Traité sur les apparitions des esprits/II/30

CHAPITRE XXX.

Exemples pour montrer que les Excommuniés
ne pourriſſent point, & apparoiſſent
aux Vivans.

LEs Grecs racontent[1] que ſous le Patriarche de Conſtantinople Manuel, ou Maxime, qui vivoit au quinziéme ſiécle, l’Empereur Turc de Conſtantinople voulut ſçavoir la vérité de ce que les Grecs avançoient touchant l’incorruption des hommes morts dans l’excommunication. Le Patriarche fit ouvrir le tombeau d’une femme qui avoit eu un commerce criminel avec un Archevêque de Conſtantinople. On trouva ſon corps entier, noir & très-enflé ; les Turcs l’enfermerent dans un coffre ſous le ſçeau de l’Empereur. Le Patriarche fit ſa priere, donna l’abſolution à la morte, & au bout de trois jours le coffre ayant été ouvert, l’on vit le corps réduit en pouſſiere.

Dans cela je ne vois point de miracle : tout le monde ſçait, que les corps que l’on trouve quelquefois bien entiers dans leurs tombeaux, tombent en pouſſiere, dès qu’ils ſont expoſés à l’air. J’en excepte ceux qui ont été bien embaumés, comme les Momies d’Egypte, & les corps enterrés dans les lieux extrêmement ſecs, ou dans un terrain rempli de nitre & de ſel, qui diſſipe en peu de tems tout ce qu’il y a d’humide dans les cadavres, tant des hommes que des animaux ; mais je ne comprends pas que l’Archevêque de Conſtantinople ait pû validement abſoudre après la mort une perſonne décédée dans le péché mortel, & liée par l’excommunication.

Ils croient auſſi que les corps de ces Excommuniés paroiſſent ſouvent aux vivans, tant de jour que de nuit, leur parlent, les appellent, les moleſtent. Leon Allatius entre ſur cela dans un grand détail : il dit que dans l’Iſle de Chio, les habitans ne répondent pas à la premiere voix qui les appelle, de peur que ce ne ſoit un Eſprit ou un Revenant ; mais ſi on les appelle deux fois, ce n’eſt point un Broucolaque[2] : c’eſt le nom qu’ils donnent à ces Spectres. Si quelqu’un leur répond à la premiere voix, le Spectre diſparoît, mais celui qui lui a parlé meurt infailliblement.

Pour ſe garantir de ces mauvais Génies, il n’y a point d’autre voie que de déterrer le corps de la perſonne qui a apparu & de le brûler, après avoir récité ſur lui certaines prieres ; alors ſon corps ſe réduit en cendres & ne paroît plus. On ne doute donc point que ce ne ſoient les corps de ces hommes criminels & malfaiſans, qui ſortent de leurs tombeaux, & cauſent la mort à ceux qui les voient & qui leur répondent, ou que ce ne ſoit le Démon, qui ſe ſert de leurs corps pour effrayer les mortels & leur cauſer la mort.

On ne connoît point de moyen plus certain pour ſe délivrer de leur infeſtation & de leurs dangereuſes apparitions, que de brûler & de mettre en pieces ces corps qui ſervent d’inſtrument à leur malice, ou de leur arracher le cœur, ou de les laiſſer pourrir avant que de les enterrer, ou de leur couper la tête, ou de leur percer les temples avec un gros clou.

  1. Vide Malva. lib. I. Turco-græcia, pag. 26. 27.
  2. Vide Bolland. menſe Auguſto, t. 2. pag. 201. 202. 203. & Allati. Epiſt. ad Zachiam, n. 12.