Traité de radioactivité/Tome 2/14

Gauthier (2p. 387-416).


CHAPITRE XIV.

THORIUM ET SA FAMILLE.




192. Activité du thorium. — Le thorium, métal de poids atomique 232,4, possède une radioactivité permanente. La vie moyenne de cette substance, évaluée par des considérations théoriques, est de l’ordre de 1010 ans. Le thorium est une substance faiblement radioactive ; l’intensité de son rayonnement est comparable à celle du rayonnement de l’uranium, mais la nature de la radioactivité est très différente. Les composés du thorium émettent des rayons et en proportion différente de celle qu’on trouve pour l’uranium. Le rapport des activités des azotates de thorium et d’urane utilisés à poids égal est égal à 1,7 quand la mesure est faite par les rayons à 0,17 quand elle est faite par les rayons et à 10 quand elle est faite par les rayons (Eve).

Le rayonnement du thorium dans son ensemble est plus pénétrant que celui de l’uranium, ce qui est dû surtout à la présence dans le rayonnement du thorium de rayons de parcours relativement long.

Les composés de thorium émettent une émanation caractéristique de courte durée (période de 54 secondes environ). Cette émanation produit une radioactivité induite qui décroît, en première approximation, suivant une période de 11 heures. L’émanation n’émet que des rayons le dépôt actif émet des rayons et

Les recherches faites en vue de s’assurer si le thorium est une substance qui possède une activité primaire n’ont pas encore reçu de solution définitive. D’après MM. Hofmann et Zerban[1] le thorium extrait de minéraux contenant de l’uranium serait toujours plus actif que celui qu’on extrait de minéraux exempts d’uranium ; en particulier du thorium extrait de la gadolinite se serait montré à peu près inactif. MM. Baskerville et Zerban[2] ont aussi extrait du thorium inactif d’un certain minéral brésilien. Ces résultats demandent confirmation et ne sont pas en accord avec d’autres recherches sur l’activité du thorium dans ses minerais (Dadourian, Boltwood). Nous verrons dans la suite que le thorium est toujours accompagné de substances qui dérivent de lui et dont la vie moyenne est longue. La présence de ces substances vient compliquer l’étude de la radioactivité propre du thorium.


193. Thorium X. — En précipitant par l’ammoniaque une solution de sel de thorium, on sépare de ce corps une substance active qui reste dans la solution ammoniacale et qui a reçu le nom de thorium X. Un mois après sa préparation le thorium X a pratiquement perdu son activité, tandis que le thorium a repris son activité normale (§ 55).

L’activité du thorium X après la préparation commence par augmenter ; elle passe par un maximum qui est atteint en 1 jour environ, ensuite elle décroît ; 2 jours environ à partir du début, la loi de décroissance devient une exponentielle simple avec décroissance de moitié en un temps voisin de 3,6 jours.

En employant à plusieurs reprises la précipitation par l’ammoniaque, on peut extraire tout le thorium X qui est contenu dans le sel de thorium. L’activité du thorium qui a ainsi été privé de thorium X par quelques opérations effectuées aussi rapidement que possible, commence par décroître, passe par un minimum après un jour et augmente ensuite de manière à reprendre en un mois la valeur normale. L’excès de l’activité limite sur une activité minimum qui serait d’environ 25 pour 100 de l’activité limite, décroît suivant une loi exponentielle avec diminution de moitié en 3,6 jours environ, mais cette loi ne s’applique que pour des temps supérieurs à 2 jours. Les lois d’évolution de l’activité du thorium X et du thorium en fonction du temps sont respectivement représentées par les courbes I et II dans la figure 172.

MM. Rutherford et Soddy[3] ont prouvé que le thorium X est produit régulièrement par le thorium avec débit constant. Pour cela ils extrayaient complètement le thorium X du thorium à des intervalles de temps déterminés. En admettant pour la constante radioactive du thorium X la valeur on doit trouver après 1 heure la fraction de la teneur

Fig. 172.


limite en thorium X, après 1 jour la fraction de la valeur limite, après 4 jours la fraction de la valeur limite. L’expérience a vérifié approximativement ces prévisions. Après 1 mois on retrouvait la valeur limite qui était la même que celle qu’on obtenait avec la même quantité d’une autre portion du même sel, qu’on soumettait au traitement pour la première fois.

MM. Rutherford et Soddy ont montré que l’émanation du thorium provient de ce corps non pas directement, mais par l’intermédiaire du thorium X. En effet le thorium privé de thorium X ne dégage pas d’émanation, même quand il est dissous ; au contraire, le thorium X est une source de l’émanation du thorium. Mais, en même temps que le thorium X se reforme dans le thorium, celui-ci recouvre la propriété de dégager de l’émanation ; pour le thorium X isolé, le débit d’émanation décroît suivant la même loi que l’activité. C’est dans ces faits qu’on trouve l’explication de la forme que présentent à leur début les courbes de la figure 172. Quand le thorium X vient d’être préparé, il est exempt de dépôt actif, ce dernier ayant été précipité avec le thorium. Le dépôt actif ainsi entraîné décroît avec le temps et de là provient la baisse initiale de la courbe II ; mais à mesure que le thorium X se reforme, l’émanation et le dépôt actif se reforment à leur tour, et l’activité, après avoir passé par un minimum, recommence à augmenter. Quant au thorium X qui a été séparé, son activité augmente d’abord par suite de la formation de l’émanation et du dépôt actif, puis l’activité passe par un maximum et commence à décroître par suite de la destruction progressive du thorium X.

La constante du thorium X a été déterminée par divers expérimentateurs qui observaient la loi exponentielle limite de la décroissance de cette substance[4]. Voici les valeurs obtenues pour la période :

                                                                         
Rutherford et Soddy 
  
4 jours
Lerch 
  
3,64 »
Levin 
  
3,65 »
Elster et Geitel 
  
3,6 »


Les expériences ont été faites avec du thorium X extrait du thorium ou du radiothorium. On peut adopter la valeur 3,64 jours.

D’après M. Lerch le thorium X peut être déposé par électrolyse en solution alcaline, mais non en solution acide ; il se dépose principalement à la cathode, mais quelquefois aussi à l’anode. Le thorium X se dépose aussi sur des métaux plongés dans une solution alcaline, en particulier sur le fer et le zinc, mais aussi sur le plomb et le nickel.

