Traité sur les apparitions des esprits/I/40

CHAPITRE XL.

Apparitions des Eſprits prouvées par
l’Hiſtoire.

SAint Auguſtin[1] reconnoît que les morts ont ſouvent apparu aux vivans, leur ont révélé le lieu où leurs corps étoient ſans ſépulture, & leur ont montré celui où ils vouloient être enterrés. Il dit de plus qu’on entend ſouvent du bruit dans les Egliſes où des morts ſont inhumés, & que des morts ont été vûs ſouvent entrer dans les maiſons où ils demeuroient avant leur décès.

On lit dans le Concile d’Elvire[2] tenu vers l’an 300. une défenſe d’allumer des cierges dans les Cimetieres, pour ne pas inquiéter les Ames des Saints. La nuit qui ſuivit la mort de Julien l’Apoſtat, S. Baſile[3] eut une viſion, où il crut voir le Martyr S. Mercure, qui reçut ordre de Dieu d’aller tuer Julien. Peu de tems après le même S. Mercure revint, & s’écria : Seigneur, Julien eſt percé & bleſſé à mort, comme vous me l’avez commandé. Dès le matin S. Baſile annonça cette nouvelle à ſon peuple.

S. Ignace Evêque d’Antioche, qui ſouffrit le Martyre en 107.[4] apparut à ſes Diſciples, les embraſſant, & ſe tenant près d’eux. Et comme ils perſevéroient à prier avec encore plus d’ardeur, ils le virent comblé de gloire, & comme tout en ſueur venant d’un grand combat, & environné de lumiere.

Après la mort de S. Ambroiſe arrivée la veille de Pâques, la nuit même où l’on baptiſoit les Néophites, pluſieurs enfans nouvellement baptiſés virent le ſaint Évêque[5], & le montrerent à leurs parens, qui ne le purent voir, parce qu’ils n’avoient pas les yeux épurés, dit Saint Paulin Diſciple du Saint, & Auteur de ſa vie.

Il ajoûte que le jour de ſa mort il apparut en Orient à pluſieurs ſaints perſonnages, priant avec eux, & leur impoſant les mains ; ils écrivirent à Milan, & l’on trouva en confrontant les dates, que c’étoit le jour même de ſa mort. On conſervoit encore ces lettres du tems de Paulin, qui a écrit tout ceci : on a auſſi vû ce S. Evêque pluſieurs fois après ſa mort prier dans l’Egliſe Ambroſienne de Milan, qu’il avoit promis pendant ſa vie de viſiter ſouvent. Pendant le ſiége de la même ville, S. Ambroiſe apparut à un homme de la ville, & lui promit que le lendemain elle auroit du ſecours ; ce qui arriva. Un aveugle ayant appris en viſion que les corps des SS. Martyrs Siſinnius & Alexandre arrivoient par mer à Milan, & que l’Evêque Ambroiſe alloit au-devant d’eux, il pria en ſonge le même Evêque de lui rendre la vûe ; Ambroiſe répondit : Allez à Milan ; venez au-devant de mes freres, ils arriveront un tel jour, & ils vous rendront la vûe. L’aveugle vint à Milan, où il n’avoit jamais été, toucha la Chaſſe des SS. Martyrs, & recouvra la vûe ; c’eſt lui-même qui raconta la choſe à Paulin.

Les vies des SS. ſont remplies d’Apparitions de perſonnes décédées ; & ſi l’on vouloit les ramaſſer, on en rempliroit de grands volumes. S. Ambroiſe dont on vient de parler, découvrit d’une façon miraculeuſe les corps des Saints Gervais & Protais[6], & ceux de Saint Nazaire & de S. Celſe.

Evode Evêque d’Upſal en Afrique[7], grand ami de S. Auguſtin, étoit très-perſuadé de la réalité des Apparitions des morts, dont il avoit l’expérience, & dont il rapporte quelques exemples arrivés de ſon tems ; comme d’une bonne Veuve, à qui un Diacre décédé depuis quatre ans apparut ; il étoit accompagné de pluſieurs Serviteurs & Servantes de Dieu, qui préparoient un Palais d’une beauté extraordinaire. Cette Veuve lui demanda pour qui l’on faiſoit ces préparatifs ; il répondit que c’étoit pour ce jeune garçon qui étoit décédé le jour précédent. En même tems un vieillard vénérable qui étoit dans le même Palais, ordonna à deux jeunes hommes qui étoient vétus de blanc, de tirer du tombeau ce jeune homme décédé, & de le conduire en ce lieu. Dès qu’il fut ſorti du tombeau, on y vit éclore des roſes vierges ou en boutons, & le jeune homme apparut à un Religieux, & lui dit que Dieu l’avoit reçû au nombre de ſes Elûs, & l’avoit envoyé querir ſon pere, qui en effet mourut quatre jours après d’une petite fiévre.

