le portier le retourna, il reconnut l’individu qui avait loué une chambre sous le nom de Joseph Stangerson. La mort était due à un coup de poignard porté dans le côté gauche et si violemment qu’il avait dû atteindre le cœur. Et maintenant voici le plus étrange de l’affaire. Que pensez-vous qu’il ait pu y avoir au-dessus du cadavre ? »

Je sentis un frisson m’envahir et j’eus le pressentiment de quelque chose de terrible, avant même que Sherlock Holmes eût répondu.

« Le mot Rache écrit en lettres de sang.

— C’est cela même », dit Lestrade d’une voix mal assurée. Tous nous nous regardâmes un instant en silence.

Cet assassin inconnu procédait d’une façon si méthodique et incompréhensible que le crime en devenait encore plus horrible. Mes nerfs, que les champs de bataille n’avaient guère pu ébranler, se révoltaient devant ce mystère.

« On a vu l’assassin, continua Lestrade. Un garçon laitier, allant à sa laiterie, passait dans la ruelle qui sépare l’hôtel des écuries. Il remarqua qu’une échelle, qui gît là généralement, était appuyée contre une des fenêtres du second et que cette fenêtre était grande ouverte. Après avoir dépassé la maison, il se retourna, et vit un homme descendre l’échelle. Mais il faisait cela si tranquillement et si naturellement que le garçon pensa que c’était un menuisier ou quelque autre ouvrier qui travaillait dans l’hôtel. Il n’y fit donc guère attention et se contenta de penser que cet individu commençait son ouvrage de bien bonne heure. Il croit se rappeler que l’homme était grand avec une figure rouge et qu’il portait un long pardessus brun. Il doit être resté quelque temps dans la chambre, après avoir commis son crime, car j’ai trouvé dans la cuvette de l’eau mêlée de sang, preuve qu’il s’y était lavé les mains ; et les draps portaient des marques, montrant qu’il s’en était servi pour essuyer son couteau. »

Je jetai un regard à Holmes en entendant cette description de l’assassin en tout si semblable à celle qu’il m’avait donnée, mais je ne vis sur sa figure aucune trace de triomphe ou même de satisfaction.

« N’avez-vous trouvé dans la chambre aucun indice qui puisse mettre sur la trace du meurtrier ? dit-il.

— Aucun, Stangerson avait dans sa poche la bourse de Drebber, mais ce devait être son habitude, puisqu’il était chargé de régler toutes les dépenses. Il y avait dedans un peu plus de deux cents francs ; rien n’avait été volé. Quels que soient les motifs de ces crimes extraordinaires, le vol n’en est assurément pas le mobile. Il n’y avait ni papier, ni portefeuille dans la poche de la victime ; il ne s’y trouvait qu’un télégramme, daté de Cleveland, et vieux d’un mois environ. Voici ce qu’il contenait : « J. H. est en Europe. » Pas de signature.

— Rien d’autre ? demanda Holmes.

— Rien d’important. Un roman que le malheureux avait pris pour s’endormir était encore sur son lit et sa pipe se trouvait sur une chaise à côté. Sur la table, il y avait un verre d’eau et sur le rebord de la fenêtre une petite boite en bois contenant deux pilules. »

Sherlock Holmes bondit sur sa chaise en poussant une exclamation de joie.

« Voilà mon dernier anneau, cria-t-il, tout est complet maintenant. »

Les deux agents de police le regardèrent avec stupéfaction.

« Voyez-vous reprit mon compagnon, sur un ton confidentiel, je tiens à présent dans ma main tous les fils si embrouillés de cette affaire. Il me manque encore naturellement quelques détails ; mais je suis aussi sûr des principaux événements qui se sont déroulés, depuis le moment où Drebber s’est séparé de Stangerson à la station jusqu’à celui où on a découvert le cadavre, que si j’y avais assisté moi-même. Je vais vous en donner une preuve. Avez-vous pris les pilules ?

— Les voici, dit Lestrade, en montrant une petite boîte blanche ; je les ai prises, ainsi que la bourse et le télégramme, afin de tout déposer au bureau de police. Mais j’ai bien failli laisser là les pilules ; car j’avoue que je n’y attachais pas la moindre importance.

