Traité de radioactivité/Tome 1/4

Gauthier (Tome Ip. 145-196).

CHAPITRE IV.

LES NOUVELLES SUBSTANCES RADIOACTIVES.



40. Méthode nouvelle de recherche d’éléments chimiques basée sur la radioactivité. — Les résultats de l’étude des minéraux radioactifs, énoncés dans le Chapitre précédent, nous ont engagés, P. Curie et moi, à chercher à extraire de la pechblende une nouvelle substance radioactive. Notre méthode de recherches ne pouvait être basée que sur la radioactivité, puisque nous ne connaissions aucun autre caractère de la substance hypothétique. L’expérience nous a d’ailleurs appris depuis que la nouvelle méthode de recherches ainsi créée était aussi la seule qui pût donner un résultat dans le cas actuel ; les méthodes antérieurement connues se seraient montrées inefficaces pour rechercher une matière aussi diluée que celle dont nous avons pu déceler l’existence.

Voici comment on peut se servir de la radioactivité pour une recherche de ce genre : on mesure l’activité d’un produit, on effectue sur ce produit une séparation chimique, on mesure la radioactivité de tous les produits obtenus, et l’on se rend compte si la substance radioactive est restée intégralement avec l’un d’eux, ou bien si elle s’est partagée entre eux et dans quelle proportion. Les premières opérations chimiques effectuées nous ont immédiatement montré qu’un enrichissement en matière active était réalisable, ainsi que nous l’avions espéré.

L’activité des substances était mesurée sur des produits solides et bien desséchés, étalés à l’état de poudre sur des disques métalliques, ainsi que dans les recherches précédentes. L’épaisseur de la couche active doit être suffisante pour que le courant ne varie plus beaucoup avec cette épaisseur. Cette condition est, en général, réalisée pour des épaisseurs au-dessous de 1mm.

Pour nous rendre compte de la proportion de matière active contenue dans les diverses substances résultant d’une opération, nous avions coutume de considérer un nombre nommé produit de radioactivité ; ce nombre est le produit du poids d’une matière par son activité mesurée en unités arbitraires. Quand l’opération a été achevée, et que l’activité de toutes les substances obtenues a été mesurée, le produit de radioactivité primitif doit se retrouver dans la somme des produits de radioactivité relatifs aux substances résultantes. Nous avons constamment employé ce mode de calcul dans les premiers traitements qui ont servi pour orienter les recherches, et cela nous a été extrêmement utile ; nous retrouvions, en général, très exactement le produit de radioactivité, et nous pouvions nous assurer ainsi que nous n’avions pas perdu de matière active, ou bien contrôler les raisons d’une perte quand celle-ci se produisait. Nous avions aussi par là une indication précieuse sur l’importance relative des diverses portions obtenues après chaque traitement. On sait aujourd’hui que de tels calculs peuvent être sujets à des erreurs, et que, parmi les matières radioactives, celle que l’on désirerait conserver n’est pas toujours celle qui est la plus active à l’époque où l’on fait la mesure. Certains traitements séparent, en effet, des substances très actives dont l’activité disparaît peu à peu, tandis que la substance restante, peu active après le traitement, acquiert ensuite progressivement une activité durable. Nous rencontrerons dans la suite des exemples de cas pareils. Malgré cela, la méthode indiquée rend de grands services pour le traitement général de minerais et pour divers traitements particuliers relatifs à une seule substance, par exemple au radium. Il suffit de prendre dans divers cas des précautions qui résultent de la nature des substances présentes. Si de plus on considère comme possible la présence d’une substance radioactive inconnue, il est nécessaire de conserver toutes les portions du traitement, quelle que soit leur activité initiale, et de suivre la valeur de cette activité pendant un temps suffisant, pour s’assurer si elle subit une évolution intéressante.

La méthode de recherches indiquée donne des indications comparables, en une certaine mesure, à celles que pourrait fournir l’analyse spectrale. Toutefois il semble, a priori, que, si l’on peut découvrir ainsi un corps radioactif, on ne peut pas distinguer entre plusieurs corps radioactifs. L’évolution de l’étude de la radioactivité a prouvé qu’une distinction est, au contraire, parfaitement possible, et cela parce que diverses substances radioactives se distinguent par la nature de leur activité et peuvent être caractérisées, sans ambiguïté, par un ensemble de mesures convenablement organisées. C’est ainsi que le radium se trouve caractérisé par l’émanation radioactive qu’il émet et par la loi de sa disparition en fonction de temps, ainsi que par la radioactivité induite produite dans son voisinage et par la loi d’évolution de celle-ci ; il peut aussi être caractérisé par la nature des rayons qu’il émet.


Nos recherches ont abouti à la préparation de substances considérablement plus actives que celles qui ont servi de point de départ. Pour ces substances très actives, le dispositif de mesures primitif ne se trouve plus adapté, et il faut employer divers procédés pour réduire sa sensibilité. On commence par réduire la surface de la matière active ; pour tenir compte de cette réduction, on multiplie l’activité ainsi mesurée par un coefficient déterminé expérimentalement sur une substance d’activité convenable. Quand ce moyen est insuffisant, on peut procéder autrement. La substance étant étalée sur un plateau, on la recouvre d’un écran assez épais percé d’un canal, qui suivant son diamètre, peut ne laisser passer qu’une fraction très petite du rayonnement. On arrive ainsi à mesurer l’activité de substances telles que les sels de radium purs. Les coefficients qui servent pour ramener les mesures faites avec ces écrans à celles que l’on aurait obtenues sans écran avec une surface active donnée, sont déterminés par l’expérience.

Les diverses parties d’un appareil de mesures qui a été quelque temps en service possèdent toujours une certaine activité. En particulier, le condensateur à plateaux qui reçoit la matière active (fig. 32) est toujours plus ou moins actif. Les parois de sa cage et les plateaux doivent être souvent nettoyés. Avant une mesure il est nécessaire de déterminer l’activité du condensateur. Le courant qui mesure l’activité d’une substance est la différence des courants obtenus en présence de la substance et sans celle-ci. Toutes les précautions possibles doivent être prises pour réduire la correction au minimum.

148. Étude de la pechblende. Découverte du polonium et du radium. Actinium. Plomb radioactif. Thorianite et radiothorium. Ionium. — Le minerai que nous avons choisi en premier pour nos recherches, P. Curie et moi, se nomme pechblende (pechurane ou uraninite). C’est un minerai d’oxyde d’uranium que l’on peut se procurer en quantité assez importante ; notre choix a été déterminé par cette considération, ainsi que par la valeur élevée de l’activité de certaines pechblendes ; elles sont 3 à 5 fois plus actives que l’oxyde d’uranium. Toutefois le traitement de ce minerai a présenté de grandes difficultés, parce que sa composition est très compliquée. Voici la composition approximative d’une pechblende telle que la donne l’analyse chimique :

 
 75
 
 05
 
 03
 
 05
 
 03
 
 02
 
xxxxxxxxxxTotal 
 93

Le reste du minerai est constitué par des corps très variés : terres rares, bismuth, antimoine, arsenic, cuivre, zinc, aluminium, nickel, cobalt, vanadium, argent, niobium, tantale, thallium, baryum. La pechblende contient aussi toujours des gaz, et l’on y constate la présence des gaz rares : argon et hélium.

L’analyse de la pechblende ayant été faite avec le contrôle de la méthode décrite ci-dessus, nous avons reconnu que le traitement avait pour effet de concentrer l’activité de deux côtés différents. D’une part, le bismuth extrait de la pechblende montrait une activité élevée, tandis que le bismuth du commerce provenant de minéraux inactifs est lui-même inactif ; d’autre part, il y a une accumulation d’activité dans le sulfate de baryum obtenu, tandis que les sels de baryum du commerce ne manifestent aucune activité.

Nous avons considéré cette concentration d’activité, qui se faisait invariablement de la même manière, comme une preuve que l’hypothèse qui nous avait servi comme point de départ était exacte, et que nous étions en présence de deux éléments radioactifs nouveaux. Nous avons donné le nom de polonium au corps actif accompagnant le bismuth, le nom de radium au corps actif accompagnant le baryum, et nous avons pensé que par leurs propriétés chimiques ces deux éléments devaient être respectivement analogues aux deux éléments connus qu’ils suivaient au cours du traitement. Nos publications relatives à la découverte du polonium et du radium ont été faites en 1898 ; la première partie du travail concernait le polonium ; la deuxième partie, faite en collaboration avec M. Bémont, concernait le radium ([1]).

Des arguments très sérieux venaient appuyer l’hypothèse de l’existence des éléments radioactifs nouveaux. Nous avons prouvé, en effet, que non seulement au courant de l’analyse du minerai l’activité se concentre d’une part avec le bismuth, d’autre part avec le baryum, éléments non actifs par eux-mêmes, mais que de plus on peut, par un traitement convenable, effectuer une nouvelle concentration d’activité sur le bismuth actif et le baryum actif de la pechblende, de manière à retirer d’une part du bismuth et du baryum sensiblement inactifs, d’autre part des produits beaucoup plus actifs que la matière soumise au traitement. Les traitements employés à cet effet n’étaient pas des séparations chimiques complètes, et l’on verra plus loin que ces traitements n’auraient pu être tels, étant donnée la dilution extrême de la matière active ; mais nous avons montré que diverses méthodes de fractionnement sont efficaces pour le but proposé. C’est ainsi que l’on obtient du bismuth de plus en plus riche en polonium par l’un des procédés de fractionnement suivants :


1o Sublimation des sulfures dans le vide ; le sulfure actif est beaucoup plus volatil que le sulfure de bismuth.

2o Précipitation des solutions azotiques par l’eau ; le sous-nitrate précipité est beaucoup plus actif que le sel qui reste dissous.

3o Précipitation par l’hydrogène sulfuré d’une solution chlorhydrique extrêmement acide ; les sulfures précipités sont considérablement plus actifs que le sel qui reste dissous.

Il est de même possible d’obtenir du baryum de plus en plus riche en radium, en soumettant le mélange des chlorures à une cristallisation fractionnée dans l’eau ou dans un mélange d’eau et d’acide chlorhydrique, ou encore en opérant des précipitations fractionnés par l’alcool sur la solution des chlorures. Dans les deux cas, le chlorure de radium se montre moins soluble que celui de baryum.

Enfin un argument très important en faveur de l’existence d’éléments radioactifs nouveaux a été apporté par l’analyse spectrale. L’examen spectroscopique des produits obtenus par nous a été entrepris par Demarçay, qui se servait de la méthode très précise des spectres d’étincelle photographiés.

L’un des premiers échantillons de chlorure de baryum radifère, d’activité environ 60 fois plus grande que celle de l’oxyde d’urane, a été soumis à l’analyse spectrale. Le spectre était celui du baryum ; toutefois Demarçay y découvrit en plus une raie nouvelle d’intensité notable et de longueur d’onde dans le spectre ultraviolet. Avec des produits plus actifs préparés ensuite, et dont l’activité atteignit une valeur 900 fois plus grande que celle qui correspond à l’oxyde d’urane, on vit la raie se renforcer, en même temps que deux autres raies nouvelles devenaient visibles ([2]). Nous avions ainsi la confirmation de l’hypothèse que le radium est un élément nouveau. Mais l’examen des échantillons de bismuth actif n’a fait connaître aucune raie autre que celles qui caractérisent le bismuth.

Les échantillons de sel de bismuth à polonium et de sel de baryum radifère obtenus dans ce travail préliminaire, avaient respectivement une activité 400 et 900 fois plus grande que celle de l’oxyde d’urane. Avec ces substances nous avons découvert que les rayons Becquerel produisent la fluorescence du platinocyanure de baryum.