Evode ſe propoſe ſur cela diverſes queſtions. Si l’Ame au ſortir de ſon corps ne conſerve pas encore un certain corps ſubtil, avec lequel elle apparoît, & par le moyen duquel elle eſt tranſportée d’un lieu en un autre ? Les Anges mêmes n’ont-ils pas un certain corps ? Car s’ils ſont incorporels, comment peut-on les compter ? Et ſi Samuel apparut à Saül, comment cela ſe put-il faire, ſi Samuel n’avoit point de corps ? Il ajoute : je me ſouviens fort bien que Proſuturus, Privatus & Servitius que j’avois connus dans le Monaſtere, m’ont apparu, & m’ont parlé après leur décès ; & ce qu’ils m’ont dit eſt arrivé. Eſt-ce leur Ame qui m’a apparu, ou eſt-ce quelqu’autre Eſprit qui a pris leur figure ? Il en conclut que l’Ame n’eſt pas abſolument ſans corps, puiſqu’il n’y a que Dieu qui ſoit réellement incorporel : animam igitur omni corpore oarere omninò non poſſe, illud, ut puto, oſtendit, quia Deus ſolus omni corpore ſemper caret.

S. Auguſtin qu’Evode avoit conſulté ſur cette matiere, ne croit pas que l’Ame après la mort du corps ſoit revêtue d’aucune ſubſtance matérielle ; mais il avoue qu’il eſt très-difficile d’expliquer, comment ſe font une infinité de choſes qui ſe paſſent dans notre eſprit, tant dans le ſommeil que dans la veille, où nous croyons voir, ſentir, diſcourir, & faire des choſes qui ſemblent ne pouvoir être faites que par le corps, quoiqu’il ſoit certain qu’il ne s’y paſſe rien de corporel. Et comment pouvoir expliquer des choſes ſi inconnues & ſi éloignées de ce que nous expérimentons tous les jours, puiſque nous ne pouvons expliquer ce que l’expérience journaliere nous fait éprouver ? Quid ſe præcipitat de rariſſimis aut inexpertis quaſi definitam ferre ſententiam, cùm quotidiana & continua non ſolvat ? Evode ajoute, qu’on a vû pluſieurs perſonnes après leur décès aller & venir dans leurs maiſons comme auparavant, & le jour & la nuit ; & que dans les Egliſes où il y a des morts enterrés, on entend ſouvent la nuit du bruit, comme de perſonnes qui prient à haute voix.

S. Auguſtin à qui Evode écrit tout cela, reconnoît qu’il y a beaucoup de diſtinction, à faire entre les vraies & les fauſſes viſions, & qu’il voudroit bien avoir un moyen ſûr pour en faire le juſte diſcernement. Le même Saint raconte à cette occaſion une Hiſtoire remarquable, qui a un très-grand rapport à la matiere que nous traitons. Un Médecin nommé Gennade, fort ami de S. Auguſtin, & fort connu à Carthage par ſa grande capacité & par ſon amour pour les pauvres, doutoit qu’il y eût une autre vie après celle-ci ; un jour il vit en ſonge un jeune homme, qui lui dit : ſuivez-moi ; il le ſuivit en eſprit, & ſe trouva dans une ville, où il entendit à ſa droite une mélodie admirable : il ne ſe ſouvenoit pas de ce qu’il avoit entendu à ſa gauche.

Une autrefois il vit le même jeune homme, qui lui dit : me connoiſſez-vous ? fort bien, lui répondit-il ; & d’où me connoiſſez-vous ? il lui raconta ce qu’il lui avoit fait voir dans la ville, où il l’avoit conduit. Le jeune homme ajouta : eſt-ce en ſonge ou éveillé que vous avez vû tout cela ? c’eſt en ſonge, lui dit-il ; & ce que je vous dis à préſent, l’entendez-vous en ſonge ou éveillé ? c’eſt en ſonge, répondit-il. Le jeune homme ajouta : où eſt à préſent votre corps ? dans mon lit, répliqua-t’il. Sçavez-vous bien que vous ne voyez rien à préſent des yeux du corps ? je le ſçais, répondit-il. Quels ſont donc les yeux par leſquels vous me voyez ? Comme il héſitoit, & ne ſçavoit quoi répondre, le jeune homme lui dit : de même que vous me voyez & m’entendez à préſent que vos yeux ſont fermés, & vos ſens endormis ; ainſi après votre mort vous vivrez, vous verrez, vous entendrez, mais des yeux de l’eſprit : ainſi ne doutez point qu’il n’y ait une autre vie après celle-ci.

