Traité populaire d’agriculture/Formation des pâturages

SECTION PREMIÈRE.

Formation des pâturages.

Comme les prairies, les pâturages sont formés par la nature ou par la main de l’homme.

On a donc les pâturages artificiels, formés par le semis, et les pâturages naturels que nous donnent la croissance spontanée et la transformation en pacage d’une prairie naturelle.

I
SEMIS.

Tout ce que nous avons dit sur le semis de la prairie trouve ici son application.

Le but est le même dans les deux cas, la nourriture du bétail. Toute la différence, c’est que dans le pâturage, les animaux vont eux-mêmes chercher leur nourriture dans le champ. Il faut donc qu’ils la trouvent aussi abondante, aussi succulente que possible et l’on réussira à leur donner une nourriture convenable si on apporte à la formation des pâturages les mêmes soins qu’exige la création des prairies.

Dans le choix des plantes, il faut toutefois ne point perdre de vue la destination du pâturage, semer de préférence les plantes à tiges basses et rampantes, écarter celles qui ne repoussent pas rapidement sous la dent des bestiaux.

II
CROISSANCE SPONTANÉE.

Les pâturages formés par croissance spontanée portent, comme les prairies, le qualificatif de naturels.

Les pâturages naturels suivants, qu’ils soient permanents ou temporaires, portent les noms respectifs de pâturages naturels ou pâturages accidentels.

1oPâturages naturels.

Les pâturages naturels proprement dits ou permanents, sont des terrains impropres, soit par leur nature, soit par leur situation, à être convertis en terres arables, et qui, abandonnés à eux-mêmes, se couvrent d’herbages.

On les divise en pâturages gras, pâturages humides et pâturages secs.

a]Pâturages gras. — Ce sont des pâturages parfaitement analogues à ces terres grasses que l’on trouve dans le voisinage des fleuves et des rivières. Ces pâturages, qu’on appelle aussi pâturages d’engrais, herbages d’embouche, donnent, sans aucune peine de la part du cultivateur, des produits abondants et continuels. Ils servent à l’alimentation du gros bétail destiné à fournir du lait ou à être livré à l’engraissement.

Malgré la richesse de leur végétation, ces terrains sont livrés au pâturage, parce que, situés au bord des fleuves et des ruisseaux, ils sont exposés à être inondés ou parcourus par les torrents. En laissant l’herbe monter en foin, on court fréquemment le risque de voir sa récolte complètement avariée ; en laissant au contraire les animaux y brouter l’herbe à mesure qu’elle se developpe, les inondations n’ont alors aucun fâcheux résultat.

On peut engraisser sur trois quarts d’arpent de pâturage de première qualité un bœuf de 400 à 600 livres depuis le mois de juin jusqu’au mois de novembre. Sur un pâturage de moindre qualité l’engraissement d’un bœuf exige un arpent et quart. Une vache, pour donner le plus haut produit en lait, exige un peu plus d’espace qu’un bœuf de même taille.

b]Pâturages humides. — Il ne faut pas confondre ces pâturages avec les précédents, qui souvent peuvent être humides, grâce aux inondations auxquelles ils sont sujets ; mais cette humidité n’est due alors qu’à une cause purement accidentelle.

Au contraire, les pâturages humides, dont il est ici question, doivent la surabondance d’humidité dont ils sont imprégnés à la nature même du sol, dont la couche inférieure imperméable, fait refluer à la surface les eaux qui s’y trouvent.

Ces pâturages sont ordinairement d’une qualité inférieure, et rarement il est possible de les assainir d’une manière complète. On les utilise néanmoins ; mais, ccmme l’herbe qu’ils produisent est plus rare et surtout moins nourrissante, il en faut une étendue plus considérable pour nourrir un bœuf ou une vache. Quelquefois un arpent et demi suffit et quelquefois il en faut cinq à huit.

c]Pâturages montagneux ou secs. — La valeur de ces pâturages dépend de leur situation, de la nature de leur sol, et d’une foule d’autres circonstances trop longues à énumérer.

Quelquefois ils pourraient, à la vérité, être soumis à la culture, mais alors leur éloignement est tel qu’il vaut mieux les laisser en pâturage ; d’autres fois, le sol est tellement encombré de pierres qu’il est impossible d’y faire fonctionner la charrue ; souvent aussi, le terrain est tellement escarpé que la marche des instruments aratoires y devient impossible et que le transport des engrais nécessaires et le charroi des récoltes causeraient des dépenses qui ne seraient nullement balancées par les produits obtenus. Enfin, et c’est le plus souvent, le sol est sec et stérile au point que, sans tenir compte des autres difficultés que nous venons de mentionner, toute tentative d’améliorer ces terres deviendrait nécessairement infructueuse. Aussi le meilleur parti qu’on puisse tirer de ces sols, c’est de les laisser en pâturages permanents.

2oPâturages accidentels.

On donne ce nom aux terres temporairement pâturées, sans avoir été ensemencées à ce dessein.

Elles sont loin de fournir une nourriture abondante, une ressource quelque peu assurée ; leurs produits sont toujours inférieurs à ceux des autres pâturages, tant sous le rapport de leur qualité que sous celui de leur abondance.

On en donne la classification suivante :

1opâturage sur jachère,

2opâturage sur chaume,

3opâturage des forêts.

Comme il existe réellement des pâturages de ce genre et des cultivateurs qui comptent sur leurs produits, il est important, même nécessaire, d’en dire quelques mots.

Si l’on jette un coup d’œil autour de soi, si l’on observe ce qu’une pratique journalière ne cherche nullement à cacher, on pourra se convaincre que les pâturages sur chaume sont le genre généralement suivi par nos cultivateurs.

Et pourtant les inconvénients d’un tel système ne manquent point.

Les plantes que produisent les chaumes ne sont ni assez bonnes ni assez abondantes pour fournir une nourriture suffisante à un troupeau quelque peu nombreux ; il faut donc une surface plus étendue pour nourrir le bétail en été et nécessairement, elle est prise sur celle que l’on destine à la production des fourrages devant servir de nourriture au bétail pendant l’hiver.

Or, moins de fourrage, moins d’animaux ; moins d’animaux, moins d’engrais ; moins d’engrais, moins de produits et par conséquent moins de profits.

En agriculture tout se tient, tout s’enchaîne et la moindre des fautes amène des conséquences souvent désastreuses.

Tout cultivateur donc, qui sans nécessité absolue, ce qui avec une bonne culture ne peut presque jamais arriver, laisse ses chaumes en pâturages, sans les avoir ensemencés, se fait un tort extrême, car non seulement le produit de ces pâturages n’est en aucune manière proportionnée à la récolte de fourrage qu’on pourrait en obtenir pendant le même laps de temps ; mais la terre durcie ou battue par la pluie et séchée par le soleil, ne reçoit aucunement les influences bienfaisantes des agents atmosphériques ; les mauvaises herbes envahissent promptement la surface du champ, fleurissent, produisent des graines et se multiplient d’une manière effrayante.

Ce que nous venons de dire du pâturage sur chaume, tel qu’il est pratiqué ordinairement, s’applique également au pâturage sur jachère.

Quant au pâturage des forêts, laissant de côté la question de savoir s’il est convenable ou utile d’y faire paître les animaux, il reste encore celle de savoir si les forêts peuvent procurer une bonne nourriture au bétail.

On peut y répondre négativement.

Cependant si les arbres ne sont pas bien élevés, ou encore s’ils sont clairsemés, dans ces cas le pâturage peut être profitable, parce que les herbes jouissant encore de l’influence de la lumière, conservent avec leur saveur leurs qualités nutritives.