Un Siècle de musique française - l’Opéra-comique/02

Un Siècle de musique française - l’Opéra-comique
Revue des Deux Mondes3e période, tome 74 (p. 165-199).
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UN
SIECLE DE MUSIQUE FRANCAISE

L'OPERA COMIQUE

II.[1]
D’HEROLD A BIZET.


I.

Le trio des maîtres de l’opéra comique se complète, avec Boïeldieu, par Herold et par Auber. De ces deux derniers, l’un fut un musicien de génie, l’autre, un musicien d’esprit. Tout pour eux fut différent : le talent et la destinée. A l’un la Providence mesura les années et défendit les œuvres nombreuses ; à l’autre elle accorda la fécondité d’une vie presque centenaire. Elle avait arraché des mains d’Herold sa lyre toute vibrante ; elle laissa le vieil Auber s’endormir doucement sur la sienne.

Herold mourut très jeune, comme devait mourir, près de quarante ans après lui, un musicien de sa race, George Bizet ; mais il eut le temps de donner à l’opéra comique sa forme achevée, et d’être le représentant parfait du genre que nous étudions. On a contesté l’originalité d’Herold ; on l’a accusé, sinon de copier, au moins de se souvenir. Ce Français, dit-on, était fait d’un Allemand et d’un Italien ; sans Weber et sans Rossini il n’y aurait pas d’Herold. Peut-être ; mais ce serait une raison de plus d’aimer Weber et Rossini, voilà tout. Sans doute, Herold est romantique, comme Weber ; mais, de son temps, qui n’était romantique en France ? D’ailleurs, il y aurait entre le romantisme de l’un et celui de l’autre plus d’une nuance à signaler, ne fût-ce qu’à propos du sentiment de la nature. Ce sentiment, que Weber eut au plus haut point, fit défaut à Herold comme à presque tous nos musiciens. La musique française n’a pas eu de paysagiste avant Berlioz et Félicien David.

L’influence de Rossini se fait sentir davantage chez Herold. L’astre du maître italien était si brillant que nul n’échappait à ses reflets. Herold tient de Rossini la prestesse de certains mouvemens : par exemple, dans le trio presque bouffe du premier acte de Zampa, dans le premier duo du Pré aux Clercs ou dans le trio du second acte. Mais ce sont là des détails ; au fond, le génie d’Herold n’est pas essentiellement rossinien ; il est plus sobre et plus concis. Herold eut la force et le nerf, mais, sans en abuser jamais. Il resta mesuré, fidèle à la tradition française de la modération et de l’équilibre. Il fut surtout le musicien de la couleur, de cette couleur que nous trouvons chez Grétry le premier, qui s’accuse dans la Dame blanche, et prend tout son éclat dans Zampa et le Pré aux Clercs. En musique même, on peut être coloriste. Auber ne le fut guère, sauf dans certaines pages de la Muette ; Herold le fut presque toujours.

Zampa et le Pré aux Clercs sont les deux œuvres maîtresses d’Herold. On a oublié les Rosières, Lasthénie, le Lapin blanc, même le Muletier ; à peine se souvient-on de Marie ; Zampa est de 1831 ; le Pré aux Clercs, de 1833. Les deux ouvrages font songer à Prosper Mérimée. Herold et Mérimée, les deux esprits les plus dissemblables, furent rapprochés deux fois par des sujets, sinon par des inspirations analogues. L’idée du Pré aux Clercs est empruntée à la Chronique du règne de Charles IX, et Zampa, ou la Fiancée de marbre, pourrait bien avoir donné à Mérimée l’idée de sa Vénus d’Ille. Le romancier et le musicien ne se nuisent pas ; chacun a Suivi son chemin et fait œuvre personnelle. Si Mérimée trouva dans Zampa l’idée de la Vénus d’Ille, l’opéra comique d’Herold dut lui paraître un peu mou, un peu lâche. Il en a résumé les effets et condensé l’épouvante. Toute couleur, même celle d’Herold, pâlit devant celle-là. Chez Mérimée, la redoutable fiancée n’est plus de marbre, mais de bronze, comme ces monstres dont l’ingénieuse cruauté des anciens faisait des engins de supplice. Ce n’est plus une fille de Florence, c’est Vénus elle-même, la Vénus antique, la déesse des étranges et meurtrières amours. Mérimée mêle à cette aventure fantastique un naturel qui en accroît l’horreur. Il nous conte ce drame comme un simple incident de la vie de province. Il ne s’agit pas d’un romanesque brigand de Sicile, d’un corsaire fabuleux, d’un nouveau don Juan, mais tout bonnement d’un jeune homme qui se marie, d’un jeune homme en habit noir comme tous les mariés. Il n’a rien de l’écumeur de mers: il n’a jamais pillé de châteaux, ni trompé de jeunes filles; et, pour une plaisanterie de buveur un peu gai, l’on sait quel est son châtiment; on le devine plutôt, car Mérimée ne s’en explique pas nettement. On entend bien, la nuit, des pas lourds dans la chambre nuptiale ; on retrouve bien le marié sans vie, broyé par une étreinte de fer ; mais dans le jardin, la statue est à sa place ; à peine sa lèvre s’est-elle plissée d’un mauvais sourire. L’équivoque ajoute au malaise que fait éprouver ce conte. On croit, en fermant le livre, entendre le rire de l’auteur, aussi méchant que celui de sa statue.

Herold est moins sec, moins sceptique; il ne reste pas, comme Mérimée, impassible : il entre dans le drame avec intérêt, avec passion.

Boïeldieu n’est pas oublié dans le premier chœur de Zampa ; dans la ballade fameuse : D’une haute naissance, on retrouve sa poésie de ménestrel ; la phrase inquiète de Camille est pénétrée de sa mélancolie. Le chœur des jeunes filles s’achève, et la première parole de la fiancée : Il ne vient pas! nous émeut d’un soudain pressentiment. La coda qui termine l’air, l’entrée d’Alphonse, tout cela sans doute est un peu négligemment imité de Rossini; mais le trio, rossinien, lui aussi, est plein de verve mélodique. Le quatuor qui suit est excellent au double point de vue du drame et de la musique. Rien ne lui manque : ni l’ampleur de l’ensemble, ni la variété des mouvemens, ni la beauté des chants, ni l’intérêt de l’accompagnement. Herold ici donne à l’orchestre le degré d’importance qu’il doit avoir dans une scène de ce genre : au premier tutti succède une charmante mélodie de violens : phrase élégante, sur laquelle Zampa et Camille dialoguent aisément. Rien n’est sacrifié dans cette page magistrale : tout a sa place et sa valeur.

Le grand finale du premier acte est un chef-d’œuvre. Ce festin de pirates italiens a l’emportement d’une kermesse flamande : la fougue de Rubens avec la pompe du Véronèse. Quel éclat et quelle chaleur! Quel débordement de passions, d’instincts effrénés! Cependant Herold reste noble, même dans l’ivresse. Les brigands boivent en gentilshommes; c’est une fête de grands seigneurs plus qu’une orgie de bandits. Zampa lance son couplet bachique d’une voix qui ne tremble pas. Il faut être maître de soi pour lever aussi haut son verre, pour rythmer aussi fièrement un toast magnifique. Il y a quelque chose de Byron dans ce personnage de Zampa et dans ce brindisi de patricien.

Tous les épisodes du finale sont dignes les uns des autres : l’entrée tremblante de Dandolo, l’outrage à la statue, et la bague retenue par le doigt de pierre. Après chaque incident, le thème principal est repris, soit par Zampa seul, soit par le chœur, tantôt hardi et provocant, tantôt alourdi par le progrès de l’ivresse et de la terreur. Zampa commence lui-même à se troubler, et le simple changement du rythme, quelques triolets chancelans suffisent à l’indiquer. N’entrons pas dans le détail, il faudrait tout signaler. Pas plus que la couleur, le dessin ne manque au tableau, compris tout entier dans des lignes harmonieuses, qui l’encadrent sans l’étouffer.

Des deux célèbres finales de Zampa, le premier est le meilleur. Le second acte est le moins bon des trois. Il contient pourtant une jolie prière, un grand air de Zampa : Toi, dont la grâce séduisante, dont l’allégro est démodé, mais dont la première phrase est belle. Le trio bouffe, analogue à celui de l’acte précédent, ne le vaut pas. Le duo avec Alphonse est médiocre. Ce pauvre Alphonse, d’ailleurs, s’efface à côté de son rival : il n’en a pas l’allure chevaleresque. Mais il soupire au troisième acte une délicieuse barcarolle. Herold a souvent de ces accents plaintifs, sans amertume ni violence. Était-ce instinct secret de sa brève destinée? Était-ce la mort vaguement entrevue? Se disait-il, comme le Socrate du poète :


Je suis un cygne aussi; je meurs! je puis chanter!


Le troisième acte de Zampa s’achève par un duo dramatique. Presque jamais la musique n’avait encore été aussi ardente que dans cette œuvre, moins égale peut-être, mais plus chaude que le Pré aux clercs. Plus emporté que Mergy, Zampa sait être aussi tendre. Sa cavatine : Pourquoi trembler? est respectueuse et presque craintive comme un premier aveu d’amour. Le beau rôle que ce rôle de ténor! Qu’il a d’éclat et de grâce tout ensemble! Quel relief, et surtout quelle simplicité ! Comme cet art est sans détours et sans arrière-pensées !

Deux ans après Zampa, fut représenté le Pré aux Clercs. Entre le romancier et le musicien les nuances s’accusent de plus en plus. Mérimée donne à son récit la précision, mais un peu la sécheresse d’une gravure. Il a la vision prompte, l’imagination sobre, le trait incisif, quelque chose enfin de mordant comme la pointe sur le cuivre. On voit chez lui partout la force, sans jamais sentir la tendresse. Son héroïne elle-même, la blanche Diane de Turgis, a plus de sens que de cœur. Elle mêle à son amour presque des raffînemens de courtisane. Elle reçoit son amant dans une retraite galante, dans une alcôve éclairée de bougies roses, où des cassolettes brûlent au pied d’un lit de satin cramoisi. Elle parait, masquée de velours ; elle irrite le désir impatient de Mergy par mille feintes et mille réticences. Le jeune homme finit par douter lui-même s’il est près de Diane, et ce n’est qu’en le voyant hésiter que, brusquement, l’ardente comtesse se livre à lui.

La chaste Isabelle, du Pré aux Clercs, n’a pas de ces transports, ni les narines frémissantes de Diane, ni ces yeux dont la pupille se dilatait comme celle des chats, ces yeux dont les regards devenaient de feu.

Moins sensuel que Mérimée, Herold est aussi moins cruel. La scène du repas de Mergy, au premier acte, ne tourne pas aussi mal que la querelle de Vaudreuil et de Rheincy. Le duel final même est moins brutal. Voyant Comminge mort, un des témoins dit aux autres : « Regardez son sourcil et sa joue, la coquille du poignard s’y est imprimée comme un cachet dans de la cire. » De tels détails, froidement jetés, font frissonner. L’œuvre d’Herold est, en général, d’un ton moins cru, Mérimée, peut-être, est plus conforme à la vérité historique, à l’esprit d’une époque où les passions étaient effrénées, l’amour sans retenue et la haine sans merci: mais Herold nous touche davantage. Il nous émeut, et le secret de la beauté artistique est dans l’émotion.

Nous signalions plus haut la mélancolie d’Herold ; bien plus que Zampa, le Pré aux Clercs est pénétré de cette tristesse attirante. Elle est jetée comme un voile, elle passe comme une ombre sur certaines phrases : le premier chant de l’ouverture, le début du grand air d’Isabelle, l’adorable plainte de la reine : Je suis prisonnière, loin du beau pays! Tout le rôle d’Isabelle est empreint de cette grâce attendrie, vague langueur, douce ivresse,


Où la bouche sourit et les yeux vont pleurer !


sentiment indéfinissable qui s’exhale de l’œuvre entière et lui donne un goût particulier, tout différent de la saveur un peu âpre de Mérimée.