Il apparaissait toutefois comme évident que les produits obtenus étaient constitués presque totalement par de la matière inactive tandis que le polonium et le radium n’y étaient présents qu’en proportion très faible. Nous nous sommes donc trouvés en face de la certitude, que pour isoler ces substances il était indispensable d’entreprendre un traitement sur des centaines ou des milliers de kilogrammes de minerai. En même temps il semblait de plus en plus intéressant d’aboutir à l’isolement de matières, dont la radioactivité devait être considérablement plus grande que celle des échantillons obtenus en premier lieu.

Le polonium émet seulement des rayons Becquerel. Le radium émet des rayons Becquerel et une émanation radioactive différente de celle du thorium.

Une troisième substance fortement radioactive a été découverte dans la pechblende par M. Debierne, qui lui a donné le nom d’actinium[3]. L’actinium accompagne certains corps du groupe du fer contenus dans la pechblende ; il semble accompagner soit le thorium, soit le cérium ou le lanthane. L’extraction de l’actinium est une opération difficile, les séparations étant, en général, incomplètes. Divers procédés de fractionnement utilisés pour la préparation de cette substance seront décrits plus loin. L’actinium émet des rayons Becquerel et une émanation radioactive caractéristique différente de celles du thorium et du radium.

Toutes ces trois substances radioactives nouvelles se trouvent dans la pechblende en quantité absolument infinitésimale. Pour les obtenir à l’état concentré, nous avons été obligés de traiter plusieurs tonnes de résidus de minerai d’urane. Le gros traitement se fait dans une usine ; il est suivi de tout un travail de purification et de concentration. On arrive ainsi à extraire de ces milliers de kilogrammes de matière première quelques décigrammes de produits qui sont prodigieusement actifs par rapport au minerai dont ils proviennent. Il est bien évident que l’ensemble de ce travail est long, pénible et coûteux. Je me suis spécialement occupée du travail ayant pour but l’isolement du radium et du polonium. Après un long travail j’ai réussi à obtenir le radium à l’état de sel pur, en quantité suffisante pour pouvoir déterminer son poids atomique et lui assigner ainsi une place définitive dans la série des corps simples.

Ce travail a apporté la preuve complète de l’exactitude de la théorie adoptée dès le début de nos recherches par P. Curie et moi, théorie d’après laquelle la radioactivité est une propriété atomique et peut par conséquent servir comme base à une méthode d’analyse chimique. La théorie de désintégration des éléments radioactifs, sous la forme que lui ont donnée MM. Rutherford et Soddy, peut être considérée comme une extension de la théorie primitive qui a conduit à la découverte des substances radioactives nouvelles. La théorie de désintégration admet en effet que, la radioactivité étant attachée à l’atome, les phénomènes qui mettent en évidence une apparition ou une disparition de radioactivité correspondent à une formation ou une destruction des atomes auxquels appartient cette radioactivité. De nombreux exemples de tels phénomènes seront cités dans la suite de ce Livre. La théorie admet d’ailleurs qu’il n’existe pas de radioactivité permanente, et que la radioactivité de matières telles que l’uranium ou le radium, finira par disparaître, en même temps que ces éléments, après un temps extrêmement long.


La pechblende étant un minerai coûteux, nous avons renoncé à en traiter de grandes quantités. En Europe, l’extraction de ce minerai se fait dans la mine de St . Joachimsthal, en Bohême. Le minerai broyé est grillé avec du carbonate de soude, et la matière résultant de ce traitement est lessivée, d’abord à l’eau chaude, puis à l’acide sulfurique étendu. La solution contient l’uranium qui donnait à la pechblende sa valeur. Le résidu insoluble était rejeté. Ce résidu qui contient des substances radioactives et dont l’activité est de 3 à 5 fois plus grande que celle de l’oxyde d’urane, nous a servi de matière première ; il a actuellement une très grande valeur.

En même temps que nous commencions à organiser le traitement de grandes quantités de matière, divers autres savants ont entrepris des recherches sur les substances radioactives nouvelles. En Allemagne M. Giesel s’occupa de la préparation industrielle du radium. Au cours du traitement effectué sur le minerai, il a été amené à en extraire une substance radioactive qu’il nomma émanium ; ce corps s’est montré dans la suite identique à l’actinium. M. Marckwald, en traitant des produits qui provenaient du traitement d’une grande quantité de pechblende, en retira une substance extrêmement active qu’il nomma radiotellure, mais qui s’est montrée identique au polonium.

Le plomb extrait de la pechblende est radioactif. Sa radioactivité a fait l’objet des recherches de MM. Hofmann et Strauss qui ont supposé l’existence d’une matière radioactive nouvelle. Toutefois cette matière n’a pu être caractérisée suffisamment à cette époque. La véritable nature du plomb radioactif a été éclaircie par un beau travail de M. Rutherford, confirmé et étendu par les travaux de MM. Meyer et v. Schweidler.

La découverte d’un nouveau minerai, la thorianite, a été le point de départ d’un travail important, effectué par M. Hahn au laboratoire de M. Ramsay. Ce travail conduisit à la découverte d’une substance radioactive nouvelle : le radiothorium.

Les travaux de MM. Rutherford et Boltwood ont conduit à admettre, dans le groupe des terres rares, l’existence d’une substance radioactive que M. Boltwood a nommé ionium. Cette substance se trouve avec l’actinium dans les terres rares extraites des minerais d’urane ; elle est encore peu connue, mais elle présente un grand intérêt, ayant avec le radium une relation étroite dont il sera question plus loin.

Au point de vue des théories de la radioactivité, on envisage actuellement l’existence d’un grand nombre de substances radioactives distinctes. Toutefois celles qui ont une existence individuelle au point de vue du chimiste, et dont l’isolement paraît un problème abordable, sont toujours en nombre très restreint. Aucune substance radioactive nouvelle autre que le radium, n’a d’ailleurs été obtenue à l’état de sel pur et caractérisée comme élément par son spectre et son poids atomique.


42. Extraction des substances radioactives nouvelles. Traitement du minerai. — La première partie de l’opération consiste à extraire des minerais d’urane le baryum radifère, le bismuth à polonium et les terres rares contenant l’actinium.

Ces trois premiers produits ayant été obtenus, on cherche, pour chacun d’eux, à séparer la substance radioactive nouvelle. Cette deuxième partie du traitement se fait par une méthode de fractionnement. On sait qu’il est difficile de trouver un moyen de séparation très parfait entre les éléments très voisins ; les méthodes de fractionnement sont donc tout indiquées. D’ailleurs, quand un élément se trouve mélangé à un autre à l’état de trace, on ne peut appliquer au mélange une méthode de séparation parfaite, même en admettant que l’on en connaisse une ; on risquerait, en effet, de perdre la trace de matière qui aurait pu être séparée dans l’opération.

Le minerai traité était le résidu du traitement de la pechblende de St. Joachimsthal, après extraction d’urane. Le traitement de ce minerai à l’usine a été organisé par M. Debierne, après étude préliminaire de la question. Le point le plus important de la méthode utilisée consiste à obtenir la transformation des sulfates en carbonates par l’ébullition de la matière avec une dissolution concentrée de carbonate de soude. Ce procédé permet d’éviter la fusion avec le carbonate de soude.

Le résidu contient principalement des sulfates de plomb et de chaux, de la silice, de l’alumine et de l’oxyde de fer. On y trouve, en outre, en quantité plus ou moins grande, presque tous les métaux (cuivre, bismuth, zinc, cobalt, manganèse, nickel, vanadium, antimoine, thalium, terres rares, niobium, tantale, arsenic, baryum, etc.). Le radium se trouve, dans ce mélange, à l’état de sulfate et en constitue le sulfate le moins soluble. Pour le mettre en dissolution, il faut éliminer autant que possible l’acide sulfurique.

Pour cela, on commence par traiter le résidu par une solution concentrée et bouillante de soude ordinaire. L’acide sulfurique combiné au plomb, à l’alumine, à la chaux, passe, en grande partie, en dissolution à l’état de sulfate de soude que l’on enlève par des lavages à l’eau. La dissolution alcaline enlève en même temps du plomb, de la silice, de l’alumine. Le plomb qui y est contenu peut en être reprécipité à l’état de sulfure ; c’est le plomb radioactif. La portion insoluble lavée à l’eau est attaquée par l’acide chlorhydrique ordinaire. Cette opération désagrège complètement la matière et en dissout une grande partie. De cette dissolution on peut retirer le polonium et l’actinium : le premier est précipité par l’hydrogène sulfuré, le second se trouve dans les hydrates précipités par l’ammoniaque dans la dissolution, séparée des sulfures et peroxydée. Quant au radium, il reste dans la portion insoluble.

Cette portion est lavée à l’eau, puis traitée par une dissolution concentrée et bouillante de carbonate de soude. S’il ne restait plus que peu de sulfates non attaqués, cette opération a pour effet de transformer les sulfates de baryum et de radium en carbonates ; toutefois l’attaque est, en général, incomplète. On lave la matière très complètement à l’eau, puis on l’attaque par l’acide chlorhydrique étendu exempt d’acide sulfurique. La dissolution contient le radium, ainsi que du polonium et de l’actinium. On la filtre et on la précipite par l’acide sulfurique. On obtient ainsi des sulfates bruts de baryum radifère contenant aussi de la chaux, du plomb, du fer et ayant entraîné un peu d’actinium. La dissolution contient encore un peu d’actinium et de polonium qui peuvent en être retirés comme de la première dissolution chlorhydrique.


On retire d’une tonne de résidu de 10kg à 20kg de sulfates bruts, dont l’activité est de 30 à 60 fois plus grande que celle de l’uranium métallique. On procède à leur purification. Pour cela, on les fait bouillir avec du carbonate de soude et on les transforme en chlorures. La dissolution est traitée par l’hydrogène sulfuré, ce qui donne une petite quantité de sulfures actifs contenant du polonium. On filtre la dissolution, on la peroxyde par l’action du chlore et on la précipite par de l’ammoniaque pure. Les oxydes et hydrates précipités sont très actifs, et l’activité est due à l’actinium. La dissolution filtrée est précipitée par le carbonate de soude. Les carbonates alcalino-terreux précipités sont lavés et transformés en chlorures.

Ces chlorures sont évaporés à sec et lavés avec de l’acide chlorhydrique concentré pur. Le chlorure de calcium se dissout presque entièrement, alors que le chlorure de baryum radifère reste insoluble. On obtient ainsi, par tonne de matière première, 8kg environ de chlorure de baryum radifère, dont l’activité est environ 60 fois plus grande que celle de l’uranium métallique. Ce chlorure est prêt pour le fractionnement.

Il existe des minerais de radium dont le traitement est beaucoup plus facile que celui qui vient d’être décrit. Telle est la carnotite, minerai d’urane soluble dans l’acide azotique étendu ; cette dissolution contient le radium. La pyromorphite radifère est un minerai découvert à Issy-l’Évêque par M. Danne. C’est un chlorophosphate de plomb ne contenant pas d’uranium ; le minerai est soluble dans l’acide chlorhydrique, et cette dissolution contient le radium. Il en est de même pour l’autunite.

43. Préparation de sels de radium purs. — Le procédé que j’ai adopté pour extraire le chlorure de radium pur du chlorure de baryum radifère consiste à soumettre le mélange des chlorures à une cristallisation fractionnée, dans l’eau pure d’abord, dans l’eau additionnée d’acide chlorhydrique pur ensuite. On utilise ainsi la différence des solubilités des deux chlorures, celui de radium étant moins soluble que celui de baryum.

