Traité de radioactivité/Tome 2/11

Gauthier (2p. 269-287).


CHAPITRE XI.

DÉGAGEMENT DE CHALEUR PAR LES SUBSTANCES RADIOACTIVES.




100. Dégagement de chaleur par le radium en équilibre radioactif. Méthodes de mesures. — Le dégagement de chaleur par les substances radioactives et, en particulier, par le radium est un des phénomènes les plus importants observés avec ces substances. La découverte de ce dégagement de chaleur et l’ordre de grandeur du débit de chaleur dans le cas de radium ont fourni une preuve directe de ce fait qu’une quantité considérable d’énergie est mise en jeu dans des phénomènes de la radioactivité.

La découverte du dégagement de chaleur par les sels de radium a été faite par P. Curie en collaboration avec M. Laborde[1], au courant de recherches relatives à l’effet balistique des rayons pénétrants du radium. Le dispositif expérimental était constitué par une boîte en plomb à trois compartiments ; dans le compartiment du milieu était suspendu, au moyen d’un fil très fin, un levier portant à l’une de ses extrémités une palette en plomb, et à l’autre un contrepoids. L’ampoule à radium, introduite alternativement dans l’un des compartiments voisins, agissait sur la palette au travers d’une fenêtre percée dans la cloison de séparation et fermée par une feuille d’aluminium mince. Les effets observés n’étaient pas ceux que l’on comptait observer ; les mouvements du levier étaient irréguliers et absolument analogues à ceux qu’on aurait obtenus par l’approche d’un corps plus chaud que le milieu extérieur, et cela malgré les précautions prises pour éviter des effets de ce genre. Il semblait donc utile de s’assurer par une expérience directe si l’ampoule à radium constituait une source de chaleur Le dispositif expérimental était organisé en vue de mesurer une différence de température de 0o,01 ; mais on s’aperçut aussitôt que le phénomène était bien plus important qu’on ne l’avait prévu, et l’on a été amené à réduire la sensibilité de l’appareil.

Voici la description du premier dispositif expérimental : deux petites ampoules de verre étaient placées dans deux vases de verre plus grands, dans lesquels elles étaient maintenues par des bouchons. L’une des ampoules contenait 1g de chlorure de baryum radifère dont la teneur en chlorure de radium était environ 17 pour 100 ; l’autre ampoule contenait du sel de baryum ; les deux soudures d’un couple thermo-électrique pénétraient dans les deux ampoules. Les vases de verre étaient installés dans une caisse de plomb contenue dans une caisse de bois, bourrée de coton. Quand l’équilibre de température était établi, le couple thermoélectrique indiquait un excès de température de 1o,5 dans l’ampoule à radium.

Il était ainsi prouvé qu’un sel de radium donne lieu à un dégagement de chaleur spontané et continu.

Le dégagement de chaleur par le radium a pour effet de maintenir les sels de radium à une température plus élevée que la température ambiante ; mais l’excès de température dépend de l’isolement thermique de la substance.

Fig. 148.


Cet excès de température peut être mis en évidence par une expérience grossière faite au moyen de deux thermomètres à mercure ordinaires (fig. 148). On utilise deux vases isolateurs thermiques à vide, identiques entre eux. Dans l’un des vases on place une ampoule de verre contenant plusieurs décigrammes de sel de radium pur ; dans le deuxième vase on place une autre ampoule de verre toute pareille qui contient une substance inactive quelconque, par exemple du chlorure de baryum. La température de chaque enceinte est indiquée par un thermomètre dont le réservoir est placé au voisinage immédiat de l’ampoule. L’ouverture des isolateurs est fermée par du coton. Quand l’équilibre de température est établi, le thermomètre qui se trouve dans le même vase que le radium indique constamment une température supérieure à celle indiquée par l’autre thermomètre ; l’excès de température observé était de 3 degrés. Dans une expérience analogue faite avec 1g de bromure de radium, M. Giesel a observé un excès de température stationnaire de 5 degrés.

La donnée expérimentale importante à connaître est le débit de chaleur par unité de masse de radium et par unité de temps.