On a pu déterminer le coefficient de diffusion du thorium X en solution et sa mobilité ionique dans le transport électrolytique[5]. Le déplacement du thorium X était observé dans un tube plusieurs fois recourbé en U ; ce déplacement était contrôlé par l’activation de lames disposées le long du tube au sein de la solution. Les nombres trouvés sont :

0,504 pour le coefficient de diffusion à 10o,
0,86 pour la mobilité dans un champ de 1 à 10o.

Le rapport de ces deux nombres est conforme à celui qu’on déduit d’après la théorie de M. Nernst pour un ion monovalent, et l’on serait ainsi conduit à considérer le thorium X comme un métal alcalin.

Cependant, en faisant cristalliser divers sels en présence du thorium X, on a constaté que ce corps cristallise surtout avec le baryum et pourrait pour cette raison être assimilé à un métal alcalinoterreux[6].


194. Composition du dépôt actif. — Le thorium X en se détruisant produit l’émanation du thorium, laquelle, à son tour, donne lieu à la formation du dépôt actif. Les courbes qui représentent en fonction du temps l’évolution du dépôt actif après différents temps d’exposition (fig. 82) peuvent s’interpréter en admettant que ce dépôt se compose de deux substances distinctes : le thorium A et le thorium B. L’analyse de ces courbes peut s’effectuer par des procédés en tout point analogues à ceux qui ont été utilisés pour l’étude du dépôt actif du radium. Elle a été tout d’abord établie par M. Rutherford,

Le thorium A se forme à partir de l’émanation. Il n’est pas actif par lui-même d’une manière appréciable ; en effet, l’activité induite après une exposition courte est d’abord très faible et augmente seulement ensuite en fonction du temps. Cette augmentation correspond à la transformation du thorium A en thorium B, lequel est actif. Les nombres d’atomes de thorium A et de thorium B pendant l’activation et pendant la désactivation sont donnés par les formules suivantes, dans lesquelles les notations utilisées au Chapitre précédent ont été conservées.

Activation pour un débit constant de thorium A :

Désactivation après un temps d’exposition

Si la substance B est seule active, le rayonnement évolue en fonction du temps proportionnellement à B.

En particulier, pour une exposition courte, le rayonnement évolue suivant la formule

Le rayonnement, nul au début, passe en ce cas par un maximum qui a lieu au temps tel que

Pour les temps longs, la loi de décroissance limite est une loi exponentielle simple qui correspond à celle des deux exponentielles dont la décroissance est moins rapide. Il n’est pas possible de décider d’après la formule si la matière A décroît plus vite que la matière B ou inversement. Nous verrons toutefois qu’on a dans le cas actuel

M. Rutherford ayant trouvé que la loi de décroissance finale est caractérisée par la constante (décroissance de moitié en 11 heures), en a déduit d’après la formule et d’après la courbe expérimentale la valeur (diminution de moitié en 55 minutes). On a en ce cas pour l’époque du maximum 220 minutes, et pour des temps supérieurs à 5 heures la loi de décroissance finale est sensiblement atteinte.

Quand l’exposition a été suffisamment longue pour que la limite de l’activation ait été atteinte, le rayonnement pendant la désactivation évolue suivant la formule

La courbe représentative a sa tangente à l’origine parallèle à l’axe des temps. La loi finale est la même que dans le cas de l’exposition courte. La courbe expérimentale caractéristique de l’exposition longue peut servir à calculer les constantes et par la méthode exposée plus haut (§ 170), et à établir que le rayonnement de la matière A est négligeable par rapport au rayonnement de la matière B.

Les courbes qui correspondent à des temps d’exposition différents (§ 78, fig. 82) sont conformes à la théorie qui leur est appliquée. Cependant, d’après des expériences plus récentes, la constante devrait être un peu augmentée. On trouve, pour la période, heures comme moyenne de plusieurs expériences concordantes[7] ; la valeur correspondante de la constante radioactive est


193. Attribution des constantes et . — En effectuant l’électrolyse de la solution du dépôt actif, M. Pegram[8] et M. Lerch[9] ont obtenu à la cathode le dépôt d’une matière active dont la loi de décroissance était variable avec les conditions des expériences ; la vitesse de diminution était généralement intermédiaire entre celle qui correspond à une période de 11 heures et celle qui correspond à une période d’environ 1 heure. Le même résultat est obtenu en étudiant la loi de décroissance de la matière active qui se dépose sur des métaux plongés dans une solution chlorhydrique de dépôt actif. Dans certains cas on obtient une matière qui décroît de moitié en une heure ; ce résultat est, en particulier, obtenu quand on laisse déposer la matière active sur le nickel. Ces expériences prouvent que la matière active, le thorium B, est celle qui décroît le plus rapidement.

Les courbes représentatives de la loi de décroissance de l’activité, pour la matière séparée d’une solution chlorhydrique de dépôt actif par électrolyse ou par immersion d’un métal, peuvent, en général, être interprétées par la superposition de deux lois de décroissance dont l’une correspond à une période de 10,6 heures et l’autre à une période de 55 minutes. Ces deux périodes caractérisent respectivement le thorium A et le thorium B. On peut donc admettre que dans les expériences considérées on obtient le plus souvent un excès de thorium B par rapport à la proportion de cette substance qui serait en équilibre de régime avec la quantité de thorium A qui se trouve en présence. Cet excès de thorium B disparaît suivant la période de cette substance, en même temps que le thorium A, accompagné du thorium B avec lequel il est en équilibre de régime, décroît suivant la période de 10,6 heures.

Le thorium A et le thorium B se forment dans une solution de thorium X. M. Lerch a constaté que dans une telle solution les quantités de thorium A et thorium B sont proportionnelles à la quantité de thorium X. Pour doser le thorium X on évaporait un volume donné de la dissolution et l’on mesurait l’activité totale du résidu. Pour doser le thorium A on plongeait, dans un volume de solution déterminé, une lame de zinc qui récoltait le thorium A et le thorium B. Pour doser le thorium B seul on laissait déposer cette substance sur une lame de nickel.