Au début du fractionnement on emploie l’eau pure distillée. On dissout le chlorure et l’on amène la dissolution à être saturée à la température de l’ébullition ; puis on laisse cristalliser par refroidissement dans une capsule couverte. Il se forme alors au fond de beaux cristaux adhérents, et la dissolution saturée surnageante peut être facilement décantée. Si l’on évapore à sec un échantillon de cette dissolution, on trouve que le chlorure obtenu est environ cinq fois moins actif que celui qui a cristallisé. On a ainsi partagé le chlorure en deux portions : A et B, la portion A étant beaucoup plus active que la portion B. On recommence sur chacun des chlorures A et B la même opération, et l’on obtient, avec chacun d’eux, deux portions nouvelles. Quand la cristallisation est terminée, on réunit ensemble la fraction la moins active du chlorure A et la fraction la plus active du chlorure B, ces deux matières ayant sensiblement la même activité. On obtient ainsi trois portions que l’on soumet à nouveau au même traitement.

On ne laisse pas augmenter constamment le nombre des portions. À mesure que ce nombre augmente, l’activité de la portion la plus soluble va en diminuant. Quand cette portion n’a plus qu’une activité insignifiante, on l’élimine du fractionnement. Quand on a obtenu un nombre de portions convenable, on cesse aussi de fractionner la portion la moins soluble (la plus riche en radium), et on l’élimine du fractionnement.

On opère avec un nombre constant de portions. Après chaque série d’opérations, la solution saturée provenant d’une portion est versée sur les cristaux provenant de la portion suivante ; mais si, après l’une des séries, on a éliminé la fraction la plus soluble, après la série suivante on fera, au contraire, une nouvelle portion avec la fraction la plus soluble, et l’on éliminera les cristaux qui constituent la portion la plus active. Par la succession alternative de ces deux modes opératoires, on obtient un mécanisme de fractionnement très régulier, dans lequel le nombre des portions et l’activité de chacune d’elles restent constants, chaque portion étant environ cinq fois plus active que la suivante ; on élimine, d’un côté (à la queue), un produit à peu près inactif, tandis que l’on recueille, de l’autre côté (à la tête), un chlorure enrichi en radium. La quantité de matière contenue dans les portions va, d’ailleurs, nécessairement en diminuant, et les portions diverses contiennent d’autant moins de matière qu’elles sont plus actives. On opérait au début avec six portions, et l’activité du chlorure éliminé à la queue n’était que 0,1 de celle de l’uranium.

Le schéma d’un tel fractionnement est représenté graphiquement

Fig. 42.
Fig. 42.


par la figure 42. Chaque point représente une cristallisation effectuée sur la portion dont le numéro se trouve à côté. Les deux flèches qui partent d’un point représentent les deux produits, cristaux et dissolution, résultant d’une cristallisation, par exemple cristaux à gauche, dissolution à droite. La réunion de deux flèches en un point représente la réunion des cristaux formés dans une portion avec la dissolution provenant de la portion précédente. Les flèches dirigées vers le dehors représentent l’élimination des produits extrêmes.

Quand on a ainsi éliminé en grande partie la matière inactive et que les portions sont devenues petites, on n’a plus intérêt à éliminer à une activité aussi faible ; on supprime alors une portion à la queue du fractionnement, et l’on ajoute à la tête une portion formée avec le chlorure actif précédemment recueilli ; on recueillera donc maintenant un chlorure plus riche en radium que précédemment. On continue à appliquer ce système jusqu’à ce que les cristaux de tête représentent du chlorure de radium pur. Si le fractionnement a été fait d’une façon très complète, il reste à peine de très petites quantités de tous les produits intermédiaires.

Quand le fractionnement est avancé et que la quantité de matière est devenue faible dans chaque portion, la séparation par cristallisation est moins efficace, le refroidissement étant trop rapide et le volume de solution à décanter trop petit. On a alors intérêt à additionner l’eau d’une proportion déterminée d’acide chlorhydrique ; cette proportion devra aller en croissant à mesure que le fractionnement avance. L’avantage de cette addition consiste à augmenter la quantité de la dissolution, la solubilité des chlorures étant moindre dans l’eau additionnée d’acide chlorhydrique que dans l’eau pure. De plus, le fractionnement est alors très efficace ; la différence entre les deux fractions provenant d’un même produit est considérable ; en employant de l’eau avec beaucoup d’acide, on a d’excellentes séparations, et l’on peut opérer avec trois ou quatre portions seulement. On a tout avantage à employer ce procédé aussitôt que la quantité de matière est devenue assez faible pour que l’on puisse opérer ainsi sans inconvénients.

Les cristaux, qui se déposent en solution très acide, ont la forme d’aiguilles très allongées, qui ont absolument le même aspect pour le chlorure de baryum et pour le chlorure de radium. Les uns et les autres sont biréfringents. Les cristaux de chlorure de baryum radifère se déposent incolores, mais, quand la proportion de radium devient suffisante, ils prennent au bout de quelques heures une coloration jaune allant à l’orangé, quelquefois une belle coloration rose. Cette coloration disparaît par la dissolution. Les cristaux de chlorure de radium pur ne se colorent pas, ou tout au moins pas aussi rapidement, de sorte que la coloration paraît due à la présence simultanée du baryum et du radium. Le maximum de coloration est obtenu pour une certaine concentration en radium, et l’on peut, en se basant sur cette propriété, contrôler les progrès du fractionnement. Tant que la portion la plus active se colore, elle contient une quantité notable de baryum ; quand elle ne se colore plus, et que les portions suivantes se colorent, c’est que la première est sensiblement du chlorure de radium pur.

J’ai remarqué parfois la formation d’un dépôt composé de cristaux dont une partie restait incolore, alors que l’autre partie se colorait. Il semblait possible de séparer les cristaux incolores par triage, ce qui n’a pas été essayé.

À la fin du fractionnement, le rapport des activités des portions successives n’est ni le même, ni aussi régulier qu’au début ; cependant il ne se produit aucun trouble sérieux dans la marche du fractionnement.


Quand on entreprend le traitement de quelques kilogrammes de chlorure de baryum radifère retiré d’une ou plusieurs tonnes de minerai, il faut apporter quelques modifications à la manière d’opérer. Un premier fractionnement est alors fait à l’usine ; il est destiné à fournir un sel enrichi en radium après élimination de 90 pour 100 du sel de baryum. Ce premier fractionnement comporte des volumes de dissolution saturée relativement grands ; il est effectué dans des bassines de fonte, et l’on remplace l’eau distillée par l’eau de pluie ou par de l’eau de rivière très peu chargée de sels, et soigneusement débarrassée de toute trace d’acide sulfurique au moyen d’une précipitation par une solution de chlorure de baryum en faible excès.


La précipitation fractionnée d’une solution aqueuse de chlorure de baryum radifère par l’alcool conduit aussi à l’isolement du chlorure de radium qui se précipite en premier. Cette méthode que j’employais au début a été ensuite abandonnée pour celle qui vient d’être exposée et qui offre plus de régularité. Cependant, j’ai encore quelquefois employé la précipitation par l’alcool pour purifier le chlorure de radium qui contient une petite quantité de chlorure de baryum ; ce dernier reste dans la dissolution alcoolique légèrement aqueuse et peut ainsi être enlevé.


M. Giesel, qui, dès la publication de nos premières recherches, s’est occupé de la préparation des corps radioactifs, recommande la séparation du baryum et du radium par la cristallisation fractionnée dans l’eau du mélange des bromures. J’ai pu constater que ce procédé est en effet très avantageux, surtout au début du fractionnement. Toutefois il n’est commode d’opérer ainsi, que quand la quantité de sel à fractionner n’est pas trop grande. Quand elle est de quelques kilogrammes, il y a inconvénient à employer une quantité correspondante d’acide bromhydrique dont le prix est élevé, et de plus les bassines de fonte sont bien plus facilement attaquées par le bromure que par le chlorure. Il y a toutefois avantage à transformer en bromure le chlorure obtenu par le premier fractionnement à l’usine, et dont le poids a été fortement réduit. On réalise ainsi un fractionnement plus rapide, tant que la quantité de matière n’est pas devenue très petite. Mais quand on n’a plus que très peu de sel, les opérations avec le bromure sont moins bonnes qu’avec le chlorure, et cela parce que le premier sel est, d’une part, beaucoup plus soluble, d’autre part, beaucoup plus altérable que le second ; la solution d’un bromure très riche en radium dans l’eau, ou dans l’eau additionnée d’acide bromhydrique, s’altère rapidement avec mise en liberté de brome. Je considère donc comme préférable de ramener toujours le sel très concentré en radium à l’état de chlorure, pour achever l’extraction du sel de radium pur et pour conserver celui-ci. À l’état de sel sec, le chlorure est, en effet, un sel mieux défini et plus stable que le bromure, et son altération spontanée est bien moins importante.


Quel que soit le procédé de fractionnement dont on se sert, il est utile de le contrôler par des mesures d’activité.

Il est nécessaire de remarquer qu’un composé de radium qui était dissous, et que l’on vient de ramener à l’état solide, soit par précipitation, soit par cristallisation, ne possède pas dès le début une activité invariable ; l’activité augmente pendant un mois environ pour atteindre une certaine limite, toujours la même. L’activité finale est cinq à six fois plus élevée que l’activité initiale. Ces variations, sur lesquelles je reviendrai dans la suite, doivent être prises en considération pour la mesure de l’activité. L’activité finale est mieux définie, mais il est plus pratique, au cours d’un traitement chimique, de mesurer l’activité initiale du produit solide.

Bien que le sel que l’on soumet au fractionnement soit toujours préalablement purifié, on est souvent conduit à purifier à nouveau le sel très riche en radium. Il est vrai que le traitement employé pour le fractionnement constitue par lui-même un traitement de purification qui élimine les traces de sels très solubles dans l’eau acidulée : sels de chaux, de fer, de magnésium, etc. Mais en revanche les traces de chlorure ou de bromure de plomb s’accumulent avec le sel de radium dans la portion la moins soluble. Il est en général, nécessaire d’éliminer le plomb en traitant la solution du sel très riche en radium par l’hydrogène sulfuré avant de procéder à l’élimination définitive du baryum.


44. Spectre du radium. — Le spectre du radium a été découvert par Demarçay, qui a constaté dans le spectre d’étincelle, fourni par des sels de baryum radifères, la présence de raies n’appartenant à aucun élément connu, et dont l’intensité était d’autant plus grande que l’échantillon de sel considéré était plus actif. C’est à Demarçay que l’on doit aussi la première étude du spectre du radium et la détermination des raies les plus importantes dans la région du spectre comprise entre les longueurs d’onde 500µµ et 350µµ ([4]). L’étude du spectre d’étincelle du radium a été poursuivie et complétée par les travaux de MM. Runge et Precht, Exner et Haschek et Crookes, de sorte que ce spectre est actuellement très bien connu ([5]).

