Imprimerie Beauregard (p. 7-10).


PRÉFACE


Assis dans un fauteuil devant la haute cheminée — il y a bien longtemps de cela — je regardais ma vieille horloge aux mouvements de bois, et je voyais les ombres se jouer sur la gaine d’érable, au caprice des flammes amortissant et rallumant leurs chauds rayons parmi les bûches.

Il faisait froid dehors. La rue craquait de gel. Les passants, à la hâte, accentuaient leur marche au crissement de leurs talons sur la neige durcie. Le vent gémissait. Sa plainte monotone s’aiguisait en frôlant les arbres défeuillés.

J’étais seul, rêvant à la douceur du feu par les soirs de froidure, et je plaignais ceux-là que le travail ou les plaisirs attardent sur les routes. Dans la lumière affaiblie qui montait du foyer, les objets adoucissaient leurs contours, et le noir éteignait les valeurs. Un éclair taraudait un moment les ombres, et faisait jaillir une étoile au coin d’un meuble.

Le tic-tac endormant de l’horloge, la mélopée du vent pleurant au dehors, les vagues lumineuses alternant sur les murs avec les sautes d’obscurité, tout cela m’entraînait loin du vivoir, loin des temps, loin des êtres réels. Et je m’assoupis, doucement, en écoutant ma vieille horloge aux mouvements de bois.

Et je la vis se transformer. Les parois de sa gaine, polies comme une laque, se rompaient de lézardes. L’or vieilli du grain courant sous le vernis prit une teinte cinéraire. Les entrelacs sculptés, qui fermaient les sutures du socle, allongèrent leurs vrilles sur la ligne sévère des montants, et bientôt dépassèrent la borne des murs. Le cadran, illuminé comme un soleil de fête, répandit sur le parquet l’éclat de ses rayons : aussitôt une prairie porta ses herbes et ses fleurs jusqu’au pied de la gaine, qui grandissait toujours, s’alourdissant de feuillages. L’horloge avait maintenant la majesté des vieux érables, et le rythme régulier de son échappement venait des poussées de sève montant de la racine aux branches, et distribuant à la frondaison généreuse la vie ardente du terroir. D’autres arbres naissaient au delà. Une vapeur légère gagnait le coin obscur de la pièce, et peu à peu, dans cette brume ténue, une maison de bois dégageait l’alignement fruste de ses billes. Des figures humaines passaient.

J’entendis leurs voix, frêles comme des oublies, et comme elles toutes blanches. Ce qu’elles me dirent, ces voix, vous le saurez bientôt. Sans doute, je l’ai déjà raconté, en partie, aux lecteurs de la « Revue canadienne » et du « Nationaliste ». Les graves personnages de la Société royale ont même reproduit un de ces épisodes dans leurs annales. Cela n’a rien changé à la candeur du récit, et l’ensemble des voix entendues s’offre naïvement à l’attention des gens heureux, qui croient encore à l’âme canadienne diverse en ses aspects.

Parmi les souvenirs et parmi les rêves qu’ici je vous transmets fidèlement, deux scènes étrangères se glissent ; la première vient de Terre-Neuve, et l’autre du Montana. Tout le reste appartient aux Cantons-de-l’Est. Je vous présente le tout avec des incidents de lieux, de dates et de personnes, comme un hommage de bonne année.

Jules Tremblay.
Ottawa, décembre 1921.