Mercure de France (p. 9-27).
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II  ►

I

Appuyée au mur de la vieille terrasse en ruine, envahie par les herbes, les acacias et les ronces, la jeune fille mangeait des mûres. Elle montra, en riant, ses mains devenues violettes. M. Hervart releva la tête et dit :

— Vous avez aussi des moustaches. C’est très drôle.

— Mais je ne veux pas être drôle.

Elle alla vers le ruisseau voisin, où elle trempa son mouchoir pour se laver les lèvres.

Les yeux retombés sur sa loupe, M. Hervart continua d’examiner la fleur de marguerite, où deux lygées écarlates, étroitement unis, ne faisaient plus qu’un seul insecte. Endormis dans un amour profond, ils ne semblaient encore vivre que par le frémissement léger de leurs longues antennes. La femelle avait enfoncé sa trompe aiguë dans la fleur et le mâle, avec la sienne, semblait pomper de la volupté dans le col immobile de sa compagne. M. Hervart aurait bien voulu assister à la fin de cet entretien passionné, mais cela pouvait durer des heures encore ; il se découragea.

« Je sais d’ailleurs, songeait-il, que le mâle ne meurt pas immédiatement et qu’aussitôt dégagé il trotte, en quête de nourriture. J’aurais voulu voir le mécanisme de la désunion. Le hasard me donnera cela. Que l’on observe les bêtes ou les hommes, il faut compter sur le hasard. Il y a aussi les longues persévérances… »

Après un mouvement de tête qui voulait dire, sans doute, que les longues persévérances n’étaient pas son fait, il déposa doucement la fleur et ses amoureux sur le rebord de la terrasse. C’est alors qu’il s’aperçut enfin que Rose n’était plus là.

« Je l’aurai fâchée avec ma plaisanterie. C’était faux, d’ailleurs. Mais il y a des moments où cette enfant m’énerve avec son air de désirer des caresses. Et si je mettais seulement la main sur son épaule, elle me giflerait. C’est un être singulier. Toutes les femmes sont des êtres singuliers et, entre toutes, les jeunes filles… »

Essuyant sa loupe avec soin, il enjamba le ruisseau et entra dans le bois.

M. Hervart avait une quarantaine d’années. Assez grand et mince, il restait parfois un peu voûté, quand la curiosité l’avait tenu penché trop longtemps. Quoique un de ses yeux fût comme rétréci par l’usage du microscope, il avait le regard vif et net. Son visage clair, à la barbe blonde taillée en pointe, était agréable, sans attirer l’attention ; et, s’il l’avait attirée, il ne la fixait pas.

Conservateur de la sculpture grecque, au musée du Louvre, il s’intéressait fort peu à la froide beauté des marbres et, moins encore, à l’archéologie. Il aimait la vie et partageait ses jours entre les femmes et les bêtes. Les mœurs des insectes le passionnaient. On le voyait souvent au Jardin des Plantes ou, plus souvent qu’à son bureau, sur le quai voisin, chez les marchands de bestioles. Le soir il courait le monde, à travers tous les mondes. Quand le milieu était favorable, il se donnait volontiers pour ancêtre M. d’Hervart, dont la femme aima La Fontaine. Ailleurs il disait que ses fonctions seules l’avaient empêché de se faire un nom comme naturaliste. Mais, selon l’opinion commune, M. Hervart n’était, en toutes choses, qu’un amateur très intelligent, gâté par beaucoup d’indolence.

Il venait tous les deux ou trois ans passer quelques semaines chez M. Desbois, son ami, ancien sculpteur industriel, au manoir de Robinvast, près de Cherbourg. M. Desbois s’était récemment anobli au moyen d’un y et de quelques autres menus changements. Quand M. des Boys parut au monde, Hervart n’eut pas l’air de s’apercevoir de la métamorphose. On l’aima davantage. Très occupée de cuisine et de pâtisserie, Mme des Boys s’empressait jusqu’à l’excès, quand M. Hervart était là.

