Traité des aliments de carême/Avertissement

Jean-Baptiste Coignard (Tome Ip. np).


AVERTISSEMENT.



Quelque attention que nous aïons apportée dans l’examen des alimens dont il s’agit ici, nous n’avons garde de nous flatter que ce que nous en disons, puisse contenter tous les Lecteurs.

Les goûts sont différens, & c’est ordinairement par goût, plûtôt que par principes, que l’on juge dans le monde des bonnes ou des mauvaises qualitez d’une nourriture. Chacun prétend que celle qu’il aime le plus, est la plus saine ; & de-là vient cette varieté d’opinions sur la nature de chaque aliment.

Le Medecin se conduit par des regles plus sures. Il ne fait point dépendre ses idées de son goût ; & prêt, s’il le faut, à condamner ce qui lui plaît davantage, il ne consulte dans ses examens que la raison & l’experience. Ce sont-là les deux maîtres que nous avons tâché de suivre ; & les personnes qui examineront, sans préjugé, les preuves sur lesquelles nous appuïons nos décisions, n’auront pas de peine à le reconnoître.

On trouvera nos remarques confirmées par celles des plus illustres Medecins, tant anciens que modernes, qui ont laissé par écrit ce qu’une longue experience, jointe à de profondes méditations, leur a découvert sur ces matieres. Hippocrate est celui de tous, auquel nous nous sommes le plus attachez. Et nous ne doutons pas que ceux qui connoissent jusqu’où ce savant homme a poussé l’exactitude dans ses observations, n’approuvent la preference que nous lui avons donnée. Nul Auteur n’écrit avec moins de faste, & plus de lumiere : on ne trouve nulle par tant de précision & de discernement : il copie la nature & ne parle qu’aprés elle : on sent la verité de tout ce qu’il dit ; & quand il caracterise un aliment, il faut ou n’en avoir jamais fait usage, ou s’aveugler soi-même, pour ne pas convenir des qualitez qu’il lui attribuë.

On ne sçauroit donc trouver à redire que nous aïons souvent recouru au témoignage d’un si grand homme. Peut-être jugera-t-on que nous aurions pu nous passer de le citer en Grec aussi frequemment que nous avons fait, mais outre que ce Grec est renvoïé aux marges, & qu’il n’embarrasse point le corps du discours, nous avons cru devoir en agir ainsi, pour montrer que nous y allons de bonne foi, & que nous ne prétendons point en être crus sur nôtre parole. Nous en avons usé de même, en plusieurs rencontres, à l’égard de quelques Auteurs Latins, dont on verra aux marges les propres expressions, comme elles se trouvent dans leurs ouvrages. Quand on cite avec autant de scrupule que nous faisons, on est pardonnable de vouloir mettre en évidence sa fidelité. Mais à quoi bon, diront quelques uns, toutes ces autorirez ? à faire voir l’uniformité qui se trouve sur un même sujet, entre les Medecins, & à former, par ce moïen, dans l’esprit de ceux pour qui l’on écrit, une persuasion plus entiere. Si nous nous étions contenté, par exemple, en parlant des féves & des lentilles, de dire nôtre sentiment sur la qualité de ces legumes, sans l’appuïer de celui des plus habiles maîtres de l’Art, peut-être auroit-on cru nous faire grace, de s’en rapporter à nous ; au lieu qu’en faisant voir que ces alimens ont toûjours été regardez par les Medecins les plus experimentez, comme capables de rendre le sang grossier, de produire des humeurs melancholiques, & de porter un tort considerable à la santé de ceux qui ne sont pas d’un temperament robuste, on laisse moins de retranchement à l’incertitude.

Ce seroit ici le lieu de dire un mot du dessein que nous nous sommes proposé, & de la methode que nous avons suivie ; mais les Lecteurs trouveront là-dessus, dés l’entrée du Livre, tout l’éclaircissement qu’ils pourront souhaiter. Nous avertirons seulement que nous considerons d’abord les alimens maigres en general : qu’ensuite nous exposons en particulier les differentes qualitez des grains, des herbages, des racines, des fruits, des poissons, des amphibies, des assaisonnemens : Que nous n’oublions pas même, les proprietez des boissons les plus en usage, comme de l’Eau, du Vin, de la Biere, du Cidre, du Thé, du Caffé, du Chocolat : Que nous traittons aussi plusieurs questions considerables touchant l’abstinence & le jeûne, tant par rapport au precepte de l’Eglise, que par rapport à la santé, & que nôtre but dans toutes ces discussions, n’est autre que de faciliter la pratique du Caresme en éclaircissant plusieurs doutes sur ce sujet, & en mettant chacun en état de discerner par soi-même les alimens les plus propres à sa constitution & à son temperament.

Au reste, la question des Macreuses est ici approfondie ; & comme il est important de sçavoir à quoi s’en tenir pour distinguer les animaux que l’Eglise permet les jours d’abstinence, d’avec ceux qu’elle défend, nous avons donné là-dessus une regle[1] sure & facile, qui est à la portée de tout le monde, & qui leve tout scrupule sur cette matiere.



  1. Nous la devons aux avis qui nous ont été donnez sur ce sujet par une personne d’un merite distingué dans l’Eglise.