L’aspect général du spectre est celui qu’offrent les métaux alcalino-terreux. On y aperçoit des raies fortes et étroites et quelques bandes nébuleuses. Voici la liste des raies les plus importantes :

Région du spectre.   Longueur
d’onde en µµ.
xxxIntensité.xxx
Vert 482,61 moyenne
Bleu 468.23 très forte
Ultra-violet
453,33 moyenne
443,65 »
434,08 forte
381,46 la plus forte
364,97 forte
281,40 »
270,86 »

Voici un Tableau qui donne les longueurs d’onde des raies du spectre du radium d’après les mesures de MM. Runge et Precht. Le spectre était obtenu par photographie au moyen d’un réseau de Rowland concave ayant 1m de rayon de courbure. La plaque photographique était sensibilisée pour la région du rouge. Les intensités des raies sont indiquées par des nombres :

Longueur
d’onde en µµ.
xxxIntensité.xxx
644,63 18
633,72 16
620,06 10
616,74 18
595,84 10
581,38 15
566,08 10
561,67 18
560,17 18
555,62 16
555,38 16
550,21 18
548,88 16
548,21 16
540,68 18
540,03 18
531,97 16
528,34 16
526,46 16
520,60 16
508,12 16

504,15 16
498,21 16
497,19 16
485,62 18
482,61 20
468,24 50
453,33 10
443,65 20
434,08 50
430,50 17
417,80 16
401,05 16
381,46 100
364,97 50
281,38 10
270,90 18

Les bandes nébuleuses sont au nombre de deux. Elles sont fortes, et leurs maxima d’intensité correspondent aux longueurs d’onde 462µµ,75 et 445µµ,52.

Le spectre de flamme du radium est également très caractéristique. Il a été pour la première fois observé par M. Giesel qui a constaté en même temps que les sels de radium communiquent à la flamme une belle coloration rouge carmin. Voici les longueurs d’onde des raies observées au spectre de flamme :

665,3xxxxx rouge
660,0 rouge (bande)
630,0 orangé (bande)
482,6 vert

La réaction spectrale du radium est très sensible. Elle permet de découvrir dans les sels de baryum des traces de radium qui sont beaucoup trop faibles pour qu’on puisse les mettre en évidence par une détermination de poids atomique. En comparant les activités d’un sel de radium pur et d’un sel de baryum radifère qui donne au spectre la raie la plus forte du radium, on peut juger qu’il est parfaitement possible de découvrir par l’examen spectral une proportion de radium égale à 0,01 pour 100.


On peut remarquer à ce sujet que la méthode qui nous a permis de découvrir le radium, par ses propriétés radioactives, est considérablement plus sensible à ce point de vue que l’analyse spectrale. On peut apercevoir la raie 381µµ,5 du radium avec un sel de baryum radifère 50 fois plus actif que l’uranium. On peut d’ailleurs, sans aucune peine, constater la radioactivité d’un sel, quand elle est 100 fois plus faible que celle de l’uranium. Par conséquent, la méthode basée sur la radioactivité se montre dans le cas actuel environ 5000 fois plus sensible que la méthode de l’analyse spectrale, et permet de découvrir le radium quand il se trouve présent en proportion réellement infinitésimale. Pourtant il est vraisemblable que la sensibilité de la nouvelle méthode peut atteindre des valeurs encore bien plus élevées, car nous avons des raisons pour penser qu’il existe des substances dont l’activité est à poids égal considérablement plus grande que celle du radium.

On trouvera dans la planche II une reproduction du spectre d’étincelle photographié, obtenu avec le chlorure de radium pur.


45. Poids atomique du radium. — La détermination du poids atomique du radium avait une grande importance parce qu’elle apportait la preuve définitive que le radium est un corps simple, et que la radioactivité est une propriété atomique.

Au cours de mon travail, j’ai, à plusieurs reprises, déterminé le poids atomique du métal contenu dans des échantillons de chlorure de baryum radifère ([6]). Chaque fois qu’à la suite d’un nouveau traitement j’avais une nouvelle provision de chlorure de baryum radifère à traiter, je poussais la concentration aussi loin que possible, de façon à obtenir de 0g,1 à 0g,5 de matière contenant presque toute l’activité du mélange. Ce produit était soumis à l’analyse spectrale et servait ensuite pour la détermination de poids atomique.

J’ai employé la méthode classique qui consiste à doser, à l’état de chlorure d’argent, le chlore contenu dans un poids connu de chlorure anhydre. Comme expérience de contrôle, j’ai déterminé le poids atomique du baryum par la même méthode, dans les mêmes conditions et avec la même quantité de matière, 0,5g d’abord, 0,1g seulement ensuite. Les nombres trouvés étaient

Chlorure de Radium pur.
Chlorure de Radium pur.
Chlorure de Radium pur.

Chlorure de Radium pur additionné de 0,6% de chlorure de baryum.
Chlorure de Radium pur additionné de 0,6% de chlorure de baryum.
Chlorure de Radium pur additionné de 0,6% de chlorure de baryum.



toujours compris entre 137 et 138. J’ai vu ainsi que cette méthode donne des résultats satisfaisants, même avec une aussi faible quantité de matière.

Les deux premières déterminations ont été faites avec des chlorures, dont l’un était 230 fois et l’autre 600 fois plus actif que l’uranium. Ces deux expériences ont donné, à la précision des mesures près, le même nombre que l’expérience faite avec le chlorure de baryum pur. On ne pouvait donc s’attendre à trouver une différence qu’en employant un produit beaucoup plus actif. L’expérience suivante a été faite avec un chlorure dont l’activité était environ 3500 fois plus grande que celle de l’uranium ; cette expérience permit, pour la première fois, d’apercevoir une différence petite, mais certaine ; je trouvais, pour le poids atomique moyen du métal contenu dans ce chlorure, le nombre 140, qui indiquait que le poids atomique du radium devait être plus élevé que celui du baryum. En employant des produits de plus en plus actifs et présentant le spectre du radium avec une intensité croissante, je constatais que les nombres obtenus allaient aussi en croissant, comme on peut le voir dans le Tableau suivant (A indique l’activité du chlorure, celle de l’uranium étant prise comme unité ; P le poids atomique trouvé) :

A.   P.    
3500 140
le spectre du radium est très faible.
4700 141
7500 145,8 le spectre du radium est fort, mais celui
xx du baryum domine de beaucoup.
Ordre
de
grandeur
.
173,8 les deux spectres ont une importance
xxà peu près égale.
223 les trois raies les plus fortes du baryum
xxsont seules visibles, avec une intensité
xxtrès notable.
225,3 ces mêmes trois raies sont très faibles
xx(expériences faites sur 0,1g environ
xxde chlorure).
226,45 la raie la plus forte du baryum (455µµ,42)
xxest très faible (expériences faites
xxsur 0g,4 environ de chlorure).

Les nombres de la colonne A ne doivent être considérés que comme une indication. L’appréciation de l’activité des corps fortement radioactifs est, en effet, difficile pour diverses raisons dont il sera question plus loin.

Les trois séries d’expériences qui ont donné les trois derniers nombres de la colonne P, sont celles dont il y a à tenir compte plus particulièrement pour la connaissance du poids atomique du radium ; ces expériences seront décrites ici avec quelques détails.

À la suite d’un traitement de purification j’ai obtenu, en 1902, 0g,12 d’un chlorure de radium à peu près pur ; le spectre obtenu avec ce sel présentait encore les trois raies principales du baryum avec une intensité notable ; mais étant donnée la sensibilité de la réaction spectrale du baryum, on pouvait penser que ce corps ne se trouvait présent qu’en proportion assez faible. J’ai fait avec ce chlorure quatre déterminations successives qui ont donné pour le poids atomique les nombres suivants :

220,9,     223,2,     223,0,     223,3.

J’ai entrepris une nouvelle purification de ce chlorure et je suis arrivée à obtenir une matière bien plus pure encore, dans le spectre de laquelle les deux raies les plus fortes du baryum sont très faibles. D’après l’opinion de Demarçay, ce chlorure purifié ne pouvait contenir que des traces minimes de baryum incapables d’influencer d’une façon appréciable le poids atomique J’ai effectué trois déterminations avec ce chlorure de radium très pur dont je ne possédais que 0,09g. Voici les résultats :

Chlorure
de
radium anhydre.
----- P.
0000,0919 225,5
0000,08935 226,0
0000,0884 224,2

La moyenne des valeurs obtenues pour P était égale à 225,2 ; étant donnée la concordance des mesures, je pensais pouvoir considérer ce nombre comme exact à une unité près.

La quantité de chlorure de radium employée dans ces expériences était très faible, et il paraissait désirable de faire une nouvelle série de déterminations sur une quantité plus grande de sel pur. J’ai pu entreprendre ce travail en 1907 ayant à ma disposition 0g,4 de chlorure de radium soigneusement purifié. Voici comment avait été effectuée la purification.

Le chlorure était dissous dans de l’eau additionnée d’acide chlorhydrique ; la solution était évaporée au bain-marie, et l’on obtenait de beaux cristaux sous forme d’aiguilles. On poussait la cristallisation jusqu’à ce que la presque totalité du sel fût déposée, puis on laissait refroidir et l’on décantait le liquide qui ne contenait que très peu de sel (1mg ou 2mg dans plusieurs centimètres cubes d’eau mère). J’ai fait un grand nombre d’opérations de ce genre en réunissant toujours ensemble les portions éliminées. Le sel se trouvait ainsi partagé en deux portions : une portion de tête et une portion de queue.

Le progrès du fractionnement était contrôlé par des photographies du spectre d’étincelle. Il est commode en particulier de comparer la valeur relative des raies 455,42 du baryum et 453,33 du radium. Ces raies très voisines et très nettes se prêtent bien à une comparaison. La raie 455,42 est la plus forte du spectre du baryum ; la raie 453,33 constitue, dans le spectre du radium, une raie d’intensité moyenne.

Après un certain nombre d’opérations, la limite de l’efficacité de la méthode semblait atteinte, et la raie 455,42 du baryum, devenue faible, ne diminuait plus d’intensité relative. J’ai alors employé à nouveau la méthode de précipitation par l’alcool, dont je m’étais déjà servie antérieurement. L’alcool est ajouté par gouttes à la solution aqueuse très concentrée et constamment remuée, et cela jusqu’à ce que le sel soit presque entièrement précipité. Le liquide est alors décanté et ajouté à la portion de queue.

Je suis arrivée à obtenir, par un certain nombre de ces opérations, une amélioration notable. La raie 455,42 est devenue extrêmement faible, mais n’a cependant pas disparu complètement. Au contraire, dans le spectre de la portion de queue, cette raie était manifestement plus forte que la raie voisine 453,33 du radium.

Quand la purification a été arrêtée, la raie la plus forte du baryum était encore très faiblement visible à côté de sa voisine. Son élimination complète semblait difficile avec la quantité de matière dont je disposais. On verra plus loin que la pureté du sel était néanmoins très grande.

Voici les nombres obtenus dans trois expériences consécutives faites avec ce chlorure :

Chlorure
de radium anhydre.
P.
0,4052 226,62
0,4020 226,31
0,39335 226,42

Ces trois expériences très concordantes donnent pour le poids atomique du radium la valeur moyenne

Ra            226,45

Les valeurs de ce poids atomique P, déduites des diverses expériences, ont été calculées en admettant que le radium est un métal bivalent, et que les poids atomiques de l’argent et du chlore sont respectivement :

Ag 107,93            Cl 35,45

Au cours des opérations qui ont eu pour but la purification du chlorure de radium, certaines difficultés se sont présentées. Quand on évapore dans une capsule de porcelaine ou dans un verre une solution limpide de sel de radium, le sel sec n’est généralement pas complètement soluble dans l’eau distillée, mais laisse un résidu. Je me suis assurée que ce résidu est principalement du sulfate.

Le sulfate de radium est extrêmement peu soluble ; l’eau distillée et les acides purs du commerce contiennent des traces d’acide sulfurique suffisantes pour précipiter le radium. La présence de ces traces d’acide sulfurique ne peut être constatée directement au moyen du chlorure de baryum, mais le résidu d’évaporation d’un assez grand volume d’eau distillée ou des acides purs du commerce précipite par le chlorure de baryum.