Cependant le cœur d’Herold n’a pas égaré son imagination. Il a bien rendu la couleur de l’époque. Dans de moindres proportions, le Pré aux Clercs est un tableau d’histoire digne des Huguenots, qu’il a précédés, et comme annoncés : même vérité d’ensemble et de détail pas un personnage qui ne porte le cachet du temps. Les rôles secondaires mêmes sont caractérisés. La reine a l’esprit, la malice de Margot, comme elle aimait d’être appelée, avec une exquise nuance de rêverie et de douceur. Lorsqu’elle s’explique avec Cantarelli dans le merveilleux trio du second acte, que de verve et d’entrain ! Et quelle tendresse câline avec la « gente Nicette, » sa filleule, dans cette phrase délicieusement modulée: Sais-tu pas combien je t’aime ?

Quand à Mergy, c’est le frère aîné de Raoul de Nangis, il a la même élégance patricienne. Il résume en lui toutes les grâces toutes les séductions de son époque, ce svelte gentilhomme auquel ne messied pas un peu de gravité huguenote. Rien n’a vieilli dans ce rôle, pas même le premier air; O ma tendre amie ! Il débute par un récitatif si dégagé ! le chant qui vient après est si candide, si pur ! Il s’épanouit avec tant de tendresse ! Mergy paraît à peine au second acte ; il na que deux phrase à chanter, mais quelles phrases ! De quel ton parle cet ambassadeur de vingt ans ! Avec quelle noblesse il réclame, au nom du roi de Navarre, et sa reine et sa fiancée ! Le récit, en quelques mesures, de son entretien avec Charles IX, mériterait une longue analyse. Vérité dramatique, historique même, tout est réuni dans cette page incomparable. Nul mémoire contemporain ne donne mieux que le second acte du Pré aux Clercs l’idée, l’image de la cour à demi française, à demi ée italienne, des Valois. Quoi de plus gai que la mascarade menée par Cantarelli? de plus vif que cette intrigue nouée pendant la fête? Voici Nicette, épeurée, parmi les masques. Soudain les danses s’arrêtent : Mergy prend congé de Marguerite. Le roi ne laisse partir ni la reine de Navarre, ni sa fille d’honneur. Comminge, irrité qu’un autre ose toucher la main d’Isabelle, éclate et s’emporte. Le duo de la provocation, frémissant de colère, s’interrompt à l’entrée de la jeune fille. On l’accueille avec un petit chœur exquis. La reine murmure une phrase pleine de langueur et d’ennui; mais les danses déjà reprennent plus vives. Galante et batailleuse, raffinée et violente, toute la renaissance française est dans ce tableau.

Au troisième acte, la couleur s’assombrit. Il n’est pas au théâtre d’effet à la fois plus sobre et plus puissant. La nuit descend sur le pré aux Clercs, où les deux rivaux ont pris rendez-vous. Par une inspiration très heureuse, Herold n’a pas mis leur duel sur la scène. Les jeunes gens sortent l’épée nue, et leur absence accroît peut-être l’émotion. lis sont aux prises, et les soldats du guet, jouant aux dés, s’entendent déjà pour transporter le mort. Là-bas, on danse encore au clair de lune, et rien n’est plus lugubre que ce chœur à voix basse et ces lointaines ritournelles. Peu à peu le silence se fait : un petit quatuor inquiet le trouble à peine. Les archers continuent de jouer dans l’ombre, et leur refrain s’étouffe de plus en plus. Ils se taisent enfin, et s’en vont. Alors, des grondemens confus de l’orchestre se dégage un profond sanglot. La barque descend au fil de la rivière, portant le cadavre de Comminge. Accompagnée par la mélodie funèbre, elle glisse comme la barque de Dante sur le fleuve sombre et lourd :


Cosi sen vanno su per l’onda bruna.


Voilà comment il faut employer l’orchestre quand les voix deviennent impuissantes. Voilà comment il faut le faire chanter et gémir.

Trois semaines après la représentation de son chef-d’œuvre, Herold s’éteignait. Hélas ! que de tombeaux où l’on pourrait écrire la question mélancolique du poète:


Quare taon immatura vagatur?


II.

« Herold avait la qualité, disait Auber, moi j’ai la quantité. » Le vieux maître se faisait trop sévère justice. Scudo écrivait en 1857 : « Le jour où l’on examinera avec soin la couronne de roses qui orne les cheveux blancs du dernier des compositeurs français, on pourra y compter bien des feuilles mortes et beaucoup de clinquant. » On l’a examinée depuis, cette couronne d’un compositeur qui ne fut pas heureusement le dernier des nôtres; et, dans un discours qui fit du bruit, un penseur et un écrivain de premier ordre, un homme de goût, un ministre d’alors Il y a longtemps de cela), disait d’Auber : « Lisez-le d’un bout à l’autre: suivez son histoire depuis le commencement ; son nom est facilité. Tout lui a réussi dans l’art et dans la vie. Les moins musiciens le comprenaient et l’aimaient à première vue, et l’on sentait que ses airs lui venaient tout seuls et ne lui coûtaient aucun effort. Il y a plus de travail dans la plus courte scène des Huguenots que dans toute la Muette, qui pourtant est un chef-d’œuvre. Oui, cet homme a produit plus que personne, et il est certain qu’il n’a jamais travaillé. On a dit qu’il était ignorant; pas du tout, mais il fallait qu’il sût sans avoir appris, car Auber prenant de la peine est aussi impossible à imaginer qu’Auber faisant de la musique grossière ou de la musique ennuyeuse. C’est une exception magnifique... » Et M. Jules Simon ajoutait : « dont la place n’a jamais été ici. » Ici, c’était le Conservatoire, et le ministre avait, disait-on, mauvaise grâce à mal parler, devant des élèves, de leur maître à peine enseveli.

Mal parler! M. Jules Simon parlait-il si mal d’Auber? Mal à propos, tout au plus. Il ne l’aurait pas nommé directeur du Conservatoire; cela n’était peut-être pas bon à dire au Conservatoire même, mais le reste était excellent à dire partout. « Son nom est facilité. » Ce fut bien, en effet, la qualité maîtresse et le défaut capital d’Auber; la facilité le perdit parfois et le sauva toujours. Par l’abondance, par l’intarissable épanchement de sa mélodie, il hit, en effet, une exception magnifique. A quatre-vingt-six ans, il composait un opéra comique intitulé : le Premier Jour de bonheur! Ce titre seul, à cet âge, ne fait-il pas sourire? Il souriait lui-même, l’aimable vieillard ; il rendait à la vie tous les sourires qu’elle avait eus pour lui.

Cette bonhomie spirituelle désarme qui voudrait devenir sévère; cette inspiration souvent médiocre, jamais absente, étonne par le fait seul de sa continuité. Elle étonne, quitte à finir par lasser, par agacer même. Auber a semé partout des fleurs, mais trop souvent des fleurs artificielles. Ses mélodies jaillissent comme d’ingénieuses petites fontaines ; il leur manque la profondeur et le mystère des sources. Sans demander l’effort et le labeur au génie, sans mesurer le mérite à la peine, on peut exiger de l’art le sérieux et la conviction. Tous deux ont fait maintes fois défaut à Auber. Pendant quarante ans, il a gaspillé les couplets, les refrains, les barcarolles, les sérénades qu’il entendait fredonner dans sa tête; il ne se recueillit jamais pour écouter une grande voix chanter au fond de son âme.

Elle est perdue, l’émotion des Monsigny, des Grétry, des Boïeldieu. Après Herold, le musicien romantique, Auber, « le père Auber, » le musicien bourgeois. Bourgeois 1 il l’était tant, qu’à lui donner encore ce nom on le mérite presque soi-même. Il est banal de lui reprocher sa banalité. Nous ne disons pas sa trivialité, car, M. Jules Simon a raison, Auber n’est pas trivial. Henri Heine écrivit méchamment di; Scribe et d’Auber, du poète et du musicien : « Tous deux ont de l’esprit, de la grâce, du sentiment, même de la passion ; il ne manque à l’un que la poésie, à l’autre que la musique. » Il y eut entre ces deux natures une affinité singulière, une rare faculté d’association, presque d’assimilation Pour bien des gens, l’opéra comique est resté un composé de Scribe et d’Auber, comme l’eau, d’oxygène et d’hydrogène : il n’y a pas mélange, mais combinaison; si parfaite, que les paroles parfois pourraient être d’Auber, et la musique, de Scribe. Avec Boïeldieu, le Boïeldieu de la Dame blanche, l’ingénieux librettiste s’attendrit un peu ; aidé de Walter Scott, il atteignit à la poésie. Avec Meyerbeer, il s’ennoblit et s’éleva jusqu’au drame historique. Avec Auber, il put demeurer lui-même; Auber le prit tel qu’il était, et s’en accommoda. A l’exemple de son librettiste, le musicien ne força point son talent, et fit tout avec grâce.

Au moins ne fit-il rien sans quelque grâce. Dans la plus pâle de ses partitions, brillent toujours quelques points lumineux : le chœur des voleurs déguisés en moines, au premier acte des Diamans de la couronne, le chœur des ouvriers au début de la Fiancée ; au premier acte du Philtre, le chœur étincelant des paysannes agaçant le beau Guillaume, et le duo délicieux que chante Guillaume avec Térézine. Mais que de négligences, que de faiblesses au cours de ces ouvrages! Que de ritournelles bonnes à faire danser les chiens ou courir les chevaux !

Parfois on se laisse prendre au titre seul des opéras comiques d’Auber : ils ont toujours, sinon quelque chose de rare, au moins quelque chose d’élégant et de gracieux : la Fiancée, les Diamans de la couronne, Rêve d’amour, le Premier Jour de bonheur! Étiquettes mensongères ! Le nom seul a de la poésie. La poésie fut ce qui manqua le plus à Auber. Où l’eût-il trouvée? Il ignora toujours la nature, la douleur et la passion. Cette vie presque centenaire fut toute superficielle. Certes, Auber a personnifié quelques-unes de nos grâces et de nos séductions françaises : la clarté, l’esprit, la facilité ; mais il ne faut pas faire de lui le représentant de notre âme nationale. Elle a des profondeurs où jamais Auber n’est descendu, des mystères qu’il n’a pas entrevus. Il n’a rien dit des choses qui ne s’oublient pas. Il n’a rien soupçonné des vérités éternelles, ni des éternelles beautés.

A notre gré, les trois meilleurs opéras comiques d’Auber sont : Fra Diavolo, Haydée et le Domino noir, son chef-d’œuvre.

Fra Diavolo fut donné en 1830, un an avant Zampa. C’est aussi une histoire de brigands, mais tout autrement traitée. Auber se souciait peu du romantisme et des héros byroniens, des statues vengeresses et du feu céleste. Son Fra Diavolo n’a pas l’allure de Zampa. Il y a de l’un à l’autre la différence du brigand au voleur, de l’amour à la galanterie ; de l’œuvre ardente, et parfois presque héroïque, à la comédie musicale. A peine le héros élève-t-il le ton au début du troisième acte, dans la première phrase d’un air qui n’est pas sans noblesse : Je vois marcher sous ma bannière. Partout ailleurs il n’est qu’élégant et spirituel. Le critique allemand que nous citons volontiers à propos de notre musique française, M. Hanslick, est plus que bienveillant pour Fra Diavolo : « l’excellent livret de Scribe, dit-il, où le romantisme de la vie des brigands se mêle au plus fin comique, où pour la première fois apparaît, dans un opéra, une nouvelle figure, celle de l’Anglais voyageur, ce livret a trouvé dans la musique d’Auber la plus heureuse illustration. » — Nous n’apercevons guère, dans Fra Diavolo, la couleur romantique. — Avec plus de raison, M. Hanslick loue Auber d’avoir évité l’exagération. Auber traitait de petits sujets, que parfois il rapetissait encore, mais sans jamais enfler la voix. Il ressemblait moins à l’oiseau des bois qu’à l’oiseau de Paris qui siffle en cage. Elles étaient bien faites pour son cher Paris, les mélodies d’Auber. Elles en avaient la grâce chantante, et même dansante. Parmi de mauvaises choses, Fra Diavolo en renferme de fort jolies : les couplets d’entrée de milady, le délicieux quintette du premier acte et le duo qui suit ; au second acte, un petit trio exquis : Allons, milord, allons dormir ! et la scène du coucher de Zerline ; au troisième acte, le chœur de Pâques fleuries et le carillon.