On peut montrer de même que, dans une solution de dépôt actif, les quantités de thorium A et de thorium B sont proportionnelles. On précipite le thorium B sur du nickel à des intervalles de temps égaux dans des volumes égaux de la même solution. La quantité du thorium B ainsi obtenue décroît suivant la période du thorium A,

Les résultats qui viennent d’être exposés ont reçu une confirmation par l’étude de l’influence d’une température élevée sur le dépôt actif. Cette étude a été faite par Miss Slater[10]. Un fil activé avec exposition longue était chauffé au moyen d’un courant électrique ; un cylindre qui entourait le fil recevait le dépôt qui distillait. Quand on chauffe le fil pendant un temps court au rouge sombre, on trouve qu’immédiatement après la chauffe l’activité du fil n’a pas subi de variation notable, mais que la loi de décroissance du dépôt restant est devenue plus rapide. Quant à la matière qui a distillé sur le cylindre, son activité est d’abord très faible, mais elle augmente avec le temps, passe par un maximum qui est atteint en 4 heures et décroît ensuite suivant la loi de décroissance normale qui correspond à une période d’environ 11 heures. La substance qui a distillé est donc le thorium A.

Quand on chauffe le fil activé à 700°, son activité diminue par la chauffe, il y a donc en ce cas aussi volatilisation de thorium B. Une chauffe de quelques minutes à 1000° détermine la volatilisation complète du thorium A, et l’activité du fil après la chauffe décroît en ce cas suivant la période d’une heure. Une chauffe d’une minute à 1200° suffit pour volatiliser complètement la totalité du dépôt actif.

On peut conclure de ces expériences que le thorium A est plus volatil que le thorium B et que c’est cette dernière substance qui possède la période la plus courte.

Le thorium A peut être obtenu sensiblement exempt de thorium B en additionnant la solution du dépôt actif d’une quantité suffisante de noir animal qui entraîne le thorium B ; deux précipitations suffisent pour obtenir du thorium A pur et, si l’on emploie peu de liquide, on peut évaporer la matière à sec en un temps assez court pour que la proportion de thorium B formé soit encore négligeable[11].


196. Rayonnement du dépôt actif. Thorium B, thorium C, thorium D. — Les courbes de décroissance du dépôt actif du thorium sont, ainsi que nous l’avons vu, approximativement les mêmes quand la mesure est faite en utilisant le rayonnement total ou les rayons pénétrants. Les rayons des trois espèces et étaient donc tout d’abord attribués au thorium B, tandis que le thorium A était considéré comme une matière inactive. Cependant, en comparant l’absorption du rayonnement par l’aluminium, pour une plaque ne portant que du thorium B et pour une plaque portant du thorium A en équilibre avec le thorium B, M. Lerch[12] a trouvé que le thorium A n’est pas inactif, mais donne lieu à une émission de rayons très absorbables ; les expériences étaient faites en mesurant le rayonnement à une distance de la source active où n’arrivent plus les rayons

Conformément à ces résultats on a pu observer[13] que les lois d’évolution du rayonnement et du rayonnement pour le thorium A primitivement dépourvu de thorium B, sont différentes si l’on utilise les rayons transmis par un écran d’aluminium très mince, d’épaisseur juste suffisante pour l’absorption des rayons L’augmentation de l’activité avec le temps est représentée par les courbes de la figure 173. La courbe I représente l’accroissement du rayonnement elle est tout à fait conforme à la courbe qui représente l’évolution du rayonnement total de la radioactivité induite après une exposition

Fig. 173.


très courte (fig. 81) ; l’intensité initiale est sensiblement nulle, et l’intensité maximum est atteinte en 222 minutes. La courbe II est relative à l’évolution du rayonnement dont l’intensité n’est pas nulle au début ; on trouve par extrapolation de la courbe expérimentale que cette intensité initiale constitue environ 43 pour 100 de la valeur maximum atteinte après 170 minutes.

La constitution du dépôt actif du thorium n’est pas aussi simple que l’indique la théorie des deux matières, et des recherches plus approfondies ont indiqué la présence d’un plus grand nombre de substances.

M. Hahn[14] a étudié le rayonnement du dépôt actif de l’émanation du thorium. Pour obtenir ce dépôt il utilisait comme source d’émanation le radiothorium, dont les échantillons très actifs préparés par lui fournissaient l’émanation du thorium en grande quantité. L’analyse du rayonnement était faite par la méthode de Bragg. La courbe d’ionisation obtenue (fig. 174) indique très nettement la présence de deux groupes de rayons dont les parcours très différents sont égaux à 5cm et 8cm,6. Le thorium A ne donnant pas de rayons et les expériences relatives à la famille du radium étant favorables à la

Fig. 174.


supposition qu’une substance simple n’émet qu’un groupe de rayons M. Hahn a conclu que le thorium B est une substance complexe composée de thorium B proprement dit et de thorium C, chacune de ces substances correspondant à l’un des groupes de rayons. M. Hahn a essayé de séparer ces deux substances par électrolyse ou par dépôt sur métal, mais n’a pu observer aucune d’elles séparément. On peut supposer que le thorium C a une période très courte et ne peut pour cette raison être séparé du thorium B ; en vertu de cette supposition on est conduit à attribuer au thorium C celui des deux groupes de rayons dont le parcours est le plus long. On constate, en effet, quel, le plus souvent, le parcours d’un groupe des rayons est d’autant plus long que la transformation est plus rapide.

Pour séparer le thorium C du dépôt actif, M. Hahn et Mlle Meitner[15] ont essayé la méthode qui leur a permis de recueillir le radium B projeté sur une plaque activée portant du radium A. Cette méthode consiste à établir un champ électrique entre la plaque active et une plaque parallèle placée en face et chargée négativement. Les particules projetées sont arrêtées dans l’air à une très petite distance de la plaque active ; si elles sont chargées positivement, elles sont entraînées par l’action du champ électrique sur la plaque opposée. En utilisant ce procédé avec une plaque portant le dépôt actif de l’émanation du thorium, on n’obtient aucune substance émettant des rayons mais on obtient, par contre, une substance émettant des rayons pénétrants. Cette substance est caractérisée par une loi de décroissance, dont la période est 3,1 minutes. Elle doit être considérée comme consécutive au thorium C, parce que, s’il en était autrement, elle donnerait lieu en se détruisant à la formation d’une matière qui émet des rayons La substance considérée a reçu le nom de thorium D. On l’obtient en quantité proportionnelle au thorium A présent sur la plaque. On peut aussi la séparer par des procédés chimiques : entraînement dans la précipitation par l’hydrogène sulfuré ou entraînement par le noir animal. On peut toutefois remarquer que, pour une substance dont la vie moyenne est courte, le procédé de séparation par projection est particulièrement favorable, parce qu’il n’entraîne aucune perte de temps pour les opérations à effectuer.