P. Curie et M. Laborde ont entrepris une détermination de ce débit de chaleur. L’expérience a été faite par deux méthodes différentes :


1o La première méthode est basée sur l’emploi du premier dispositif expérimental perfectionné (fig. 149). Les ampoules se trouvaient dans des cavités ménagées dans des blocs de laiton, lesquels étaient placés à l’intérieur de vases isolateurs à vide installés dans un vase plein d’eau ; ce vase était placé dans une enveloppe de calorimètre remplie d’eau. Un certain excès de température étant établi entre les deux ampoules, on enlevait le radium et on le remplaçait par une spirale de fil chauffée au moyen d’un courant électrique dont l’intensité était réglée de manière à obtenir le même excès de température que dans le cas précédent. La quantité de chaleur dégagée par 1g de chlorure de baryum radifère contenant 17 pour 100 de chlorure de radium était de 14 calories par heure.

2o La deuxième méthode consistait à évaluer la quantité de chaleur dégagée par le radium à l’aide du calorimètre à glace de Bunsen (fig. 150). En plaçant dans ce calorimètre une ampoule de verre qui contient le sel de radium, et qui a été préalablement refroidie dans la glace fondante, on constate un apport continu de chaleur qui s’arrête quand on éloigne le radium. Le calorimètre à glace était installé dans un vase isolateur à vide, rempli de glace fondante et protégé lui-même de l’extérieur contre la perte de chaleur. Le déplacement de la colonne de mercure était de l’ordre de 1cm pour 5cal, et l’on observait des déplacements de quelques centimètres pendant une heure. L’équilibre du calorimètre doit être

Fig. 149.


observé avant et après chaque expérience ; si l’eau contenue dans le vase isolateur et celle contenue dans le calorimètre n’est pas absolument pure, on observe un mouvement continu de la colonne dans le tube capillaire ; il est nécessaire de réduire ce mouvement au minimum et d’en tenir compte.

Quand on a mesuré à l’aide du calorimètre à glace la chaleur dégagée par un sel de radium contenu dans une ampoule de verre, certains rayons pénétrants du radium traversent l’ampoule et le calorimètre sans y être absorbés. Pour voir si ces rayons emportent une quantité d’énergie appréciable, on faisait une mesure en entourant l’ampoule d’une feuille de plomb de 2mm d’épaisseur ; dans ces conditions, le dégagement de chaleur était augmenté de 4 pour 100 environ de sa valeur ; l’énergie émise par le radium sous forme de rayons pénétrants ne semblait donc nullement négligeable.

Voici les résultats obtenus avec du radium préparé depuis longtemps et ayant atteint l’équilibre radioactif ; l’ampoule était entourée d’une feuille de plomb de 2mm à 3mm d’épaisseur ; on utilisait 0g,415 de bromure de radium. Le dégagement de chaleur observé était de 24cal,1 par heure, soit 58cal par gramme de bromure et heure, et 98cal par gramme de radium et heure.

Fig. 150.

3o Une troisième méthode de mesures a été employée par P. Curie et M. Dewar[2] ; elle consiste à utiliser la chaleur dégagée pour faire bouillir un gaz liquéfié sous la pression atmosphérique, et à mesurer le volume de gaz qui se dégage. Les gaz essayés sont : l’oxygène liquide (-180°), l’hydrogène liquide (-252°), l’éthylène et l’azote. L’hydrogène liquide convient particulièrement bien pour réaliser l’expérience. Une éprouvette A, entourée d’un isolateur thermique à vide, contient de l’hydrogène liquide H (fig. 151) ; elle est munie d’un tube de dégagement t qui permet de recueillir le gaz dans une éprouvette graduée E remplie d’eau. L’éprouvette A et son isolateur plongent dans un bain d’hydrogène liquide H’. Dans ces conditions aucun dégagement gazeux ne se produit dans l’éprouvette A. Lorsqu’on introduit, dans l’hydrogène liquide contenu dans cette éprouvette, une ampoule qui contient un sel de radium, il se fait un dégagement continu de gaz ; avec la quantité de sel utilisée on recueillait 73cm3 de gaz par minute.