Le grand S. Antoine vit un jour étant bien éveillé l’Ame du ſolitaire S. Ammon, qui étoit portée dans le Ciel au milieu des Chœurs des Anges. Or Saint Ammon étoit décédé le même jour à cinq journées de-là dans le déſert de Nitrie. Le même S. Antoine vit auſſi l’Ame de S. Paul Hermite, qui montoit au Ciel au milieu des Chœurs des Anges & des Prophetes, S. Benoît vit l’Ame de Saint Germain Evêque de Capoue au moment de ſon décès, qui étoit portée dans le Ciel par le miniſtére des Anges. Le même Saint vit l’Ame de ſa ſœur Sainte Scholaſtique, qui montoit au Ciel en forme de Colombe. On pourroit multiplier ces exemples à l’infini. Ce ſont de véritables Apparitions d’Ames ſéparées de leurs corps.

S. Sulpice Sévere étant aſſez éloigné de la Ville de Tours, & ne ſçachant pas ce qui s’y paſſoit, s’étoit endormi un matin d’un ſommeil fort léger ; comme il dormoit, il vit S. Martin qui lui apparut vêtu d’un habit blanc, le viſage éclatant, les yeux étincellans, les cheveux couleur de pourpre : il étoit néanmoins fort reconnoiſſable à ſon air & à ſa figure ; & S. Martin ſe fit voir à lui d’un viſage riant, & tenant en main le livre que Sulpice Sévere avoit compoſé de ſa vie. Sulpice ſe jetta à ſes pieds, embraſſa ſes genoux, & lui demanda ſa bénédiction, que le Saint lui donna. Tout ceci ſe paſſoit en viſion ; & comme S. Martin ſe fut élevé en l’air, Sulpice Sévere vit encore en eſprit le Prêtre Clarus Diſciple du Saint, qui prenoit le même chemin, , & s’élevoit vers le Ciel. A ce moment Sulpice s’éveilla, & un jeune garçon qui le ſervoit étant entré, lui dit qu’il y avoit deux Moines de Tours qui venoient d’arriver, & qui annonçoient que S. Martin y étoit décédé.

M. le Baron de Couſſey, ancien & reſpectable Magiſtrat, m’a raconté plus d’une fois, qu’étant à plus de ſoixante lieuës de la Ville où ſa mere déceda, la nuit qu’elle mourut, il fut éveillé par les abbois d’un chien qui étoit au pied de ſon lit, & qu’en même tems il apperçut la tête de ſa mere environnée d’une grande lumiere, qui entrant par la fenêtre dans ſa chambre, lui parla diſtinctement, & lui annonça diverſes choſes qui concernoient l’état de ſes affaires.

Saint Chriſoſtôme dans ſon exil[8], & la nuit qui précéda ſa mort, vit le Martyr S. Baſilique, qui lui dit : courage, mon frere Jean ; demain nous nous trouverons enſemble. La même choſe avoit été prédite à un Prêtre, qui demeuroit au même endroit. S. Baſilique lui dit : préparez un lieu pour mon frere Jean : car le voici qui vient.

La découverte du corps de S. Etienne premier Martyr eſt très-célébre dans l’Egliſe ; elle ſe fit en 415. S. Gamaliel qui avoit été Maître de S. Paul avant ſa converſion, apparut à un Prêtre nommé Lucius, qui couchoit dans le Baptiſtere de l’Egliſe de Jéruſalem pour en garder les vaſes ſacrés, & lui dit que ſon corps, & celui de Saint Etienne premier Martyr, étoient enterrés à Caphargamala au Faux-bourg nommé Dilagabis ; que le corps de ſon fils nommé Abibas, & celui de Nicodéme repoſoient au même endroit. Lucius eut la même viſion trois fois de ſuite à quelques jours de diſtance. Jean Patriarche de Jéruſalem, qui étoit alors au Concile de Dioſpolis, ſe rendit ſur les lieux, fit les découvertes & la tranſlation des Reliques, qui furent tranſportées à Jéruſalem ; & il s’y fit un grand nombre de Miracles.

Licinius étant dans ſa tente[9] tout occupé de la bataille qu’il devoit livrer le lendemain, vit un Ange, qui lui dicta la formule d’une priere qu’il fit apprendre à ſes Soldats, & par le moyen de laquelle il remporta la victoire ſur l’Empereur Maximin.