Un peu bête, jadis sentimentale et pleine de romances, Mme des Boys avait voulu que l’on appelât sa fille, Rose, et cela aurait formé un nom ridicule si Rose eût été une fille à tolérer deux fois un sot compliment. Quoique rieuse et douce, d’ordinaire, elle était capable de froideurs terribles et d’inattentions cruelles. Ses parents l’adoraient et la redoutaient. On lui laissait faire sa volonté. Elle avait vingt ans.

M. Hervart, cependant, cherchait Rose. Il n’osait l’appeler, ne sachant quel mot choisir. Dans la conversation il disait : Vous ; devant des étrangers : Mademoiselle ; en lui-même : Rose.

« Elle était bien plus agréable, il y a deux ans. Elle m’écoutait. Elle m’obéissait. Elle me capturait des insectes. Maintenant, c’est le moment de la crise. Si nous étions des lygées… »

Mais il se reprit :

« Qu’elles soient des femmes, qu’elles soient des bestioles, l’amour, pour elles, est toute la vie. Les lygées vont mourir, leur œuvre accomplie, et les femmes commencent à mourir à l’heure de leur premier baiser… Elles commencent aussi à vivre. C’est beau, le spectacle de ces jeunes filles qui veulent vivre, qui veulent remplir leur destinée, et qui ne savent pas, et qui cherchent, avec des sanglots, leur chemin dans la nuit… Je vais la trouver pleurant. »

Rose achevait d’essuyer ses yeux. Ils étaient bleus, quand elle était triste, et un peu verts, quand elle était gaie.

— Vous avez pleuré ? Vous vous êtes piquée en passant à travers les houx ? Moi aussi.

— Je ne pleurerais pas pour cela. Mais qui vous dit que j’aie pleuré ? J’ai eu un moucheron dans l’œil. Regardez, je n’en ai qu’un de rouge.

Mais, au lieu de lever la tête, elle la baissa, s’amusant à cueillir des fleurettes.

— Puis-je m’asseoir près de vous ?

— En voilà une question !

— C’est parce que votre robe tient toute la place.

— Eh bien, bousculez ma robe.

M. Hervart rejeta sur les genoux de Rose le pan de robe qui s’étalait et il s’assit sur le vieux banc, avec une certaine précaution, car il le savait peu solide. Redevenu romantique, avec la fortune et la noblesse, M. des Boys entretenait son domaine à l’état vétuste et sauvage ; sauf les pièces habitées et le potager, il n’y avait guère, en sa maison et aux alentours, que des murs salpêtres, des planchers pourris, des bancs moussus, d’inextricables buissons de ronces. Le lierre mangeait tous les murs, grimpait à tous les arbres. Près du ruisseau, une vieille tour semblait une cascade de verdure, dont les flots de lierre rejaillissaient jusque sur le dôme d’un vieux chêne aux bras morts se dressant comme des fourches. C’était assez beau. Les des Boys ne sortaient jamais que pour montrer à un étranger le spectacle de leur forêt vierge (ou visiter parfois les châteaux et les sites de la Hague). M. des Boys faisait de la peinture.

C’était le matin. Le bois était frais, encore humide. Le soleil, à travers les branches enlacées des hêtres, dessinait des fleurs sur le feuillage rigide des houx. Un petit marronnier, poussé tout de travers, tendait vers la lumière sa tête contournée. Il y avait tout près un cerisier sauvage où les moineaux se jetaient, inquiets, avec des cris. Un geai passa, faisant un éclair bleu. Le vent, se glissant sous les arbres, courba les fougères, qui changeaient de couleur. Une abeille blessée tomba sur la robe de Rose.

— Tiens, pauvre abeille, elle a une aile démanchée. Je vais essayer de la guérir.

— Prenez garde, dit M. Hervart, elle va vous piquer. Les animaux ne soupçonnent jamais qu’on veuille leur faire du bien. Pour eux, il n’y a que des ennemis.

