Trois petits poèmes érotiques/La Foutromanie/03

Trois petits poèmes érotiquesImprimé exclusivement pour les membres de la Société des bibliophiles, les amis des lettres et des arts galants (p. 82-92).

LA FOUTROMANIE


CHANT PREMIER


Vous le voulez… je vais souiller mes rimes,
Poétiser en jargon ordurier,
Des cons, des culs diviniser les crimes,
Chanter des vits les combats magnanimes,
Du dieu Priape embellir le laurier,
Et dans mes vers, impurement sublimes,
Du grand Voltaire enfiler le sentier.
Toi, dont les feux raniment la nature,
Qui, maîtrisant l’homme et les animaux,
Brûle en secret le cuistre et le héros,
Sois ma déesse, adorable Luxure !
Viens décider mes lubriques pinceaux !
Si, des remords écartant le murmure,
Robbé, Piron, dans leurs riants travaux,
De traits frappants chargèrent leurs tableaux,
Toi seule en fis le fond et la bordure :

Grâce à toi seule, ils sont toujours nouveaux.
Des doux amours suivant les nobles traces,
Tu les fixas, tu dévoilas les grâces,
Et, nous montrant d’heureuses nudités,
Tu nous logeas au sein des voluptés.
Pour tes enfants, reproduis tes spectacles,
À tes amis rends de tendres oracles,
Et, réveillant leurs languissants désirs,
Sous mes crayons offre-leur les plaisirs !
Vous, des ribauds, des héros foutromanes,
Et des putains, urnes, cendres et mânes,
Ranimez-vous au doux son de mes vers,
Rajeunissez ce futile univers,
De vos transports échauffez mon génie ;
Par mille fleurs, mille charmes divers,
Donnez du sel à ma Foutromanie,
Et d’un beau sperme abreuvant Uranie,
Enchaînez-la dans nos aimables fers !

Les dieux, jadis, ennuyés, misérables,
Dans leur Olympe existaient sans plaisirs ;
Un feu soudain rallume leurs désirs ;
Leur cœur ressent des flammes agréables,
Pour cent beautés ils poussent des soupirs,
Les cons, les culs leur semblent admirables.
Pendant la nuit et le cours du soleil,
Le vit bandant, ils tiennent leur conseil,
Ne dorment plus, tant l’amour a de charmes !
De nos frayeurs, des humaines alarmes,
De nos erreurs, de notre vil encens,
Sont peu troublés, dédaignent nos présents ;

Toujours pendus aux cons de leurs déesses,
Dans leurs vagins épuisent leurs tendresses,
Au pur hasard remettent les destins,
Ne songeant guère au bonheur des humains.
Or ça foutons, puisqu’aux tendres ivresses
Les dieux prudents donnent un libre cours,
Puisqu’entraînés par de lascifs amours,
Toujours fourrés dans les cons ou les fesses,
À la luxure ils consacrent leurs jours,
Suivons gaîment leurs utiles exemples.
La volupté nous offre mille temples ;
N’en sortons plus, varions nos plaisirs ;
Du con au cul, des tétons aux aisselles,
Errons sans lois, promenons nos désirs,
Rendons heureux cent objets infidèles,
Et gardons-nous de coupables loisirs.
Le Temps volage et l’Amour ont des ailes :
En jouissant, on les fixe tous deux ;
On rit du sort, on maîtrise les dieux,
On est orné de palmes immortelles,
Lorsque, chassant les soucis ennuyeux,
On sait errer dans les bras de vingt belles !
Tâtons de tout, soyons fouteurs célèbres,
Immergeons-nous dans ce doux océan,
Centre commun, nécessaire élément,
Et, repoussant les nuages funèbres,
Sans différer, jouissons du présent !
Le moment vient où la triste impuissance
Dicte des lois, appesantit le cœur,
Et sur nos sens distille la langueur ;
Où les mortels, enclins à l’indolence,

Pour les plaisirs n’ont force ni vigueur :
C’est du trépas éprouver la rigueur,
C’est être mort que de vivre sans foutre !
Ne bandant plus, qu’importe d’aller outre,
D’être sur terre un onéreux fardeau,
Et d’y trouver les glaces du tombeau !
Tendre Vénus, règle mes destinées,
Embrase-moi de ton ardent flambeau ;
De Cupidon prête-moi le bandeau,
File avec art mes jours et mes années !
Sans nul effroi de l’enfer et des dieux,
J’ai tout bravé pour brûler de tes feux,
Et, déposant toute crainte frivole,
J’ai mille fois affronté la vérole,
Livré l’assaut aux plus vertes putains,
Comptant pour rien les chancres, les poulains
Et tous ces maux, dont l’habile saint Côme,
Par le mercure a su délivrer l’homme ;
Couronne-moi de tes plus beaux lauriers,
Embrase-moi par mille ardents baisers,
Et fais passer dans ma bouillante veine
Les feux vainqueurs du ravisseur d’Hélène !
Le beau destin que celui de Pâris :
De cent putains terminer la querelle !
Le tendre sort que celui d’Adonis :
Pouvoir mourir dans les bras d’une belle !
Pour un ribaud, pour un hardi fouteur,
C’est au bordel que gît le champ d’honneur.
La mort n’est rien, le plaisir est suprême !
Un joli con vaut mieux qu’un diadème !
Quand je patine un couple de tétons,