Haydée (1847) est une œuvre plus dramatique que Fra Diavolo; mais sans plus de couleur locale. Pas une fois cet opéra vénitien ne fait songer à Véronèse. Auber ne s’occupait guère des magnificences de la ville des doges. La brise des lagunes ne souffle pas dans les voiles de son vaisseau. On ne sent dans sa musique ni la fraîcheur, ni le balancement des vagues. A la fin du second acte, Venise apparaît à l’horizon. Le soir, la ville luit comme une améthyste, et l’Adriatique, où se mirent les coupoles d’étain et les clochers de briques roses, baise les pieds de marbre de sa fille bien-aimée. Auber n’a pas rendu ces splendeurs ; il ne les avait pas vues et ne les a pas devinées. A Venise sortant des flots il a consacré une petite valse, et voilà tout.

Heureusement il a pris ses personnages plus au sérieux que leur patrie. Ce n’est pas que « l’infernal Malipieri » soit beaucoup plus qu’un traître de mélodrame : toute la partie guerrière de l’ouvrage est vulgaire et presque ridicule ; mais, le rôle de Lorédan n’est pas sans noblesse. Le style d’Auber a été rarement aussi relevé que dans la scène finale du premier acte. Il y a là des accens pathétiques, des dissonances hardies et heureuses. L’air : Ah! que Venise est belle ! est plus qu’une barcarolle ordinaire ; il sent le grand seigneur et les fêtes patriciennes. Tout ce songe est bien traité, sans faiblesse ni banalité. La déclamation en est dramatique ; la phrase principale revient toujours plus sonore, plus puissante : c’est une belle page. D’autres l’entourent qui sont charmantes; par exemple le nocturne : c’est la fête au Lido, où deux voix de femmes s’enroulent autour d’un accompagnement gracieux. Citons encore, au déb)ut du premier acte, la phrase exquise de Lorédan à Rafaela, pénétrée d’une tendresse trop rare chez Auber; enfin, quelques inspirations puissantes : le beau duo des deux hommes au second acte et l’ensemble dramatique : Souvenir qui me tue! où se trouve comme un pressentiment de Verdi.

Dans la longue carrière d’Auber, il est difficile de marquer des étapes successives. Ce talent instinctif, instantané, ne connut ni le développement ni le progrès ; il fut presque immédiatement tout ce qu’il devait jamais être. Les œuvres d’Auber. rarement toutes bonnes ou toutes mauvaises, le plus souvent mêlées de bien et de mal, sont répandues comme à l’aventure le long de son chemin. Il faut glaner un peu au hasard ainsi qu’il a semé lui-même, sauter de Fra Diavolo à Haydée, quitte à revenir au Domino noir.

Le Domino noir (1837) est l’œuvre la plus caractéristique d’Auber, et la plus achevée ; le type de l’opéra comique tel qu’il le comprit et qu’il le fit longtemps aimer. Type nouveau, que le spirituel musicien a véritablement créé, et qui reste son titre à la faveur des esprits aimables, sensibles à la gaîté et au sourire. Indulgere genio, disaient les anciens ; ce pourrait être la devise d’Auber. Il eut au plus haut point la souplesse et la condescendance de l’esprit. Il n’était pas fait pour les hautes cimes : de bonne grâce, sans faux orgueil ni fausse modestie, il se tint à mi-côte. Il fit de petites choses avec un très grand talent. La muse ne lui parlait pas un langage austère ; il causait avec elle familièrement, en camarade. Il fit un peu de la musique la servante de la comédie, mais une servante accorte, vive et pimpante soubrette comme l’Inésille du Domino noir.

Le Domino noir eut un immense succès et reste encore aujourd’hui l’un des opéras comiques les plus agréables; brillante et coquette partition, chef-d’œuvre d’un genre secondaire, mais chef-d’œuvre. Ce genre de l’opéra comique a plus d’une séduction; chacun peut s’en amuser ou s’en émouvoir. Quelle souplesse a notre imagination française, qui crée tour à tour la Dame blanche et le Domino noir! Tachons de comprendre et d’aimer toutes les manifestations de notre génie ; concilions les œuvres diverses au lieu de les opposer; ne brisons aucune des cordes de la lyre. L’esprit d’Auber ne saurait nuire à l’âme de Boïeldieu. La Dame blanche, c’est le mystère; le Domino noir, c’est l’intrigue; le masque rieur d’Angèle au lieu du chaste voile d’Anna.

Les trois actes du Domino noir sont écrits avec une verve intarissable. Elle éclate déjà dans l’ouverture, rythmée en boléro comme plusieurs morceaux de la partition. Auber, qui ne cherchait pas bien loin la couleur espagnole, l’a parfois très heureusement trouvée. La mesure vive à trois temps revient souvent dans le Domino noir et lui donne la prestesse et la légèreté. Quelle folle équipée que celle des deux novices ! Comme Auber a sauvé de la vulgarité cette aventure de carnaval, ce bal masqué, ce souper de garçons, et ce tableau, finement satirique, d’un couvent de religieuses! Il s’est gardé, comme il le fallait dans une œuvre aussi mince, de la lourdeur et de la caricature ; il a glissé, sans insistance, sur le babil des nonnes, sur leur onction dévote, sur mille détails qu’il était spirituel d’indiquer seulement. Son tact exquis l’a préservé aussi d’un sentimentalisme fade. L’amour, la passion seraient ici de bien grands mots : Horace est plutôt galant et Angèle coquette ! Une fois seulement leur voix s’émeut et le cœur leur bat : dans le touchant cantique du troisième acte. Cette justesse du sentiment et du ton donne au Domino noir un charme particulier. Il faut y ajouter l’attrait d’une facture musicale toujours ingénieuse, toujours coquette, d’un orchestre varié, pimpant comme les mélodies qu’il accompagne; un soin, assez rare chez Auber, des détails, des rôles secondaires, tels que ceux de la dame Jacinthe et de Pérez, le portier du couvent.

En se reconnaissant la quantité seulement, Auber était décidément un peu sévère pour lui-même : une fois au moins il eut la qualité.


III.

C’est après Auber qu’il faut dire quelques mots d’Adolphe Adam. Musicien moins consommé qu’Auber, il eut un peu les mêmes qualités et les mêmes défauts : peu d’idéal, mais beaucoup d’idées. Lui non plus ne fut pas un poète. Sa musique aime la comédie et l’intrigue; elle s’y joue avec aisance. Elle glisse à la surface et ne pénètre pas. Jamais prétentieuse, rarement ennuyeuse, souvent agréable, elle a de l’esprit, mais pas d’âme. Quoique disciple de Boïeldieu, l’un des plus émus de nos maîtres, Adam, comme Auber, semble fuir l’émotion.

Ses œuvres les plus populaires ne sont pas les meilleures : le fameux Postillon de Longjumeau, malgré de bonnes pages, comme le finale du premier acte, où se trouve même un soupçon de fugue; le Chalet surtout, pauvre et vulgaire, ne valent ni le Toréador, ni Si j’étais roi, ni Giralda. Ces trois opéras comiques sont aimables et mélodieux, écrits avec élégance et facilité, menés avec la prestesse d’opérettes de bonne compagnie. Dans les deux derniers même, on trouve parfois quelque tendresse et comme un vague écho de Boïeldieu. Amoureux d’une princesse qu’il a sauvée des eaux, vêtue, comme on disait alors, « de sa seule robe d’innocence, » le pêcheur Zéphoris, au premier acte de Si j’étais roi, chante un ou deux airs qui ne manquent pas de sentiment. Au second acte, un petit duo, par sa coupe et son rythme, rappelle un peu certain duo bachique de l’Enlèvement au sérail. Plus d’une page a de la gaîté ; d’autres ont presque de la distinction.

Giralda vaut mieux encore, avec son entrain, son mouvement scénique et son style dégagé. A l’imbroglio de la Nouvelle Psyché convenait bien cette musique légère et court-vêtue : romances un peu fades, mais bien tournées, qu’Adam fait soupirer à des princes galans ; gentils couplets, comme ceux que Ginès, au premier acte, adresse à son habit, à son bel habit de mariage, » airs de bravoure et finales vocalises. Tout cela n’est pas bien méchant, mais n’est pas bien mauvais non plus. Quelquefois même c’est charmant, témoin certain chœur du premier acte. Giralda croit épouser Ginès, qu’elle n’aime pas, et dont Manoël, qu’elle aime, a pris à son insu la place. Le cortège passe, suivant la fiancée pensive, et la marche nuptiale exprime finement la mélancolie résignée de cette pauvre petite noce sans amour. Comme Auber, Adam pouvait être un délicat.

La place d’honneur, au foyer de l’Opéra-Comique, est occupée encore aujourd’hui par le buste d’un maître qui n’est plus le dieu du temple: Halévy. Il le fut, disent nos pères, à l’époque des Mousquetaires de la reine, du Val d’Andorre : deux pauvres œuvres pourtant. La vulgarité gâte tout en elles : les idées, le style et le rythme lui-même : témoin les couplets du vieux chevrier dans le Val d’Andorre, ou le grand air d’Olivier au premier acte des Mousquetaires. Le jeune gentilhomme célèbre les plaisirs de la chasse du roi; mais dans quel style poétique et musical! Il ne nous épargne aucun épisode : il faut, bon gré mal gré, suivre la meute. C’est la musique descriptive, qui fut un temps fort goûtée. On chantait ainsi les voyages au début des Diamans de la couronne, et les combats dans la Dame blanche. Les demoiselles, les Berthe de Simiane et les Athénaïs de Solange avaient aussi leurs grands airs, de coupe classique. Rien de plus froid, de plus ennuyeux que cette rhétorique musicale. Pour rendre tolérables les confidences des jeunes princesses aux bocages, il faut le génie d’un Rossini et la beauté, pour ainsi dire plastique, d’un air comme Sombres forêts! Halévy trouva trop rarement le secret de cette beauté.

Tout est formule dans les Mousquetaires et le Val d’Andorre. Rien que fade galanterie ou sentimentalisme larmoyant ; aucun naturel, aucune originalité, nulle émotion, nul esprit.

Une fois cependant, à l’Opéra-Comique, Halévy eut tout cela : l’Éclair est presque un chef-d’œuvre. Ce petit opéra comique à quatre personnages, sans un seul chœur, pourrait se jouer entre deux paravens : c’est du théâtre intime, presque de la musique de chambre ; charmante exception dans l’œuvre un peu emphatique d’Halévy, véritable éclair, lumineux et court.

Cependant, malgré ses grâces, et par quelques-unes de ses grâces même, l’Éclair, qui fut joué en 1835, porte bien le cachet un peu vieillot de son temps, comme certaines toiles de M. Ingres. Aujourd’hui, cette musique et cette peinture semblent un peu passées : leurs ajustemens ne sont plus de mode. Les rondos de la sémillante Mme Darbel, la mélancolie de la sensible Henriette interrogeant, le soir, sa « lyre d’Eole, » tout cela fait sourire comme des parures d’aïeule. Nous parlions tout à l’heure de grands airs, c’est peut-être dans l’Éclair que se trouve le plus grand de tous, le type de la romance pour ainsi dire professionnelle. Toute une vie d’officier de marine y est détaillée : Parlons, la mer est belle ! Voici le départ du mousse, puis la rencontre d’un vaisseau ennemi ; préparatifs de combat : prière, lointain adieu à la patrie, à la mère, à la fiancée. La bataille s’engage ; musique imitative : partout le feu, la mort ; héroïsme du jeune homme. Enfin, la victoire est certaine ; les amis se retrouvent et s’embrassent, la fumée se dissipe, et, sur l’océan apaisé, la corvette, à pleines voiles, reprend sa course, et le ténor, à pleine voix, son refrain : Partons, la mer est belle !