La chaleur fournie au gaz est égale à si l’on désigne par la masse de gaz dégagé et par sa chaleur latente de vaporisation à la température de l’expérience. On détermine la chaleur latente en laissant tomber dans le calorimètre un corps étalon, par exemple une petite masse de plomb (0g,05).

Fig. 151.


La chaleur spécifique du plomb varie peu avec la température et peut être considérée comme une fonction linéaire de celle-ci. Sa valeur moyenne, 0,0295, déterminée directement pour l’écart de température de -185° à 15°, est peu différente de sa valeur moyenne entre 18° et 100° qui est égale à 0,0308. La température du gaz liquéfié peut être contrôlée au moyen d’un couple étalonné avec un thermomètre à air.

Voici les volumes de gaz formés par calorie et mesurés dans les conditions normales de température et de pression :

                                                       cm3
Éthylène 
17
Oxygène 
13,2
Hydrogène 
88,9
Azote 
15,9

L’expérience avec l’hydrogène offre la plus grande sensibilité. À défaut d’hydrogène ou d’oxygène pur on peut employer l’air liquide ayant longtemps bouilli, et dont la température est -185°.

Certaines causes d’erreur peuvent intervenir : des gouttelettes liquides entraînées peuvent se vaporiser dans l’éprouvette et augmenter le volume du gaz mesuré ; ou, au contraire, il peut y avoir condensation de gaz dans le calorimètre A, si la température du liquide intérieur est plus élevée que celle du liquide extérieur.

Des expériences faites avec 0g,42 de bromure de radium ont donné les résultats suivants :

                                                                 Calories
à l’heure.
Calorimètre à oxygène liquide 
22,8 (Curie et Dewar)
Calorimètre à hydrogène liquide 
31,6 (Cu»ie et De»
Calorimètre à glace 
24,1 (Curie et Laborde)


Le nombre élevé fourni par le calorimètre à hydrogène a été attribué à un effet d’entraînement de gouttelettes, le calorimètre ayant eu des dimensions trop petites. Les nombres obtenus pour les calorimètres à glace et à oxygène sont de 98cal et 93cal par gramme de radium et par heure.

On pouvait conclure de l’ensemble de ces expériences que la quantité de chaleur dégagée par gramme de radium et par heure est voisine de 100cal. D’après cela un gramme de radium dégage pendant chaque heure une quantité de chaleur supérieure à celle qui est nécessaire pour fondre son poids de glace. Un atome-gramme de radium (226g) dégage en une heure une quantité de chaleur comparable à celle qui est produite par la combustion d’un atome-gramme d’hydrogène. P. Curie a fait remarquer qu’un débit de chaleur aussi considérable ne saurait être expliqué par aucune réaction chimique ordinaire, et cela d’autant plus que l’état du radium semble rester le même pendant des années. On peut plutôt attribuer le dégagement de chaleur à une transformation de l’atome de radium lui-même, transformation nécessairement très lente, et l’on a ainsi une raison expérimentale pour penser que les quantités d’énergie mises en jeu dans la formation et dans la transformation des atomes sont considérables et dépassent tout ce qui nous est connu.

Les mesures du dégagement de chaleur par le radium aux basses températures offrent un intérêt particulier ; elles montrent que le débit de chaleur est sensiblement le même à la température ordinaire et aux plus basses températures que nous sachions atteindre. Aucune réaction chimique ne se comporte de cette manière, et à la température de l’hydrogène liquide, toute activité chimique semble suspendue.

P. Curie[3] a constaté que le débit de chaleur dû au radium dépend du temps qui s’est écoulé depuis la préparation du sel étudié. Un sel de radium solide qui vient d’être préparé dégage une quantité de chaleur relativement faible ; mais le débit de chaleur augmente continuellement et tend vers une valeur déterminée qui n’est pas encore tout à fait atteinte au bout d’un mois. Quand on dissout dans l’eau un sel de radium et qu’on enferme la solution en tube scellé, la quantité de chaleur dégagée par la solution est d’abord faible ; elle augmente ensuite et tend à devenir constante au bout d’un mois ; le débit de chaleur est alors le même que celui dû au même sel à l’état solide. Ces changements dans la valeur du débit de chaleur indiquaient que ce débit est en relation avec l’équilibre radioactif du sel, et qu’il est dû pour la plus grande partie à l’émanation accumulée. Ce fait a été bientôt constaté expérimentalement par M. Rutherford,