— Vous avez raison, répondit Rose, en secouant l’abeille. Vos lygées la mangeront. Cela finira son malheur. Il n’y a que des ennemis.

Rose avait parlé d’un ton si amer que M. Hervart en fut inquiet. Il approcha son visage de celui de la jeune fille, autant que le permettait un grand chapeau de bergère, lui disant tout bas :

— Vous avez du chagrin ?

Comme les femmes savent faire les choses à propos ! Le grand chapeau disparut soudain, lancé comme avec dépit, et au même moment une tête blonde, ébouriffée, pâle et charmante, tomba sur l’épaule de M. Hervart.

Ce fut une minute émouvante. L’homme, troublé, passa son bras autour de la taille de la jeune fille. Sa main saisit une petite main qui s’abandonna. Il n’eut qu’à tourner et à pencher un peu la tête pour baiser, tout près des cheveux, un front blanc, moite de fièvre. Il sentit alors un abandon plus volontaire ; la main qu’il tenait serra la sienne.

Un mouvement brusque de Rose les sépara. Elle regardait franchement M. Hervart, disant, la figure tendrement épanouie :

— Je n’ai plus de chagrin.

Elle se leva. Ils s’en allèrent à travers le bois, échangeant d’une voix douce d’insignifiantes paroles. Chaque fois que leurs regards se rencontraient, c’était dans un sourire. Ils touchaient des fleurs, des feuilles, de simples morceaux de bois mort, pour avoir l’occasion de se frôler les doigts. Arrivés à une clairière, ils laissèrent, marchant côte à côte, pendre intérieurement leurs bras et bientôt leurs mains se joignirent.

Il y eut un silence très long et très agréable. Mais chacun, cependant, avait des pensées particulières.

« Évidemment, se disait M. Hervart, si j’ai un peu de raison, je vais reprendre le train qui m’amena. D’abord, aller à Cherbourg, expédier un télégramme qui m’en fera recevoir un autre, par lequel je serai rappelé. C’est ennuyeux. Je me plaisais tant ici ! À qui m’adresser ? À Gratienne ? Par une lettre alors, pour inventer une histoire. Cela ne sera pas plus grave dans trois ou quatre jours. Je connais les jeunes filles ; le temps n’existe pas pour elles ; elles vivent dans l’absolu. Tant qu’il n’y aura pas de jalousie, et comment y en aurait-il ? je serai tranquille. Elle est bien charmante, Rose. Dieu ! que je suis ému ! Mais je dois être raisonnable. Je donnerai rendez-vous à Gratienne à Grandcamp. Elle a envie de Grandcamp, à cause d’un roman qu’elle a lu, qui se passait là. Puis, il y a les roches. Moi, ça m’est égal, pourvu que je m’en aille… »

— À quoi pensez-vous, mon ami ?

— Vous le demandez, mon enfant ?

Une pression plus forte de la petite main témoigna que la réponse avait été comprise. Le silence recommença.

« Gratienne ? Elle est en train de me tromper, en ce moment ! Aussi, laisser une femme toute seule à Paris, au mois de juillet ! « Je ne m’ennuie pas un instant. Je dîne tous les jours chez Mme Fleury, qui est bien contente de m’avoir. Le 25, nous partons pour Honfleur. Il faudra venir nous voir. » Elle croit que Honfleur est tout près de Cherbourg. « Je ne m’ennuie pas un instant… » Allons, quand les femmes sont claires, c’est qu’elles n’ont rien à cacher… Au contraire, c’est une de leurs ruses… »

— Eh bien, mon enfant, tout à fait fini le gros chagrin ?

— Je suis heureuse, répondit Rose.

Un regard de ses grands yeux limpides confirma ces paroles solennelles. M. Hervart fut encore plus troublé qu’au moment de l’abandon. L’idée qu’il faisait le bonheur de cette enfant lui donnait beaucoup d’orgueil.