Mais, ces critiques faites, il faut louer dans l’Eclair la tenue générale de l’œuvre et reconnaître la singulière séduction de ce quatuor en trois actes. La scène se passe dans un cottage voisin de Boston, et l’on sent bien dans cette musique le charme familier du home, de la petite maison anglaise, proprette et fleurie. C’est un aimable boy que George, ce Chérubin à peine échappé d’Oxford, amoureux de ses deux petites cousines. Ses premiers couplets : J’arrive, j’arrive auprès de vous, mes belles ! sont la perle de la partition. Ils ont une grâce juvénile et comme un parfum de flirt enfantin. Halévy ne donna jamais à sa mélodie un tour aussi distingué. Citons encore le trio pimpant qui vient après ; l’air pathétique de Lionel : Adieu clarté, douce lumière ; le duo de la leçon de chant, plein de sentiment et d’esprit ; la romance de Lionel : Quand de la nuit l’épais nuage, dont on a malheureusement abusé, et le quatuor du dernier acte, prestement dialogué. Toutes proportions gardées entre les œuvres et les hommes, comme l’auteur de Guillaume Tell, l’auteur de la Juive a fait aussi son Barbier de Séville.

Le maître par excellence de l’opéra, Meyerbeer, ne fut pas un des maîtres de l’opéra comique. L’Étoile du Nord et le Pardon de Ploërmel tiennent loin après la glorieuse tétralogie de Robert, des Huguenots, du Prophète et de l’Africaine.

Qu’est-ce que le Pardon de Ploërmel ? Une banale histoire sans drame ni passion : l’histoire d’un gars chercheur de trésors, d’un berger peureux et d’une pauvre folle. Il n’y a pas même ici la poésie d’un conte ou d’une légende locale. Le seul personnage original est la chèvre, et l’intérêt qu’elle excite est un peu puéril. Sa chèvre et son ombre, voilà tout ce dont s’inquiète Dinorah : elle endort l’une et joue avec l’autre. Aussi bien les folles sont presque toujours ennuyeuses, même au théâtre, et surtout en musique. Shakspeare seul a su parer de toutes les fleurs des eaux la bonde tête égarée d’Ophélie, tête charmante que M. Ambroise Thomas n’a pas découronnée. Le touchant Dalayrac avait aussi fait, de la folie de sa Nina, une rêverie mélancolique. Mais Dinorah du Pardon, Lucie, Catherine, au troisième acte de l’Étoile du Nord, sont des folles déplaisantes : des folles qui bavardent, folles à vocalises, avec échos dans la coulisse ou réponses à l’orchestre, notes piquées, valses chantées et dansées à la fois; folles artificielles, qui n’ont que l’extravagance, et non l’étrange et parfois profonde poésie des âmes troublées.

Dinorah semble aussi peu maîtresse de sa voix que de sa raison : gammes, trilles, fioritures lui échappent comme à un automate qui se dérange. Après ses duos avec Corentin, même après la valse de l’Ombre, dont la facture est cependant merveilleuse, on reste moins charmé qu’ébloui. Ce rôle est de pure virtuosité, étincelant et froid comme une fusée.

Le rôle d’Hoël n’a pas cette légèreté : il est emphatique et lourd. Et puis, dans le Pardon, tout vise trop à la grandeur : grand air, grand trio, grand duo bouffe. Tout veut être grand, et souvent n’est que gros : grosse gaîté, la gaîté de Corentin. Boïeldieu, dans la Dame blanche, Herold, dans Zampa, nous ont montré des poltrons autrement comiques. Gros effets d’orchestre dans cette partition, que l’on souhaiterait plus délicate. Fallait-il tant d’effort pour esquisser en musique un coin de lande bretonne, pour mettre dans des chansons de chasseur ou de faneur le parfum de la bruyère et des foins? Même la dernière scène de l’œuvre, la seule qui soit vraiment belle, est un peu trop vaste. Elle eût été plus belle ailleurs, où elle eût été plus vaste encore. Ailleurs, Meyerbeer eût donné des proportions gigantesques à ce défilé nuptial. Il eût fait plus puissante et plus obstinée la litanie de ses pèlerins et les réponses du peuple agenouillé le long des chemins. Glorieuse procession de printemps, qu’il eût fallu prolonger à travers des campagnes infinies, comme le pèlerinage de Tannhaüser! Sans doute, tel qu’il est dans le Pardon, l’effet est déjà considérable; justement il ne l’est que trop. Le musicien a tant grossi ses personnages qu’ils étouffent dans leur cadre. Sans revenir aux petites marches villageoises du Déserteur, on pouvait trouver en musique la vraie note paysanne, celle de George Sand, par exemple, dans ses romans champêtres. On pouvait faire un tableau de noce bretonne plus modeste, mais plus touchant, quelque chose comme le convoi de Louise, une fille de Bretagne aussi :


Quand Louise mourut dans sa quinzième année,
………………….
Ce n’étaient que parfums et concerts infinis,
Tous les oiseaux chantaient sur le bord de leurs nids[2].


Comme le Pardon de Ploërmel, un peu d’exagération et d’emphase gâte certaines parties de l’Étoile du Nord. Le librettiste de Robert, des Huguenots, du Prophète, a fini par le plus pauvre des imbroglios. Quel opéra comique, cette lourde machine, où rien n’est comique, sauf le style de M. Scribe ! Jamais, fût-ce dans certains récits de Guillaume Tell, pareil jargon n’avait été chanté. Après les airs d’officier, de voyageur, Scribe a trouvé l’air du pâtissier. Danilovitz, compagnon de Pierre le Grand, d’abord mitron, comme le tsar est d’abord charpentier, débite avec ses gâteaux des couplets de ce goût :


Amoureux vulgaires,
Vos feux ordinaires
Ne s’allument guères
Que pour quelques jours!

Pâtissier modèle,
Ma flamme éternelle
Et se renouvelle.
Et dure toujours !


On pourrait relever bien d’autres paroles dans le grand air de Catherine au premier acte ; dans les refrains militaires au second ; et ce mot dit par l’empereur : « Je ne permets à Pierre de perdre la tête que lorsque le tsar n’a plus besoin de la sienne. » Et cet autre encore : « Ou l’amour n’est qu’un vain mot, ou ce moyen doit me la rendre[3]. »

Scribe, il est vrai, n’eut pas, en composant l’Étoile du Nord, toute sa liberté d’invention. Meyerbeer, qui ne voulait pas que dans ses œuvres rien se perdît, avait gardé comme noyau de sa partition le Camp de Silêsie, cantate patriotique et militaire composée par lui en l’honneur du roi de Prusse Frédéric II. La transformation de la cantate prussienne en opéra russe exigea des rajustemens. Rien néanmoins, fût-ce un ravaudage forcé, ne saurait justifier pareil livret et pareil style.

La musique même a souffert de ces remaniemens. La partition de Meyerbeer est inégale ; elle trahit tour à tour une aisance géniale et l’effort d’un grand esprit à l’étroit. Quoi de plus libre, de plus dégagé que certaines pages du premier acte : le début des couplets de « la diplomatie, » l’exorde coquet du duo de Catherine avec Peters? Meyerbeer n’a rien écrit de plus puissant que le chœur des buveurs, avec le rythme inflexible des gobelets entrechoqués, et la foudroyante rentrée des instrumens à vent. Quelle carrure et quel aplomb ! Style d’opéra, je l’accorde, mais qui ne messied pas ici. Voici maintenant un tableau de genre : la noce de Prascovia, le joli chœur qui l’annonce, et les couplets exquis de la petite mariée finlandaise, vraie figure d’opéra comique, celle-là. Le duetto des deux femmes : Quinze grands jours! est étincelant, et la barcarolle de Catherine achève l’acte avec poésie. La jeune fille a pris la place de son frère et ses habits de soldat. Mais, avant de partir, elle salue une dernière fois le village qu’elle abandonne, et le frère qu’elle laisse à ses amours. Son chant s’élève, porté par les harpes, très calme et très pur, avec des résonances de cristal. Cette mélodie est tendre, mais d’une tendresse particulière. Meyerbeer a rendu là une de ces nuances d’âme qu’il excelle à saisir : une affection de sœur aînée, un peu maternelle, dévouée et protectrice. Cette page exprime un sentiment et une sensation. Debout sur la jetée, Catherine regarde les flots. Les matelots chantent et se rapprochent. Ils viennent la chercher. Toujours chantant, la jeune fille s’embarque avec eux, et disparaît. Dans ces vocalises à peine murmurées, dans ces notes aériennes qui s’égrènent toujours plus faibles, se retrouve la sonorité des voix lointaines sur l’eau, la mélancolie des adieux marins, et la lente disparition des voiles.

Le second acte n’est pas à la hauteur du premier. Le tableau du camp est empâté lourdement. Exercices, parades, sentent les scènes militaires de l’Hippodrome. Les refrains de la cavalerie et de l’infanterie, le duel vocal des cantinières, ces pantomimes, ces onomatopées ronflantes, ne valent que par leur facture ingénieuse. La scène d’ivresse est longue et triste ; le quintette n’égale pas le quatuor de Rigoletto. L’assourdissant finale de la révolte contraint à marcher de front quatre motifs longtemps rebelles et péniblement soumis : ces fifres sont criards et ces clairons vulgaires. Où donc est le Prophète domptant ses soldats mutinés, le Prophète inspiré, rayonnant sous sa robe blanche et sa cuirasse d’acier? Où donc est le génie, sans lequel toute science est vaine ? Le musicien s’enfle et se travaille inutilement. Æstuat infelix! Il n’épargne ni la complication, ni le bruit, mais il n’atteint plus ni à l’ordre ni à l’harmonie. Il assène des coups terribles sans que jaillisse la flamme.

Sauf un ravissant duetto, le troisième acte est ennuyeux. Les divagations de Catherine sont pires que celles de Dinorah. Meyerbeer abuse dans cette scène du procédé fastidieux des réminiscences. Cette révision du premier acte a quelque chose d’artificiel et de monotone ; elle ne provoque chez Catherine que des efforts de virtuosité, sans un éclair de passion : prouesses du gosier, qui ne valent pas un cri du cœur. Et puis, quel enfantillage que ce trio dialogué d’une chanteuse et de deux flûtes, renchérissant toutes trois d’agilité et d’acuité ! Meyerbeer, qui créa pour l’Opéra de si nobles héroïnes, n’a fait chanter à l’Opéra-Comique que des poupées à ressorts. A ressorts d’acier, par exemple ; car le rôle de Catherine, un des plus ingrats du répertoire, est aussi l’un des plus difficiles. Pour en sauver la sécheresse, pour se faire un jeu d’une telle épreuve, il fallait cette artiste et cette virtuose qui fut Caroline Duprez.

Qu’on ne nous accuse pas de manquer à la mémoire de Meyerbeer, si nous avons donné dans son œuvre le dernier rang à l’Etoile du Nord et au Pardon. Dans ces deux partitions, les qualités du maître sont certainement moindres et ses défauts pires. Incapable de se plier à l’opéra comique, Meyerbeer voulut le plier à lui ; il eut tort :


L’armure qu’il portait n’était pas à sa taille,


Aussi pensa-t-il la briser.

