Traité sur les apparitions des esprits/I/37

CHAPITRE XXXVII.

Autres Exemples des Spectres qui infeſtent
certaines maiſons.

LE P. Pierre Thyrée[1] Jéſuite rapporte une infinité d’exemples de maiſons infeſtées par des Spectres, des Eſprits & des Démons ; par exemple, celui d’un Tribun nommé Heſperius, dont la maiſon étoit infeſtée par un Démon, qui en tourmentoit les domeſtiques & les animaux, & qui en fut chaſſé, dit Saint Auguſtin[2], par un bon Prêtre d’Hippone, qui y offrit le divin Sacrifice du Corps du Seigneur.

Saint Germain[3] Evêque de Capoüe prenant le bain dans un quartier de la ville, y trouva Paſchaſe Diacre de l’Egliſe Romaine, mort depuis quelque tems, qui ſe mit en devoir de le ſervir, lui diſant qu’il faiſoit là ſon Purgatoire, pour avoir favoriſé le parti de Laurent Antipape, contre le Pape Simmaque.

Saint Grégoire de Nyſſe, dans la vie de Saint Grégoire de Néocéſarée, dit qu’un Diacre de ce ſaint Evêque étant entré dans un bain où perſonne n’oſoit entrer le ſoir après une certaine heure, parce que tous ceux qui y étoient entrés y avoient été mis à mort, y vit des Spectres de toutes ſortes, qui le menacerent en mille manieres ; mais il s’en délivra par le Signe de la Croix, & en invoquant le nom de Jeſus-Chriſt.

Alexandre d’Alexandrie[4] ſçavant Juriſconſulte Napolitain du quinziéme ſiécle, dit que tout le monde ſçait qu’à Rome il y a nombre de maiſons tellement décriées par les Spectres qui y paroiſſent preſque toutes les nuits, que perſonne n’oſe y habîter : il cite pour témoin Nicolas Tuba ſon ami, homme très-connu par ſa bonne foi & ſa probité, qui étant une fois venu avec quelques-uns de ſes compagnons pour éprouver ſi tout ce qu’on diſoit de ces maiſons étoit véritable, voulut y paſſer la nuit avec Alexandre. Comme ils étoient enſemble & bien éveillés avec de la clarté bien allumée, ils virent paroître un Spectre horrible, qui les effraya tellement par ſa voix terrible & par le grand bruit qu’il faiſoit, qu’ils ne ſçavoient plus, ni ce qu’ils faiſoient, ni ce qu’ils diſoient ; & à meſure que nous approchions, dit-il, avec la lumiere, le fantôme s’éloignoit : enfin après avoir jetté le trouble dans toute la maiſon, il diſparut entierement.

Je pourrois encore rapporter ici le Spectre du P. Sinſon Jéſuite, qu’il vit, & auquel il parla à Pont-à-Mouſſon dans le Cloître de la maiſon de ces Peres ; mais je me contenterai de l’exemple qui eſt rapporté dans les Cauſes Célébres[5], & qui peut ſervir à détromper ceux qui donnent trop légerement créance à ces ſortes de contes.

Au Château d’Arſillier en Picardie, on voyoit en certains jours de l’année, c’eſt-à-dire vers la Touſſaint, des flammes & une horrible fumée qui en ſortoient. On y entendoit des cris & des hurlemens épouvantables. Le Fermier du Château étoit fait à ce tintamare, parce qu’il le cauſoit lui-même. Tout le village en parloit, & chacun en faiſoit des contes à ſa façon. Le Seigneur à qui le Château appartenoit, ſe doutant qu’il y avoit de la ſupercherie, y vint vers la Touſſaint avec deux Gentils-hommes de ſes amis, bien réſolus de pourſuivre l’Eſprit, & de tirer deſſus avec deux bons piſtolets. Peu de jours après on ouit un grand bruit au-deſſus de la chambre où couchoit le Préſident Seigneur du Château : ſes deux amis y monterent, tenant d’une main le piſtolet, & de l’autre une chandelle ; il ſe préſenta une eſpece de fantôme noir, avec des cornes & une longue queuë, qui commença à gambader devant eux.

