Traité sur les apparitions des esprits/II/02

CHAPITRE II.

Réſurrections de gens qui n’étoient pas
vraiment morts
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LEs Réſurrections de quelques perſonnes qu’on avoit crûes mortes, & qui ne l’étoient pas, mais ſimplement endormies ou attaquées de létargie ; & de celles que l’on tenoit pour mortes, ayant été noyées, & qui ſont revenuës par le ſoin qu’on en a pris, par les remedes qu’on leur a donnés, ou par l’adreſſe des Médecins ; ces ſortes de gens ne doivent point paſſer pour vraiment reſſuſcités : ils n’étoient pas morts, ou ils ne l’étoient qu’en apparence.

Nous avons deſſein de parler ici d’une autre ſorte de gens reſſuſcités, qui étoient enterrés quelquefois depuis pluſieurs mois, ou même depuis pluſieurs années ; qui auroient dû être étouffés dans leurs tombeaux, quand ils auroient été enterrés tout vivans ; & dans qui l’on trouve encore des ſignes de vie, le ſang liquide, les chairs entieres, le coloris beau & vermeil, les membres flexibles & maniables. Ces gens qui reviennent ou le jour ou la nuit, inquiétent les vivans, leur ſucent le ſang, les font mourir, paroiſſent avec leurs habits dans leurs familles, s’aſſeyent à table, & ſont milles autres choſes, puis retournent dans leurs tombeaux, ſans qu’on voie comment ils y ſon rentrés. Ce ſont des eſpeces de Réſurrections momentanées : car au lieu que les autres morts dont parle l’Ecriture, ont vêcu, bû, mangé & converſé avec les autres hommes après leur Réſurrection, comme Lazare frere de Marie & de Marthe[1], & le fils de la veuve de Sunam reſſuſcité par Eliſée[2] ; ceux-ci ne paroiſſent que pendant un certain tems, en certains pays, dans certaines circonſtances, & ne paroiſſent plus dès-qu’on les a empalés ou brûlés, ou qu’on leur a coupé la tête.

Si cette derniere ſorte de Reſſuſcités n’étoient pas réellement morts, il n’y a de merveilleux dans leur retour au monde, que la maniere dont il ſe fait, & les circonſtances dont il eſt accompagné. Ces Revenans ſe réveillent-ils ſimplement de leur ſommeil, ou reprennent-ils leurs eſprits, comme ceux qui ſont tombés en ſyncope, en foibleſſe, ou en défaillance, & qui au bout d’un certain tems reviennent naturellement à eux-mêmes, lorſque le ſang & les eſprits animaux ont repris leur cours & leur mouvement naturel ?

Mais comment ſortir de leurs tombeaux ſans ouvrir la terre, & comment y rentrer ſans qu’il y paroiſſe ? A-t-on vû des létargies, ou des pamoiſons, ou des ſyncopes durer des années entieres ? Si l’on veut que ce ſoient des Réſurrections réelles, a-t-on vû des morts ſe reſſuſciter eux-mêmes & par leur propre vertu ?

S’ils ne ſont pas reſſuſcités par eux-mêmes, eſt-ce par la vertu de Dieu qu’ils ſont ſortis de leurs tombeaux ? Quelle preuve a-t-on, que Dieu s’en ſoit mêlé ? quel eſt l’objet de ces Réſurrections ? Eſt-ce pour manifeſter les œuvres de Dieu dans ces Vampires ? Quelle gloire en revient-il à la Divinité ?

Si ce n’eſt pas Dieu qui les tire de leurs tombeaux, eſt-ce un Ange, eſt-ce un Démon, eſt-ce leur propre Ame ? L’Ame ſéparée du corps peut-elle y rentrer quand elle le veut, & lui donner une nouvelle vie, ne fût-ce que pour un quart d’heure ? Un Ange ou un Démon peuvent-ils rendre la vie à un mort ? Non ſans doute, ſans l’ordre, ou du moins ſans la permiſſion de Dieu. On a examiné ailleurs cette queſtion du pouvoir naturel des Anges & des Démons ſur les corps humains, & l’on a fait voir que ni la révélation, ni la raiſon, ne nous donnent aucune lumiere certaine ſur ce ſujet.

  1. Joan. xij. 2.
  2. IV. Reg. viij. 5.