Tous ces réactifs ont alors été préparés spécialement. L’eau a été redistillée d’abord dans des vases de verre ; cette opération s’étant montrée insuffisante (peut-être à cause de la présence de sulfates dans le verre), la distillation a été faite dans un appareil en platine. Le résultat a été bon. On s’est servi de cette eau pour préparer l’acide chlorhydrique qui a été conservé dans une bouteille en platine. L’alcool a été également redistillé.

Ces précautions ont eu pour effet de réduire dans une grande proportion la formation des résidus insolubles, mais non de la supprimer complètement. Les résidus insolubles très faibles qui se produisaient encore ne pouvaient plus être attribués qu’à l’attaque des capsules et des verres par le chlorure de radium. J’ai essayé d’évaporer une solution acide de chlorure de radium dans une capsule de platine, mais celle-ci a été franchement attaquée avec dissolution d’une quantité notable de platine. Il ne restait donc que la ressource d’opérer rapidement. En effet, l’attaque des vases semble avoir lieu surtout quand les cristaux encore humides sont en contact avec la paroi. Une solution de chlorure de radium peut se maintenir limpide pendant longtemps et, si on l’évapore, le résidu insoluble est toujours relativement faible. De même un sel sec, enfermé dans une ampoule ou placé dans une capsule, ne devient jamais en majeure partie insoluble, même après une année ou davantage. Le composé insoluble se forme peu à peu quand on soumet la solution du sel à des évaporations nombreuses. Ce composé est probablement un silicate, mais je ne m’en suis pas assurée.

Quand après filtration une solution limpide de chlorure de radium, contenant de l’acide chlorhydrique, est rapidement évaporée à sec au bain-marie, les cristaux déposés, recueillis et séchés dans une étuve à 150°, se dissolvent dans l’eau pure sans résidu et peuvent par conséquent servir pour une détermination de poids atomique.


Voici la marche d’une détermination de poids atomique.

Le chlorure de radium, qui vient de cristalliser d’une solution limpide, est séché au bain-marie et transporté dans un creuset de platine préalablement pesé. Le creuset est porté à l’étuve et maintenu pendant une demi-heure à 150°. Le sel perd alors complètement son eau de cristallisation et atteint un poids constant que l’on détermine en laissant refroidir le creuset dans un dessiccateur à anhydride phosphorique, et en le pesant aussi rapidement que possible, pour éviter l’absorption de la vapeur d’eau pendant la pesée. J’ai vérifié que le poids du sel ne varie pas par une nouvelle chauffe à 150°, et en réalité même à 120° ou 130° l’eau de cristallisation est chassée en un temps de l’ordre d’une demi-heure pour le poids employé. On peut ensuite porter le sel à la température de 200° sans que son poids change ; le sel est donc à un état parfaitement déterminé, et l’on admet qu’il répond à la formule .

Le sel étant pesé, on le dissout dans l’eau dans un verre à précipité, et on l’additionne à chaud d’une solution chaude d’azotate d’argent (purifié par cristallisation), contenant très peu d’acide azotique purifié. Le chlorure d’argent se rassemble par l’agitation et par une chauffe modérée. Quand la solution est limpide, on recueille le chlorure d’argent par filtration, et on le lave à l’eau chaude très légèrement nitrique. On sèche le précipité et on le détache du filtre. Celui-ci est brûlé dans le creuset ; les cendres sont d’abord évaporées avec une goutte d’acide azotique, puis avec une goutte d’acide chlorhydrique. Le résidu dans le creuset doit être très peu important par rapport à la totalité du précipité. Celui-ci est alors ajouté dans le creuset et chauffé jusqu’à la fusion, mais pas plus qu’il ne faut pour obtenir la fusion. On laisse refroidir le creuset dans le dessiccateur et on le pèse.

Les pesées étaient faites avec une balance apériodique Curie à lecture directe au microscope des poids inférieurs au décigramme. Cette balance à pesées très rapides est exacte au de milligramme, et l’on peut même obtenir le . Les poids employés étaient des poids de précision. Une pesée durait très peu de temps, la balance se fixant à sa position d’équilibre 10 secondes environ après avoir été rendue libre. La pesée du chlorure de radium est plus difficile que celle du chlorure d’argent, car le premier de ces sels absorbe de l’eau, même quand la balance contient des corps desséchants, tandis que le second n’en absorbe pas sensiblement. On peut donc recommencer plusieurs fois la pesée du chlorure d’argent, tandis que celle du chlorure de radium doit être réussie de suite et ne peut être recommencée qu’après un nouveau séjour du sel à l’étuve. La rapidité des pesées est, dans ce cas, une condition essentielle pour assurer leur précision. L’emploi du procédé de lecture au microscope est très avantageux ; toute variation de poids rapide est vue et appréciée directement.

Après chaque dosage on ajoutait de l’acide chlorhydrique à la solution des azotates de radium et d’argent ; on éliminait le chlorure d’argent par filtration, et l’acide azotique par cristallisation répétée en présence d’un excès d’acide chlorhydrique. Tant qu’il y a encore de l’acide azotique en présence, les cristaux se colorent en rouge ; le composé de radium qui se colore ainsi est probablement un composé complexe, peut-être un nitrosochlorure.

Le chlorure d’argent du dosage était toujours radioactif et lumineux. Pour s’assurer qu’il n’avait pas entraîné de quantité pondérable de radium, on déterminait la quantité d’argent qui y était contenue. À cet effet, le chlorure d’argent fondu, contenu dans le creuset, était réduit par l’hydrogène résultant de la décomposition de l’acide chlorhydrique étendu par le zinc ; après lavage, le creuset était pesé avec l’argent métallique obtenu.

J’ai constaté également, dans une expérience, que le poids du chlorure de radium régénéré était retrouvé le même qu’avant l’opération. Dans d’autres expériences, on n’attendait pas, pour commencer une nouvelle opération, que toutes les eaux de lavage fussent évaporées.

Enfin la quantité de radium, retenue par le chlorure d’argent, a été déterminée, en utilisant le dégagement d’émanation par le sel fondu (voir § 70) ; la proportion de radium entraîné s’est montrée négligeable.

Si l’on compare entre eux les nombres que j’ai obtenus pour le poids atomique du radium en 1902 et en 1907, on constate que l’écart des deux moyennes 225,2 et 226,45 dépasse à peine une unité. Dans le spectre du chlorure dosé en 1902, le baryum semble avoir un peu plus d’importance que dans le spectre du chlorure dosé en 1907. Dans les deux spectres, la raie 455,42 du baryum est très faiblement visible à côté de la raie 453,33 du radium, mais une petite différence de pureté en faveur du sel plus récemment préparé peut cependant être constatée. Je me suis assurée par une expérience directe que l’écart d’une unité entre les poids atomiques ne peut provenir de cette différence, mais doit tenir à la précision moindre des expériences effectuées en 1902. À cet effet j’ai préparé avec quelques milligrammes du chlorure de radium de 1907 une solution que j’ai additionnée d’une petite quantité d’une solution titrée de chlorure de baryum. La proportion de chlorure de baryum dans le mélange des deux sels était 0,61 pour 100. Dans le spectre de ce sel on constate un grand accroissement de l’intensité des raies du baryum. La raie 455,42 y est presque aussi forte que la raie 453,33 du radium, et d’autres raies du baryum, en particulier 389,28 et 413,08 sont très visibles. Cependant le changement de poids atomique, calculé d’après l’addition connue de chlorure de baryum, est inférieur à une unité (0,7 unité). Il est donc manifeste que la différence entre le nombre de 1902 et celui de 1907 ne doit être attribuée qu’à l’augmentation de la précision des expériences.

L’expérience de l’addition de baryum prouve en même temps que la réaction spectrale du baryum en présence du radium est très sensible, et que le chlorure de radium employé pour le dosage et dans le spectre duquel la raie la plus forte du baryum 455,42 est très faible, doit être considéré comme extrêmement pur. Je pense que ce chlorure contient moins de 0,06 pour 100 de chlorure de baryum et que, par conséquent, le poids atomique du radium ne pourrait être influencé par cet effet que de moins d’un dixième d’une unité.

Pour faire disparaître complètement la raie la plus forte du baryum dans le spectre du radium, il faudrait opérer sur une grande quantité de matière. On peut d’ailleurs remarquer que cette raie est plus faible que les raies H et K (396,86 et 393,38) du calcium qui cependant ne peut être présent en quantité appréciable à la balance.

Les spectres du chlorure de radium pur et du chlorure de radium additionné de 0,61 pour 100 de chlorure de baryum sont reproduits dans la planche II avec indication des raies les plus importantes ([7]).

L’ensemble de mon travail conduit à attribuer au radium un poids atomique dont la valeur est 226,45 avec la base indiquée plus haut. Étant données la concordance des mesures et les diverses expériences de contrôle effectuées, je pense que l’on peut considérer ce nombre comme exact à une demi-unité près. Il est fort remarquable que l’on dispose d’une méthode assez parfaite pour obtenir avec ce degré de précision un poids atomique aussi élevé, en opérant sur une aussi faible quantité de matière ; celle-ci est d’ailleurs trop précieuse pour que l’on puisse risquer en perdre en effectuant un grand nombre de fois la suite des opérations nécessaires pour déterminer le poids atomique.

On peut estimer qu’un chlorure, dans le spectre duquel les raies 455,42 du baryum et 453,33 du radium ont la même intensité, correspond à un poids atomique moyen 223 ou 224.

Une série de mesures ayant pour but la détermination du poids atomique du radium a été effectuée par M. Thorpe sur 0g,06 à 0g,08 de chlorure de radium ([8]). Ce sel avait été préparé par M. Thorpe suivant la méthode de M. Curie, et la méthode employée pour le dosage était également la même. La pureté du sel était contrôlée par l’examen du spectre d’étincelle. Les nombres obtenus dans trois expériences consécutives sont 226,8, 225,7 et 227,7, en adoptant la base Ag = 107,93, Cl = 35,45. La moyenne des trois nombres obtenus est 226,73 ; cette moyenne ne diffère que de 0,25 unité du nombre 226,45 qui résulte des expériences de M. Curie. Cette concordance entre les résultats obtenus par des expérimentateurs différents, sur un sel préparé indépendamment en France et en Angleterre, est très remarquable et constitue une garantie sérieuse de l’exactitude du nombre obtenu pour le poids atomique du radium. Il semble, d’ailleurs, naturel d’adopter pour ce dernier la valeur 226,45 donnée par M. Curie, dont les expériences ont porté sur une quantité de sel pur cinq fois plus grande que celle dont disposait M. Thorpe et présentent entre elles une concordance très étroite.


La valeur du poids atomique du radium que j’ai publiée en 1902 a été contestée à cette époque par MM. Runge et Precht ([9]). Ces savants ont fait une étude comparée des spectres des métaux alcalino-terreux, y compris celui du radium, et ont cru pouvoir conclure de cette étude que le poids atomique du radium est égal à 258. S’il en était ainsi, le sel que je considérais comme pur aurait contenu une forte proportion de baryum (20 pour 100 environ) ; cette supposition paraissait inadmissible. Les expériences que j’ai effectuées en 1907, ainsi que celles qui ont été faites à la même époque par M. Thorpe, mettent hors de doute que le poids atomique du radium est voisin de 226. L’expérience de contrôle, effectuée en ajoutant du chlorure de baryum au chlorure de radium pur, prouve de plus que la réaction spectrale du baryum en présence du radium est très sensible, ainsi que l’on devait s’y attendre, et que, par conséquent, l’examen du spectre constitue une garantie suffisante de la pureté du sel de radium. D’autre part, M. Watts ([10]) a montré que l’examen plus approfondi des spectres peut conduire à un résultat voisin de celui qui est fourni par l’expérience directe.