Durs, arrondis, rebelles, élastiques,
Lorsque nanti de mille appas physiques,
Mon vit, en rut, décharge à gros bouillons,
Des dieux, des rois je méprise la gloire,
De l’Achéron je brave l’onde noire,
Aux vils cagots, aux fiers ambitieux
Laissant le soin de la terre et des cieux.
Sots amateurs des biens, de la puissance :
Le vrai bonheur est dans la jouissance.
Pour être heureux, ô lubriques mortels,
Faut-il, hélas ! un trône et des autels ?
Pourquoi briguer un hommage, une offrande ?
A quoi me sert la grandeur quand je bande ?
Un con touffu, mutin, ingénieux
A deviner cent tours voluptueux,
Des reins d’ivoire et des fesses de marbre,
Une charnière à mobiles ressorts,
Qui, sans quartier, m’attaquant corps à corps,
S’unit à moi comme le lierre à l’arbre,
Qui, secondant mes amoureux efforts,
Aux coups de cul répond avec adresse,
Serre mon vit, forge les voluptés,
Et me prodigue une adorable ivresse,
Voilà mes lois et mes divinités.
Avec le sceptre, et l’encens, et l’hommage,
Jamais paillard, jamais fouteur ni sage
N’ira troquer les plaisirs enchanteurs.
Laisser les cons à l’appât des honneurs,
Quand, dans mes bras lascivement serrée,
Je tiens Dubois[1], demi-morte, égarée,

Ne renaissant que pour doubler l’assaut,
Mon cœur content croit tenir Cythérée.
Je suis de braise, et mon vit au plus haut,
Fier de fourbir de si superbes charmes,
De Jupiter ne voudrait pas le sort,
A Frédéric[2] ne rendrait pas les armes,
Soutient son rang et me conduit au port.
En la formant, la divine nature
N’épargna rien : l’esprit et la beauté,
Telle est, en bref, sa fidèle peinture.
Au globe entier, humaine créature
N’eut autant l’air d’une divinité.
Du putanisme augustes héroïnes,
Tendres Saphos, modernes Messalines,
Venez toutes, c’est ici votre temps ;
Je vais tracer vos lubriques talents,
Vos grands exploits dans la foutromanie,
Peindre au naïf plus d’une aimable orgie,
Où cent putains, épuisant les ribauds,
Aux vits bandants servirent de tombeaux.
Arnou[3], Clairon[4], vous gémiriez sans doute,
Si, me taisant, je vous faisais l’affront
De refuser à votre aimable front
Les grands honneurs de la sublime joute ?
Vit-on jamais, sous la céleste voûte,

Plus de débauche, un plus facile ton
Que n’en offrit l’illustre Frétillon ?
Cette catin qui, pour à fond connaître
Le cœur humain, la trempe de son être,
Dix ans entiers logée au Pavillon[5].
Aux bons fouteurs fut tour à tour fidèle,
Analysa les vits des officiers,
Des caporaux, enfin des grenadiers,
Et qui de là, se donnant pour pucelle,
Des comédiens épousa la séquelle,
Fit la bégueule, avec art déclama,
Rendit heureux le premier qui l’aima,
Au beau Vabelle[6], attrapé dans son piège,
Parut cent fois plus blanche que la neige,
Et, pour le suivre, un beau jour s’éclipsa,
Quand de Calais on termina le siège[7].
Arnou fut tendre avec tous ses amants,
Se montra douce, et leur fit des enfants…
Le chant, la voix étendaient leur empire,
Chez les ribauds engendraient le délire,
Lorsque la danse, aux lascifs mouvements,
Obtint la palme et captiva les sens.
Allart[8] sauta : nouvelle Terpsichore,

