Traité sur les apparitions des esprits/II/01

DISSERTATION

SUR LES
REVENANS
EN CORPS,
LES EXCOMMUNIE’S,
LES OUPIRES OU VAMPIRES,
BRUCOLAQUES, &c.

CHAPITRE I.

La Réſurrection d’un Mort eſt l’ouvrage de
Dieu ſeul
.

APres avoir traité dans une Diſſertation particuliere la matiere des Apparitions des Anges, des Démons & des Ames ſéparées du corps, la connexité de la matiere m’invite à parler auſſi des Revenans, des Excommuniés, que la terre rejette, dit-on, de ſon ſein, des Vampires de Hongrie, de Siléſie, de Bohême, de Moravie, & de Pologne, & des Brucolaques de Grece. Je rapporterai d’abord ce qu’on en a dit & écrit ; puis j’en tirerai quelques conſéquences, & j’apporterai les raiſons qu’on peut produire pour & contre leur exiſtence & leur réalité.

Les Revenans de Hongrie, ou les Vampires, qui font le principal objet de cette Diſſertation, ſont des hommes morts depuis un tems conſidérable, quelquefois plus quelquefois moins long, qui ſortent de leurs tombeaux & viennent inquiéter les vivans, leur ſucent le ſang, leur apparoiſſent, font le tintamare à leurs portes & dans leurs maiſons, & enfin leur cauſent ſouvent la mort. On leur donne le nom de Vampires ou d’Oupires, qui ſignifie, dit-on, en Eſclavon une ſang-ſuë. On ne ſe délivre de leurs infeſtations, qu’en les déterrant, en leur coupant la tête, en les empalant, ou les brûlant, ou leur perçant le cœur.

On a propoſé pluſieurs ſyſtêmes pour expliquer le Retour & ces Apparitions des Vampires. Quelques-uns les ont niées & rejettées comme chimériques, & comme un effet de la prévention & de l’ignorance du Peuple de ces pays, où l’on dit qu’ils reviennent.

D’autres ont crû que ces gens n’étoient pas réellement morts, mais qu’ils avoient été enterrés tout vivans, & qu’ils revenoient d’eux-mêmes naturellement, & ſortoient de leurs tombeaux.

D’autres croyent que ces gens ſont très-réellement morts ; mais que Dieu par une permiſſion, ou un commandement particulier, leur permet ou leur ordonne de revenir & de reprendre pour un tems leur propre corps : car quand on les tire de terre, on trouve leurs corps entiers, leur ſang vermeil & fluide, & leurs membres ſouples & maniables.

D’autres ſoûtiennent que c’eſt le Démon qui ſait paroître ces Revenans, & qui fait par leur moyen tout le mal qu’ils cauſent aux hommes & aux animaux.

Dans la ſuppoſition que les Vampires reſſuſcitent véritablement, on peut former ſur leur ſujet une infinité de difficultés. Comment ſe ſait cette Réſurrection ? eſt-ce par les forces du Revenant, par le retour de ſon Ame dans ſon corps ? eſt-ce un Ange, eſt-ce un Démon qui le ranime ? eſt-ce par l’ordre ou par la permiſſion de Dieu qu’il reſſuſcite ? cette Réſurrection eſt-elle volontaire de ſa part & de ſon choix ? eſt-elle pour long-tems, comme celle des perſonnes à qui Jeſus-Chriſt a rendu la vie, ou celle des perſonnes reſſuſcitées par les Prophetes & par les Apôtres ? ou eſt-elle ſeulement momentanée, & pour peu de jours ou pour peu d’heures, comme la réſurrection que S. Staniſlas opéra ſur le Seigneur qui lui avoit vendu un champ, ou celle dont il eſt parlé dans la vie de S. Macaire d’Egypte & de S. Spiridion, qui firent parler des morts ſimplement pour rendre témoignage à la vérité, & puis les laiſſerent dormir en paix, attendant le dernier jour du Jugement ?

Je poſe d’abord pour principe indubitable, que la Réſurrection d’un mort vraiment mort eſt l’effet de la ſeule puiſſance de Dieu. Nul homme ne peut ni ſe reſſuciter, ni rendre la vie à un autre homme, ſans un miracle viſible.

Jeſus-Chriſt s’eſt reſſuſcité, comme il l’avoit promis : il l’a fait par ſa propre vertu ; il l’a fait avec des circonſtances toutes miraculeuſes. S’il s’étoit reſſuſcité auſſi-tôt qu’il fut deſcendu de la Croix, l’on auroit pû croire qu’il n’étoit pas bien mort, qu’il reſtoit encore en lui des ſemences de vie, qu’on auroit pû les réveiller en le réchauffant, ou en lui donnant des cordiaux & quelque choſe capable de faire revenir ſes eſprits.

Mais il ne reſſuſcite qu’au troiſiéme jour. Il avoit, pour ainſi dire, été tué même après ſa mort, par l’ouverture que l’on fit de ſon côté avec une lance, qui le perça juſqu’au cœur, & qui lui auroit donné la mort, s’il n’eût pas été hors d’état de la recevoir.

Lorſqu’il reſſuſcita le Lazare[1] il attendit qu’il eût été quatre jours dans le tombeau, & qu’il commençât à ſe corrompre ; ce qui eſt la marque la plus aſſurée qu’un homme eſt réellement décédé, ſans eſpérance de retour à la vie, ſinon par des voies ſurnaturelles.

La Réſurrection que Job attendoit ſi fermement[2] ; & celle de cet homme qui reſſuſcita en touchant le corps du Prophete Eliſée dans ſon tombeau[3] ; & l’enfant de la veuve de Sunam, à qui le même Eliſée rendit la vie[4] ; cette armée de ſqueletes, dont Ezechiel prédit la Réſurrection[5], & qu’il vit en eſprit s’exécuter à ſes yeux, comme une figure & un gage du retour des Hébreux de leur captivité de Babylone ; enfin toutes les Réſurrections rapportées dans les livres ſacrés de l’Ancien & du Nouveau Teſtament, ſont des effets manifeſtement miraculeux, & attribués à la ſeule Toute-Puiſſance de Dieu. Ni les Anges, ni les Démons, ni les hommes les plus ſaints & les plus favoriſés de Dieu, ne ſçauroient par leur propre puiſſance rendre la vie à un mort réellement mort. Ils ne le peuvent que par la vertu de Dieu, qui quand il le juge à propos, eſt le maître d’accorder cette grace à leurs prieres & à leur interceſſion.


  1. Joan. xj. 39.
  2. Job. xxj. 25.
  3. III. Reg. xiij. 21. 22.
  4. IV. Reg. iv.
  5. Ezech. xxxvij. 1.2. 3.