197. Rayonnement du dépôt actif. — Ce rayonnement a été étudié en détail par M. Hahn et Mlle Meitner[16] qui ont examiné séparément les rayons du thorium A et ceux du thorium (B+C+D). La séparation était obtenue en précipitant la solution du dépôt actif par le noir animal qui entraîne les matières B, C et D et laisse en solution la matière A ; on peut ainsi obtenir cette dernière à l’exclusion des autres. Le dépôt actif provenait de l’émanation émise par des échantillons de radiothorium. Les rayons émis par la partie (B+C+D) du dépôt actif forment un groupe homogène caractérisé par une loi d’absorption exponentielle simple, le coefficient d’absorption pour l’aluminium étant 15,7. Ces rayons doivent être attribués au thorium D.

Les rayons du thorium A forment aussi un groupe homogène caractérisé par une loi exponentielle beaucoup plus rapide, le coefficient d’absorption pour l’aluminium étant 175. Pour mettre en évidence cette loi, il est nécessaire de tenir compte de la formation des matières qui succèdent au thorium A et faire la correction relative à l’apparition graduelle du groupe des rayons plus pénétrants provenant du thorium D.

La loi d’absorption des rayons du dépôt actif du thorium est représentée par des courbes dans les figures 175 et 176. On a porté en ordonnées le

Fig. 175.


logarithme de l’intensité et en abscisses le nombre de feuilles d’aluminium interposées sur le trajet des rayons. La courbe I (fig. 175) est relative au thorium A accompagné de ses dérivés B, C et D ; on voit, au début, une baisse rapide du rayonnement par suite de l’absorption des rayons du thorium A, ensuite la loi d’absorption est une exponentielle simple, et les rayons qui interviennent sont ceux du thorium D, La courbe II (fig. 175) est également relative à un mélange de tous les composants du dépôt actif ; elle est construite à une autre échelle pour les abscisses que la courbe I et a été prolongée jusqu’à ce qu’on ait obtenu un résidu de rayons La courbe III est relative au thorium A seul et a été obtenue en appliquant aux mesures des corrections qui éliminent l’effet de petites quantités de thorium (B+C+D) formées pendant les opérations ; pour cette courbe l’échelle des abscisses est de 0mm,25 pour une grande division ; l’intensité du rayonnement baisse de moitié sur une épaisseur d’aluminium de 0mm,05.

Dans la figure 176 les courbes I, II, III, IV, V indiquent comment se modifie la loi d’absorption à mesure que se produit la formation de thorium B. Pour chaque courbe l’intensité initiale a été adoptée la même ; la quantité de thorium B présente est indiquée au-dessus de chaque courbe en pour 100 de la quantité

Fig. 176.


qui correspond à l’équilibre avec le thorium A ; l’épaisseur totale d’aluminium utilisée est la même pour chaque courbe (0mm,18).

L’évolution du thorium C et du thorium D étant très rapide, on peut admettre que ces substances sont en équilibre avec le thorium B. La théorie de l’évolution de l’activité peut donc, en général, se faire en tenant compte de deux substances seulement, le thorium A et le thorium B, mais en attribuant une certaine activité en rayons au thorium A, primitivement considéré comme inactif, tandis qu’on attribuera, comme antérieurement, une activité et une activité et au thorium B accompagné des matières qui lui succèdent.


198. Évolution de l’activité du thorium X et du thorium privé de thorium X. — Le thorium contient d’ordinaire une certaine quantité limite de thorium X qui se reforme en 1 mois quand le thorium X a été extrait. L’émanation et le dépôt actif sont alors également en équilibre avec le thorium X et le thorium. Lors de la séparation du thorium X, le dépôt actif reste avec le thorium, mais si l’on procède à des précipitations répétées du thorium par l’ammoniaque, le dépôt actif en excès se détruit progressivement, et l’on obtient alors le thorium privé de dépôt actif et ayant une activité minimum qui est environ 25 pour 100 de l’activité de régime. Pour le thorium ainsi préparé, MM. Rutherford et Soddy[17] ont observé une loi d’évolution de l’activité plus simple, manifestant un accroissement continu sans baisse initiale ; l’accroissement correspond à la formation de thorium X, de l’émanation et du dépôt actif. Une théorie simplifiée peut être faite en admettant que l’émanation, dont la vie moyenne est courte, est constamment en équilibre avec le thorium X, et que tout se passe comme si le dépôt actif se formait directement à partir du thorium X. Si l’on ne tenait pas compte du dépôt actif, l’accroissement de l’activité aurait lieu suivant la formule


étant l’activité initiale minimum du thorium privé de thorium X, l’activité limite atteinte après 1 mois, la constante radioactive du thorium X.

La formation du dépôt actif demandant un certain temps, apporte une perturbation à la forme de la courbe. On peut tenir compte de cette perturbation en admettant, en première approximation, que le dépôt actif est représenté par une seule substance ayant la période du thorium A. On aura alors pour le nombre d’atomes de thorium X présents après un temps


étant la vitesse de formation supposée constante, et, pour le nombre d’atomes de dépôt actif.


étant le nombre d’atomes de thorium A qui proviennent d’un atome de thorium X.

Quand le thorium X a été séparé, les nombres d’atomes de thorium X et de dépôt actif, qui sont présents à l’instant après la séparation, sont donnés par les formules

Dans les deux cas le rayonnement est donné par une équation de la forme


et le rapport des activités du thorium X accompagné de l’émanation, d’une part, et du dépôt actif en équilibre de régime avec le thorium X, d’autre part, est mesuré par le quotient soit .

On trouve alors pour l’évolution de l’activité du thorium X


étant l’intensité initiale.