Les expériences précédemment décrites ont établi avec certitude par des méthodes diverses le fait du dégagement de chaleur par le radium, et en ont indiqué la grandeur approchée. D’autres observateurs sont venus confirmer les résultats obtenus, et ont effectué la mesure du débit de chaleur[4]. Cette mesure a pu être faite, dans certains cas, avec une bonne précision.

Les expériences de M. Angström étaient effectuées avec 0g,865 de bromure de radium pur, enfermé dans une ampoule de verre. Les calorimètres sont deux blocs métalliques pareils (fig. 152), dont chacun constitue un cylindre creux à parois épaisses ; l’un contient l’ampoule à radium, l’autre une spirale de fil de manganine ; les cavités sont remplies de pétrole. Les blocs sont installés dans une enceinte métallique protégée contre les variations de température ; dans une petite cavité de chaque bloc se trouve l’une des soudures d’un couple thermo-électrique ; l’intensité du courant est réglée de telle manière que le couple n’accuse aucune différence de température entre les deux cavités ; ensuite l’on

Fig. 152.


intervertit la spirale et l’ampoule et l’on recommence l’expérience ; on élimine ainsi l’influence d’une petite dissymétrie qui peut exister entre les deux blocs.

La constance du débit de chaleur a été vérifiée pendant 15 mois, et ce débit était de 68cal,5 par gramme de bromure et par heure, soit 117cal par gramme de radium et par heure. Les conditions de l’expérience ont été variées ; on employait des calorimètres en cuivre, en aluminium et en plomb. Les dimensions étaient 2cm,5 de hauteur, 1cm,6 de diamètre extérieur et 0cm,5 de diamètre intérieur. Les rayons qui sortaient du verre devaient donc traverser 0cm,55 de métal. On a aussi employé un calorimètre en plomb de 4cm de hauteur et de 2cm,5 de diamètre extérieur avec le même diamètre intérieur que précédemment ; l’épaisseur de métal traversée était en ce cas égale à 1cm. Tous les calorimètres ont donné sensiblement le même résultat, les écarts des expériences ne dépassant pas 2 pour 100.

La mesure la plus récente du débit de chaleur est celle de MM. v. Schweidler et Hess[5], effectuée sur un gramme de chlorure de radium appartenant à l’Académie de Vienne. La pureté de ce sel était garantie par la détermination de son poids atomique, qui a donné le nombre 225. La méthode de mesures était la même que dans les expériences de M. Angström, avec les dimensions suivantes des calorimètres en cuivre : diamètre extérieur, 2cm,5 ; hauteur, 6cm ; épaisseur des parois, 0cm,5. Le métal était poli et doré ; un couvercle épais était posé sur chaque calorimètre. L’élévation de température, due au radium, atteignait 5°,5. Une spirale de fil de manganine d’environ 18 ohms de résistance servait pour la comparaison. Le nombre trouvé est 118cal par gramme de radium et par heure, les mesures individuelles étant concordantes à la précision de 0,5 pour 100. La concordance avec le résultat de M. Angström est très remarquable, et le nombre obtenu est celui qui mérite le plus de confiance actuellement, étant données la quantité relativement grande de radium employée et la précision des mesures qui en résulte.

On verra plus loin que la vie moyenne du radium est probablement voisine de 2800 ans. La quantité de chaleur dégagée par un gramme de radium jusqu’à destruction complète serait en ce cas de l’ordre de 2,9.109 calories ; pour fournir cette quantité de chaleur, il faudrait brûler environ 500kg de charbon ou bien environ 70kg d’hydrogène.


