LE MULÂTRE APARICIO. — VOL DE BAYO. — CHUTES. — LE VOLEUR DE CUIR. — SA MORT. — MON DÉPART FORCÉ. — RETOUR À MONTEVIDEO. — EN MER. — MADÈRE. — ANVERS. — LIÉGE. — BETTEMBOURG.
n ambitieux de bas étage, le mulâtre
Thimoté Aparicio, triste hère, soudoyé par le Brésil, dit-on, parcourait
les gras pâturages de l’Uruguay, en
compagnie de ses bandes de voleurs,
au grand détriment des paisibles estancieros.
Ce traître, aussi sauvage que le bétail
qu’il faisait égorger pour nourrir ses hordes
affamées, était d’une cruauté extraordinaire. D’ailleurs tous les chefs de partis politiques,
soit blancs soit rouges, qui envahissent
la campagne, commettent vols sur vols,
atrocités sur atrocités. Les belligérants,
au lieu de se rechercher pour se battre et
s’anéantir une bonne fois, se fuient, et
quand une troupe de blancs a passé, suit
une troupe de rouges, et ainsi de suite,
et à n’en plus finir, cela dure des années
et des années. Il est vrai que les frais de
l’expédition ne sont pas élevés : de vieilles
lances, des sabres rouillés, de mauvais
fusils, voilà pour l’armement ; l’uniforme est
inconnu ! un morceau de calicot rouge ou
blanc est l’emblème de la couleur politique ;
des tentes, aucunes ; ces indiens, chinos,
mulâtres ou nègres, couchent à terre et
dorment très-bien à la belle étoile, étendus
sur leur recado. Quant à la nourriture,
elle ne coûte rien ; la campagne n’est-elle
pas couverte de bétail ? Ces soi-disant
soldats ont-ils faim, ils abattent une vache.
cinquante, cent s’il le faut, du premier
troupeau venu, sans permission aucune,
et font grasse chair.
Deux choses suffisent à un officier, — à
un chef de brigands veux-je dire, car
quiconque a quelques vagabonds sous ses
ordres s’intitule vaniteusement de capitaine
— pour maintenir ses cavaliers : du
tabac et de l’eau de vie ; pour ce qui regarde
le reste, les guerilleros s’en chargent
eux-mêmes. C’est triste à dire, mais c’est
ainsi, le premier crétin venu peut faire
une révolution dans l’Uruguay.
Nous disions donc que son Excellence
le colonel Aparicio, — si je ne me trompe,
il marchait nu-pieds, — se promenait en
triomphe dans les plaines baignées par le
Rio Negro. Il était respecté, car il avait
la force pour lui, il était craint, car il
avait droit de vie et de mort, aussi ce
vandale ne se souciait-il pas plus de l’existence
d’un homme que d’une cigarette ;
sur un signe du tyran, par caprice, vengeance
ou hallucination alcoolique, un
honnête citoyen était égorgé ; pourquoi ?
pour un chiffon rouge ou blanc !
Par précaution j’avais attaché mon cheval aux barreaux de la grille de ma
fenêtre, pour éviter autant que possible
qu’on ne me le volât. Un matin, en train
de m’habiller, je vois apparaître un grand
gaillard au teint cuivré, avec des cheveux
noirs et raides lui descendant jusqu’au
milieu du dos, qui hardiment s’empare
de ma monture.
Amigo deja este caballo, es el mio, soy estranjero ! Ami, laissez ce cheval, il
est à moi, je suis étranger !
Lo preciso, compadre, aqui tiene usted un otro que esta un poquilo cansado ! J’en
ai besoin, confrère, voici un autre qui est
un peu fatigué !
Effectivement j’aperçois derrière le
mien un cheval gris-pommelé, gros, court
sur jambe, la tête basse, paraissant implorer
pitié et, dans sa lassitude, essayant
nonchalamment de brouter un peu d’herbe.
De tous côtés arrivaient des cavaliers, je
dus me taire. Je vis bayo disparaître dans
la foule des guerrilleros qui passaient dans
le plus grand désordre ; quelques-uns traînaient à leur suite, quatre, cinq, six
chevaux volés et attachés à la file. Oh !
si ce voleur eût été seul ou même accompagné
de deux camarades, certainement
il n’eut pas emporté mon pauvre
compagnon ! ma carabine eût tonné, et
leurs cadavres eussent servi de pâture
aux vautours ! Et cela sans arrière-pensée.