— Donnez-les-moi, dit Holmes. Maintenant, docteur, continua-t-il, en se tournant vers moi, dites-nous si ce sont là des pilules ordinaires ? »

Elles ne l’étaient certainement pas. D’une couleur gris perle, elles étaient petites, rondes et presque transparentes à la lumière. « Leur légèreté et leur transparence, remarquai-je, me portent à croire qu’elles sont solubles dans l’eau.

— Précisément, répondit Holmes. Maintenant voudriez-vous avoir la bonté d’aller chercher ce pauvre petit terrier, qui est malade depuis si longtemps que notre propriétaire vous avait demandé hier de mettre un terme à ses souffrances. »

Je descendis et je remontai avec le chien dans mes bras. Sa respiration pénible et son œil vitreux montraient qu’il n’était pas loin de sa fin. En effet, son museau blanc comme la neige prouvait qu’il avait déjà dépassé les limites habituelles de l’existence pour les animaux de sa race. Je le mis sur un coussin devant la cheminée.

« Maintenant, je vais couper une de ces pilules en deux, dit Holmes ; et prenant son canif il joignit l’action à la parole. — Je remets une moitié dans la boîte pour m’en servir plus tard et je jette l’autre moitié dans ce verre qui contient une petite cuillerée d’eau. Vous voyez que notre ami le Docteur a raison et que cela se dissout parfaitement.

— C’est peut-être très intéressant ce que vous faites là, dit Lestrade du ton piqué de quelqu’un qui craint qu’on ne se moque de lui. Cependant, je ne vois pas très bien ce que cela peut avoir de commun avec la mort de M. Joseph Stangerson.

— Patience, mon ami, patience. Vous constaterez en temps voulu comment cela se rattache à notre affaire. J’ajoute maintenant un peu de lait pour rendre la potion agréable et en la présentant au chien nous voyons qu’il la boit très volontiers. »

Tout en parlant, il avait versé le contenu du verre dans une soucoupe et l’avait placé devant le terrier qui l’avala en un instant. Le sérieux de Sherlock nous avait à tel point impressionnés que nous restions tous là en silence, nous attendant à quelque résultat surprenant. Il n’y en eut aucun. Le chien continua à rester étendu sur le coussin respirant toujours difficilement, mais ne se trouvant évidemment ni mieux ni plus mal de sa petite médecine.

Holmes avait tiré sa montre ; les minutes se succédaient sans qu’il se produisît rien d’extraordinaire et une expression d’ennui et de violent désappointement se manifesta sur son visage. Il se rongeait les lèvres, battait du tambour avec ses doigts sur la table et montrait tous les symptômes d’une impatience nerveuse. Telle était son émotion que je me sentais sincèrement affligé pour lui, tandis que les deux agents, ravis de cet échec, souriaient ironiquement.

« Il est impossible que ce soit une simple coïncidence, cria-t-il enfin, s’élançant de sa chaise et se mettant à arpenter la chambre en tous sens ; non, c’est impossible. Ces mêmes pilules dont je soupçonnais l’existence dans l’affaire Drebber, apparaissent encore dans l’affaire Stangerson. Et cependant elles sont inoffensives. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Non, tout l’enchaînement de mes raisonnements ne peut pas ne pas être juste. C’est impossible ! Et cependant ce maudit chien ne paraît pas s’en porter plus mal…. Ah ! mais j’y suis, j’y suis ! »

Avec un cri de joie, il se précipita sur la boîte, coupa l’autre pilule en deux, la fit dissoudre, y ajouta du lait et présenta le breuvage au terrier. À peine la malheureuse bête se fut-elle humecté la langue qu’elle eut un frisson convulsif, qui secoua tous ses membres, puis elle tomba raide morte, comme si elle avait été frappée de la foudre. Sherlock Holmes poussa un long soupir de soulagement et essuya la sueur qui ruisselait sur son front, « Je devrais avoir plus de confiance, dit-il ; je devrais, à l’heure qu’il est, savoir que lorsqu’un fait semble venir contrarier une série de déductions, c’est invariablement parce qu’on doit lui chercher une autre interprétation. Des deux pilules renfermées dans la boîte, l’une contenait un poison mortel, l’autre était parfaitement inoffensive. J’aurais dû m’en douter avant même d’avoir vu la boîte. »

Cette dernière assertion me parut si étonnante que je pouvais à peine croire qu’il fût dans son bon sens. Il y avait cependant là le cadavre du chien comme preuve de la justesse de ses conjectures. Il me sembla que le brouillard qui obscurcissait mon cerveau se dissipait et que je commençais à avoir une vague idée de la vérité.