161. Chaleur dégagée par l’émanation du radium et par la radioactivité induite. — Les expériences de P. Curie, relatives à l’augmentation du débit de chaleur du radium solide à partir du moment de sa préparation, ont montré qu’une grande partie de ce débit est due à l’émanation accumulée. Des recherches à ce sujet ont été faites par MM. Rutherford et Barnes[6] qui ont chauffé le sel de radium de manière à en chasser l’émanation ; celle-ci était condensée dans un petit tube de verre immergé dans l’air liquide. L’émanation et le sel dont elle était séparée étaient étudiés séparément au moyen d’un calorimètre différentiel, représenté dans la figure 153. Deux ballons de verre, de 500cm3 de volume chacun, étaient fermés par des bouchons. Les ballons étaient réunis par un tube en U contenant du xylène et servant de manomètre différentiel. Un tube de verre bouché en bas pénétrait au travers du bouchon dans l’intérieur de chaque ballon. Quand on introduisait au fond de ce tube une source de chaleur, l’air du ballon était chauffé et la pression augmentait. La différence de pression était lue au microscope. Les ballons étaient placés dans un bain d’eau qu’on agitait. On constate que le débit de chaleur du sel, dont on vient de chasser l’émanation, diminue d’abord pendant quelques heures et atteint un minimum dont la valeur est environ 25 pour 100 du débit qui correspond à l’équilibre radioactif, puis le débit augmente et tend vers la valeur de régime.

Fig. 153.


Le débit dû à l’émanation augmente, au contraire, pendant quelques heures, et décroît ensuite suivant une loi qui est approximativement la même que la loi de décroissance de l’émanation. On pouvait estimer que l’émanation et le dépôt actif en équilibre avec le radium fournissent 75 pour 100 environ du débit total de chaleur du radium. Pour suivre plus rapidement les variations de la chaleur dégagée, MM. Rutherford et Barnes ont employé un thermomètre différentiel en platine. Une bobine formée par 35cm de fil de platine fin était placée dans un tube de 5mm de diamètre, où elle occupait 3cm de longueur ; les tubes contenant le radium ou l’émanation pouvaient pénétrer dans cette spirale. On mesurait la variation de la résistance de la spirale lors de réchauffement. On a trouvé que pour le radium qui vient d’être privé d’émanation le débit de chaleur après 12 minutes constituait 55 pour 100 du débit limite, et le débit minimum constituait 25 pour 100 du débit limite. Pour l’émanation condensée dans un tube de 3cm de longueur et de 3mm de diamètre, le débit maximum était atteint après 3 heures ; à ce moment on chassait l’émanation et l’on observait la baisse du débit ; après 10 minutes celui-ci était égal à 47 pour 100 de sa valeur maximum, et la loi de diminution rappelait la loi de la disparition de la radioactivité induite après exposition longue (intensité du rayonnement total). D’après MM. Rutherford et Barnes, les proportions relatives du débit de chaleur sont approximativement les suivantes :

                                                                 Pour 100.
Radium 
25
Émanation + radium A 
44
Radium C 
31


Le dégagement de chaleur par l’émanation du radium a été aussi observé par M. Ramsay[7] qui a pu suivre pendant 15 jours au thermomètre l’excès de température dû à une ampoule contenant l’émanation ; l’excès initial était égal à 0°,5 environ.

M. Debierne a mesuré le dégagement de chaleur en fonction du temps pour l’émanation contenue dans une petite ampoule de verre a. Les mesures étaient faites au calorimètre à glace. On mesurait dans le même appareil le débit de chaleur dû à une ampoule de verre b contenant une quantité connue de sel de radium en équilibre radioactif. Le rayonnement pénétrant des deux ampoules était comparé, et l’on pouvait ainsi se rendre compte à quelle quantité de radium correspondaient à l’état d’équilibre l’émanation et la radioactivité induite dans l’ampoule a. On pouvait en déduire pour le radium en équilibre radioactif les proportions du débit de chaleur attribuables respectivement au radium et à l’émanation accompagnée de la radioactivité induite. Ces proportions sont 18 pour 100 et 82 pour 100, soit 21cal et 97cal par gramme de radium et par heure.