Avec Halévy, avec Meyerbeer lui-même, il semble que l’opéra comique se complique et s’alourdisse. Nous allons le voir s’alléger, reprendre l’aisance et le naturel, ces dons heureux qu’il avait jadis, et qui se retrouvent dans la période contemporaine de son histoire.


IV.

M. Blaze de Bury écrivait naguère : « l’opéra comique chôme en France quelquefois, mais n’y meurt jamais; le succès est toujours au fond du genre ; pour l’appeler à la surface, il s’agit d’avoir de l’esprit et du talent, et de vouloir s’en donner la peine. »

C’est vrai. Heureusement nous avons encore de l’esprit et du talent, et l’heure n’est pas venue de crier, même à l’Opéra-Comique : Finis musicœ ! Surtout à l’Opéra-Comique. Que d’œuvres charmantes nous y avons vues naître! Que d’œuvres charmantes aussi, nées à côté de lui, mais pour lui, sont venues, après la ruine de scènes éphémères, demander asile au vieux théâtre qui ne passe pas ! Il les a reçues ; c’est chez lui qu’elles vivent, et les échos d’autrefois redisent sans honte les chants d’aujourd’hui. Chaque jour, l’Opéra-Comique rattache à des promesses glorieuses la chaîne de ses glorieux souvenirs, et les Gounod, les Félicien David, les Delibes et les Bizet n’ont point démérité des maîtres de jadis.

Que nous veulent ici, dira-t-on, ces musiciens divers? Leurs œuvres ne rentrent pas dans le genre que vous étudiez, et qui n’est plus. Mireille ou Carmen'' ne sont pas des opéras comiques. Sans doute, au sens strict du vieux mot, ou même au goût des amans exclusifs du passé ! Mais il faut suivre, au lieu de la lettre qui tue, l’esprit qui vivifie, et voir, sous les dehors variables, l’essence qui demeure. De la Dame blanche à Mireille, de l’Épreuve villageoise au Médecin malgré lui, le fond du génie national est resté le même; les dehors seuls ont changé. n’avaient-ils pas changé déjà, et y a-t-il moins loin, par exemple, du Déserteur à Zampa, que de Zampa même à Carmen ? Notre opéra comique a suivi le temps ; il a reçu de la science et de l’âme moderne des procédés et des pensers nouveaux ; il a remplacé par des personnages plus vivans, plus passionnés, les figurines d’autrefois ; il a compris le paysage longtemps ignoré par la musique ; il a donné à l’orchestre plus d’importance et d’intérêt. Mais dans son développement, dans son progrès, il ne faut voir ni une déviation ni un désaveu. A travers le siècle, la veine musicale française coule inaltérée. Le ruisseau reste le même, entre sa source, où se mire à peine une rose, et son courant plus vaste où les grands arbres peuvent se regarder.

N’est-ce pas dans des œuvres de caractère moyen et de style tempéré, dans l’opéra comique, au sens large et un peu modernisé du mot, n’est-ce pas là qu’est l’honneur de notre musique contemporaine ? Honneur que nos voisins, aujourd’hui comme jadis, ne peuvent que nous envier. Nous avons aussi notre langue musicale, abondante et facile, pleine de tours heureux, et sachant comme pas une se faire entendre à demi-mot. C’est à l’Opéra-Comique que de nos jours on l’a parlée le mieux.

Dans l’œuvre de M. Gounod, le Médecin malgré lui occupe une place à part. Il est malaisé de mettre Molière en musique, et trop facile à qui s’y hasarde, d’esquisser, comme l’a fait M. Poise avec son Amour médecin, un pastiche agréable et rien de plus. Molière a beau parler de cette comédie comme d’un « simple crayon, d’un petit in-promptu, » qui « devait aux airs et symphonies de l’incomparable M. Lully des grâces dont ces sortes d’ouvrages ont toutes les peines du monde à se passer; » n’encadre pas qui veut les crayons d’un tel maître. n’est-ce pas dans l’Amour médecin que Sganarelle dit de sa femme défunte : « Je n’étais pas fort satisfait de sa conduite, et nous avions le plus souvent dispute ensemble ; mais enfin, la mort rajuste toutes choses. Elle est morte, je la pleure : si elle était en vie, nous nous querellerions.» Voilà qui mérite autre chose que la petite musique rétrospective de M. Poise. Voilà le génie qu’il faut pénétrer, et s’efforcer de traduire, voilà le Molière auquel il faut se mesurer. M. Gounod l’a fait, et non sans honneur.

Il a donné, lui aussi, dans son œuvre, une part suffisante au pastiche ingénieux, à l’imitation de Lully, par exemple. Le premier entr’acte, la sérénade surtout, est délicieusement vieillote. Le chœur des médecins, sur les paroles mêmes de Molière, est un écho des solennelles entrées de la Cérémonie. Mais, à côté de l’esprit du temps, le compositeur a senti l’esprit de tous les temps, la puissance comique et cet admirable bon sens auquel, avec un étrange bonheur, la musique a su emprunter et même ajouter. Oui, le bon sens est dans cette musique. Il fait une réjouissante explosion dans ce chœur mais des fagotiers, qui termine le premier et le dernier acte; vraie morale de l’œuvre, protestât on joviale contre les billevesées et le charlatanisme, refrain de bonnes gens à leur affaire, qui ramassent du bois en criant à tue-tête :


Nous faisons tous ce que nous savons faire;
Le bon Dieu nous a faits pour faire des fagots.


Si les vers ne sont pas de Molière, le chant est digne de lui.

Dignes de lui encore, les couplets de la bouteille, guillerets et déliés comme la langue d’un buveur bon enfant. Le trio qui suit est écrit et dialogué finement, semé de ritournelles à la Mozart et terminé surtout par la plus spirituelle coda, délicieuse page de musique bouffe. Mais le point culminant de la partition est le merveilleux sextuor de la consultation. Une franche ritournelle annonce l’arrivée de Sganarelle en médecin. Il interroge la jeune fille, et déjà ses premiers raisonnemens mettent en gaîté la famille de l’ægrotante. L’orchestre s’anime : les notes piquées, les sonorités nasillardes soulignent les questions du médecin. Celui-ci prépare son diagnostic, et quand, après une attente solennelle, éclate le fameux : « Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette ! » alors éclate aussi une strette fulgurante :


La médecine
Voit et devine
Du premier coup
Le fond de tout !


s’écrie Sganarelle en délire, et ses auditeurs émerveillés font chorus. L’ivresse les gagne tous, l’ivresse de la science et de ses secrets conquis. Plus de médecin malgré lui : entraîné par sa découverte, par son succès, Sganarelle même finit par se croire et se vouloir médecin tout de bon. Il l’est de toute son âme, et se proclame tel de toute sa voix. Le mouvement se précipite, les triolets sifflent et le presto vertigineux achève cet ensemble dans un éclat de rire rossinien.

On a dit que M. Gounod était un musicien littéraire. Le mot est juste et n’a rien que de flatteur. Dans une page comme ce sextuor, il y a plus que de la musique pure : il y a l’intelligence parfaite et comme philosophique de l’idée, l’expression renforcée par la musique, non-seulement d’une situation comique, mais d’un caractère moral, de ce que l’art purement littéraire de la comédie cache de plus difficile à rendre.

Mireille, le tendre poème de Mistral, devait séduire le plus tendre de nos musiciens, mais, par une singulière disgrâce, ne l’inspirer qu’à demi. La partition de M. Gounod, qui renferme plus d’une page excellente, n’est pas le chef-d’œuvre qu’on pouvait espérer : et qui relit tour à tour le compositeur et le poète s’étonne de ne pas plus trouver leurs deux âmes sœurs. Sans doute, le premier acte de Mireille est fort agréable : le chœur des magnanarelles est gai; si la valse est une concession regrettable au goût du public ou des cantatrices pour les vocalises, le duo de Mireille et de Vincent est caressant et s’achève poétiquement sur une reprise lointaine du chœur. Mais nous sommes loin du second chant du poème provençal, la Cueillette, que ce duo résume un peu trop brièvement. Mireille et Vincent sont assis sur les branches d’un mûrier qu’ils dépouillent. Partout chantent les magnanarelles, et les deux enfans devisent en travaillant : « Elle n’est pas laide non plus, ma sœur, ni endormie, dit Vincent ; mais vous, combien êtes-vous plus belle ! — Là, Mireille, à moitié cueillie, laissant aller sa branche : — Oh ! dit-elle, ce Vincent !

« Chantez, chantez, magnanarelles ! ………………..

« Comme une libellule de ruisseau, ma sœur est encore grêle ; pauvrette ! elle a fait dans un an toute sa croissance… Mais, de l’épaule à la hanche, vous, ô Mireille, il ne vous manque rien ! — Laissant de nouveau échapper la branche, Mireille, toute rougissante, dit : — Oh ! ce Vincent !..

« En dépouillant vos rameaux, chantez, chantez, magnanarelles… »

Le voilà, le duo, mais autrement savoureux et presque aussi harmonieux en poésie qu’en musique. Cette musique est pourtant élégante, le contour mélodique en est distingué. Ce qui lui manque ici, c’est le caractère et comme le parfum. La poésie de Mistral, au contraire, est si odorante, la couleur locale y rehausse si bien l’humilité du sujet et donne tant de relief au récit de ces naïves amours ! Chaque épisode est comme une aquarelle éclatante et douce ; la musique est venue et tout semble pâli. Le grand air de Mireille est un peu froid d’abord, puis un peu vulgaire. Vulgaire aussi, le duo final et la scène des Saintes Maries. Par quoi donc vaut l’œuvre ? Par trois ou quatre pages, qui font, sur l’ensemble un peu terne, comme des taches de lumière. Le duo de Magali, devenu fameux, méritait de le devenir. M. Gounod n’a rien écrit de plus achevé ni de plus personnel ; voilà bien le sentiment et le style qu’il a créés. Autant qu’une églogue de Virgile, les Muses auraient aimé cette chanson dialoguée de printemps et d’amour : Amant alterna Carriœnœ.

Pourquoi supprimer, à la représentation de Mireille, deux scènes qui sont belles : le Val d’enfer et le Rhône ? Ce n’est pas alléger, c’est mutiler l’œuvre, dont ces prétendues longueurs pourraient bien être les vraies beautés. On entendrait avec plaisir le prélude du Val d’enfer, écrit dans le style aérien et légèrement fantastique du Songe d’une nuit d’été. Le duo qui suit, entre Ourrias et son rival, contient la plus belle phrase peut-être de la partition, un cri de détresse jeté deux fois par Vincent à travers la nuit. Enfin, la scène du naufrage est dramatique, surtout dans sa seconde partie. Sous la barque qui porte le meurtrier, le Rhône grossit peu à peu : par milliers montent à la lueur des étoiles les morts qui peuplent l’eau profonde. M. Gounod a rendu tout cela avec puissance : un mouvement très lent, des crescendos brusquement réprimés comme de grands soupirs, des chœurs à l’unisson, soutenus et graves. Le fleuve s’anime tout entier : des sables de son lit aux remous scintillans de sa surface, il s’emplit de rumeurs. Sous les flots clairs passent en chantant de blanches formes de femmes : jeunes filles délaissées, pâles fiancées du Rhône, qui garde leurs amours trahies. Est-ce leur plainte qu’on entend ou celle du vent dans les roseaux, du courant contre les rives? La musique ici mêle la voix des morts à ces voix de la terre, des eaux, qui sont les voix de la vie universelle ; elle redouble l’effroi des mystères surnaturels par l’effroi des mystères nocturnes de la nature.