La courbe représentative, après avoir passé par un maximum, tend vers une loi de décroissance exponentielle caractéristique du thorium X ; cette loi est sensiblement atteinte en 4 jours. On peut alors, en extrapolant cette courbe limite vers l’origine, obtenir l’ordonnée initiale qui vérifie la relation

M. Rutherford a obtenu ainsi 0,44 pour le rayonnement total

dans l’appareil utilisé,

La loi d’accroissement de l’activité du thorium qui a été privé de thorium X

Fig. 177.


et de dépôt actif est représentée par une courbe dans la figure 177 ;

Fig. 178.


en comparant cette courbe à celle de la figure 172, on constate que la baisse d’activité initiale est supprimée et que, pour des temps supérieurs à 2 jours, les deux courbes sont pratiquement confondues. La loi d’évolution du thorium X initialement exempt de dépôt actif est représentée par la courbe I (fig. 178). Cette courbe est obtenue par la superposition des ordonnées des courbes II et III dont la première est relative à la décroissance de l’activité du thorium X et la seconde à l’évolution de l’activité du dépôt actif. La courbe expérimentale concorde avec la courbe théorique I au degré de précision des expériences.


199. Radiothorium. Mésothorium. — On a vu plus haut que le radiothorium est une substance très active qui est contenue dans le thorium du commerce. Cette substance donne lieu à la production de l’émanation du thorium. Il a aussi été démontré qu’elle produit le thorium X. Sa constante radioactive est sa période 737 jours et sa vie moyenne 1064 jours.

Le radiothorium se sépare très difficilement du thorium ; l’activité du thorium est due au moins en grande partie au radiothorium qui y est contenu et aux substances qui en dérivent. Le radiothorium exempt de thorium X et des produits consécutifs possède une activité qui lui appartient en propre et ne peut en être séparée.

D’après ce qui précède le radiothorium se présente comme une substance intermédiaire entre le thorium et le thorium X, et l’on peut penser qu’il est produit constamment par le thorium. Cette hypothèse, qui a été faite aussitôt après la découverte de cette nouvelle substance, est rendue très vraisemblable par les travaux de M. Dadourian[18] et de M. Boltwood[19] sur l’activité des sels de thorium.

M. Dadourian a mesuré l’activité d’un sel de thorium par la radioactivité induite que ce sel communique à une lame métallique dans des conditions déterminées. Le sel était utilisé à l’état de solution ; celle-ci occupait toujours la même hauteur dans une cuve plate contenue dans une enceinte fermée ; la lame était placée au-dessus de la solution, toujours à la même distance et dans la même position. L’exposition était toujours d’une même durée de 19 heures. On utilisait soit les solutions des sels du commerce, soit les solutions de minéraux de thorium. On trouve qu’à quantité égale d’oxyde de thorium, les minéraux thorite, monazite, thorianite, donnent la même activité, mais que les sels du commerce donnent une activité moitié moindre. Si, au contraire, on prépare du nitrate de thorium à partir de la monazite, ce sel possède par gramme d’oxyde la même activité que le minéral dont il provient.

M. Boltwood a obtenu le même résultat, en mesurant l’activité de couches de matière extrêmement minces (5mg à 10mg sur une surface de 60cm2). Dans ces conditions l’activité est supposée proportionnelle à la quantité de matière utilisée. Les minéraux de thorium contenant généralement de l’uranium, les deux substances étaient dosées. L’activité par gramme d’uranium ayant été déterminée pour des minerais sensiblement exempts de thorium (Mc Coy, Boltwood), on peut calculer par différence l’activité d’un minerai de thorium par gramme de thorium. Les minéraux utilisés étaient la thorite, l’orangite, la monazite, la thorianite. L’activité du thorium dans tous ces minéraux s’est montrée la même, tandis que l’activité du thorium contenu dans les sels du commerce s’est montrée moitié moindre.

Ces résultats obtenus par deux méthodes différentes se confirment mutuellement et ne sont pas favorables aux conclusions de MM. Hofmann, Strauss et Zerban en ce qui concerne l’existence d’une relation entre l’activité du thorium dans les minéraux et la présence de l’uranium dans ces mêmes minéraux.

Par contre, on croyait pouvoir conclure que la différence entre l’activité du thorium dans les minéraux et dans les sels du commerce provenait de ce que, pendant la préparation des sels, une partie du radiothorium qui accompagne le thorium s’était trouvée séparée et que, pour cette raison, la teneur des sels du commerce en radiothorium est, en général, inférieure à la teneur normale atteinte dans les minéraux. Le fait que les minéraux ont la même activité par gramme de thorium prouve que la proportion de radiothorium dans le thorium des minéraux est constante, et ce fait est en faveur de la supposition que le radiothorium est une substance dérivée du thorium et ayant une vie moyenne beaucoup plus courte que celle du thorium ; dans ces conditions, en effet, un équilibre de régime a pu s’établir dans les minéraux entre le thorium et le radiothorium. On pouvait aussi se demander si l’activité du thorium n’est pas entièrement due au radiothorium accompagné des substances consécutives.

M. Hahn[20] a modifié en un point important ces conclusions relatives aux sels de thorium. Étant donnée la grande difficulté qu’on éprouve à extraire le radiothorium du thorium du commerce, il semblait peu vraisemblable que la séparation du radiothorium ait lieu pendant la préparation des sels de thorium. M. Hahn a suivi la préparation de ces sels à partir du minerai et a pu s’assurer que les sels préparés avec la monazite possèdent par gramme de thorium une activité normale. De même la purification du thorium brut commercial n’entraîne aucune variation d’activité. Mais si l’on compare des sels de thorium préparés à des époques différentes, on constate que leur activité n’est pas la même, et l’on peut conclure de la comparaison que l’activité d’un sel, d’abord normale, diminue après la préparation pendant trois ans environ et passe par une valeur minimum qu’elle conserve pendant quelque temps pour augmenter légèrement dans la suite.

