Calmann-Lévy (p. 15-17).

LETTRE D’UN ITALIEN

Au moment où l’Italie se jette sur la Tripolitaine, je reçois d’un Italien la lettre suivante :


6 décembre 1911.


« Monsieur,

» En vous priant de vouloir m’exprimer votre pensée sur l’expédition italienne à Tripoli, je suis sûr d’interpréter aussi le désir de Son Excellence le prince Pietro Sanza di Scalea, sous-secrétaire d’État pour les Affaires étrangères en Italie et directeur de l’Italia Illustrata de Rome.

» Mes compatriotes seront très heureux de connaître avec quel intérêt est suivie, de l’autre côté des Alpes, notre glorieuse entreprise.

» Veuillez agréer, etc., etc.

» TITO MAZZONI. »


Et voici ma réponse :


« Monsieur,

» Vous voulez bien me demander mon avis sur la « glorieuse » entreprise de l’Italie.

» Mais la gloire, ainsi que le bon droit, je ne les vois que du côté des admirables défenseurs du sol héréditaire, Turcs ou Arabes, qui, surpris par la brusquerie de l’attaque et n’ayant qu’un armement d’une infériorité pitoyable, se font mitrailler quand même et massacrer comme des héros d’épopée.

» La gloire, du reste, la vraie, la pure, ne saurait être jamais du côté des conquérants et des agresseurs. Je suis assuré d’avance que, si vous poursuivez votre enquête, il se trouvera dans tous les pays d’Europe une majorité écrasante pour vous répondre comme moi.

» Agréez, etc., etc.

» PIERRE LOTI. »