Traité sur les apparitions des esprits/II/18

CHAPITRE XVIII.

Revenans en Angleterre.

GUillaume de Malmesburi dit[1] qu’en Angleterre on croyoit que les méchans revenoient après leur mort, & étoient ramenés dans leurs propres corps par le Démon, qui les gouvernoit & les faiſoit agir : nequam hominis cadaver poſt mortem Dæmone agente diſcurrere.

Guillaume de Neubrige, qui fleuriſſoit après le milieu du douziéme ſiécle, raconte que de ſon tems on vit en Angleterre dans le territoire de Bukingham un homme, qui apparut en corps comme vivant à ſa femme trois nuits conſécutives, & enſuite à ſes proches. On ne ſe défendoit de ſes viſites effrayantes qu’en veillant, & faiſant du bruit quand on s’appercevoit qu’il vouloit venir. Il ſe fit même voir à quelques perſonnes pendant le jour. L’Evêque de Lincoln aſſembla ſur cela ſon Conſeil, qui lui dit que pareilles choſes étoient ſouvent arrivées en Angleterre, & que le ſeul remede que l’on connût à ce mal, étoit de brûler le corps du Revenant. L’Evêque ne put goûter cet avis, qui lui parut cruel : il écrivit d’abord une cédule d’abſolution, qui ſut miſe ſur le corps du défunt, qu’on trouva au même état que s’il avoit été enterré le même jour ; & depuis ce tems on n’en entendit plus parler.

L’Auteur de ce récit ajoûte, que ces ſortes d’Apparitions paroîtroient incroyables, ſi l’on n’en avoit vû pluſieurs exemples de ſon tems, & ſi l’on ne connoiſſoit pluſieurs perſonnes qui en faiſoient foi.

Le même de Neubrige dit au Chapitre ſuivant, qu’un homme qui avoit été enterré à Bervik, ſortoit toutes les nuits de ſon tombeau, & cauſoit de grands troubles dans tout le voiſinage. On diſoit même qu’il s’étoit vanté, qu’il ne ceſſeroit point d’inquiéter les vivans, qu’on ne l’eût réduit en cendres. On choiſit donc dix jeunes hommes hardis & vigoureux, qui le tirerent de terre, couperent ſon corps en pieces, & le mirent ſur un bûcher, où il fut réduit en cendres ; mais auparavant quelqu’un d’entre eux ayant dit, qu’il ne pourroit être conſumé par le feu, qu’on ne lui eût arraché le cœur, on lui perça le côté avec un pieu, & quand on lui eut tiré le cœur par cette ouverture, on mit le feu au bûcher : il fut conſumé par les flammes, & ne parut pas davantage.

Les Payens croyoient de même que les corps des défunts n’étoient point en repos, ni à couvert des évocations de la Magie, tandis qu’ils n’étoient pas conſumés par le feu, ou pourris ſous la terre :

Tali tua membra ſepulchro,
Talibus exuram Stygio cum carmine Sylvis,
Ut nullos cantata Magos exaudiat umbra ;

diſoit une Magicienne dans Lucain à une Ame qu’elle évoquoit.

  1. Guillaume de Malmes. lib. 2. c. 4.