Ces observations ont permis de conclure que la substance qu’on sépare, pendant la préparation des sels du thorium, n’est pas le radiothorium, mais une substance intermédiaire entre le thorium et le radiothorium. Cette substance, à peu près inactive par elle-même, serait de longue durée ; elle a reçu le nom de mésothorium. Quand le mésothorium se trouve séparé du thorium, l’équilibre entre le thorium, le mésothorium et le radiothorium est troublé, et comme la production de radiothorium ne compense plus sa destruction, la proportion de cette substance va en diminuant ; mais comme en même temps le mésothorium se reforme à partir du thorium, la production de radiothorium augmente à nouveau, et ainsi s’explique l’augmentation d’activité consécutive au minimum.

M. Hahn a réussi à séparer du thorium une substance qui ne contient pas de thorium et qui cependant manifestait pendant plusieurs mois une activité croissante, de même nature que celle du thorium. Cette substance contenait du mésothorium, et l’activité était due à la production de radiothorium, suivi des produits consécutifs.

Ces résultats ont été confirmés par M. Boltwood qui a trouvé aussi que le mésothorium accompagne le thorium X lors de la précipitation par l’ammoniaque d’une solution de sels de thorium. En traitant ainsi un sel de thorium (azotate) anciennement préparé, on obtient par évaporation de la solution ammoniacale un résidu qui diminue d’activité pendant un mois par suite de la destruction du thorium X, mais dont l’activité, après avoir passé par un minimum, augmente ensuite progressivement, par suite de la formation de radiothorium. Un milligramme d’un tel résidu avait après 2 ans une activité égale à celle de plusieurs grammes d’oxyde de thorium.

D’après M. Boltwood, la précipitation de sulfate de baryum dans une solution d’azotate de thorium est accompagnée d’un entraînement de thorium X et de mésothorium et non de thorium ou de radiothorium. L’activité du précipité diminue d’abord pendant 1 mois, passe pas une valeur minimum très faible et augmente seulement ensuite par suite de la formation du radiothorium et des substances consécutives.

Il semble, en résumé, que le radiothorium et le thorium se séparent très difficilement entre eux, mais que le mésothorium et le thorium X peuvent facilement être séparés du thorium et du radiothorium. Le mésothorium n’est pas inactif ; une étude plus attentive a montré que cette substance émet des rayons

Le mésothorium n’est pas une substance simple. Ayant préparé du mésothorium exempt de radiothorium et des substances dérivées, M. Hahn[21] a effectué la précipitation de la solution par l’ammoniaque en présence de chlorure de zirconium. Dans ces conditions le précipité entraîne une matière qui donne lieu à une émission de rayons et dont l’activité décroît suivant une loi exponentielle simple, caractérisée par une période de 6,2 heures. La matière restée en solution, primitivement inactive, augmente d’activité ; la courbe qui représente cette augmentation est complémentaire de la courbe de destruction de la matière active entraînée avec le zirconium. On peut en conclure que le mésothorium se compose de deux substances dont la première, inactive et ayant une période très longue, donne lieu à la production d’une substance émettant des rayons et caractérisée par une période de 6,2 heures ; cette dernière est probablement la substance productrice du radiothorium. Les deux substances sont désignées par la notation mésothorium 1 et mésothorium 2. On a proposé aussi la notation suivante (Hahn) :

Thorium,
Mésothorium 1 ou thorium 1,
Mésothorium 2 ou thorium 2,
Radiothorium ou thorium 3.


Pour se rendre compte de la période du mésothorium 1, M. Hahn a étudié la variation d’activité des sels de thorium du commerce d’âges différents. Une étude préliminaire a montré que l’activité d’un sel récemment préparé est exactement la même par gramme de thorium que l’activité d’un minerai de thorium par gramme de thorium. L’activité était mesurée pour des couches très minces de matières qui avaient atteint leur teneur de régime en thorium X et qui avaient été fortement calcinées pour ne point dégager d’émanation. Le résultat obtenu montre qu’au cours du traitement de préparation des sels du commerce le radiothorium reste intégralement avec le thorium. Ce résultat est confirmé par l’étude des résidus du traitement ; ces résidus ne contiennent pas de radiothorium, mais contiennent du mésothorium.

Un sel qui vient d’être préparé augmente d’abord d’activité par suite de la production de thorium X ; ensuite se manifeste la décroissance d’activité due à la destruction du radiothorium. En comparant l’activité de sels préparés à des époques connues, on constate que le minimum d’activité est atteint environ 4,5 ans après la préparation. L’accroissement d’activité qui vient ensuite dure longtemps ; l’activité est encore croissante 12 ans après la préparation. La loi de l’évolution de l’activité n’est pas la même suivant qu’on mesure l’intensité du rayonnement total ou le débit d’émanation, et l’écart des deux lois peut s’interpréter en attribuant un rayonnement au thorium exempt de radiothorium et des substances consécutives.

Pour mesurer le débit d’émanation, on fait passer dans la solution de sel de thorium un courant d’air de vitesse constante qui traverse ensuite la chambre d’ionisation ; les mesures n’offrent pas une très grande précision. Le débit d’émanation étant proportionnel à la quantité de radiothorium, on peut admettre que l’activité ainsi mesurée se compose de deux termes : l’un qui correspond au radiothorium présent à l’origine et se détruisant progressivement suivant une loi caractérisée par la constante l’autre qui correspond au radiothorium formé à nouveau à partir du thorium, par l’intermédiaire du mésothorium dont la constante est Le mésothorium peut être considéré comme formé avec une vitesse constante par le thorium, et l’on peut faire abstraction de sa composition complexe ; on peut, de plus, supposer que le mésothorium a été complètement séparé du thorium au moment de la préparation. Avec ces suppositions le nombre d’atomes de radiothorium est représenté par la formule


étant la valeur de de suite après la préparation du sel pour cette valeur est en même temps celle qui correspond à l’équilibre de régime avec le thorium. La courbe construite expérimentalement s’accorde bien avec la courbe théorique, construite en posant


Ces constantes correspondent aux périodes


Pour les sels les plus vieux, la concordance n’est pas très bonne.

Si l’on suit l’activité des sels par la mesure du rayonnement total, on peut admettre que l’activité est due au thorium et au radiothorium accompagné de ses dérivés. Or, nous verrons qu’au radiothorium et aux substances consécutives correspondent cinq groupes de rayons si un groupe de ces rayons est aussi émis par le thorium, l’activité inséparable de cette substance pourrait constituer environ la sixième partie, soit 16,7 pour 100 de l’activité du thorium en équilibre de régime avec le radiothorium et ses dérivés. L’activité varierait alors suivant la formule

Cette formule semble convenir pour représenter les résultats de l’expérience.