La quantité de chaleur dégagée par unité de temps par l’émanation en équilibre de régime avec la radioactivité induite décroît très exactement suivant la loi exponentielle qui caractérise la décroissance du rayonnement. Dans la figure 154 la ligne I a été obtenue en portant en abscisses le temps et en ordonnées le logarithme de l’intensité du rayonnement de l’ampoule a ; la ligne II a été obtenue en portant en ordonnées le débit de chaleur de la même ampoule. On voit que les lignes I et II sont deux droites parallèles.

La vie moyenne de l’émanation étant de 133 heures environ, on peut déduire de ce qui précède que l’émanation saturée, séparée d’un gramme de radium, pourra pendant sa vie dégager une quantité de chaleur égale à calories, soit environ 12 900 cal. Le volume de l’émanation saturée d’un gramme de radium étant environ 0mm3,6, sa masse est environ 0mg,01,

Fig. 154.


si l’on admet que le poids moléculaire est voisin de 200 ; le dégagement de chaleur total d’un gramme d’émanation pendant toute sa vie serait alors environ 109 calories, nombre de même ordre que celui qui mesure la chaleur accompagnant la destruction d’un gramme de radium. Ce résultat n’a rien qui doive étonner, parce que si l’on considère des atomes de poids peu différents, leur nombre dans un gramme de matière est peu différent également, et l’on peut penser que les quantités de chaleur mises en liberté lors de la destruction des atomes sont de même ordre. Mais le débit de chaleur pour divers corps radioactifs pourra être extrêmement différent, car il dépend essentiellement de la vitesse de destruction. Un gramme d’émanation, en équilibre avec le dépôt actif, fournirait pendant la première heure une quantité de chaleur environ 80 000 fois plus grande que celle fournie dans le même temps par un gramme de radium en équilibre radioactif.


162. Énergie cinétique des rayons et chaleur dégagée. — Les rayons étant absorbés dans une couche très mince de matière solide, leur énergie cinétique doit se trouver convertie en chaleur. M. Rutherford a indiqué que la chaleur dégagée par le radium pouvait provenir principalement de cette source.

D’après les résultats numériques obtenus par M. Rutherford, l’énergie cinétique des particules du radium peut facilement être calculée. On a en effet pour l’énergie cinétique des particules provenant d’un gramme de radium pendant l’unité de temps


étant la charge d’une particule, sa masse, sa vitesse et le nombre des particules émises par unité de temps par un gramme de radium. On suppose que la charge a la même valeur pour les particules des quatre faisceaux ; la valeur du produit est connue pour chaque faisceau d’après les mesures de déviation électrostatique (§ 130) ; on peut de plus admettre que le nombre a dans tous les cas la même valeur 3,4.1010 par seconde.

Par suite


Or,

unités E. M.
unité E. M.


et 13,1.105 ergs pour 1 seconde ou 4,73.109 ergs pendant 1 heure.

D’autre part un gramme de radium dégage par heure une quantité de chaleur égale à 118cal environ, et cette quantité de chaleur équivaut à 118 x 4,19.107 ergs, soit 4,95.109 ergs.

On voit donc que la différence entre la chaleur réellement dégagée et celle qui correspond à l’énergie cinétique des rayons constitue seulement environ 5 pour 100 du débit total. Cette différence peut s’expliquer soit par un manque de précision des données expérimentales, soit plutôt par cette considération qu’en dehors de l’énergie cinétique des rayons il faut envisager celle des rayons et celle des atomes radioactifs projetés en vertu du phénomène de recul (§ 84). On peut prévoir que l’énergie d’un atome radioactif projeté est de l’ordre de 2 pour 100 de celle d’une particule D’autre part, d’après différents expérimentateurs (Curie, Laborde, Runge et Precht), l’augmentation du débit de chaleur qu’on obtient en entourant le radium d’une enveloppe de plomb afin d’absorber très complètement les rayons est de l’ordre de 5 pour 100 du débit mesuré. Quant aux rayons leur effet calorifique doit être faible par rapport à celui des rayons parce que l’effet calorifique total ne semble pas augmenter pour des épaisseurs de plomb supérieures à 3mm.