« Tout ceci vous paraît étrange, continua Holmes, parce que dès le début de l’enquête vous n’avez pas saisi l’importance du seul indice véritable que nous ayons relevé. J’ai eu la bonne fortune de m’en rendre compte ; tout ce qui est arrivé depuis, n’a fait que confirmer mes premières suppositions, ou, pour mieux dire, en a été la déduction logique. En conséquence, ce qui n’a fait que vous embarrasser et vous embrouiller davantage n’a servi qu’à m’éclairer et à confirmer mes suppositions. C’est une erreur de croire que ce qui est étrange soit un mystère. Le crime le plus ordinaire est souvent le plus mystérieux parce qu’il ne présente aucun côté saillant auquel on puisse accrocher ses déductions. L’assassinat qui nous occupe aurait été infiniment plus difficile à débrouiller, si le corps de la victime avait été trouvé tout simplement étendu sur la route, sans aucune des circonstances sensationnelles qui l’ont tout de suite mis en relief. Ces détails étranges, loin de rendre l’affaire plus difficile, ont au contraire facilité notre tâche. »

M. Gregson qui avait écouté ce discours avec une impatience marquée ne put se contenir plus longtemps.

« Écoutez, monsieur Sherlock Holmes, dit-il, nous sommes tout prêts à reconnaître que vous êtes un homme très fort et que vous avez une méthode spéciale de travailler ; mais à l’heure qu’il est, il nous faut autre chose que des théories et des beaux discours. Il faut arrêter l’homme. J’ai agi d’après mon idée et il me semble que j’ai fait fausse route. Le jeune Charpentier ne peut pas être impliqué dans cette seconde affaire. Lestrade de son côté a donné la chasse à Stangerson et il n’était pas davantage dans le vrai. Vous nous avez, par-ci par-là, jeté des insinuations à la tête, tout en semblant en savoir plus long que nous ; nous avons donc maintenant le droit de vous demander ce que vous connaissez de l’affaire. Pouvez-vous nommer l’assassin ?

— Je suis forcé de reconnaître que Gregson a raison, monsieur, remarqua Lestrade. Nous avons fait de notre mieux tous les deux et tous les deux nous avons échoué. Depuis que je suis là vous avez plus d’une fois constaté que vous avez toutes les preuves dont vous avez besoin, Voue n’allez pas les garder pour vous plus longtemps ?

— Le moindre retard apporté dans l’arrestation de l’assassin, observai-je, à mon tour, pourrait lui donner le temps de perpétrer de nouveaux crimes. »

Ainsi pressé de tous côtés, Holmes sembla hésiter. Il continua à arpenter la chambre, la tête inclinée sur la poitrine et les sourcils froncés, ainsi qu’il avait l’habitude de le faire lorsqu’il réfléchissait.

« Il n’y aura plus de crimes commis, dit-il enfin, en s’arrêtant brusquement et en nous dévisageant. Vous pouvez compter là-dessus. Vous m’avez demandé si je savais le nom de l’assassin ? Oui, je le sais. Le fait seul de connaître son nom est peu de chose comparé à la difficulté de l’arrêter. Je compte toutefois y arriver avant peu. J’ai bon espoir de réussir, grâce à mes procédés particuliers ; mais c’est une chose qui demande beaucoup de tact, car nous avons affaire à un homme rusé et capable de tout, doublé, comme je l’ai expérimenté à mes dépens, par un autre aussi habile que lui. Tant que cet homme sera convaincu que personne n’est encore sur la piste, il y aura quelque chance de mettre la main dessus ; mais au premier soupçon il changera de nom et se perdra immédiatement au milieu des quatre millions d’habitants que renferme Londres. Sans vouloir vous être désagréable, je suis obligé de dire que la police se trouve en face de gens plus forts qu’elle, et c’est pourquoi je ne vous ai pas demandé votre concours. Si j’échoue, tout le blâme tombera naturellement sur moi ; mais j’y suis préparé. — Je termine en vous promettant que, dès que cela ne pourra plus nuire à mes propres combinaisons, je vous communiquerai tout ce que je saurai. »