On peut enfin étudier la loi d’augmentation de l’activité du mésothorium qu’on extrait des résidus de traitement des sables monazités ou des sels de thorium du commerce anciennement préparés. L’activité mesurée par le débit d’émanation est due au radiothorium, et il en est sensiblement de même pour l’activité mesurée par le rayonnement total, parce que l’activité du mésothorium intervient à peine par rapport à celle du radiothorium et de ses dérivés. L’activité reste en ce cas proportionnelle au nombre d’atomes de radiothorium présents, et celui-ci est donné par la formule


est le nombre d’atomes de mésothorium à l’origine et le nombre d’atomes de radiothorium qui proviennent d’un atome de mésothorium. Des observations faites pendant près de 2 ans confirment la formule théorique ; le maximum de l’activité doit avoir lieu après 4,6 ans.


200. Rayonnement des substances de la famille du thorium. — On pouvait prévoir pour la famille du thorium l’existence d’au moins cinq groupes de rayons (radiothorium, thorium X, émanation, thorium B, thorium C). L’étude de cette question a été faite par M. Hahn[22] qui utilisait du radiothorium de forte activité. La courbe d’ionisation du radiothorium en équilibre radioactif ne présente que deux coudes marqués (fig. 179, I), l’un qui correspond au thorium C (parcours, 8cm,6) et un autre moins net, voisin de 6cm. Il est donc nécessaire d’étudier les diverses substances séparément.

Le radiothorium a été privé de thorium X au moyen de précipitations répétées par l’ammoniaque, qui permettent aussi la destruction du dépôt actif. Ce radiothorium libre de thorium X et de dépôt actif, utilisé en couche très

Fig. 179.


mince, donne avec le dispositif de M.  Bragg une courbe d’ionisation correspondant à un seul groupe de rayons homogènes, caractérisés par un parcours de 3cm,9 (fig. 179, II). Si l’on continue les mesures pendant quelques jours, la courbe change d’aspect ; on voit apparaître un groupe de rayons de parcours très long (8cm,6) et un autre groupe de parcours d’environ 6cm. Comme l’opération est faite en entraînant constamment l’émanation par un courant d’air, celle-ci ne peut s’accumuler dans le produit ; on en conclut que le groupe dont le parcours est égal à 6cm est dû au thorium X.

Le radiothorium utilisé pour les expériences n’est certainement pas exempt de thorium ; toutefois l’activité propre du thorium est en ce cas bien trop faible pour que le parcours de 3cm,9 puisse être considéré comme correspondant aux rayons du thorium.

Le thorium X séparé du radiothorium a également été étudié. La précipitation du radiothorium par l’ammoniaque était faite en présence d’une trace de sel de fer, ce qui rend l’opération plus complète. La solution était évaporée et le résidu calciné pour chasser les sels ammoniacaux ; ayant redissous le résidu, on évaporait la solution sur une lame de platine et on la chauffait très fortement pour chasser le thorium A ; on attendait ensuite pendant quelques heures que la destruction du thorium B

Fig. 180.


et du thorium C fût complète. La lame était alors utilisée comme source de rayons, et l’on balayait constamment par un courant d’air l’émanation qui se produisait, pour empêcher son accumulation. La courbe d’ionisation obtenue indiquait toujours la présence du thorium C qui peut difficilement être évitée, mais on constatait de plus la présence d’un groupe de rayons caractérisés par un parcours de 5cm,7 (fig. 180). Ce groupe appartient au thorium X.

Pour mesurer le parcours des rayons émis par l’émanation, on faisait passer un courant d’air chargé d’émanation au travers d’un vase plat dont la face supérieure était formée par une lame mince de mica de pouvoir d’arrêt connu (fig. 62). On observait les scintillations produites par les rayons sur un écran phosphorescent placé au-dessus de la lame de mica à distance variable. La précision de ces mesures est médiocre, et l’on ne peut utiliser que les observations faites au début tant que le trouble apporté par la formation du dépôt actif n’est pas trop important. Le parcours trouvé en tenant compte de l’abaissement produit par la lame de mica était égal à 5cm,2 mais, comme le parcours évalué par la méthode d’ionisation aurait été un peu plus long, à cause de la sensibilité plus grande de cette méthode, le nombre adopté pour le parcours est 5cm,5.

Voici, en résumé, les longueurs des parcours observés :

                                                                                                      
cm
Radiothorium 
 3,9
Thorium X 
 5,7
Émanation 
 5,5
Thorium B 
 5,0
Thorium C 
 8,6


Nous avons vu que pour les quatre groupes de rayons appartenant au radium et à ses trois dérivés : émanation, radium A et radium C, le nombre des particules émises par unité de temps est probablement le même quand les substances sont en équilibre radioactif (§ 124). Il ne semble pas en être ainsi dans le cas de la famille du thorium. On trouve, en effet, que le rapport des activités de l’émanation et du dépôt actif en équilibre radioactif est environ quatre fois plus grand que celui qu’on peut prévoir dans l’hypothèse où les nombres des particules émises par l’émanation, par le thorium B et par le thorium C seraient les mêmes, et où l’ionisation produite par une particule serait proportionnelle au parcours[23]. Les mesures étaient faites avec un condensateur cylindrique dans lequel on envoyait un courant d’air chargé d’émanation, pendant qu’un champ électrique était établi entre les électrodes. Quand l’équilibre était atteint, on mesurait l’ionisation qui était due à l’émanation et au dépôt actif ; ensuite on arrêtait le courant d’air, on attendait que l’émanation fût détruite et l’on mesurait l’ionisation due au dépôt actif seul. Pour interpréter les résultats on tenait compte de l’utilisation des rayons dans l’appareil de mesures.