Elle aperçut les claquements éclore,
Donna l’essor à son œil libertin,
Rendit public son penchant clandestin,
Et, jouissant de l’une à l’autre aurore,
Avec son nègre ou le bon Mazarin,
Foutit sans cesse et sabla de bon vin.
On l’imita, ce jeu sembla commode ;
Tout l’Opéra bientôt en prit la mode,
Eut des milords, de jeunes greluchons,
De vieux amants, d’aimables papillons.
Guimart, Pélin, adoptant la méthode,
De financiers, de manants à dos ronds,
Firent argent de leurs culs, de leurs cons,
Mirent sous presse une foule imbécile,
Taxant bien cher tous les sots de la ville,
Jaloux d’atteindre à leurs flasques tétons.
On vit soudain les acteurs, les actrices
Se soulager dans d’utiles coulisses,
D’énormes flots de foutre répandu,
Vestris[9] prêtant et le con et le cul,
Des vits branlés pendant les intermèdes,
Mille Lédas, autant de Ganymèdes,
Foutant, foutus, contentant leurs désirs,
Entrelacés, se pâmant de plaisirs,
Bordel royal, distingué, chromatique,
Sérail mouvant aux sons de la musique,
Vivant le jour d’assez loyaux produits,

Faisant valoir l’obscurité des nuits,
L’Opéra fut une brillante arène
Où la putain produisit sur la scène
Tout à la fois ses talents, ses faveurs,
Livra la guerre aux bourses plus qu’aux cœurs,
Et se fit voir également humaine
Pour les payants et pour les bons fouteurs.
Sur le patron de ces braves déesses,
On vit un peu se mouler les duchesses,
Prendre leurs airs, leurs modes, leurs propos,
Se bastinguer pour de vaillants assauts,
De l’intérêt prêcher la controverse,
Faire à plaisir un ruineux commerce,
Payer leurs gens, pour lasser leurs gros vits,
Plus longs, plus durs que ceux de leurs maris.
Ainsi, bientôt, par un accord étrange,
De cons, de vits se fit un doux échange ;
Paisiblement, sans tracas, sans regrets,
Le grand seigneur remit à ses valets
Le soin d’aimer, de foutre son épouse ;
Et sa moitié, facile et point jalouse,
Courant gaîment passer en d’autres bras,
A ses laquais déduisit ses appas ;
Se défaisant de préjugés frivoles,
Se fit monter par de vigoureux drôles,
A ses vapeurs donnant, pour esculapes,
Des vits d’airain, de monstrueux priapes,
Tandis qu’aux cons de putains du bel air,
Son sieur et maître, épuisant sa poitrine,
Usant sont bout et sa rare origine,
Fut mériter les tourments de l’enfer,

Cueillir les fruits de la Cacomonade,
Le noir venin qu’inventa Lucifer,
Ne sachant plus, dans sa noire boutade,
Comment pourrir le genre humain malade.
Ce fut ainsi, qu’en dépit du caquet,
Des froids lazzis du public perroquet,
Jetant au loin une enfantine honte,
Voulant jouir, à la hâte, à grand compte,
La Polignac[10] casernait à Pantin
Douze bouchers, égayait son destin,
Bornant au lit sa carrière lubrique,
Sur l’estomac s’appliquant pour topique
De ses relais, les vits, raides, dispos,
Faisant la chouette à ses douze héros.
A l’héroïne, aimables foutromanes,
Offrez des fleurs, tressez-lui des lauriers,
Donnez la chasse aux cagots, aux profanes,
Aux vits mollets, aux timides guerriers.
Sur son tombeau, d’une voix pathétique,
Chantez en chœur pour immortel cantique :
De Polignac, des Fouteurs, des Putains,
Vivent toujours la gloire et les destins !

  1. Actrice de la Comédie Française.
  2. Le glorieux seigneur de Potsdam.
  3. Chanteuse de l’Opéra, fille d’un pâtissier, devenue
    célèbre par ses amours avec le comte de ***.
  4. Première actrice de la Comédie Française, auparavant
    fameuse par son penchant pour les casernes et les
    corps de garde.
  5. A Metz, où elle exerça longtemps avec distinction
    l’art de la foutromanie.
  6. Le comte de ce nom vit comme un époux avec la
    Clairon, devenue enfin femme honnête.
  7. On devait représenter de nouveau cette tragédie de
    M. du Belloy, lorsque la Clairon se retira pour toujours
    du Théâtre-Français.
  8. Célèbre saltimbanque femelle qui a ruiné la santé et
    la bourse de bien des foutromanes, nommément du duc de
    Mazarin.
  9. Une des premières danseuses de l’Opéra de Paris,
    connue par sa lubricité, surtout par sa complaisance à
    livrer l’endroit et l’envers ; une Italienne perd rarement
    le goût du terroir.
  10. La renommée de cette vicomtesse égala justement
    celle de la femme de l’empereur Claude, et la Messaline
    française parut même surpasser la romaine.