Gregson et Lestrade ne parurent pas très satisfaits de cette assurance, non plus que de l’allusion blessante pour la police. Le premier avait rougi jusqu’à la racine de ses cheveux filasse, tandis que les yeux en boule de loto de l’autre s’allumaient dans un mélange de curiosité et de ressentiment. Aucun des deux cependant n’avait eu le temps de formuler leurs réflexions, lorsqu’on frappa à la porte et le porte-parole des petits voyous de la rue, le jeune Wiggins, se présenta en personne, toujours aussi sale et aussi dégoûtant.

« Pardon, m’sieu, dit-il en portant la main à sa tignasse, le fiacre est en bas.

— Tu es un brave garçon, répondit Holmes simplement. Tenez, continua-t-il, voilà un type que vous devriez adopter à Scotland Yard », et il montrait une paire de menottes en acier qu’il venait de prendre dans un tiroir. « Voyez comme le mécanisme en est ingénieux. En un clin d’œil on vous ligote un homme.

— Le vieux modèle est bien assez bon, remarqua Lestrade, si nous avions seulement l’homme à qui les mettre !

— C’est vrai, répondit Holmes en souriant. Mais le cocher pourrait bien me donner un coup de main pour mes malles. Demande-lui donc de monter, Wiggins. »

J’étais très étonné d’entendre mon compagnon parler ainsi de partir, alors qu’il ne m’avait pas soufflé mot de ses projets de voyage. Il y avait dans un coin de la chambre une petite valise, il la tira et se mit en devoir de la boucler. Il était tout absorbé dans cette besogne quand le cocher de fiacre entra.

« Aidez-moi donc un peu à mettre cette courroie, cocher », dit-il, sans tourner la tête et toujours agenouillé sur la malle.

L’individu s’avança d’un air grognon et méfiant et mit ses mains sur la valise pour aider Holmes. Au même moment, on entendit un bruit sec, un cliquetis métallique et Sherlock Holmes se redressa d’un bond.

« Messieurs, cria-t-il les yeux étincelants, laissez-moi vous présenter M. Jefferson Hope, l’assassin d’Enoch Drebber et de Joseph Stangerson. »

Tout cela avait été si rapide que je n’y avais vu que du feu ; mais je n’oublierai jamais cet instant et l’expression triomphante d’Holmes et le son éclatant de sa voix et l’air de détresse sauvage du cocher, tandis qu’il contemplait les manchettes brillantes qui s’étaient rivées comme par enchantement autour de ses poignets. Pendant une seconde ou deux nous eûmes l’air métamorphosés en statues. Puis, avec un hurlement inarticulé de fureur, le prisonnier s’arracha à l’étreinte de Holmes et se jeta sur la fenêtre. L’encadrement et les vitres volèrent en éclats, mais avant qu’il ait eu le temps de passer au travers, Gregson, Lestrade et Holmes sautèrent sur lui comme autant de chiens sur leur proie. Il fut renversé dans la chambre et alors commença une bataille terrible. Cet homme était si fort et si violent qu’il nous secouait tous les quatre sans que nous puissions le maîtriser. Il semblait aussi terrible qu’un épileptique au milieu d’une crise. Sa figure et ses mains avaient été affreusement entamées par les éclats de verre ; mais le sang qui ruisselait de ses blessures ne diminuait en rien sa résistance. Ce ne fut que lorsque Lestrade parvint à passer sa main dans sa cravate et l’eut étranglé à moitié, qu’il comprit enfin l’inutilité de ses efforts. Même alors, nous ne nous sentîmes sûrs de l’avoir dompté que lorsque nous eûmes attaché ses pieds comme ses mains. Cela fait, nous nous relevâmes essoufflés et haletants.

« Nous avons son fiacre, dit Sherlock Holmes. Cela servira à le mener à Scotland Yard. Et maintenant, messieurs, continua-t-il en souriant aimablement, nous voilà arrivés à la solution de notre petit problème. Vous êtes parfaitement libres de m’adresser toutes les questions que vous voudrez et je serai trop heureux d’y répondre. »