Ainsi l’on peut supposer qu’un atome d’émanation du thorium produit lors de sa destruction quatre particules tandis qu’un atome de thorium B ou de thorium C ne produit qu’une particule. Mais on pourrait aussi admettre que l’émanation est un corps complexe, se composant de quatre termes successifs, à évolution très rapide, chaque transformation comportant l’émission d’une seule particule. Cette dernière manière de voir est appuyée par l’observation des scintillations produites sur deux écrans phosphorescents très rapprochés par l’émanation contenue entre ces écrans ; les éclairs observés semblaient produits par groupes, les éclairs de chaque groupe étant plutôt successifs que simultanés[24].

En considérant l’ionisation produite par une particule comme approximativement proportionnelle au parcours et en admettant qu’un atome de thorium X émet une seule particule on trouve que, si le thorium X est en équilibre avec l’émanation et le dépôt actif, le rapport de l’activité du dépôt à celle du thorium X accompagné de l’émanation doit être approximativement égal à soit 0,49. L’expérience indique pour ce même rapport la valeur 0,44 (§ 198) qui diffère peu de la précédente.


Le rayonnement des substances de la famille du thorium a également été étudié en détail. Ce rayonnement provient principalement du dépôt actif et du mésothorium ; le thorium au minimum d’activité (contenant du radiothorium), le thorium X et l’émanation du thorium n’interviennent pas d’une manière sensible. Quand le thorium X a été privé de dépôt actif par la chauffe, le rayonnement initial total constitue environ 60 pour 100 de la valeur maximum atteinte dans la suite, tandis que le rayonnement initial mesuré au travers d’un écran d’aluminium de 0mm,06 d’épaisseur est inférieur à 3 pour 100 de la valeur maximum[25]. Cependant, en comparant le pouvoir pénétrant des rayons pour le dépôt actif et pour le thorium X ne contenant que très peu de dépôt actif, on a pu constater que le thorium X donne lieu à une émission de rayons extrêmement absorbables[26].

Quand on ramène le thorium au minimum d’activité, par séparation du thorium X et extinction temporaire du dépôt actif, on supprime presque complètement le rayonnement pénétrant. Pour le thorium ainsi préparé l’intensité initiale du rayonnement total constitue environ 23 pour 100 du maximum atteint après 1 mois, tandis que l’intensité du rayonnement constitue moins de 3 pour 100 du maximum atteint après le même temps. On peut donc penser que le thorium accompagné de radiothorium n’émet pas de rayons quant au mésothorium, il se trouve séparé en même temps que le thorium X et n’intervient pas dans les mesures.

M. Hahn et Mlle Meitner[27] ont montré que les rayons du mésothorium sont complexes. La loi d’absorption n’est pas une exponentielle simple. Le coefficient d’absorption observé pour l’aluminium variait entre 38,5 et 20,2.

On voit qu’en résumé le rayonnement des substances de la famille du thorium se compose ainsi qu’il suit : deux groupes de rayons homogènes appartenant respectivement au thorium A et au thorium D (§ 197), un groupe complexe appartenant au mésothorium et un groupe appartenant au thorium X. Les coefficients d’absorption pour l’aluminium ont pour valeurs :

                                                                        
Mésothorium 
  
38,5 à 20,2
Thorium X 
  
rayons très absorbables
Thorium A 
  
17517
Thorium D 
  
,15,7


L’analyse du rayonnement faite par la méthode radiographique, à l’aide du champ magnétique, a donné des résultats entièrement conformes à ceux qui viennent d’être indiqués (§ 111).

L’existence d’un rayonnement a été constatée avec certitude pour le dépôt actif ; ces rayons appartiennent probablement au thorium D.


201. Famille du thorium. — Voici la série des dérivés du thorium actuellement connus :

                                                                                               
Vie moyenne.
Thorium 
  
de l’ordre de 1010 ans rayons
Thoriu
Mésothorium 1 
  
7,9 ans
Thoriu
Mésothorium 2 
  
8,9 heures ra»ons
Thoriu
Radiothorium 
  
1063 jours ra»ons
Thoriu
Thorium X 
  
5,35 jours ra»ons
Thoriu
Émanation 
  
76 secondes ra»ons
Thoriu
Thorium A 
  
15,3 heures ra»ons
Thoriu
Thorium B 
  
79 minutes ra»ons
Thoriu
Thorium C 
  
vie très courte ra»ons
Thoriu
Thorium D 
  
4,5 minutes ra»ons

Séparateur

  1. Hofmann et Zerban, Ber. d. d. chem. Ges,. 1903.
  2. Baskerville et Zerban, Amer. chem. Soc., 1907.
  3. Rutherford et Soddy, Phil. Mag., 1902.
  4. Rutherford et Soddy, Phil. Mag., 1902. — Lerch, Wien Ber., 1905. — Levin, Phys. Zeit., 1906. — Elster et Geitel, Phys. Zeit., 1906.
  5. Hofmann, Phys. Zeit., 1907.
  6. Strömholm et Svedberg, Zeit. für anorg. Chemie, 1909.
  7. Hahn, Jahrbuch d. Rad., 1905. — Lerch, Wien Ber., 1905.
  8. Pegram, Phys. Rev, 1903.
  9. Lerch, Ann. de Phys., 1903 ; Wien Ber., 1905.
  10. Miss Slater, Phil. Mag., 1905.
  11. Levin, Phys. Zeit., 1907. — Hahn et Meitner, Phys. Zeit., 1908.
  12. Lerch, Phys. Zeit., 1906.
  13. Hahn et Meitner, Phys. Zeit., 1908.
  14. Hahn, Phys. Zeit., 1906.
  15. Hahn et L. Meitner, Soc. de Phys. all., 1909 ; Phys. Zeit., 1908.
  16. Ibid.
  17. Rutherford et Soddy, Phil. Mag., 1902. — Rutherford, Radioactivity.
  18. Dadourian, Phys. Zeit., 1906.
  19. Boltwood, Phys. Zeit., 1906.
  20. Phys. Zeit., 1907.
  21. Hahn, Phys. Zeit., 1908.
  22. Hahn, Phys. Zeit., 1906.
  23. Bronson, Phil. Mag., 1908.
  24. Geiger et Marsden, Phys. Zeit., 1910.
  25. Lewin, Phys. Zeit., 1906.
  26. Hahn et L. Meitner, Phys. Zeit., 1910.
  27. Hahn et L. Meitner, Phys. Zeit., 1908.