Traité des sièges et de l’attaque des places/46

RÈGLES OU MAXIMES GÉNÉRALES
qui peuvent servir à l’attaque des places.

I.

Être toujours bien informé de la force des garnisons avant que de déterminer les attaques.

II.

Attaquer toujours par le plus faible.
Exceptions ; exemples.
Attaquer toujours par le plus faible des places et jamais par le plus fort, à moins qu’on n’y soit contraint par des raisons supérieures, qui, comparées aux particulières, font que ce qui est le plus fort dans les cas ordinaires, se trouve le plus faible dans les extraordinaires : ce qui dépend des lieux, des temps et des saisons que les places sont attaquées, et des différentes situations où on se trouve.

1677. Quand le Roi assiégea Valenciennes, Sa Majesté n’ignorait pas que le front de la porte d’Anzin ne fût le plus fort de la place ; cependant il la fit attaquer par là :

1o À cause de la facilité des approches par la chaussée de Rhume*, * Raismes. qui, étant pavée, amenait toutes nos munitions depuis Dunkerque, Ypres, Lille, Douay et Tournay, jusqu’à la queue des tranchées, ce qui ne se pouvait partout ailleurs ;

2o De la facilité d’avoir des fascines, y ayant de grands bois près de là qui pouvaient abondamment fournir toutes celles dont on avait besoin ;

Et 3o De pouvoir contrevaller, comme nous fîmes par la tranchée, toute cette partie qui s’étend depuis l’inondation au-dessous de la place jusqu’à celle au-dessus ; ce qui étant répété par deux places d’armes, l’une devant l’autre, et par tous les plis et replis de la tranchée, l’ennemi fut enfermé dans sa place et réduit à ne pouvoir pas sortir quatre hommes hors de son chemin couvert, depuis la porte de Tournay jusqu’à la porte Notre-Dame ; de sorte que s’il se fût présenté un grand secours, le roi aurait pu, en renforçant la tranchée de deux bataillons et de trois ou quatre escadrons, lever tous les quartiers de ce côté-là, qui faisaient les deux cinquièmes du circuit des lignes, pour en renforcer son armée et se présenter aux ennemis, sans que les attaques eussent cessé de faire leur chemin.

Ces raisons ou autres semblables prises hors-œuvre prévalent quelquefois sur les communes très-avantageusement ; c’est pourquoi où cela se trouve, on ne doit pas hésiter à les faire valoir.

III.

Ne point ouvrir la tranchée que les lignes ne soient fort avancées, et les munitions et matériaux nécessaires en place, prêts et à portée ; car il ne faut point languir par ce manquement, mais avoir toujours les besoins nécessaires sous la main.

IV.

Bien embrasser le front d’attaque. Embrasser toujours tout le front des attaques, afin d’avoir l’espace nécessaire aux batteries et places d’armes.

V.

Faire toujours trois grandes lignes ou places d’armes ; les bien situer et établir, leur donnant toute l’étendue nécessaire.

VI.

Les attaques liées sont préférables à toutes les autres.

VII.

Ne jamais faire par force ce que l’on peut par industrie. Employer la sape dès que la tranchée deviendra dangereuse, et ne jamais faire à découvert ni par force, ce que l’on peut par industrie, attendu que l’industrie agit toujours sûrement, ce que la force qui est quelquefois sujette à manquer ne fait pas toujours, et hasarde pour l’ordinaire beaucoup.

VIII.

Ne jamais attaquer par des lieux serrés et étroits, ni par des marais, et encore moins par des chaussées, quand on le peut par des lieux secs et spacieux.

IX.

Ne jamais attaquer par des angles rentrant qui puissent donner lieu à l’ennemi d’envelopper ou croiser sur la tête des attaques, parce qu’au lieu d’embrasser, il se trouverait par les suites que la tranchée serait enveloppée.

X.

Laisser les cheminemens libres pour le service. Ne point embarrasser la tranchée de troupes ni de travailleurs, ni de matériaux : mais ranger les uns et les autres dans les places d’armes de la droite et de la gauche, et laisser les chemins libres pour le service du travail et des allans et venans.

XI.

Le moyen le plus sûr de bien réussir à un siége, est d’avoir une armée d’observation.

XII.

Ne jamais porter un ouvrage en avant près de l’ennemi, que celui qui le doit soutenir ne soit en état de le faire.

XIII.

Que les batteries plongeantes dites ricochets, soient toujours situées sur les enfilades et revers des pièces attaquées et non autrement.

XIV.

Employer lesdites batteries à ricochet, et les cavaliers à la prise des chemins couverts, par préférence aux attaques forcées, dans tous les endroits où il y aurait possibilité de le faire.