46. Propriétés des sels de radium. — Les sels de radium ont d’une manière générale, des caractères chimiques très analogues à ceux des sels de baryum. Nous avons vu que les chlorures et les bromures de ces deux éléments cristallisent ensemble en toute proportion ; ce sont des sels isomorphes, qui se distinguent entre eux par leur différence de solubilité, ceux de radium étant moins solubles que ceux de baryum. L’isomorphisme des bromures de baryum et de radium a été prouvé par la mesure des éléments cristallographiques de ces deux sels qui cristallisent tous les deux dans le système monoclinique avec des paramètres très semblables  ([11]). Il est probable d’après cela que le bromure de radium cristallise comme celui de baryum avec 2mol d’eau. La même supposition peut être faite pour le chlorure.

Le chlorure et le bromure de radium ne se dissolvent ni dans les acides concentrés ni dans l’alcool absolu.

L’azotate de radium est soluble dans l’eau ; le fractionnement d’un mélange d’azotates de baryum et de radium ne permet pas de réaliser une concentration en radium ; la solubilité des deux sels est donc probablement analogue.

Le sulfate de radium est insoluble dans l’eau et dans les acides concentrés ou étendus. Le carbonate est insoluble dans l’eau. Le radium ne précipite ni par l’hydrogène sulfuré en solution acide, ni par le sulfure d’ammonium en solution alcaline étendue.

Le dépôt du métal ne peut être obtenu par électrolyse d’une solution d’azotate de radium avec électrodes de platine.

Les propriétés magnétiques du métal ne sont pas connues ; toutefois le chlorure de radium pur est paramagnétique, tandis que le chlorure de baryum est diamagnétique. Le coefficient d’aimantation spécifique (rapport du moment magnétique de l’unité de masse à l’intensité du champ) a été mesuré par MM. P. Curie et C. Chéneveau au moyen d’un appareil établi par ces deux physiciens ([12]). Ce coefficient a été mesuré par comparaison avec celui de l’eau et corrigé de l’action du magnétisme de l’air. On a trouvé ainsi pour le chlorure de radium


et pour le chlorure de baryum

.

On trouve d’ailleurs, conformément aux résultats précédents, qu’un chlorure de baryum radifère contenant environ 17 pour 100 de chlorure de radium est diamagnétique et possède un coefficient spécifique

. ([13]).

On peut constater que, d’après ses propriétés chimiques et d’après l’apparence de son spectre, le radium vient se placer dans la famille des métaux alcalino-terreux et constitue dans cette famille l’homologue supérieur du baryum.

D’après son poids atomique le radium vient également se placer dans le Tableau de Mendeleeff à la suite du baryum dans la colonne des métaux alcalino-terreux et sur la rangée qui contient déjà l’uranium et le thorium.

Si au point de vue chimique le radium se présente à nous avec tous les caractères d’un métal alcalino-terreux, il se distingue cependant essentiellement des éléments de cette famille par ses propriétés radioactives. Voici quels sont les caractères du radium en tant qu’élément radioactif.

Le radium est doué de radioactivité permanente. Il émet des rayons absorbables et des rayons pénétrants. L’activité de ses sels augmente à partir de leur préparation à l’état solide et atteint une limite constante en un mois environ.

Les sels de radium sont le siège d’un important dégagement de chaleur, spontané et continu, qui tend à élever leur température au-dessus de celle du milieu ambiant. Ces sels sont spontanément lumineux ; les sels haloïdes, en particulier, peuvent émettre une lumière vive. En même temps les sels éprouvent une altération progressive qui se manifeste par une coloration spontanée du sel primitivement incolore. Le chlorure dégage des composés oxygénés du chlore, le bromure dégage du brome. La formation d’ozone peut être constatée au voisinage des sels de radium. Les solutions de ces sels donnent lieu à un dégagement continu de gaz qui est en majeure partie du gaz tonnant ; cette réaction, qui se poursuit d’une manière continue, constitue un effet chimique très frappant. On constate toutefois un fait encore plus remarquable qui est la production continue d’hélium en présence de sels de radium. Tous ces effets seront étudiés en détail dans la suite de cet Ouvrage. Il suffit d’indiquer ici combien profonde est la différence entre le radium et les éléments de sa famille, en particulier le baryum.

Les composés de radium donnent lieu à une émission continue d’une émanation radioactive, caractérisée par la loi de sa destruction spontanée en fonction du temps ; la radioactivité d’une certaine quantité de cette émanation diminue de moitié en un temps voisin de 4 jours. L’émanation du radium se comporte comme un gaz matériel doué de radioactivité ; elle est actuellement considérée comme un gaz qui éprouve une destruction spontanée et régulière, avec transformation en matière d’une autre espèce. L’émanation du radium possède la propriété de communiquer une activité temporaire aux corps qui se trouvent en contact avec elles. Cette activité, dite induite, disparaît progressivement quand le corps activé se trouve soustrait à l’action de l’émanation ; la disparition de la radioactivité induite est caractérisée par une loi bien définie : quelques heures après le début de la désactivation l’activité diminue de moitié en chaque période de 28 minutes environ.

47. Polonium. Préparation et caractères. — Le polonium se trouve dans les sulfures formés dans une solution acide des minerais d’urane. Voici comment on peut se procurer assez rapidement une certaine quantité de sulfures à polonium : on traite à chaud, par l’acide chlorhydrique étendu, le minerai (résidu de pechblende) qui n’a pas encore été soumis au traitement ordinaire ; on décante la dissolution acide claire et on la précipite par l’hydrogène sulfuré. On peut ainsi obtenir une première portion de sulfures actifs dont l’activité est due au polonium ; on obtient ensuite d’autres sulfures à polonium, en faisant passer l’hydrogène sulfuré dans les diverses dissolutions chlorhydriques obtenues au cours du traitement complet du minerai.

Les sulfures bruts provenant de ce traitement complet contiennent principalement du bismuth, un peu de cuivre et de plomb ; ce dernier métal ne s’y trouve pas en forte proportion, parce qu’il a été en grande partie enlevé par la dissolution sodique, et parce que son chlorure est peu soluble. L’antimoine et l’arsenic ne se trouvent qu’en quantité minime, leurs oxydes ayant été dissous par la soude. Les dissolutions chlorhydriques peuvent être précipitées par l’hydrogène sulfuré en présence d’un grand excès d’acide ; les sulfures qui se précipitent dans ces conditions sont très actifs, on les emploie pour la préparation du polonium ; dans la dissolution il reste des substances dont la précipitation est incomplète en solution très acide (bismuth, plomb, antimoine). Pour achever la précipitation, on étend la dissolution d’eau, on la traite à nouveau par l’hydrogène sulfuré et l’on obtient une seconde portion de sulfures beaucoup moins actifs que les premiers, et qui, généralement, ont été rejetés. Pour la purification ultérieure des sulfures, on les lave au sulfure d’ammonium, ce qui enlève les traces restantes d’antimoine et d’arsenic. Puis on les lave à l’eau additionnée d’azotate d’ammonium et on les traite par l’acide azotique étendu.

La dissolution n’est jamais complète ; on obtient toujours un résidu insoluble plus ou moins important que l’on traite à nouveau si on le juge utile. La dissolution est réduite à un petit volume et précipitée soit par l’ammoniaque, soit par beaucoup d’eau. Dans les deux cas le cuivre reste en dissolution ; dans le second cas celle-ci contient en outre le plomb et un peu de bismuth à peine actif.

Les sulfures bruts extraits d’une première dissolution chlorhydrique du minerai contiennent beaucoup d’antimoine et d’arsenic, que l’on enlève par des lavages au sulfure d’ammonium ou par ébullition avec une dissolution de soude. Le polonium reste dans ces conditions avec le bismuth à l’état de sulfure ou d’oxyde insoluble, tandis que l’antimoine et l’arsenic passent en dissolution.

Le mode de traitement qui vient d’être indiqué est le même que celui que j’avais primitivement utilisé dans mes recherches au laboratoire.

Pour obtenir le polonium à l’état plus concentré j’ai employé les procédés de fractionnement qui ont déjà été signalés (§ 41) :


1o Sublimation des sulfures dans le vide ; le sulfure actif est volatilisé en premier ;

2o. Précipitation fractionnée de la solution chlorhydrique très acide par l’hydrogène sulfuré ; le sulfure actif est le moins soluble ;

3o Précipitation par l’eau d’une solution azotique ; le sous-azotate précipité en premier est le plus actif.


Cette dernière méthode a servi dans plusieurs essais de concentration du polonium. Le précipité d’oxydes ou de sous-azotates était soumis à un fractionnement de la manière suivante : on dissout le précipité dans l’acide azotique, on ajoute de l’eau à la dissolution, jusqu’à formation d’une quantité suffisante de précipité ; pour cette opération il faut tenir compte de ce que le précipité ne se forme quelquefois qu’au bout d’un certain temps. On sépare le précipité du liquide surnageant, on le redissout dans l’acide azotique ; sur les deux portions liquides ainsi obtenues on refait une précipitation par l’eau, et ainsi de suite. On réunit les diverses portions en se basant sur leur activité, et l’on pousse la concentration aussi loin que possible. J’ai obtenu ainsi une très petite quantité de matière dont l’activité était comparable à celle des sels de radium purs, mais qui, néanmoins, n’a donné au spectroscope que les raies du bismuth.

La méthode indiquée est en même temps une méthode de purification en ce qui concerne les traces de plomb et de cuivre qui peuvent accompagner le bismuth à polonium ; les azotates de ces corps étant solubles se trouvent très complètement éliminés. Cette méthode présente cependant de grandes difficultés, car il se forme souvent des composés absolument insolubles dans les acides étendus ou concentrés. Ces composés ne peuvent être redissous qu’en les ramenant préalablement à l’état métallique, par la fusion avec le cyanure de potassium, par exemple. Étant donné le nombre considérable des opérations à effectuer, cette circonstance constitue une difficulté énorme pour le progrès du fractionnement. Cet inconvénient est d’autant plus grave que le polonium est une substance qui, une fois retirée de la pechblende, diminue d’activité. La baisse d’activité est d’ailleurs lente ; on sait actuellement que l’activité d’un échantillon de polonium diminue de moitié en un temps égal à 140 jours environ.

Aucune difficulté analogue ne se présente pour le radium, dont la concentration se fait très régulièrement ; de plus, les progrès du travail ont pu, depuis le début, être constamment contrôlés par l’analyse spectrale.

Quand les phénomènes de la radioactivité induite ont été connus, l’existence du polonium, en tant qu’élément nouveau, a été mise en doute, et l’on a supposé que le bismuth extrait de la pechblende avait pu être activé temporairement par le voisinage du radium dans ce minerai. Cette hypothèse a été modifiée par suite du développement de l’étude de la radioactivité induite. D’après l’interprétation actuelle de ce phénomène, l’activité du bismuth contenu dans la pechblende a bien pour cause la présence de radium dans ce minerai ; toutefois l’élément actif n’est pas le bismuth, mais bien un élément nouveau qui se forme en présence du radium et qui s’en sépare lors de l’analyse du minerai pour suivre le bismuth, avec lequel il a plus d’analogie chimique ; cet élément doit être considéré comme instable, et l’on admet qu’il se détruit spontanément en fonction du temps.

Les rayons émis par le polonium sont très absorbables et l’on ne constate aucune émission de rayons pénétrants. Ce caractère important du rayonnement du polonium a été mis en évidence dès le début des recherches sur la composition du rayonnement des corps radioactifs. J’ai montré à cette époque que les rayons du polonium forment une sorte de gaine qui s’étend dans l’air à une distance de 4cm environ de la substance active ([14]). Le polonium ne donne pas d’émanation et ne produit pas de radioactivité induite dans son voisinage.