La nature ! Même à l’Opéra-Comique, les maîtres savent la rendre. M. Gounod excelle à faire chanter les bergers. Le chevrier de Sapho et celui de Mireille ont presque la même chanson aux lèvres; mais l’enfant grec et le pâtre provençal n’ont-ils pas un peu du même sang dans les veines et, sur leurs têtes brunes, un peu des mêmes rayons? Voilà enfin un tableau où rien n’a pâli des couleurs du poète ; au contraire : « Il y avait, dit Mistral, un vieux puits tout revêtu de lierre, où les troupeaux allaient boire. Murmurant doucement quelques mots de chanson, un petit garçon jouait sous l’auge, où il cherchait le peu d’ombre qu’elle abritait; près de lui, il avait un panier plein de blancs limaçons. » c’est un coin de paysage, un premier plan sans lointain. Mais si vous écoutez la cantilène d’Andreloun et la Musette qui l’encadre, aussitôt la perspective recule et l’horizon se découvre. Ces quatre pages, avec celles que nous avons louées, suffiraient à l’honneur de Mireille. Ce hautbois, cette voix d’enfant perdue dans la solitude, disent ce que dans Mireille aucune voix n’avait dit encore : le pays provençal, sa terre poudreuse et son ciel flamboyant, la langueur des journées brûlantes et, dans l’ombre étroite des cyprès, la sieste des pâtres allongés sur leurs vêtemens roux. Ce que toute une partition n’avait pu faire, une mélodie le fait en quelques mesures. La poésie d’une contrée, la beauté d’un ouvrage peut donc tenir dans une chanson, comme une roseraie de Provence dans un flacon de parfum !

Il est deux ordres de sujets dont s’est inspiré volontiers l’opéra comique moderne : la mythologie et l’Orient. Sous devons à la Grèce Philémon et Baucis de M. Gounod et Galathée de M. V. Massé; à l’Orient : Lalla-Roukh, de Félicien David, la Statue, de M. Reyer, et le Caïd, de M. Ambroise Thomas.

M. Gounod a l’intelligence et le goût de l’antiquité : certains chœurs d’Ulysse, l’invocation à Vesta de Polyeucte, les stances de Sapho, sont des fragmens de marbre grec. Philémon et Baucis est une charmante pastorale, qu’on voudrait seulement plus courte. Le premier acte suffisait à cette douce légende de vieillesse ; le second l’alourdit et la dénature. La dernière moitié de l’ouvrage, pour reprendre le mot de je ne sais quel critique avisé, gagnerait beaucoup à être supprimée. Baucis rajeunie et retrouvant des vocalises d’écolière, Baucis faisant la gentille avec Philémon et la coquette avec Jupiter, n’a plus rien pour nous charmer. Elle était autrement touchante avec ses rides et ses cheveux blancs.

L’amitié modéra leurs feux sans les détruire,
Et par des traits d’amour sut encor se produire.


Voilà la nuance que le poète indique et qu’il eût fallu garder partout. Le musicien l’a délicieusement rendue dans le premier duo, familière causerie des deux vieillards qui rentrent au crépuscule en parlant de leur longue tendresse. Leurs deux voix sont presque toujours unies ; si par hasard elles se séparent, l’une achève la phrase par l’autre commencée. Ils devisent doucement, les bons petits vieux, et leur double chanson se mêle comme leur double vie.

Avec la sérénité de leur entretien, le chœur des bacchantes fait un admirable contraste. Il exprime bien la joie antique ; il évoque l’image des vierges de Virgile foulant les sommets du Taygète.

Ce chœur mêle une note éclatante, le retentissement des cymbales grecques, au premier acte de Philémon, dont le ton général est recueilli, où l’esprit même est discret, distingué, témoin la phrase de Jupiter : Si Vénus à la légère. Là, comme dans la douce romance de Baucis, dans le petit quatuor du repas, dans l’incantation tout olympienne de Jupiter faisant descendre le sommeil sur ses hôtes pieux, partout se rencontre le contour élégant des mélodies de M. Gounod, la justesse du sentiment et la pureté de la forme.

Hélas l’on ne saurait parler de l’antiquité dans la musique sans être contraint de rappeler la Galathée de Victor Massé.

Les Athéniens d’aujourd’hui ne tolèrent, dit-on, sur leurs théâtres, ni Orphée aux enfers, ni la Belle Hélène. C’est Galathée qu’ils en devraient proscrire; c’est le pastiche équivoque, plus que la franche parodie, qui pourrait blesser chez eux le pieux respect de leurs légendes passées et de leurs divins mensonges. Pygmalion épris de la vierge d’ivoire! la fable n’imagina jamais de mythe plus gracieux; Vénus jamais ne consacra de plus idéales amours. Il fallait ici un autre maître que l’auteur des Noces de Jeannette et de la Nuit de Cléopâtre. Qui nous refera Galathée? Qui donnera la véritable vie à la statue? Je voudrais que M. Massenet reprit ce délicieux sujet; qu’il le traitât soit en opéra comique, soit en scène lyrique, comme son esquisse antique de Narcisse. Lui du moins saurait faire courir sur les flancs de Galathée le frisson voluptueux, mettre dans ses yeux comme dans ceux d’Eve l’étonnement du premier regard, sur ses lèvres le désir du premier baiser. Il exprimerait la soudaine effusion de l’âme entrant comme en un temple dans ce corps si beau ; il traduirait les vers d’Ovide :


dataque oscula virgo
Sensit, et ernbuit: timidumque ad lumio a lumen
Attollens, pariter cam cœlo vidit amantem.


Massé ne connut jamais les délicatesses de la pensée, surtout de la pensée antique : il n’était pas de ceux qui s’inquiètent de la blancheur des marbres. Son œuvre est plus qu’un contresens : presque un sacrilège ; elle offre, au lieu du type idéal de la femme, le type grossier de la fille. Il fallait avoir bien peu l’intelligence de la fable et l’instinct de la beauté pour mettre sur des lèvres à peine écloses une chanson à boire. Et quelle affreuse chanson ! Si Massé tenait à faire boire sa Galathée, comment la laisser boire ainsi? La malheureuse s’enivre, ou plutôt se grise sans que son ivresse atteigne même à la grandeur de l’orgie antique. Si du moins elle avait du vin l’enthousiasme et le délire sacré, si elle chantait le dieu, si elle chantait :


Evoë, Bacchus et Thyonée,
Et Dyonise, Evan, Iacchus et Lénée,
Et tout ce que la Grèce eut pour lui de beaux noms!


Mais, de ce sujet, Massé a tout dégradé, tout profané. L’air fameux de Ganymède : Ah! qu’il est doux de ne rien faire! n’est qu’un long bâillement. Le loisir antique ne ressemblait guère à cette lourde paresse. Dans Galathée, le style est digne de la pensée ; la forme est aussi vulgaire que le fond. Le rythme est toujours trivial, l’harmonie indigente, le comique bas. Cependant, cette œuvre où manquent l’esprit et la poésie, plaît à la foule. La Bruyère aurait dit peut-être ; « Elle est le régal de la canaille! »

Le chef-d’œuvre de Félicien David, Lalla-Roukh, est, au contraire, le mets des plus délicats. Cet opéra comique est le premier, le seul peut-être, où domine le sentiment de la nature. On pourrait l’appeler un paysage musical. Son originalité et sa beauté tiennent à Cette couleur pittoresque, à ce genre descriptif, dont le musicien du Désert fut le précurseur, et qui, jusqu’ici, n’a pas trouvé de messie.

Un opéra comme les Huguenots, un opéra comique comme le Pré aux Clercs, expriment le caractère, donnent l’impression d’une époque; d’autres œuvres : l’Africaine ou Lalla-Roukh, nous révèlent non plus un siècle, mais un pays. La patrie de Sélika, c’est une contrée indéterminée, presque surnaturelle : dans ce vague Orient créé par son génie, Meyerbeer a tout agrandi. L’Orient de Lalla-Roukh est plus familier. Ceux qui l’ont visité retrouvent à l’audition la fidèle vision du pays. Étrange aptitude de la musique à rendre ce qui se voit par ce qui s’entend, des spectacles par des harmonies ! Lalla-Roukh est un exemple unique peut-être au théâtre de ce phénomène d’impressions transposées. Ce que Félicien David a reproduit, ce n’est pas telle ou telle mélodie locale, la notation bizarre, ou même barbare, d’un chant de muezzin ou d’une danse d’almées ; ce n’est pas tel mode extraordinaire ou telle tonalité baroque, c’est l’ensemble des mille sensations qui constituent l’âme elle-même de la nature orientale.

L’honneur de Félicien David est d’avoir trouvé, pour exprimer cette âme, une note nouvelle, d’avoir ajouté une corde à la lyre. Il fut paysagiste à ce point, le mélodieux rêveur, que dans son opéra comique les figures n’ont pas plus d’importance que sur une toile de Ziem, De Lalla-Roukh toute intrigue, presque toute action, est absente ; les sentimens n’y sont guère que des sensations, l’amour y est moins une passion qu’une voluptueuse langueur.

De plus grands maîtres ont rendu la nature avec plus de puissance. On peut appliquer à la musique ainsi qu’aux autres arts la théorie de M. Taine, cette loi de l’échelle des valeurs, qui veut qu’une œuvre d’art soit d’autant plus belle que le caractère reproduit par elle est plus général. Si, par exemple, la Symphonie pastorale est le plus beau paysage musical, c’est que Beethoven n’y a pas exprimé tel ou tel aspect local, mais les manifestations universelles de la nature, et comme son essence elle-même, prise dans toute sa simplicité, presque dans sa banalité sublime.

L’ouvrage de Félicien David n’a pas cette impersonnalité. Le charme en est, au contraire, très particulier, spécial au maître qui l’a écrit comme aux contrées qui l’ont inspiré. Mais, cette réserve faite, quel chef-d’œuvre que cette exotique partition! Quelle paix et quelle sérénité s’en dégagent ! Grâce à l’auteur du Désert et de Lalla-Roukh, l’Orient, qui n’était que pittoresque, est devenu musical ; le pays de la lumière est devenu le pays des sons; et, là-bas, quand le soir teinte de rose l’ourlet de sable du désert, quand les étoiles s’allument au ciel velouté, quand les femmes descendent aux fontaines, les mélodies de Félicien David se lèvent en chantant sur les pas du voyageur qui chemine sous les palmiers.

L’Orient a plus d’un caractère : avec des paysages recueillis, il offre des scènes animées. Hors la ville, la chaleur endort la nature silencieuse ; mais dans l’ombre fraîche des ruelles fourmille la vie populaire. Les enfans sortent en se gourmant de l’école ; les ânes passent au trot, montés par des Turcs sérieux ; les marchands d’eau crient et font tinter leurs tasses de cuivre; de leurs pieds blancs et nus, les vieux tisseurs d’or donnent le branle à la roue où tourne l’écheveau de soie, et, dans la poussière étincelante, le sifflement du dévidoir semble la vibration de l’air lumineux.

Certains chœurs de la Statue rendent très heureusement ce nouvel aspect de l’Orient, la gaîté des bazars et des quartiers turbulens. L’opéra comique de M. Reyer est distingué, trop distingué peut-être, en ce sens qu’il est trop fin pour le théâtre. Des recherches qui nous charment au piano nous échappent à la représentation ; la valeur scénique de l’œuvre ne répond pas à sa valeur musicale. Et puis, un poème véritablement insipide gâte la Statue ; on ne lit jamais la partition sans plaisir, mais on ne saurait voir la pièce sans ennui.