Mais patience, l’immigration blanche envahit
de plus en plus ce beau pays, et
quand l’Uruguay sera sillonné par des
lignes de chemins de fer, quand des routes
donneront accès aux frontières de la République,
quand des ponts jetés sur les
rivières rendront les communications faciles,
quand l’élément anglo-germanique
aura pris le dessus et donné un nouvel
essor au pays, alors le Gouvernement aura
bien vite raison de ces vauriens enrubannés !
À quelque temps de là, nous avions
organisé une partie de pêche ; je sellai
l’animal que m’avaient laissé les révolutionnaires,
mais ses allures ne m’inspiraient
pas de confiance, il avait tout à fait l’air d’un cheval mal dompté. Nous sommes
prêts, je saute en selle, ma monture tressaille,
dresse les oreilles, trotte avec
raideur, fait de petits écarts, et finalement
met la tête entre les jambes et d’un vigoureux
coup de reins m’envoie labourer
la prairie ; hilarité générale de mes compagnons !
Je remonte sur la bête qui, de
nouveau, me fait faire une culbute. Je
change de monture avec Felipe, qui m’annonce
que le cheval est excessivement rétif
et n’avait été que fatigué par le soldat.
Les fils de Pedro W… avaient remarqué
la disparition de quelques têtes
de bétail, et des plus belles, des bœufs.
Ne vous étonnez pas, un estanciero, quelque
nombreux que soit son troupeau, le
connaît aussi bien qu’un bon colonel distingue
les hommes de son régiment. Un
voisin, Florencio, jeune-homme de mauvaise
vie fut soupçonné du vol. Felipe et
Rufino le guettaient du haut de l’asotea
de l’estancia et à l’aide de mes jumelles
ils purent un jour le reconnaître ; il était occupé à commettre un nouveau larcin,
le bœuf avait été abattu, et Florencio
l’écorchait.
Aussitôt ils viennent me trouver :
Señor maestro, vamos con armas Florencio está carneando ! Maître, partons avec
nos armes, Florencio est en train d’écorcher !
Les chevaux sont sellés sur le champ ; je
passe mon fusil à Rufino, mon revolver
à Felipe, j’emporte ma carabine, et nous
voilà en route. Servando nous suivait avec
un grand sabre. Nous arrivons à l’endroit,
le voleur avait disparu avec la peau ; nous
suivons la traînée qu’elle a laissée dans les
herbes, nous entrons dans un petit bois et
apercevons le cuir étendu par terre pour
sécher : l’homme avait pris la fuite, et il
avait bien fait, car sa présence eût pu lui
coûter cher.
Nous emportâmes le cuir, le meilleur
de la viande, et nous reprîmes le chemin
de l’habitation.
Deux ou trois jours après, un chef de bande, un blanco, dînait à l’estancia en
notre compagnie.
À la table de Pedro ne mangeaient
que sa fille Juanita, Felipe et moi ; les
autres étaient relégués à la cuisine. Tout
en causant, la conversation tomba sur Florencio,
dont Felipe raconta les méfaits en se
plaignant amèrement de son voisinage.
On était arrivé à la fin du repas. Tranquillisez-vous,
dit le chef de parti, demain
vous ne serez plus tourmentés. En effet,
accompagné de deux nègres, ses soldats,
ils prit le chemin de la demeure de Florencio
et, celui-ci étant absent, il se dirigea
alors vers la pulperia de Juan E…
et vit à la reja, grille, notre voleur, en
train sans doute de savourer un vasito de caña.
Florencio ! lui dit l’officier, venga usted con nosotros ! Florencio, venez avec nous !
Y porque señor caballero ? Pourquoi
Monsieur ?
Venga, venga, tengo algo que decir le !
Venez, venez, j’ai quelque chose à vous dire !
Il enfourcha son cheval, et tous quatre
galopèrent vers un bas-fond peu éloigné.
Amigo apese ! Ami, mettez pied-à-terre !
