Traité des trois imposteurs/Copie

COPIE

de l’Article IX. du Tome 1er, seconde Partie, des Mémoires de Littérature, imprimés à La Haye chez Henri de Sauzet, 1716.


On ne peut plus présentement douter qu’il n’y ait eu un Traité de tribus impostoribus, puisqu’il s’en trouve plusieurs copies manuscrites. Si M. de La Monnoye l’eût vu aussi conforme qu’il l’est à l’extrait qu’en donne M. Arpe, dans sa lettre imprimée à Leyde le 1er janvier 1716., même division en six Chapitres, mêmes titres & les mêmes matières qui y sont traitées, il se seroit récrié contre la supposition de ce livre, qu’on voudroit mal à propos attribuer à Pierre des Vignes, Secrétaire & Chancelier de l’Empereur Frédéric II. Ce justicieux Critique a déjà fait voir la différence du style Gothique de Pierre des Vignes dans ses Epîtres d’avec celui employé dans la Lettre que l’on feint adressée au Duc de Bavière Othon l’Illustre en lui envoyant ce livre. Une remarque bien plus importante n’aurait pas échappé à ses lumières. Ce Traité des trois Imposteurs est écrit & raisonné suivant la méthode & les principes de la nouvelle Philosophie, qui n’ont prévalu que vers le milieu du 17e. siècle, après que les Descartes, les Gassendi, les Bernier & quelques autres se sont expliqués avec des raisonnements plus justes & plus clairs que les anciens Philosophes qui avoient affecté une obscurité mystérieuse, voulant que leurs secrets ne fussent que pour les initiés. Il a même échapé à l’auteur de l’ouvrage, dans son cinquième Chapitre de nommer M. Descartes, & il y combat les raisonnements de ce grand homme au sujet de l’âme. Or ni Pierre des Vignes, ni aucun de ceux qu’on a voulu faire passer pour auteurs de ce livre, n’ont pu raisonner suivant les principes de la nouvelle Philosophie, qui n’ont prévalu que depuis qu’ils ont écrit. A qui donc attribuer ce livre  ? On pourrait conclurre qu’il n’est que du même temps que la petite Lettre imprimée à Leyde en 1716. Mais il se trouva une difficulté. Tentzelius, qui a écrit en 1689, & postérieurement, donne aussi un extrait de ce livre sur la foi d’un de ses amis prétendu témoin oculaire  : ainsi sans vouloir fixer l’époque de la composition de ce livre qu’on disoit composé en latin & imprimé, le petit Traité François manuscrit, soit qu’il n’ait jamais été écrit qu’en cette langue, ou qu’il soit une traduction du Latin, ce qui serait difficile à croire, ne peut être fort ancien.

Ce n’est pas même le seul livre composé sous ce titre & sur cette matière  : un homme que son caractère & sa profession auroit dû engager à s’appliquer à d’autres matières plus convenables, s’est avisé de composer un gros ouvrage écrit en François, sous ce même titre des trois imposteurs. Dans une préface qu’il a mise à la tête de son ouvrage, il dit qu’il y a longtemps qu’on parle beaucoup du livre des trois imposteurs, qui ne se trouve nulle part, soit qu’il n’ait véritablement jamais existé, ou qu’il soit perdu  ; c’est pourquoi il veut, pour le restituer, écrire sur le même sujet. Son ouvrage est fort long, fort ennuyeux, & fort mal composé, sans principes, sans raisonnements. C’est un amas confus de toutes les injures & invectives répandues contre les trois législateurs. Ce manuscrit était en deux volumes in-folio, épais, & d’une belle écriture, & assez menue  : le livre est divisé en grand nombre de Chapitres. Un autre manuscrit semblable fut trouvé après la mort d’un Seigneur, ce qui donna occasion de faire enlever cet auteur, qui ayant été averti, fit ensorte qu’il ne se trouvât rien parmi ses papiers pour le convaincre. Depuis ce temps, il vit enfermé dans un monastère où il fait pénitence. En 1733, il a recouvré entièrement sa liberté, & on a ajouté une pension de 250 liv. sur l’abbaye de St-Liguiare, à une première qu’il avoit réservée de 350 liv. sur son bénéfice  ; il se nommoit Guillaume, Curé de Fresne-sur-Berny, frère d’un Laboureur du Pays. Il avoit été ci-devant Régent au Collège de Montaigu ; dans sa jeunesse il avoit été enrôlé dans les dragons, & ensuite il s’étoit fait Capucin.