Maſcezel, Général des troupes Romaines que Stilicon envoya en Afrique contre Gildon, ſe prépara à cette guerre à l’imitation du grand Théodoſe, par la priere & l’intervention des Serviteurs de Dieu. Il mena avec lui dans ſon vaiſſeau des Religieux dont toute l’occupation pendant tout le trajet ne fut que la priere, le jeûne & le chant des Pſeaumes. Gildon avoit une armée de ſoixante & dix mille hommes : Maſcezel n’en avoit que cinq mille, & ne croyoit pas pouvoir ſans témerité ſe meſurer avec un Ennemi ſi puiſſant & ſi ſupérieur en forces. Comme il étoit dans ces inquiétudes, S. Ambroiſe qui étoit mort un an auparavant, lui apparut la nuit tenant un bâton à la main, & frappa la terre par trois fois, diſant : ici, ici, ici. Maſcezel comprit que le Saint lui promettoit la Victoire au même lieu dans trois jours. En effet trois jours après il marcha à l’Ennemi, offrit la paix aux premiers qu’il rencontra ; mais un Enſeigne lui ayant répondu avec arrogance, il lui déchargea un grand coup d’épée ſur le bras, & lui fit pancher ſon étendart : ceux qui étoient loin crurent qu’il ſe rendoit, & qu’il baiſſoit ſon étendart en ſigne de ſoumiſſion, & ils ſe hâterent d’en faire de même. Paulin qui a écrit la vie de S. Ambroiſe, aſſûre avoir appris ces particularités de la bouche même de Maſcezel ; & Oroſe les ſçavoit de ceux qui en avoient été témoins.

Les Perſécuteurs ayant fait ſouffrir le Martyre à ſept Vierges Chrétiennes[10], l’une d’elles apparut la nuit ſuivante à S. Théodoſe d’Ancyre, & lui découvrit le lieu où elle & ſes compagnes avoient été jettées dans le lac, ayant chacune une pierre au col. Comme Théodoſe & les ſiens étoient occupés à la recherche de ces corps, une voix du Ciel avertit Théodoſe de ſe garder du traître : elle vouloit marquer Polycronius, qui trahit Théodoſe, & fut cauſe qu’il fut arrêté & martyriſé.

Sainte Potamienne[11], Vierge Chrétienne qui ſouffrit le Martyre à Alexandrie, apparut après ſa mort à pluſieurs perſonnes, & fut cauſe de leur converſion au Chriſtianiſme. Elle ſe fit voir en particulier à un ſoldat nommé Baſilide, qui la menant au ſupplice, l’avoit défendue contre les inſultes de la populace ; ce ſoldat encouragé par Potamienne qui lui mit en viſion une couronne ſur la tête, ſe fit baptiſer, & reçut la couronne du Martyre.

Saint Grégoire Thaumaturge, Evêque de Néocéſarée dans le Pont, étant fort occupé de certaines difficultés de Théologie, que formoient des Hérétiques ſur les Myſteres de la Religion, & ayant paſſé une grande partie de la nuit à étudier ces matieres, il vit entrer dans ſa chambre un vieillard vénérable, ayant à ſes côtés comme une Dame d’une forme auguſte & divine : il comprit que c’étoient la Sainte Vierge & S. Jean l’Evangéliſte. La Vierge exhorta S. Jean à inſtruire l’Evêque, & à le tirer d’embarras, en lui expliquant clairement le Myſtere de la Trinité, & de la Divinité du Verbe ; il le fit, & Grégoire l’écrivit ſur le champ. C’eſt cette Doctrine qu’il laiſſa à ſon Egliſe, & que nous avons encore aujourd’hui.


  1. Aug. dé curâ gerend. pro mortuis, c. x.
  2. Concil. Eliber. anno circiter 300.
  3. Amphilo. vita S. Baſil. & Chronic. Alex. pag. 692.
  4. Acta ſincera Mart. p. 11. & 22. Edit. 1713.
  5. Paulin, vit. S. Ambroſ. n. 47. 48.
  6. Ambroſ. Epiſt. 22. pag. 874. vid. notas ibid.
  7. Evod. Upzal. apud Aug. Epiſt, clviij. Idem. Aug. Epiſt. clix.
  8. Palladius, Dialog. de vitâ Chriſoſt. c. xj.
  9. Lactant. de Mort. Perſec. c. 40.
  10. Acta ſincera Martyr. paſſion. S. Theodoſ. m. pag. 343. 344.
  11. Euſeb, Hiſt. Eccleſ. lib. 6. c. 8.