Tandis que Demarçay n’avait constaté aucune ligne nouvelle dans le spectre du bismuth à polonium très actif préparé par moi, M. Crookes a annoncé la présence d’une raie nouvelle dans le spectre ultraviolet et M. Berndt a indiqué un grand nombre de raies nouvelles dans cette même région ([15]). Le polonium employé pour ces recherches était certainement beaucoup moins actif que celui dont disposait Demarçay, et, en particulier, le polonium utilisé par M. Berndt n’était que 300 fois plus actif que l’uranium. Il est donc probable que les raies indiquées n’appartiennent pas au polonium.


On doit à M. Marckwald un travail important sur la substance radioactive contenue dans le bismuth extrait de la pechblende ([16]). La matière première qui a servi pour cette recherche était constituée par 6kg d’oxychlorure de bismuth qui avaient été obtenus dans une usine à la suite d’un traitement de 2 tonnes de pechblende. Les procédés de concentration indiqués sont les suivants :


1o Précipitation par le protochlorure d’étain en solution chlorhydrique : pour cela on ajoute peu à peu, à la solution chlorhydrique de bismuth actif, une solution chlorhydrique acide de protochlorure d’étain ; des flocons noirs se forment, soit aussitôt, soit au bout de quelque temps ; on les sépare de la solution. Ce précipité contient la substance active à l’état concentré, tandis que la matière qui reste en dissolution est beaucoup moins active que la matière primitive.

2o Dépôt de la substance active sur des métaux. Dans la solution chlorhydrique du bismuth actif on plonge une lame ou une baguette de cuivre, d’argent ou de bismuth. La substance active se dépose sur cette lame qui prend une activité intense ; on peut par immersion répétée de lames dans la solution obtenir le dépôt de toute la matière active qui y est contenue.


M. Marckwald considérait, d’après ces expériences, que la matière active était différente du bismuth et qu’elle était analogue au tellure, avec lequel elle avait été entraînée dans la précipitation par le protochlorure d’étain. Il croyait d’ailleurs que la substance conservait une activité constante. Pour ces raisons il décrivit la substance préparée par lui, sous le nom nouveau de radiotellure. Il paraissait toutefois très probable dès le début que le radiotellure était identique au polonium. En effet les deux substances avaient été retirées du bismuth obtenu dans le traitement de la pechblende, et toutes les deux étaient caractérisées par l’émission d’un rayonnement très peu pénétrant, ne se propageant dans l’air qu’à une faible distance et ne pouvant traverser un écran métallique, à moins que celui-ci ne soit très mince.

La suite des recherches de M. Marckwald montra que le radiotellure perd son activité avec le temps, et que l’on peut séparer la matière active du tellure. Pour cela on précipite le tellure en ajoutant du chlorure d’hydrazine à la solution chlorhydrique de la matière active. L’activité reste en solution. En précipitant ensuite la matière par le protochlorure d’étain, M. Marckwald a obtenu 4mg d’un précipité d’une activité considérable. En plongeant une lame de cuivre dans la solution de ce précipité et en ne lui laissant recueillir qu’une faible portion de la substance, on pouvait cependant rendre la lame extrêmement active ; celle-ci produisait ensuite sur un écran phosphorescent au sulfure de zinc un éclairement assez intense pour pouvoir être observé par un auditoire nombreux.

L’identité du radiotellure et du polonium a été définitivement prouvée par l’observation exacte de la loi de décroissance de l’activité pour les deux substances. Cette détermination a été faite par M. Marckwald sur la substance préparée par lui, et par moi-même sur des échantillons de substance préparés, d’une part par ma méthode primitive, d’autre part par la méthode de M, Marckwald (dépôt sur métaux) ([17]). Il résulte de ces travaux que pour chacune des deux substances l’activité diminue de moitié en une période de 140 jours. Ce nombre de 140 jours environ qui est le même, avec une assez grande approximation, pour le radiotellure et le polonium, constitue une constante de temps qui caractérise ces substances et permet de les identifier l’une avec l’autre. L’étude exacte de la variation d’activité du polonium et du radiotellure a été faite à l’époque, où l’importance de ces constantes de temps attachées aux matières radioactives avait été comprise, et où il était établi que leur emploi, comme moyen de distinction entre les matières radioactives, devait s’imposer et pouvait souvent être préféré aux indications de l’analyse chimique.

La théorie des transformations radioactives permet de prévoir que la quantité de polonium présent dans les minéraux radioactifs doit être très faible et que, par exemple, une pechblende riche ne doit guère contenir qu’environ 0,05mg de polonium par tonne. Il y a cependant grand intérêt à obtenir le polonium à l’état concentré. Suivant la théorie actuelle, cet élément est en effet le dernier terme radioactif dans la série des dérivés du radium, et l’on peut espérer mettre en évidence la formation d’un élément inactif à partir du polonium.

J’ai entrepris récemment, en collaboration avec M. Debierne, un nouveau traitement ayant en vue la préparation du polonium à l’état très concentré ([18]). Ce traitement a été fait sur quelques tonnes de résidu de minerai d’urane.

Le minerai était traité par une solution chaude d’acide chlorhydrique assez concentré, ce qui a pour effet de dissoudre presque complètement le polonium. Pour éviter la précipitation par l’hydrogène sulfuré sur une grande quantité de liquide, on a traité la dissolution par des lames de fer ; les métaux précipités (Cu, Pb, Bi, As, Sb, etc.) contenaient le polonium. Ces métaux ont été redissous à l’état de chlorures, et la dissolution a été traitée par des lames de cuivre, qui ont déterminé la formation d’un dépôt bien moins abondant que le précédent, mais contenant encore toute l’activité. Le dépôt a été redissous et la dissolution a été précipitée par beaucoup d’eau. La dissolution du précipité actif obtenu a été soumise au traitement par le protochlorure d’étain, ce qui a permis de réaliser une nouvelle concentration très efficace de la matière active. Ce traitement a fourni 200g de matière dont l’activité était environ 3500 fois plus grande que celle de l’uranium, et qui contenait principalement du cuivre, de l’étain, du plomb, de l’uranium, de l’arsenic et de l’antimoine.

La matière active a été soumise à un traitement de purification comprenant de nombreuses opérations telles que : précipitation par l’ammoniaque ; ébullition avec une solution de soude ; digestion avec une solution chaude de carbonate d’ammoniaque ; précipitation par l’hydrogène sulfuré ; lavage des sulfures au sulfure de sodium ; précipitation par le protochlorure d’étain. La matière s’est trouvée finalement réduite à quelques milligrammes, mais il n’a pas été possible de la concentrer davantage sans disperser l’activité. Des réactions qui permettent de séparer l’activité complètement, lorsque la matière est relativement peu concentrée, se trouvent en défaut quand on n’a plus que très peu de matière. C’est ainsi que dans un essai de séparation du plomb par un traitement à la potasse, le polonium a passé en grande partie en dissolution, alors que cette même opération avait été couramment utilisée sans danger en présence d’éléments insolubles dans ces conditions ; de cette dissolution alcaline le polonium n’a pu être reprécipité que par addition de sulfure alcalin. Les réactions qui se sont toujours montrées sûres sont : la précipitation à l’état de sulfure en solution acide ou alcaline et la précipitation par le protochlorure d’étain.

Le polonium se dépose très facilement et très complètement par électrolyse, mais on dépose en même temps des métaux tels que l’or, le platine, le mercure, etc.

L’activité de la matière obtenue (quelques milligrammes) était très grande, elle était voisine de celle de 1dg de radium métallique au maximum d’activité. On pouvait cependant calculer que, d’après la théorie, la quantité de polonium était de l’ordre de 0mg,1 seulement.

La matière active pouvait ainsi contenir quelques pour 100 de polonium. Plusieurs spectres d’étincelle de cette matière ont été obtenus et photographiés. L’examen des spectres a permis de constater la présence de nombreux métaux ; or, platine, mercure, palladium, rhodium, iridium, métaux alcalino-terreux provenant de l’attaque des vases. Quelques raies cependant semblent attribuables au polonium, avec une certaine vraisemblance ; leurs longueurs d’ondes sont : 4642,0 (faible) ; 4170,5 (assez forte) ; 3913.6 (faible) ; 3652,1 (très faible).

Avec la substance très active ainsi obtenue M. Debierne a pu mettre en évidence la formation continue d’hélium.


En ce qui concerne les propriétés chimiques du polonium, cette substance, d’après tout ce qui précède, se rapproche des métaux qui sont facilement obtenus comme tels soit par électrolyse, soit par réduction des sels ou oxydes. Dans le traitement du minerai, le polonium accompagne très complètement le bismuth dans toutes les réactions ; mais il se sépare du bismuth en ce qu’il est déposé plus facilement que ce dernier par l’action des métaux ou du protochlorure d’étain ; parmi les métaux qui jouissent de cette propriété le polonium pourrait se rapprocher du mercure encore plus que du bismuth. Les caractères chimiques du polonium ne pourront être établis d’une manière définitive que quand on aura pu obtenir ce corps à l’état pur ou tout au moins très concentré.


On sait actuellement que le plomb radioactif que l’on extrait des minerais d’uranium et, en particulier, de la pechblende, est une source permanente de polonium. Ce plomb contient du polonium quand il a été abandonné à lui-même pendant un temps suffisant depuis l’extraction. Si dans la solution chlorhydrique de plomb radioactif vieux on plonge une lame de métal, on obtient sur cette lame un dépôt actif ayant les mêmes propriétés que celui qui est obtenu sur une lame métallique plongée dans une solution de bismuth à polonium. On peut aussi faire cristalliser par refroidissement une solution chlorhydrique de chlorure de plomb, faite à chaud ; le chlorure de plomb cristallise à l’état sensiblement inactif, et l’eau mère contient le polonium. Toutefois l’activité du chlorure de plomb dont on a ainsi séparé le polonium se régénère progressivement ; le plomb radioactif qui a été privé de polonium en contient à nouveau après quelque temps, de sorte que la séparation de ce corps peut être recommencée.

48. Actinium. — L’actinium a été découvert par M. Debierne dans les oxydes du groupe du fer extraits de la pechblende ([19]). Dans ce groupe l’actinium semble devoir se placer parmi les éléments de la série des terres rares. On sait combien grandes sont les difficultés que présente la chimie des terres rares, et combien les séparations des éléments de ce groupe sont laborieuses. Ces difficultés se retrouvent dans la préparation de l’actinium ; les réactions chimiques qui ont été essayées pour concentrer ce corps se montrent, en général, incomplètes, et la matière active éprouve un éparpillement qui rend très pénibles les progrès de la concentration. L’actinium peut suivre le titane, le thorium, le didyme, le lanthane, et il est difficile actuellement d’avoir une opinion ferme sur sa nature chimique. Il semble toutefois légitime de prévoir qu’il restera associé au groupe des terres rares.

Dès le début de ses recherches sur l’actinium, M. Debierne a constaté que ce corps est très facilement entraîné avec le fer et les terres rares par un précipité de sulfate de baryum. Si la solution du minerai (résidu de pechblende) est précipitée par l’acide sulfurique, le sulfate de baryum radifère qui se dépose contient des corps du groupe du fer qui sont actifs et dont l’activité est due à l’actinium. Pour séparer ce corps on transforme les sulfates en chlorures, et l’on précipite la dissolution peroxydée des chlorures par l’ammoniaque. C’est ainsi que les sulfates bruts obtenus à partir du minerai sont la source la plus importante d’actinium ; mais on en trouve aussi dans les dissolutions obtenues à la suite des attaques par l’acide chlorhydrique qui ont lieu au cours du traitement. Ces dissolutions sont d’abord précipitées par l’hydrogène sulfuré ; les sulfures étant enlevés, la dissolution restante, peroxydée et précipitée par l’ammoniaque, fournit les hydrates à actinium. L’ensemble des divers hydrates constitue la matière première que l’on traite pour en extraire l’actinium.