Il semble, d’après ce qui précède, que lors de l’explosion des atomes de radium, l’énergie mise en liberté est presque entièrement utilisée pour communiquer aux particules expulsées leur vitesse d’émission, résultat qui n’était pas évident a priori, car on aurait pu penser que les parties restantes de l’atome exécutent à la suite de l’explosion de celui-ci des vibrations qui s’amortissent avec dégagement de chaleur.

Quand le radium est en équilibre avec l’émanation et la radioactivité induite, l’énergie cinétique du groupe de rayons du radium et celle de tous les quatre groupes de rayons sont entre elles, d’après les mesures de M. Rutherford, comme les nombres 4,78 et 24,9, dont le rapport est 0,192. D’après les expériences de M. Debierne les débits de chaleur du radium seul et du radium accompagné de l’émanation et de la radioactivité induite sont proportionnels aux nombres 18 et 100. Si l’on évalue à 5 pour 100 le débit de chaleur dû aux causes autres que l’absorption des rayons la proportion du débit de chaleur dû au radium seul serait 19 pour 100 du débit total attribuable aux rayons Ces deux résultats sont en très bon accord.

On peut prévoir que, pour les substances radioactives ayant des poids atomiques voisins, les quantités de chaleur dégagées par gramme de matière détruite sont de même ordre, si la destruction d’un atome entraîne l’expulsion d’une seule particule Quant aux débits de chaleur, à vitesse d’émission égale des particules ils seraient entre eux comme les inverses des vies moyennes et comme les nombres des particules émises par unité de temps par gramme de matière. Mais si la destruction d’un atome entraîne l’expulsion de plusieurs particules comme dans le cas du radium, alors les débits de chaleur restent approximativement proportionnels aux activités totales mesurées par les rayons mais ce sont les quotients des débits de chaleur par les nombres des particules provenant de l’atome qui sont entre eux comme les inverses des vies moyennes, à vitesse égale des particules émises.

Le dégagement d’énergie totale pour une matière radioactive qui n’émet que des rayons est probablement une petite fraction du dégagement d’énergie totale fourni à masse égale par une matière émettant des rayons


163. Effet calorifique du thorium, du polonium. — On peut, d’après ce qui précède, se rendre compte a priori de l’ordre du débit de chaleur qu’on doit prévoir pour le thorium ou l’uranium.

L’activité du radium est à celle de l’uranium dans le rapport d’environ 7,3.l06 (Boltwood) ; le dégagement de chaleur d’un gramme d’uranium doit donc être de l’ordre de 1,6.10-5 calorie à l’heure ; pour un gramme de thorium on trouverait un ordre de grandeur analogue. Pour mettre en évidence un dégagement de chaleur aussi faible, il est nécessaire d’employer une quantité de matière importante.

En opérant avec 4kg d’oxyde de thorium, MM. Pegram et Webb[8] ont réussi à mettre en évidence un excès de température de cet oxyde sur le milieu ambiant. La matière active était contenue dans un vase isolateur à vide de 5 litres de volume, suspendu dans un cylindre métallique plongeant dans un bain de glace fondante. On mesurait la différence de température entre l’oxyde de thorium et le bain de glace au moyen d’un couple thermo-électrique. On produisait ensuite au sein de l’oxyde un dégagement de chaleur constant au moyen d’un fil dans lequel circulait un courant électrique, et l’on déterminait la valeur de l’excès de température qui s’établissait dans ces conditions. Comme les différences de température étaient très faibles, on les considérait comme proportionnelles aux débits de chaleur. Le récipient dans lequel se trouvait le vase isolateur était étanche, et la pression y était réduite à 0mm,4 de mercure. La masse d’oxyde n’était pas partout à la même température, la région centrale était plus chaude. L’excès de température observé était 3,4.10-3 degré, et le débit de chaleur était évalué à 9,6.10-6 calorie par gramme d’oxyde et par heure. Ce nombre est de l’ordre de grandeur prévu ; toutefois l’oxyde considéré n’était pas dans un état d’équilibre radioactif, et son activité n’était que 46 pour 100 de celle de l’oxyde à l’état d’équilibre dans les minéraux de thorium. On peut juger, d’après cela, qu’avec de l’oxyde en équilibre radioactif, on aurait obtenu un débit de chaleur de 2,1.10-5 calorie par heure et par gramme.