Le pauvre Florencio commença à voir
clair ; sa fin était proche, ses supplications,
ses prières furent inutiles, forcément il
mit pied-à-terre.
Tira se al suelo ! Étendez-vous sur le sol !
Puis s’adressant à un des nègres :
Degollalo ! Coupez-lui le cou !
Le nègre tira un grand couteau, souffla
sur la lame, la frotta contre la paume
de la main gauche pour lui donner plus
de fil, saisit Florencio par les cheveux
et lui coupa le cou. Instantanément se
produisit un plaie béante par le retrait
de la peau, les carotides avaient été tranchées,
et deux jets de sang s’échappaient
par saccades de cette affreuse ouverture.
Les cavaliers s’éloignèrent du lieu du
crime ; pas la moindre émotion ne se peignait
sur leurs faces abruties, ils étaient habitués à de semblables exécutions. Le
lendemain, le pauvre vieux père — je le connaissais, —
alla chercher le cadavre de son
fils, l’enveloppa dans un cuir et le confia
à la terre aux environs de son rancho.
J’appris par quelques voisins amis
que les révolutionnaires, possesseurs de
deux mauvais canons en fer, connaissant
mon adresse au tir, voulaient par la force
m’en confier le commandement. Je communiquai
cette nouvelle à Pedro W…
qui me conseilla de prendre le plus tôt
possible le chemin de Montevideo ; il connaissait
les façons d’agir de ces messieurs
qui, en cas de refus, se seraient certainement
emparés de ma personne. Une diligence
devait passer le lendemain à la
pulperia de Juan E… ; j’envoyai un
billet à ce dernier, le priant de faire tout
son possible afin d’obtenir une place pour
moi. Mes bagages furent mis sur une charrette
et transportés au relais. Je réglai mes
comptes avec l’estanciero qui me compta une
somme de quinze onces d’or, je dis adieu
à cette famille de braves gens et, tout ému, je pris le chemin qui devait me faire revoir
mon pays. Mes élèves et leurs sœurs pleuraient
à chaudes larmes ; ils ne cessaient
décrier : adios maestro, que le vaya bien, adios !… et le cœur gros je leur lançai
un dernier adieu.
Je suis dans le véhicule, et tout seul ;
les voyageurs redoutaient probablement
l’état politique du pays ; de plus le capataz,
conducteur, m’annonça que c’était son
dernier voyage, pour la bonne raison que
le service n’était plus possible.
Courage, me dis-je, tu as des armes,
et le cas échéant tu vendras chèrement
ta vie ! Je ne fus pas inquiété et, après deux
jours et demi de course folle, je roulais
de nouveau dans la rue du dix-huit juillet.
La révolution avait déjà laissé ici des traces
de vandalisme, les façades des maisons
étaient mouchetées par les balles, et de
grandes ouvertures dans les murs indiquaient
par-ci par-là le passage d’un boulet
de canon.
La diligence s’arrête devant la fondade Italia, où je mets pied-à-terre. Mes
grosses bottes, mes effets fripés et mon
teint basané me donnaient un air qui eût
paru suspect à plus d’un policemen du
vieux continent. Je fis l’acquisition d’un
chapeau, d’un pantalon, d’une paire de
bottines, j’avais un gilet et un paletot passables,
et je m’empressai d’aller serrer la main
à la famille H… C’était le dix sept mars
1871. Je fus reçu comme un ami, et j’eus.
le plaisir de trouver Charles H… qui,
ayant terminé à Liège ses études d’ingénieur,
était revenu, prêt à consacrer sa
science au bien-être de son pays. Tous
voulaient que je restasse à Montevideo,
mais un vapeur devait sous peu lever
l’ancre pour Anvers ; leurs prières ne
purent m’attendrir, et je fis prendre chez
Juan Sch…, calle de missiones, mon billet.
de passage. Ernest H… me donna comme
souvenir un magnifique poncho brodé en
soie. Je réitérai mes remercîments à mon
compatriote, à sa femme et à ses charmants
enfants, et, le dix neuf au matin,
je me trouvais à bord du steamer le Bonita, qui appartenait à la même compagnie que
le city of Brussels et devait par conséquent
faire les mêmes escales.