Rien, en revanche, n’est moins ennuyeux que le Caïd, de M. Ambroise Thomas. Encore un opéra comique oriental ; mais de quelle réjouissante façon l’Orient est traité dans cette bouffonnerie ! l’Algérie du Caïd est un peu l’Algérie de Tartarin. L’Algérie sans palmiers, sans lions; le muezzin de M. Thomas n’est ni plus sérieux, ni moins comique que le héros de M. Daudet, invitant lui-même les musulmans à la prière. Sévère ou plaisant, M. Thomas n’est rien à demi ; et même du Barbier à Guillaume Tell il y a moins loin peut-être que du Caïd à Hamlet. L’opéra comique, trop rarement comique aujourd’hui, devrait faire avec le Caïd des lendemains piquans à Mignon. Le maître aurait ainsi double triomphe, et croyez bien que son visage austère ne se défendrait pas du rire d’autrefois. Il est si franc et si français, le rire du Caïd. M. Ambroise Thomas a finement saisi là certain côté de notre esprit national et certain aspect de l’Algérie. Nous avons toujours le goût des soldats, des parades, des revues et de la musique du dimanche. En Algérie, cette sympathie pour l’armée est plus cordiale encore. Sur cette terre, qui n’a vu que nos victoires, le souvenir de nos malheurs est moins présent et laisse intact le prestige de nos troupes. L’Algérie reste le pays de l’uniforme et du panache, où se conserve, avec le respect de l’armée, l’amour du « militaire. » Ce chauvinisme héroïcomique, ces figures aujourd’hui quasi-légendaires du tambour-major amoureux et martial, de la lingère de Paris et de l’ardente Algérienne ; cette gaîté française qui jette dans la vie arabe une note brillante comme celle des pantalons rouges dans les paysages d’Afrique, ce vague souvenir de Paul de Kock et de Béranger, voilà ce qui fait du Caïd le plus spirituel de nos opéras bouffons contemporains.

Toutefois n’allons pas oublier pour lui le plus spirituel de nos opéras comiques : le Roi l’a dit, de M. Léo Delibes. Nous avons parlé naguère avec quelque détail de ce petit chef-d’œuvre[4]. Nous en avons loué les qualités toutes françaises : la verve intarissable, les idées ingénieuses et la facture exquise. Avec tout le savoir d’aujourd’hui, M. Delibes a retrouvé sans copie ni pastiche tout l’esprit d’autrefois. Son œuvre la plus ténue sera peut-être la plus durable : le roseau qui plie et ne rompt pas.


V.

Il nous faut analyser une dernière partition, et non l’une des moins glorieuses : Carmen. Molière a raison : la mort rajuste bien des choses. — Mort, le pauvre Bizet laisse au public plus de regrets que vivant il ne lui donnait d’espérances. Je le vois encore, ce public des premiers soirs de Carmen : indifférent, pour ne pas dire hostile; étonné parfois, effarouché même, et criant au scandale quand il aurait dû crier au miracle. C’en était fait, à l’entendre, des traditions musicales et des mœurs littéraires de l’opéra comique; on ne verrait plus de jeunes filles dans la salle, puisque l’on mettait des filles sur la scène. — Mon Dieu ! que la Carmencita ne soit pas l’idéal de la jeune fille, on le savait depuis Mérimée; mais à tout prendre, et pour discuter ce grief d’indécence, le troisième et le quatrième acte de Rigoletto, l’acte du jardin de Faust, ne seraient pas bons non plus à montrer aux demoiselles. Aussi bien, dans cet ordre de choses, les crudités sont peut-être moins à craindre que certaines douceurs. Que les mères se rassurent : quand leur fille verra Carmen grignoter des dragées, s’asseoir sur une table, jouer des castagnettes avec une assiette en morceaux, et changer d’amoureux deux fois en trois actes, elle n’en sera pas troublée. Elle se demandera simplement, comme l’héroïne d’Arvers :


Quelle est donc cette femme?., et ne comprendra pas.


Cet excès de pruderie explique, sans le justifier, l’accueil plus que réservé que reçut à l’origine l’œuvre qu’on fête aujourd’hui. Dédaignée, presque chassée comme un enfant par une mère injuste, elle s’est réfugiée chez nos voisins, chez nos ennemis même. Tous lui ont fait fête, et quand elle nous est revenue « triomphante, adorée, » notre tardif hommage ne pouvait plus ajouter à sa gloire. De la froideur, de l’ingratitude, certains musiciens savent rire, comme Rossini ; d’autres s’en irritent, comme Berlioz ; d’autres en meurent. Bizet pourrait bien être de ceux-là.

« Il a été parmi les siens, et les siens ne l’ont point connu. » Qu’il était nôtre cependant, le pauvre jeune maître ! Comme il venait à nous avec nos dons heureux: le sentiment scénique, l’abondance, le naturel, la clarté ! s’il n’y a pas de fumée sans feu, il y a souvent en France du feu sans fumée : le génie de Bizet avait la flamme claire. Je ne dis pas gaie, ou toujours gaie. Mais serait-ce une raison pour refuser à l’auteur de Carmen l’héritage de ses ancêtres, pour l’exclure de la glorieuse lignée des musiciens de l’opéra comique? Ne les avons-nous pas toujours vus, nos vieux maîtres, tristes aussi bien que joyeux ? Avec le don du rire n’avaient-ils pas le don des larmes? Le mot de Rabelais n’est pas toute la vérité, et, même à l’Opéra-Comique, pleurer est aussi le propre de l’homme. Si Carmen est déplacée à l’Opéra-Comique, ôtez-en donc Zampa, dont le dénoûment n’est guère moins dramatique ; ôtez-en le Pré aux Clercs, moins violent, mais plus touchant peut-être ; ôtez-en la Dame blanche, qui mouille bien des yeux ; ôtez-en la moitié du Déserteur et de Richard Cœur-de-Lion; bannissez l’émotion et la mélancolie. D’ailleurs porterez-vous Carmen à l’Opéra, sans reconnaître que tout l’en éloigne, ses proportions et son style, même quand il s’élève le plus ? Tous les chefs-d’œuvre ne sont pas de la même taille, et Carmen serait trop au large dans le cadre de Guillaume Tell et des Huguenots. Voyons donc l’opéra comique de Bizet tel qu’il est : œuvre de demi-caractère et de juste milieu, faite à la mesure et pour la gloire du théâtre où elle est née.

Mérimée n’est décidément pas facile à mettre en scène. Les librettistes du Pré aux Clercs l’avaient déjà compris ; et ceux de Carmen, bien que plus hardis, ont cependant adouci les personnages, atténué certaines situations. Par respect pour les convenances et pour la poétique du théâtre, ils ont créé des figures d’opéra comique: Micaëla, Escamillo. Ils ont supprimé le mari de Carmen, ce hideux Garcia le Borgne, tué par José dans une lutte au couteau plus sauvage encore que le duel de Comminge et de Mergy; la Carmencita de l’opéra comique est demoiselle. Quant au dragon José, MM. Meilhac et Halévy l’ont fait moins noir que celui de Mérimée, mais plus mais : vrai « canari d’habit et de caractère, » qui n’aurait eu, pour se tirer d’affaire, qu’à bien entendre, au lendemain de sa première équipée, cette leçon de Carmen : « Écoute, Joseito, t’ai-je pas payé? d’après notre loi, je ne te devais rien, puisque tu es un payllo[5] ; mais tu es un joli garçon et tu m’as plu. Nous sommes quittes. Bonjour ! » Voilà la moralité ou, si l’on veut, l’immoralité de l’histoire.

Malgré ces retouches, la pièce est bien faite : ni les situations ai les tableaux ne lui manquent. En empruntant presque partout le dialogue de Mérimée, les auteurs ont fait preuve de modestie et de goût.

On a très justement comparé Bizet et Regnault. Morts tous deux en plein talent, ils devraient dormir côte à côte, et la Jeunesse, à leur double tombe, attacherait une seule branche de laurier. Tous deux avaient même fougue, même éclat juvénile, et si la musique de l’un est colorée, la peinture de l’autre est presque sonore. Comme Regnault, Bizet aimait l’Espagne. Il la comprit comme lui, comme Gautier ou Mérimée, c’est-à-dire autrement qu’Auber ou M. Scribe. Il la vit chaude de soleil et un peu rouge de sang. Le court prélude de Carmen résume cette vision d’ensemble. On en a critiqué la violence : musique de foire, ont dit les délicats. Non, mais musique de combat, et de combat sauvage. On n’excite pas les taureaux avec des romances, et l’effet saisissant, presque tout physique d’une corrida, est bien rendu par l’explosion de cette foudroyante fanfare. Je ne la voudrais en vérité ni moins brutale ni moins voyante. Comme elle sonne ! Comme elle est d’aplomb ! Bizet obtient parfois du rythme seul des effets merveilleux : il scande et frappe sa période musicale comme une strophe lyrique, témoin cette phrase serrée, que ramène un trille perçant et qui se brise sur un accord sec.

Il y a dans Carmen, et dès l’ouverture on l’entend, une phrase singulière : elle reparaît sans cesse au cours de la partition, dont elle est comme l’essence et l’âme. Tous ceux qui sont familiers avec l’œuvre connaissent ces quelques notes étranges, qui toujours annoncent Carmen ou la suivent; mélodie obstinée et fatale qui prend tous les mouvemens et toutes les expressions, tour à tour plaintive ou railleuse, âpre comme un sanglot, ou sifflante comme an coup de fouet. Son effet strident est dû à la succession de deux quartes conjointes, dont chacune a pour type la première quarte descendante de notre gamme chromatique mineure : c’est le mode asbein des Arabes, ou modo du diable.

Cependant il ne s’agit ici que de la gamme à sept notes : en réalité le mode asbein comporte huit notes, soit l’octave de la tonique, et les deux quartes successives, toujours empruntées à la gamme descendante mineure, sont disjointes. Ce mode est appelé mode du diable, et voici pourquoi : lorsque le démon eut été précipité du ciel, son premier soin fut de tenter l’homme. Pour y réussir, il recourut à la musique et à la révélation des chants célestes, privilège des phalanges divines. Mais Dieu qui voulait le punir, lui retira la mémoire, et le démon désormais ne sut enseigner aux hommes que ce seul mode, dont l’effet est si extraordinaire.

Telle est la légende arabe, en faveur de laquelle on excusera, nous l’espérons, l’aridité de ces explications techniques[6].

C’est bien un démon que la gitanella. Elle a tout du diable, même la beauté. La voilà qui vient, avec sa jupe courte et ses bas troués, une fleur sous son bandeau noir, une au coin de ses Ièvres rouges. Elle s’avance, effrontée et coquine, « se balançant sur ses hanches comme une pouliche du haras de Cordoue. » Dès les premières mesures, le type musical est fixé. Comme le balancement des hanches est marqué par cette mesure onduleuse, ces ports de voix, ces dégradations chromatiques! Sauf la dernière mesure du refrain, toute la habanera n’est qu’un frisson voluptueux, une caresse féline. Les yeux à demi clos, tournant mollement sur sa taille flexible, la provocante bohémienne laisse chanter ses compagnes et pose seulement au-dessus du chœur des notes languissantes; mais tout à coup elle reprend elle-même le couplet et le lance comme un coup de griffe. Les Italiens appellent Carmen un opéra verista, réaliste. En vérité, je connais peu de musique aussi franchement caressante, aussi ouvertement câline, que cette enjôleuse chanson; tout y est rendu : l’intention, et presque le fait. Je ne sache guère que le duo de Faust où certain ordre de sensations soit rendu avec cette vérité : « Vous y croyez être vous-même. »

Le chromatique, comme l’appelait Molière, est décidément le mode voluptueux : le procédé et l’effet de la habanera se retrouvent à la fin du premier acte, à la dernière reprise de la séguedille. Une perle encore, cette chanson moqueuse, deux fois interrompue par les récits passionnés de José, glissant à travers les modulations serrées et s’en dégageant toujours ; tantôt ralentie, tantôt précipitée, et, quand on ne l’attendait plus, reparaissant triomphante, pour s’achever dans un éclat de rire.