L’un d’eux lui tira un coup de piſtolet ; le Spectre au lieu de tomber, ſe retourne & ſe friſe devant lui : le Gentil-homme veut le ſaiſir ; mais l’Eſprit ſe ſauve par un petit eſcalier : le Gentilhomme le ſuit ; mais le perd de vûe, & après divers tours le Spectre ſe jetta dans une grange & diſparut, au moment que celui qui le pourſuivoit comptoit de le prendre & de l’arrêter. On apporte de la lumiere, & l’on remarque que là où le Spectre avoit diſparu, il y avoit une trape qu’on fermoit au verrouil après qu’on y étoit entré : on força la porte de la trape, & on trouva le prétendu Eſprit. Il avoua toutes ſes ſoupleſſes, & que ce qui le rendoit à l’épreuve du piſtolet, étoit une peau de buffle ajuſtée à ſon corps.

Le Cardinal de Retz[6] dans ſes Mémoires raconte agréablement la frayeur, dont lui & ceux de ſa compagnie furent ſaiſis à la rencontre d’une troupe de Religieux Auguſtins noirs, qui venoit la nuit de ſe baigner dans la riviere, & qu’ils prirent pour une troupe de toute autre choſe.

Un Médecin, dans une Diſſertation qu’il a donnée ſur les Eſprits, dit qu’une ſervante de la rue S. Victor étant deſcendue dans la cave, en revint fort effrayée, diſant qu’elle avoit vû un Spectre debout entre deux tonneaux. D’autres plus hardis y deſcendirent, & le virent de même. C’étoit un corps mort, qui étoit tombé d’un chariot venant de l’Hôtel-Dieu. Il étoit paſſé par le ſoupirail de la cave, & étoit demeuré debout entre deux muids.

Tous ces faits raſſemblés, au lieu de ſe confirmer l’un & l’autre, & d’établir la réalité de ces Spectres qui apparoiſſent dans certaines maiſons, & qui en écartent ceux qui voudroient y faire leur demeure, ne ſont propres au contraire qu’à les faire ſuſpecter généralement tous : car à propos de quoi ces gens enterrés & pourris depuis longtems ſe trouvent-ils en état de marcher avec leurs chaînes ? comment les traînent-ils ? Comment parlent-ils ? Car il y en a que l’on dit qui ont parlé, n’ayant pas les organes de la voix. Que demandent-ils ? La ſépulture. Ne ſont-ils pas enterrés ? Si ce ſont des Payens & des réprouvés, ils n’ont que faire de prieres. Si ce ſont des gens de bien morts en état de grace, ils peuvent avoir beſoin de prieres pour les tirer du Purgatoire ; mais dira-t’on cela de ces Spectres dont parlent Pline & Lucien ? Eſt-ce le Démon qui ſe joue de la ſimplicité des hommes ? N’eſt-ce pas lui attribuer un pouvoir exceſſif, que de le faire auteur de toutes ces Apparitions, que nous ne concevons pas qu’il puiſſe faire ſans la permiſſion de Dieu ? Or nous concevons encore moins que Dieu veuille concourir aux ſupercheries & aux illuſions du Démon. Il y a donc lieu de croire que toutes ces ſortes d’Apparitions, que toutes ces Hiſtoires ſont fauſſes, & qu’on doit les rejetter abſolument, comme plus propres à entretenir la ſuperſtition & la vaine crédulité des peuples, qu’à les édifier & à les inſtruire.

  1. Thyræi Dæmoniaci cum locis infeſtis, lib. 5.
  2. Aug. de Civit. lib. 22. 8.
  3. Greg. mag. Dialog. c. 39.
  4. Alexand. ab Alexand. lib. 5. cap. 23.
  5. Cauſes Célebres, tom. xj. pag. 374.
  6. Mém. du Cardinal de Retz, tom. I. p. 43. 44.