Pour mettre en évidence des débits de chaleur faibles provenant de sources de chaleur de petites dimensions, M. Duane[9] a utilisé un calorimètre très sensible, au moyen duquel on peut constater avec certitude la production de de gramme-calorie à l’heure, la durée de l’expérience n’étant que de quelques minutes. La méthode est basée sur l’augmentation rapide de la tension de vapeur d’un liquide très volatil lors d’un accroissement de température. Deux récipients de verre A et A’ (fig. 155) sont réunis par un tube capillaire B. La moitié du volume des récipients est remplie d’éther sulfurique ; l’air étant presque complètement retiré de l’appareil, celui-ci est ensuite scellé à la flamme. On peut arriver à placer une petite bulle d’air de longueur convenable dans le tube B et l’on observe le déplacement de cette bulle avec une lunette ou avec une lentille et une échelle. Si l’on introduit dans le tube D une substance S qui dégage de la chaleur, la tension de vapeur dans le récipient A augmente, et la bulle d’air est poussée vers le récipient A’. Le déplacement de la bulle dû à une petite quantité de chaleur est très grand, de sorte que l’appareil est très sensible. Pour protéger ce calorimètre contre les variations de la température extérieure, on le plaçait à l’intérieur d’un bloc de plomb E dont il était isolé en bas par un support de paraffine et en haut par de la ouate. Le bloc de plomb était supporté par deux tiges à l’intérieur d’une boîte de laiton G enveloppée de ouate et placée dans une boîte de zinc qui était elle-même installée dans un thermostat à réglage électrique.

Au lieu de mesurer le déplacement maximum de la bulle, provoqué par l’introduction d’une source de chaleur dans le tube D, on peut utiliser une méthode de compensation et faire absorber la chaleur en même temps qu’elle se dégage. La compensation était obtenue par l’emploi de l’effet Peltier :

Fig. 155.


le tube D renfermait un couple P de fer-nickel, et l’on cherchait quelle était l’intensité du courant électrique pouvant absorber la chaleur produite à chaque instant. L’expérience a montré que la vitesse d’absorption de la chaleur est proportionnelle à l’intensité du courant si celle-ci ne dépasse pas 0,06 ampère et que 8cal,2 sont absorbées par heure et par ampère. Un essai fait avec 0mg,8 de chlorure de radium a donné, pour le débit de chaleur du radium par gramme et par heure, 120cal ; ce nombre est en bon accord avec les résultats obtenus par d’autres méthodes sur des quantités relativement grandes de radium. Au moyen du calorimètre qui vient d’être décrit, M. Duane a mesuré le débit de chaleur d’un échantillon de radiothorium et d’un échantillon de polonium. Les débits de chaleur mesurés étaient de l’ordre de 0cal,01 par heure. En mesurant de plus l’ionisation totale produite par le polonium en couche très mince, on a trouvé que le polonium et le radium, en quantités qui produisent la même ionisation, dégagent à peu près les mêmes quantités de chaleur. Ce fait est conforme à l’hypothèse d’après laquelle la chaleur dégagée représente approximativement l’équivalent de l’énergie cinétique des rayons car l’ionisation semble proportionnelle à cette même énergie.


Séparateur

  1. Curie et Laborde, Comptes rendus, 1903.
  2. {{|sc|Curie}} et {{|sc|Dewar}}, Proc. Roy. Inst., 1904.
  3. Curie, Soc. de Phys., 1903.
  4. Angström, Phys. Zeit., 1905. — Runge et Precht, Acad. de Berlin, 1903. — Precht, Ber. d. d. phys. Gesell., 1904. — Rutherford et Barnes, Phil. Mag., 1904.
  5. V. Schweidler et Hess, Acad. de Vienne, 1908.
  6. Rutherford et Barnes, Phil. Mag., 1904.
  7. Ramsay, Chem. Soc, 1907.
  8. Pegram et Webb, Science, 1904 ; Le Radium, 1908.
  9. Duane, Comptes rendus, 1909.