Habaneras, séguedilles, rythmes populaires et danses nationales, c’est quelque chose sans doute ; mais ce ne serait pas assez, et Carmen est mieux qu’un recueil de mélodies espagnoles. Bizet a fait quelques emprunts à la musique du pays, assez pour brosser le décor de son œuvre, mais voilà tout. Derrière la couleur locale, il a trouvé la nature humaine et ses passions : chez don José, l’amour, la jalousie ; chez Carmen, le caprice sensuel, la haine de toute contrainte, l’impudence et l’impudeur, et, malgré tout, devant la mort, un mépris, une grandeur sauvage, qui justifient le dernier hémistiche de l’épigraphe donnée par Mérimée à sa nouvelle :

Πᾶσα γυνὴ χόλος ἐστίν ἔχει δ’ἀγαθάς δύο ὥρας.
Τὴν μίαν ἐν θαλάμῳ, τὴν μίαν ἐν θανάτῳ.

L’avant-dernier hémistiche se justifie également : nous nous en sommes expliqué à propos de la habanera.

L’amour a toujours dans Carmen quelque chose d’un peu libre et presque libertin. Avec le grand duo du second acte, nous voilà loin des duos accoutumés, des chastes entretiens et des extases psychiques ; il n’y a là qu’une donzelle dansant devant un dragon : le tête-à-tête était scabreux. Sans rien cacher cependant, la musique n’a rien souligné, elle s’est gardée de la pruderie et du cynisme. Certes nous ne sommes pas à ces hauteurs de sentiment où nous portent seulement les génies sublimes. Bizet n’y atteint pas ici, et n’y aspirait point. Mais nous ne descendons pas non plus à la vulgarité des amours grossières. Carmen commence à peine sa danse, que les clairons sonnent au loin. Si l’on craignait une scène équivoque, qu’on se rassure : l’intérêt se relève et s’ennoblit. Le chant de Carmen et l’appel des clairons se combinent avec aisance. Marquant le pas du talon et des castagnettes, la bohémienne veut soumettre au rythme de sa danse cet orchestre inespéré ; mais la retraite sonne plus haut, et José, qui l’entend, par le de partir. Alors Carmen s’emporte ; elle étouffe de ses insultes une plainte éloquente du jeune homme, un cri de douleur et d’amour outragé ; puis haletante elle s’arrête. Alors un admirable cantabile se dessine : très humble au début, soutenu par une basse veloutée qui chante aussi. José n’a encore rien obtenu de Carmen ; pour une fleur qu’elle lui avait jetée, il l’a laissée fuir, il s’est laissé lui-même emprisonner. Mais sous sa veste d’uniforme, la petite fleur sent toujours bon. Elle l’a pénétré tout entier de ses effluves maudits, et quand il la retire de sa poitrine, on dirait que l’air s’emplit de parfums. Les yeux de José se troublent et son sang s’allume. L’orchestre frémit et bouillonne, le chant éperdu se poursuit avec des sursauts, des secousses de passion. On le croit achevé, et voilà qu’il se relève pour s’épanouir encore plus large. Les violoncelles gémissent à se briser ; ils soulèvent avec angoisse l’harmonie serrée qui les oppresse, et lorsque José tombe à genoux, quelques notes moelleuses de cor anglais achèvent dans un soupir cette ardente supplication d’amour. Carmen l’écoute à peine. Dans le malheureux qu’elle affole, elle ne voit qu’une recrue pour ses compagnons de bohème. Soudain son œil s’éclaire et sa voix s’adoucit. Il faut que José la suive là-bas, là-bas, sur la montagne, et, d’un nouvel essor, le merveilleux duo reprend son vol. On ferait des opéras entiers avec cette partition de Carmen. Les idées y éclosent comme les fleurs dans un gazon d’avril. Quelle abondance et quelle variété ! Quelle docilité de l’inspiration aux situations changeantes ! Nul ne résisterait à cette phrase insidieuse, tour à tour alanguie par les voluptés enfin promises, et frémissante d’un souffle de liberté sur la montagne. Nulle exagération, nul tapage : sauf un élan de bohémienne vers la vie aventureuse et vagabonde, tout cela se murmure à voix basse. La sollicitation obstinée de Carmen monte, monte toujours. Les refus de José, qui coupent si heureusement la phrase mélodique, ne la retiennent bientôt plus. Vainement les violens se débattent sous la sourdine. L’œuvre de séduction est consommée, et toutes les voix qui parlent aux heures d’épreuve et de combat se sont tues, comme à l’ordinaire, devant une petite voix de femme.

Τὴν μίαν ἐν θαλάμῳ… — Deux actes d’amour, deux actes de mort, voilà presque toute la partition. La mort ! Carmen la lit dans les cartes. Deux bohémiennes jouent auprès d’elle, et s’enchantent des promesses du hasard. Leur refrain s’enlève avec désinvolture, avec cette grâce de Bizet, toujours facile et jamais négligée, avec cette perfection de style qui, même en musique, fait les écrivains sans reproche. Carmen, à son tour, prend les cartes : toutes la menacent. Cette page est chargée de tristesse et de colère. Malgré son audace, la gitana se trouble : une vague terreur passe sur sa rêverie. Va-t-elle enfin s’amollir une fois, et pleurer au moins sur elle-même ? Non : une larme brille dans ses yeux, mais n’en tombe pas. Elle reste sans remords, presque sans regrets. Plus sa main nerveuse amène des présages de mort et de sang, plus elle s’irrite et se révolte. Sa plainte devient rauque et sifflante ; elle insiste avec violence ; elle appuie sur les sons, comme pour les écraser, et de note en note sa voix descend à des profondeurs funèbres.

Sainte-Beuve appelait Alfred de Musset un poète des choses du sang et de la vie. Bizet était un musicien de même race, et le quatrième acte de Carmen promettait à la musique de théâtre un maître de génie. J’aime les œuvres dont la dernière impression reste la plus puissante, les œuvres à fin glorieuse comme une apothéose : Robert, l’Africaine, Sapho, Carmen.

Mérimée a traité le dénoûment avec plus de sobriété que Bizet, mais avec plus d’horreur et de dureté. Le José de la nouvelle emporte sa maîtresse en croupe dans un ravin perdu. Tous deux mettent pied à terre, résolus tous deux, l’un à tuer, l’autre à mourir. Une dernière fois, José adjure Carmen de revenir à lui; elle refuse. Alors, lui laissant quelques minutes de réflexion, il va prier un ermite voisin de dire la messe pour une âme qui va paraître devant Dieu. Lui-même s’agenouille en dehors de la chapelle. Puis il revient auprès de Carmen et la poignarde. Tout s’est fait sans témoins, presque sans bruit, et Carmen en tombant n’a pas même crié.

L’effet est tout différent au théâtre. Bizet a voulu pour sa Carmen la mort au grand soleil, en pleine fête, presque en plein triomphe. C’est une radieuse apparition que celle de l’insolente créature au bras de son torero. Elle est saluée par les cris de la foule, par un chœur général qui redouble encore la crudité de la fameuse fanfare. Que voulez-vous? Il fallait bien ici peindre à grands coups de brosse, obtenir une intensité, et comme une outrance de sonorité égale à l’outrance lumineuse de pareilles journées. Chaque reprise du chœur tombe d’aplomb comme le soleil de midi ; des traits suraigus de violons pétillent comme des flammes, et l’unisson final ébranlerait les murs d’un amphithéâtre.

Toute la ville entre dans le cirque : en quelques mesures singulièrement expressives et tremblantes d’inquiétude, les compagnes de Carmen l’avertissent que José n’est pas loin. Elle-même, à travers la dentelle de son éventail, l’aperçoit et reste pour l’attendre. Ce dernier duo, ce duel, est une des plus belles pages du théâtre lyrique contemporain. Dès les premiers récits, on sent la douleur chez José, chez Carmen l’impatience. Ce n’est d’abord qu’un dialogue rapide, sec comme un premier frôlement d’épées. Mais voici que la lutte s’engage. Notons chez Bizet, dans ce début, une tendresse, une pitié que ne connaît pas Mérimée. Le premier chant de José est moins une menace qu’une suprême prière; par deux fois, l’infortuné adjure Carmen de l’aimer encore. Sa voix finit par se traîner sur des notes déchirantes, sur une phrase haletante, éperdue. Le voilà, le musicien des choses du sang et de la vie! Les maîtres sont rares aujourd’hui, à qui se sont révélées ainsi les douloureuses harmonies de la souffrance. Merveilleuse puissance du génie! Il n’y a là qu’un homme qui pleure, et, de la poitrine de ce misérable, à genoux devant cette fille pour la prier d’amour, une plainte monte si poignante, qu’elle semble le cri de toute une humanité.

Carmen reste inflexible, et, pour la fléchir, la musique trouve toujours de nouveaux sanglots. Des triolets hachés précipitant le mouvement, le sang bat plus vite aux tempos de José. Maintenant sa voix tonne au-dessus de l’orchestre. Brusquement, la fanfare éclate dans l’arène : Carmen s’élance. Mais José, hors de lui, bondit avant elle sur les degrés du cirque. Exaspéré par ces cris de triomphe, par cette odeur de sang et cette musique de mort, il lève le couteau. Vous vous rappelez la phrase qui naguère, sur la petite place, un jour d’été, annonçait l’entrée de la joyeuse fille. Elle revient encore, mais sinistre, mais vengeresse, hachant trois fois la furieuse imprécation de José. Trois fois elle s’abat sur Carmen, impitoyable comme les rapides et claires visions des minutes suprêmes; et quand tout est fini, quand le meurtrier s’est agenouillé près de la morte, c’est par la phrase implacable que semble s’exhaler cette âme indomptée.

Voilà l’œuvre dans sa force ; s’il fallait la regarder dans sa grâce, nous ne finirions pas. Nous trouverions dans Carmen de petits tableaux de genre, lumineux comme des aquarelles, précis comme des gravures : le chœur des gamins et la querelle des cigarières au premier acte ; au second, la vertigineuse chanson dansée des bohémiennes. Les entr’actes, surtout le premier, l’étincelant quintette du second acte, tous les chœurs du troisième, sont des accessoires délicieux, des pages pleines de nouveautés heureuses, de trouvailles harmoniques et instrumentales. Une orchestration pittoresque, originale sans bizarrerie et simple sans indigence, mille détails de facture musicale ou de sentiment scénique trahissent une science consommée, mais toujours modeste, sans ostentation ni pédanterie.

Malgré son dénoûment tragique, l’œuvre dans son ensemble garde bien le ton et le style de l’opéra comique ; de l’opéra comique moderne, docile à l’esprit, aux procédés de la musique contemporaine, mais différant néanmoins du grand drame lyrique, comme la Micaëla de Carmen diffère, tout en lui ressemblant, de l’héroïne de Robert le Diable. Étudiez l’une et l’autre figure, écoutez Micaëla, puis Alice, le charmant duo du premier acte de Carmen, puis l’auguste récit du premier acte de Robert : O mon prince! ô mon maître! l’une des deux messagères vous apparaîtra comme une fille gracieuse et douce; l’autre, comme une vierge inspirée et libératrice.

Voilà comment Carmen demeure pour nous un opéra comique. C’est, depuis le Faust et le Roméo de M. Gounod, le dernier chef-d’œuvre de notre école française, et d’un genre qui, nous l’espérons, ne périra pas. Les faveurs de la Providence sont, comme ses rigueurs, soudaines. Puisse-t-elle nous rendre bientôt un maître à la place de celui qu’elle nous a enlevé !


CAMILLE BELLAIGUE.

  1. Voyez la Revue du 1er février.
  2. A. Brizeux.
  3. Lors de la dernière reprise de l’Étoile du Nord à l’Opéra-Comique (octobre 1885), on a remplacé la prose par les récitatifs que Meyerbeer avait écrits pour les représentations italiennes. Ces récitatifs sont médiocres et ne valent guère mieux que le dialogue auquel ils succèdent.
  4. Voyez la Revue du 15 Juillet 1885.
  5. « Les Bohémiens désignent ainsi tout homme étranger à leur race.» (Mérimée.)
  6. Ces détails sont traduits d’un article publié par M. Galli dans un journal italien : il Teatro illustrato (mars 1884), et intitulé Del Melodramma attraverso la storia, e dell’ opéra verista di Bizet.