Traité des trois imposteurs/Chapitre 4

CHAPITRE IV.

Vérités sensibles & évidentes.
§. 1.

Moyse, Jésus & Mahomet étant tels que nous venons de les peindre, il est évident que ce n’est point dans leurs écrits qu’il faut chercher une véritable idée de la Divinité. Les apparitions & les conférences de Moyse & de Mahomet, de même que l’origine divine de Jésus, sont les plus grandes impostures qu’on ait pu mettre au jour, & que vous devez fuir si vous aimez la vérité.

§. 2.

Dieu n’étant, comme on a vu, que la nature, ou, si l’on veut, l’assemblage de tous les êtres, de toutes les propriétés & de toutes les énergies, est nécessairement la cause immanente & non distincte de ses effets  ; il ne peut être appelé ni bon, ni méchant, ni juste, ni miséricordieux, ni jaloux  ; ce sont des qualités qui ne conviennent qu’à l’homme  ; par conséquent, il ne sauroit ni punir ni récompenser. Cette idée de punitions & de récompenses ne peut séduire que des ignorants, qui ne conçoivent l’Être simple, qu’on nomme Dieu, que sous des images qui ne lui conviennent nullement. Ceux qui se servent de leur jugement, sans confondre ses opérations avec celles de l’imagination, & qui ont la force de se défaire des préjugés de l’enfance, sont les seuls qui s’en fassent une idée claire & distincte. Ils l’envisagent comme la source de tous les Êtres, qui les produit sans distinction, les uns n’étant pas préférables aux autres à son égard, & l’homme ne lui coûtant pas plus à produire que le plus petit vermisseau ou la moindre plante.

§. 3.

Il ne faut donc pas croire que l’Être universel, qu’on nomme communément Dieu, fasse plus de cas d’un homme que d’une fourmi, d’un lion plus que d’une pierre. Il n’y a rien à son égard de beau ou de laid, de bon ou de mauvais, de parfait ou d’imparfait. Il ne s’embarrasse point d’être loué, prié, recherché, caressé  ; il n’est point ému de que les hommes font ou disent, il n’est susceptible ni d’amour ni de haine[1]  ; en un mot, il ne s’occupe pas plus de l’homme que du reste des créatures, de quelque nature qu’elles soient. Toutes ces distinctions ne sont que des inventions d’un esprit borné ; l’ignorance les imagina & l’intérêt les fomente.

§. 4.

Ainsi tout homme sensé ne peut croire ni Dieu, ni Enfer, ni Esprit, ni Diables, de la manière qu’on en parle communément. Tous ces grands mots n’ont été forgés que pour éblouir ou intimider le vulgaire. Que ceux donc qui veulent se convaincre encore mieux de cette vérité prêtent une sérieuse attention à ce qui suit, & s’accoutument à ne porter des jugements qu’après de mûres réflexions.

§. 5.

Une infinité d’astres que nous voyons au-dessus de nous, on fait admettre autant de corps solides où ils se meuvent, parmi lesquels il y en a un destiné à la Cour céleste, où Dieu se tient comme un Roi au milieu de ses Courtisans. Ce lieu est le séjour des Bienheureux, où l’on suppose que les bonnes âmes vont se rendre en quittant le corps. Mais, sans nous arrêter à une opinion si frivole & que nul homme de bon sens ne peut admettre, il est certain que ce que l’on appelle Ciel, n’est autre chose que la continuation de l’air qui nous environne, fluide dans lequel les planètes se meuvent, sans être soutenues par aucune masse solide, de même que la terre que nous habitions.

§. 6.

Comme l’on a imaginé un Ciel, dont on a fait le séjour de Dieu & des bienheureux, ou, suivant les Payens, des Dieux & des Déesses, on s’est depuis figuré un Enfer, ou lieu souterrain, où l’on assure que les âmes des méchants descendent pour y être tourmentées. Mais ce mot d’Enfer, dans sa signification naturelle, n’exprime autre chose qu’un lieu bas & creux, que les Poëtes ont inventé pour opposer à la demeure des habitants célestes, qu’ils ont supposée haute & élevée. Voilà ce que signifient exactement les mots infernus ou inferi des Latins, ou celui des Grecs αδης, qui entendent un lieu profond & redoutable par son obscurité. Tout ce qu’on en dit n’est que l’effet de l’imagination des Poëtes & de la fourberie des Prêtres  ; tous les discours des premiers sont figurés & propres à faire impression sur des esprits faibles, timides & mélancoliques  ; ils furent changés en articles de foi par ceux qui ont le plus grand intérêt à soutenir cette opinion.

  1. Omnis enim per se divum natura necesse est
    Immortali ævo summa cum pace fruatur,
    Semota ab nostris rebus, sejunctaque longe ;
    Nam privata dolore omni, privata periclis,
    Ipsa suis pollens opibus : nihil indiga Nostri,
    Nec bene pro meritis capitur, nec tangitur ira,

        Lucret. de rerum nat Lib, I. vs 57. & seqq.