« Autant ne pas déranger Gratienne. Elle est très soupçonneuse. À qui m’adresser, en ce cas ? Mes collègues ? Non, je n’ai pas d’intimité. Gauvain, le marchand d’animaux ? Cela serait humiliant. Ah ! que je m’ennuie. Laissons cela, je verrai plus tard. Qu’y a-t-il, après tout ? Un peu d’amitié tendre. Rose vit tellement solitaire ! Pourquoi lui ôter cette joie innocente de jouer au sentiment avec moi ? Plaisirs d’été… »

— Oh ! dit Rose, voilà un bupreste. Qu’il est beau !

Mais la magnifique bête, cuirassée d’or et de saphyr, disparut sous les feuilles mortes. Ils n’y pensèrent plus. Rose avait bien d’autres idées.

Elle se sentait remplie d’une tendresse fière.

« Je ne m’appartiens plus… C’est très émouvant… Que va-t-il se passer ?… Il m’embrassera sur les yeux, certainement… Comment résister, puisque je lui appartiens ? »

Elle leva la tête, regarda M. Hervart. Ses yeux se donnaient. Elle les ferma, sans changer d’attitude. Un baiser effleura ses paupières douces.

« Il fait tout ce que je crois qu’il va faire. Est-ce lui qui lit dans ma pensée, ou moi dans la sienne ?… »

M. Hervart, cependant, cherchait des phrases galantes ou sentimentales, et n’en trouvait pas.

« Je pourrais louer ses cheveux chatains à reflets dorés, dire qu’ils sont fins et soyeux. Mais le sont-ils ? Et puis, c’est peut-être prématuré. Louer quoi : sa bouche ? Elle est un peu grande. Son nez ? Il est un peu busqué. Son teint ? Est-ce un compliment de dire qu’il est pâle et mat ? Ses yeux ? Cela aurait l’air d’une allusion. Ils sont jolis, ses yeux changeants… »

Il avait cueilli au passage un brin d’herbe. Il le regarda. Des petits points noirs y couraient.

— C’est ennuyeux, dit M. Hervart, que j’aie oublié mon microscope.

— J’en ai un, vous savez. Seulement le miroir est cassé. Il faudrait l’envoyer à Cherbourg.

— Ne pourrait-on pas y aller soi-même ?

— Si vous voulez.

— Cela ne vous ferait donc pas plaisir, Rose ?

Elle fut si contente d’être appelée ainsi qu’elle fut un moment sans répondre ; puis elle dit, toute rougissante :

— C’est que je ne sors presque jamais ; je n’y pense pas. Vous savez bien que cela me plaira beaucoup de sortir avec vous.

Elle ajouta, d’un ton d’enfant gâtée :

— Je vais prévenir mon père. Nous irons après déjeuner.

M. Hervart considéra encore une fois son indéchiffrable brin d’herbe.

— J’ai, dit-il, une bonne adresse : Lepoultel, opticien de la marine. Connaissez-vous ? C’est un ami de Gauvain…

— Le marchand de bêtes ?

— Comment, vous avez retenu cela ?

— Je retiens tout ce que vous me dites, répondit Rose, très sérieuse.

M. Hervart fut flatté. Il songea aussi que cette petite fille sentimentale pouvait fort bien faire une femme très sage et très pratique. Sa vie singulière lui apparut en une vision rapide. Il revit quelques-unes de ses maîtresses fugitives. Il vit Gratienne, qu’il connaissait depuis six mois et qu’il ne retrouverait peut-être pas à son retour. À cette idée, M. Hervart fronça le sourcil. En même temps l’étreinte de ses doigts se desserra.

Rose le regarda :

— À quoi pensez-vous ?

« Encore ! se dit M. Hervart. Oh ! Cette éternelle question des femmes ! Comme si on y répondait jamais !… Voici ma réponse. »

Ayant inspecté les nuages, il proféra :

— Je crois qu’il pleuvra tantôt.

— Oh ! non, dit Rose, je ne crois pas, le vent est de suêt…

Elle ajouta bien vite, consciente de son provincialisme :

— Comme disent les gens du pays.

— Cela signifie ?

