Un acte de dévouement

UN ACTE DE DÉVOUEMENT

L'Institution Sainte-Barbe a été mise en émoi, il y a quelques jours, par un. incident dramatique qui aurait pu avoir des conséquences terribles. Un matin, vers quatre heures trois quarts, un. élève vint réveiller, M. Bucchini, surveillant d'un des dortoirs, et lui dit qu'un de ses camarades, évidemment atteint d'un accès de, somnambulisme, vient, après l'avoir frappé pendant son sommeil, de disparaître du dortoir. Le maître se lève à la hâte et met les élèves et les garçons de service en campagne pour découvrir le fugitif.

On l'aperçoit bientôt étendu dans une gouttière, une jambe pendant au-dessus de la corniche, qui domine d'une hauteur de quatre étages le sol de la cour.

Sur le conseil de M. Bucchini, les élèves s'empressent de descendre leurs matelas dans la cour, et dans le plus profond silence, de peur de réveiller leur" malheureux camarade suspendu à 30 mètres au dessus du sol, ils'entassent au-dessous de la gouttière toutes les literies du dortoir.

Guidé par les garçons, M. Bucchini. arrive, dans les combles, près d'une ouverture percée dans le toit; d'où le malheureux somnambule s'est laissé glisser jusqu'à la gouttière, pour' aller ensuite, en suivant un chenal étroit, se coucher à l'autre bout du bâtiment, la moitié du corps suspendue dans le vide.

Il faut, pour sauver le malheureux qui dort au dessus de l'abîme, suivre le même chemin, se laisser glisser comme lui sur la pointe du toit, au risque de rouler au delà de la gouttière dans le vide, suivre debout le chemin étroit qui- longe l'abîme et aller arracher à la mort le pauvre enfant qui, à son réveil, peut se débattre et entraîner avec lui son sauveur dans une chute mortelle.

Le brave maître d'études, qui a conservé tout son sang-froid, songe que dans quelques minutes la cloche de Saint-Étienne va sonner Y Angélus, réveiller peut être le somnambule et causer un effroyable malheur.

« Y a-t-il quelqu'un, demande-t-il, qui soit sûr de lui et qui veuille tenter, de sauver le malheureux enfant d'une mort certaine? »

On se tait.

M. Bucchini n'hésite pas; on le voit descendre le long du toit et suivre avec précaution le sentier périlleux il arrive auprès' de son élève, se penche sur lui, le saisit fortement je l'appelle, le réveille peu à peu, le rassure, le soutient et par la même route le ramène et le sauve.

Les élèves de l'étude ont voulu reconnaître ce dévouement ils ont spontanément offert à leur maître une splendide médaille portant d'un côté cette inscription:

« A M. Bucchini, qui a sauvé la vie d'un de nos camarades, au péril de la sienne, ses élèves reconnaissants, » et de l'autre côté, les noms des donateurs.

Le conseil d'administration de Sainte-Barbe, sur la proposition du directeur, a voulu, de son côté reconnaître le dévouement admirable de M. Bucchini.

Il faut espérer que le gouvernement connaîtra et récompensera à son tour ce bel acte de dévouement. Ce sera pour lui une belle occasion d'honorer et d'encourager ce corps de maîtres d'études qui mérite en général mieux que ce que le monde lui donne.

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