XV.

Observer la même chose à celle de tous les dehors, et du corps de la place.

XVI.

Ne jamais tirer aux bâtimens des places, parce que c’est perdre temps et consommer des munitions mal à propos pour des choses qui ne contribuent en rien à leur reddition, et dont les réparations vous coûtent toujours beaucoup après la prise.

XVII.

La précipitation dans les siéges ne hâte point la prise des places, la recule souvent et ensanglante toujours la scène ; 1697.
1703.
témoin Barcelone, Landau et plusieurs autres.

XVIII.

Il est des siéges et de l’attaque des places, comme de la plupart des affaires considérables de ce monde, qui demandent un point de maturité pour être résolues et bien conduites à leur fin.

XIX.

Sur la saison propre aux siéges. La saison la moins propre à l’attaque des places est l’hiver, parce que c’est celle des mauvais temps et des grands froids qui font beaucoup souffrir les troupes.

XX.

Attaquer les places marécageuses, dont les environs sont humides et à demi-mouillés, dans les temps les plus secs de l’année ; parce que vraisemblablement on y sera moins incommodé des eaux.

XXI.

À place régulière, régulière attaque : mais à place irrégulière, on doit attaquer comme on peut, sans toutefois s’éloigner de l’observation des règles que le moins qu’il est possible.

XXII.

Places qui ont château ou citadelle. Aux places où il y a château et citadelle, attaquer tant qu’on pourra par la citadelle, si d’autres raisons ne prévalent ; parce que celle-ci prise, la ville suit nécessairement : au lieu qu’attaquant la ville la première, on a deux siéges à faire pour un.

XXIII.

Ne jamais s’écarter ni s’éloigner de l’observation Ne jamais s’écarter des règles, sous prétexte qu’une place n’est pas bonne. des règles sous prétexte qu’une place n’est pas bonne, de peur de donner lieu à une mauvaise de se défendre comme une bonne.

XXIV.

Les attaques par des lieux serrés et étroits sont toujours difficiles et sujettes à de grands inconvéniens, parce qu’on n’y peut pas toujours observer les règles.

XXV.

Toute fortification réglée par les maîtres de l’art, a toujours quelque chose de régulier ou fort approchant, à moins que la situation n’y répugne tout-à-fait ; il en doit être ainsi de la conduite des attaques bien entendues.

XXVI.

Places entourées de marais. Les pays de marais qu’on ne peut écouler ni épuiser, ne sont propres à l’attaque des places qu’autant que la faiblesse de leur fortification et de leur garnison s’y accorde, et que les digues par où l’on peut les aborder, donnent moyen par leur largeur et hauteur de pouvoir conduire une tranchée tout le long avec les retours nécessaires, sans être contraint de s’enfiler, et qu’il se trouve quelque terrain sec à côté plus élevé que la superficie du marais, pour y pouvoir utilement établir des batteries de toutes espèces qui suppléent en partie aux conditions demandées dans les cas ordinaires.

XXVII.

Cas où l’on doit attaquer de jour ou de nuit. Attaquer de jour quand la tranchée a tellement pris ses avantages, qu’il n’y a plus d’endroits dans tout le front attaqué, qui se puissent dire exempts de la supériorité du canon, des bombes, des pierres, et de la mousqueterie. Et de nuit, quand une grande partie de ces endroits ne sont pas dans le cas.

XXVIII.

Nécessité d’un direc­teur des attaques. Tout siége de quelque considération demande un homme d’expérience, de tête et de caractère, qui ait la principale direction des attaques, sous l’autorité du général ; que cet homme dirige la tranchée et tout ce qui en dépend, place les batteries de toutes espèces, et montre aux officiers de l’artillerie ce qu’ils ont à faire ; à quoi ceux-ci doivent obéir ponctuellement, sans y ajouter ni diminuer. Où cela ne s’est pas exécuté au pied de la lettre, tout a tourné à confusion, et jamais le canon n’a été bien placé ni bien servi, et n’a produit l’effet qu’on a dû en attendre.

XXIX.

La même raison fait encore que cet homme doit commander aux ingénieurs, mineurs, sapeurs, et à tout ce qui a rapport aux attaques, dont il est comptable au général seul : par la raison que quand il y a plusieurs têtes à qui il faut rendre compte, il est impossible que la confusion ne s’y mette ; après quoi, tout ou la plus grande partie va de travers, au grand détriment du siége et des troupes.

XXX.

Finalement, ne jamais s’éloigner de l’observation de ces maximes, parce qu’on ne le saurait faire sans manquer dans une chose ou dans l’autre, et souvent dans toutes.