— Sud-est.

Peu curieux des formes dialectales du langage, M. Hervart reprit, avec un peu de méchanceté et avec cette infatuation propre aux Parisiens.

— C’est un vilain mot. Il faut dire : sud-est. Vous en êtes, du pays !

— Moquez-vous. Cela m’est égal, maintenant, dit Rose. Du pays, mon père en est, ma mère en est. Je n’y suis pas née, mais j’en suis aussi. J’en suis comme les arbres, comme l’herbe, comme toutes les bêtes. Oui, j’en suis !

Et elle relevait la tête, avec fierté.

— Mais j’en suis aussi, dit M. Hervart.

— Oui, et vous ne l’aimez plus.

— Je l’aime, puisqu’il vous a produite et puisque vous l’aimez.

Enchanté d’avoir trouvé cette fadeur, M. Hervart courut, son chapeau à la main, vers un papillon ; mais il le manqua.

— C’est plus difficile à prendre que des baisers, dit Rose, avec un peu d’ironie.

M. Hervart se demanda, interloqué :

« Ne serait-elle que sensuelle ? »

Mais Rose était bien incapable de séparer son être en deux parties. Sa personne lui donnait un sentiment de parfaite unité. Son mot était un mot de conversation. Elle n’était pas sans esprit.

Cependant M. Hervart médita longtemps sur ce mystère, et il édifiait des théories perverses sur la précocité des jeunes filles.

Bientôt, il eut honte de ses divagations.

« Les femmes sont complexes, pas plus que les hommes, certainement, mais d’une complexité que les hommes ne peuvent comprendre. Elles-mêmes ne se comprennent pas, et d’ailleurs n’en ont nul souci. Elles sentent, et cela leur suffit très bien à se conduire dans la vie, et même à dénouer des embarras où les hommes se montrent incapables. Il faut agir à leur égard comme elles-mêmes. C’est par le sentiment seul qu’on peut les rejoindre. Il n’y a qu’une manière de comprendre les femmes, c’est de les aimer… Pourquoi ne dis-je pas cela tout haut ? Elle serait amusée et trouverait peut-être de jolies choses à répondre… »

Mais, sans être timide, M. Hervart se troublait à entendre le son de sa propre voix. Aussi ne proférait-il le plus souvent que des phrases courtes. Elle reprit la main de son ami. Ce langage paraissait lui convenir et M. Hervart s’en accommodait, encore qu’il jugeât un peu puérils ces épanchements manuels.

Il songea encore :

« Mais rien n’est puéril en amour… »

Ce mot, qu’il ne prononça pas, même intérieurement, mais qu’il vit, écrit comme de sa main sur une feuille de papier, ce mot l’épouvanta. Il abonda en protestations secrètes :

« Mais il ne s’agit pas d’amour. Elle ne m’aime pas. Je ne l’aime pas. C’est un jeu. L’enfant m’a rendu enfant comme elle… »

Il voulait ne plus penser, mais cela continuait :

« Jeu dangereux… Je n’aurais pas dû baiser ses yeux… Son front, passe encore, cela est paternel… La laisser s’appuyer sur mon épaule ? Comment faire ?… »

Il dut convenir ensuite que c’était lui le coupable. Sans y penser, poussé par son instinct d’homme, depuis son arrivée, depuis quinze jours, tout en continuant, d’apparence, à la traiter comme une enfant, il lui avait fait une cour muette. À chaque instant, il la regardait, lui souriait, cependant que ses paroles étaient graves. Se sentant l’objet d’une attention perpétuelle, Rose avait cru qu’on voulait la conquérir, et elle s’était laissé prendre. M. Hervart croyait trop bien connaître la psychologie féminine pour admettre que la jeune fille eût fait délibérément le premier pas vers lui. Il se sentait tout pareil à un chasseur distrait qui, oublieux de son coup de fusil, trouverait une perdrix dans son carnier.

« Cette surprise est agréable, songeait-il. Elle est même beaucoup trop agréable. »