Le vapeur fait jaillir les eaux du Rio
de la Plata sous la forte impulsion de
son hélice, les côtes de l’Uruguay s’abaissent
peu à peu, pour bientôt s’effacer dans le
lointain, à son tour disparaît le cerro,
dernier vestige de cette terre, où j’ai passé
de si beaux jours, et que longtemps je
regretterai… Aux eaux troubles du
fleuve d’argent succède l’immensité azurée de l’océan.
Le navire n’emportait que deux passagers,
un jeune homme de Buenos-Ayres,
Adolfo B…, et moi. Mon compagnon,
aimable porteño, se trouvait pour la première
fois sur l’eau salée ; le roulis lui
donnait le mal de mer, et quand l’horizon
s’assombrissait, ou que les mâts gémissaient
sous le souffle du vent, le craintif
jeune homme me manifestait ouvertement
sa peur. Je cherchais à le rassurer, lui
affirmant qu’il n’y avait aucun danger, et qu’un steamer ne succombait pas aussi
facilement sous les assauts des flots que
son imagination timorée pouvait le lui
faire croire.
Quoique mon tiket ne me donnât droit
qu’a une place de seconde classe, une cabine
de première garnie en velours rouge et spacieuse
fut mise à ma disposition. Nous
prenions nos repas à la table des officiers,
et le capitaine nous fit plus d’une fois gracieusement
accepter un verre de champagne.
Homme de mer dans toute la force
du terme, trapu et solidement bâti, il
avait au nez une affreuse cicatrice ; il avait
reçu cette blessure alors qu’il commandait
un vapeur dans les mers de Chine ; l’équipage
s’était révolté, et un matelot lui avait
asséné un coup de barre de fer sur la
figure.
Nous entrons dans la rade de Rio de
Janeiro, mais le pavillon jaune, hissé au
sommet du grand mât, nous fait comprendre
que nous sommes en quarantaine :
la fièvre jaune décimait les deux rives du Rio de la Plata, nous nous contentons d’admirer
à distance a cidade boa, la belle
ville. Le navire dirige de nouveau sa proue
vers le vieux continent, et les jours se succèdent,
longs, tristes et monotones. Phœbus
sur son déclin semble vouloir prendre
un bain dans les flots de l’occident, St-Vincent
ne doit pas être éloigné, et demain
à l’aube, notre ancre labourera la base de
l’île africaine.
À la pointe du jour, nous sommes réveillés
par les discordantes criailleries des
descendants de Cham : oranges, bananes,
cannes en caféier, citronnier, nattes soyeuses
nous sont offertes avec une volubilité de
cris assourdissants. Je fais emplette de quelques
objets, comme souvenirs de voyage.
Le navire ne fit qu’une légère provision
de charbon, soit que le capitaine ne
le trouva pas de bonne qualité, ou pour
tout autre motif que j’ignore. Tranquillement
mon compagnon et moi nous étions
assis sous la tente de l’arrière, occupés à
peler quelques bananes, lorsque, à une quarantaine de mètres du steamer, apparut
une baleine qui se mit à lancer en
l’air le traditionnel jet d’eau, avec un
bruit semblable à celui produit par un
échappement de vapeur ; le spectacle était
nouveau pour nous, aussi nous mîmes-nous
à suivre le cétacé dans ses évolutions ;
il paraissait se soucier fort peu de
notre présence, et nous montrait tantôt
la tête, tantôt la queue, tantôt la nageoire
dorsale qui ressemblait à une voile
latine et qu’il manœuvrait comme un
immense éventail. Il me prit fantaisie de
tirer sur l’animal et fus demander au
capitaine l’autorisation d’envoyer quelques
balles de carabine au monstre ; mon arme,
de fort calibre, lançait des projectiles
qui avaient une force de pénétration étonnante,
et je ne désespérais pas, en visant
à la tête, de blesser, sinon grièvement, le
colossal mammifère. Mais le capitaine ne
me permit que le tir au revolver : j’étais
navré. Que pouvait contre cette masse, et
à quarante mètres, une balle de revolver,
faible calibre ! à peine lui chatouiller légèrement l’épiderme ! Qu’importe, pour
ma satisfaction personnelle, et pour pouvoir
dire que j’avais fait feu sur une baleine,
j’envoyai dix balles au cétacé, qui ne
fît pas même attention à ces éclaboussures,
quelques unes durent pourtant l’atteindre ;
il continua ses ébats, et nous ne le perdîmes
de vue que longtemps après.
Les ailes de l’hélice font tourbillonner
la mer, et le Bonita reprend sa course.
Je n’étais pas riche en linge, et pourtant
fallait-il toujours se présenter d’une
façon décente à la table du bord. Après
avoir dépassé les îles du Cap Vert, je fus
très-embarrassé, plus de chemises propres !
que faire ! silencieusement assis dans ma
cabine, je donnais cours à mes tristes
pensées en maudissant la société civilisée
où du linge bien blanc était de rigueur.
Soudain un rayon de satisfaction illumine
ma face assombrie, l’honneur était
sauvé ! de suite je me mets à l’ouvrage,
et, blanchisseuse improvisée, je lave cols et manchettes, les laisse sécher, et les
lisse avec… une bouteille : la même
opération est répétée jusqu’à mon arrivée
à Anvers.
Le navire avance très-lentement, et
nous apprenons que le capitaine est obligé
de faire relâche à l’île Madère pour prendre
d’autre charbon.
Ô Madère, avec ton climat si doux,
ton air si pur, ton vin si renommé, Madère
la belle, avec tes jardins suspendus
sur les flots, je ne pourrai fouler ton sol
enchanteur ! Ce maudit drapeau jaune,
couleur très-laide à la vérité, m’obligera
à rester loin de tes rives fleuries.
L’ancre est jetée à une centaine de
mètres de Funchal, capitale de l’île, et de
loin nous contemplons les splendeurs de
ce nouveau paradis terrestre.
La ville s’élève en amphithéâtre sur le
bord de la mer ; d’élégantes maisons peintes
aux couleurs les plus gaies, s’étagent sur le versant de verdoyantes montagnes couvertes
de vignobles, d’où s’échappent de
petits ruisseaux qui, semblables à des
serpents d’argent, glissent de colline en
colline, bondissent de rocher en rocher,
en blanches cascades. L’immortel pampre
forme des berceaux ombragés qui invitent
au repos, à droite et à gauche se dressent
hors de l’océan des rochers perpendiculaires
couronnés de jolis jardins, où les
plantes des tropiques étalent leurs guirlandes
parfumées et tombent jusque dans
les ondes. On voit le long du rivage circuler
des palanquins, où sont mollement
couchés de riches Anglais, victimes du
climat humide et insalubre de la blonde
Albion.
Le steamer quitte cette île heureuse
et vole vers de plus froides régions. Un
court arrêt à Falmouth, puis nous fendons.
les eaux de la Manche… Notre voyage
touche à sa fin… Le trois mai, nous entrons
dans l’estuaire de l’Escaut, et, après
quarante cinq jours de navigation, le vapeur vient appuyer ses flancs contre les
quais de la Venise du Nord.
Nous débarquons, je serre la main au
jeune Américain et m’empresse de me
diriger vers la gare du chemin de fer qui
doit m’entraîner vers cette bonne ville de
Liége, où ne m’attend certainement pas un
camarade dévoué, un compagnon d’études,
mon cher ami Arthur D…
Enfin ma main est dans la sienne ; trois
ans d’absence n’ont pu refroidir notre
tendre amitié… Il m’accable de questions,
je ne puis satisfaire entièrement à
sa curiosité… Ma mère, mon père, ma
sœur, mes frères ont été prévenus par
dépêche de mon arrivée, et je brûle d’impatience
de les serrer sur mon cœur.
À Luxembourg je change de train,
encore quelques minutes de patience…!
La verdoyante vallée de l’Alzette se déroule
à perte de vue, et, en la remontant, je
découvre mon village natal ; mon cœur se serre, mes lèvres tremblent, mes yeux
s’humectent de larmes… le train s’arrête…
Bettembourg ! Bettembourg ! je
saute hors du wagon, cours et tombe dans
les bras de ceux que je n’avais plus vus
depuis quatre ans.