Le procédé de concentration et de purification, généralement employé par M. Debierne, était le suivant : les hydrates fraîchement précipités par l’ammoniaque sont traités par l’acide fluorhydrique étendu ; les fluorures insolubles sont les plus actifs, ils contiennent l’actinium avec le lanthane, le didyme, le cérium, le thorium. Ces fluorures sont transformés en chlorures, et la dissolution de ces derniers est précipitée par l’acide oxalique. Les oxalates sont transformés en oxydes, puis en azotates. On forme les azotates doubles de ces terres et de magnésium ou de manganèse. Ces azotates doubles sont soumis à une cristallisation fractionnée ; dans le fractionnement l’actinium s’accumule dans les eaux mères avec le samarium et le néodyme (méthode de séparation des terres rares de Demarçay).

L’une des réactions indiquées au début par M. Debierne pour la concentration de l’actinium consistait à précipiter ce corps par l’hyposulfite de sodium en solution chlorhydrique chaude ; la matière précipitée était active. D’après M. Boltwood l’actinium ne précipite pas dans ces conditions, et la réaction appartient à l’ionium, élément radioactif dont la découverte est due aux travaux de MM. Rutherford et Boltwood. Toutefois il n’est pas probable, pour des raisons qui seront exposées plus loin, que la matière obtenue par M. Debierne contienne beaucoup d’ionium. Le corps actif précipité par l’hyposulfite de sodium devait être principalement le radioactinium qui n’était pas encore connu à l’époque des premières études sur l’actinium, et dont la radioactivité persiste pendant des mois. La réaction indiquée n’a pas d’ailleurs été utilisée pour la préparation de l’actinium.

L’actinium a une activité permanente. L’examen spectroscopique des échantillons d’actinium très actifs a été effectué par Demarçay qui n’a pu observer aucune raie nouvelle. Dans les échantillons préparés plus tard par cristallisation fractionnée des azotates doubles, l’actinium se trouve associé aux terres cériques ([20]).

M. Debierne a constaté que l’actinium donne lieu à une émission de rayons absorbables et de rayons pénétrants, ces derniers étant en partie du genre cathodique. Il a aussi observé que l’actinium donne lieu à la production de radioactivité induite dans son voisinage, et que cette radioactivité induite disparaît suivant une loi déterminée, différente de celle qui caractérise la radioactivité induite due au radium ([21]). La radioactivité induite provoquée par l’actinium est liée à ce fait que ce corps émet une émanation radioactive. Les effets de ce dégagement peuvent facilement être observés sur les sels solides, dont l’activité se montre extrêmement sensible aux mouvements d’air et peut être considérablement diminuée par un courant d’air passant sur la substance.

M. Giesel, s’occupant de la préparation de substances radioactives, et en particulier du radium, à partir de minerais d’urane, observa en 1902 que certains produits obtenus au cours du traitement donnaient lieu à une émission très frappante d’une émanation radioactive. M. Giesel put constater que cette émanation est susceptible de donner lieu à la production de beaux effets lumineux sur un écran au sulfure de zinc phosphorescent. Il suffit d’envoyer sur cet écran un courant d’air qui passe sur la substance dont provient l’émanation, pour obtenir une vive illumination de l’écran ; la luminosité se déplace quand le courant d’air change de direction. M. Giesel considéra que le corps qui donne lieu à ces phénomènes contient une substance radioactive nouvelle à laquelle il donna le nom d’émanium ([22]). Il chercha à isoler cette substance et il trouva qu’elle accompagne les terres rares du groupe cérique dont elle suit les réactions. L’activité de la substance augmentait d’abord après la préparation à l’état solide, pour atteindre une limite constante en un temps d’un mois environ. La substance active se trouvait séparée avec le lanthane et un peu de cérium. Aucune ligne nouvelle n’a pu être observée par MM. Runge et Precht dans le spectre de ces terres actives. Plus tard M. Giesel trouva que l’émanium peut se séparer du lanthane par la cristallisation fractionnée des azotates doubles des terres actives et de magnésium. Il constata aussi que l’entraînement par le sulfate de baryum constitue un très bon procédé pour obtenir des terres rares riches en émanium ([23]). Ces deux procédés avaient été employés antérieurement pour préparer l’actinium.

Il semblait très probable que la substance préparée par M. Giesel était identique avec l’actinium. Les effets de phosphorescence qui ont d’abord été observés avec l’émanium ont pu ensuite être reproduits avec l’actinium. L’actinium et l’émanium manifestaient donc des propriétés radioactives et des propriétés chimiques très analogues. L’identité des deux substances a été définitivement prouvée par l’étude de leur émanation et de la radioactivité induite produite dans leur voisinage. L’émanation a une durée très courte ; son activité diminue de moitié en un temps d’environ 4 secondes ; la radioactivité induite disparaît progressivement sur les corps activés après leur éloignement de la substance activante, et cette disparition se fait plus lentement que pour la radioactivité induite due au radium ; l’activité diminue de moitié en un temps égal à 36 minutes ([24]).

Par ses propriétés chimiques, et par son émanation caractéristique de très courte durée, l’actinium se présente à nous comme une substance radioactive nouvelle essentiellement différente du radium et du polonium. Cette substance est d’ailleurs l’une des plus importantes à cause de la permanence de son activité. L’actinium n’a pas pu être isolé jusqu’à présent, et l’on ne connaît pas son spectre. Son activité à l’état pur doit être considérable, puisque des échantillons très actifs (environ 100000 fois plus actifs que l’uranium) n’en contiennent probablement qu’une faible proportion.

M. Debierne a montré que l’actinium donne lieu à une production continue d’hélium ([25]). Certains sels de terres rares contenant de l’actinium sont spontanément lumineux (chlorure et bromure anhydres).

49. Plomb radioactif. — Le plomb extrait des minerais d’urane présente, en général, une certaine activité. Cette activité a été souvent observée sur le plomb obtenu dans les premières analyses de la pechblende, que nous avons effectuées, P. Curie et moi ; mais, n’ayant pu l’étudier à cette époque, nous ne l’avons pas signalée. Le plomb, extrait depuis quelques années du minerai de radium (résidu de pechblende), possède une activité qui semble permanente ; cette activité est environ deux fois plus grande que celle de l’uranium.

MM. Hofmann et Strauss ont, les premiers, attiré l’attention sur les propriétés radioactives du plomb contenu dans la pechblende, qu’ils nommaient radioplomb et qu’ils considéraient comme différent du plomb ordinaire ([26]). D’autres travaux à ce sujet ont été publiés par M. Giesel ([27]). Toutefois les résultats obtenus ont manqué de netteté, et l’activité de la matière après divers traitements était tantôt sensiblement constante, tantôt variable.

Plus tard M. Debierne a montré que la radioactivité du plomb radioactif, extrait du minerai depuis quelques années, est principalement due au polonium qui s’y trouve, et qui peut en être extrait par cristallisation du chlorure d’une solution saturée à chaud ; le polonium reste dans l’eau mère, et le chlorure de plomb cristallise à peu près inactif.

Il résulte toutefois de travaux plus récents que le polonium n’est pas le seul constituant radioactif du plomb radioactif. L’indication de la présence de divers constituants a été donnée dans un travail de MM. Hofmann, Gonder et Wolff ([28]). Une théorie très intéressante relative à la nature du radioplomb a été proposée par M. Rutherford sur la base de son étude de la radioactivité induite provoquée par le radium (§ 185). Cette théorie a été pleinement vérifiée par les travaux de MM. Meyer et v. Schweidler et par ceux d’autres savants.

D’après cette théorie le constituant primaire du plomb radioactif est un corps produit par le radium et entraîné avec le plomb ; ce corps ne présente pas par lui-même d’activité appréciable, mais il donne naissance à un élément radioactif qui émet des rayons pénétrants ; ce dernier se transforme à son tour en un élément radioactif qui émet des rayons absorbables, et qui n’est autre que le polonium. L’activité de la matière est donc au total entretenue par suite de la production continue de corps actifs à partir de l’élément primaire. La théorie indique que l’activité du radioplomb doit finir par disparaître un grand nombre d’années après son extraction du minerai d’urane.


50. Radiothorium. Mésothorium. — À la suite de la découverte de substances nouvelles douées d’une très grande radioactivité, on devait se demander si l’activité relativement faible de l’uranium et du thorium ne pouvait s’expliquer par la présence avec ces éléments d’une trace de matière fortement radioactive, dont les propriétés seraient telles qu’elle ne se séparerait pas des éléments considérés au cours du traitement ayant en vue leur extraction du minerai. La radioactivité de l’uranium et celle du thorium n’ayant pas d’ailleurs les mêmes caractères essentiels, il serait nécessaire d’admettre la présence de substances fortement radioactives distinctes. Des recherches dans cet ordre d’idées ont été entreprises par divers savants ; on verra plus loin quels ont été les résultats obtenus avec l’uranium. En ce qui concerne le thorium, MM. Hofmann et Zerban ont affirmé que ce corps n’est pas actif quand il provient de minerais ne contenant pas d’uranium ([29]). MM. Baskerville et Zerban ont annoncé que le thorium extrait d’un certain minerai brésilien est inactif ([30]). Ces résultats demandent encore confirmation. Mais on sait actuellement que la radioactivité du thorium est étroitement liée à celle d’une substance fortement radioactive qui a été découverte par M. Hahn et qui a reçu le nom de radiothorium ([31]).

Le radiothorium a été extrait des produits du traitement d’un minerai nommé thorianite. Ce minerai, récemment trouvé à Ceylan, se présente sous la forme de petits cristaux cubiques assez réguliers ; il se compose principalement d’oxyde de thorium (70 à 80 pour 100) et d’oxyde d’urane (10 à 15 pour 100) ; il contient aussi du plomb, du fer, des terres rares. Enfin, ce curieux minerai est très riche en gaz hélium ; il en contient par gramme. Une quantité assez importante de thorianite (250 kg) a été acquise par M. Ramsay et soumise à un traitement. Ce traitement a fourni une certaine quantité de bromure de baryum radifère qui a été soumis par M. Hahn à une cristallisation fractionnée en vue de l’extraction du radium. Au cours de ce fractionnement on a pu constater que si l’activité s’accumulait comme d’ordinaire dans les cristaux les moins solubles, il y avait, d’autre part, une accumulation d’activité dans la portion du sel la plus soluble. Toutefois la matière active de la portion soluble n’était pas du radium, mais présentait tous les caractères de l’activité du thorium avec une intensité bien plus grande à poids égal ; elle émettait, en particulier, une émanation de courte durée, qui a pu être identifiée avec l’émanation du thorium. La matière nouvelle était associée avec le thorium et le fer ; les réactions sont, en général, incomplètes, et la concentration est difficile. Cependant M. Hahn a réussi à obtenir 11mg d’une matière qui donnait 500 000 fois plus d’émanation que le même poids d’oxyde de thorium. Cette matière précipite par l’ammoniaque, elle fait donc partie du groupe du fer. M. Hahn a donné le nom de radiothorium à l’élément fortement radioactif dont il a ainsi constaté l’existence. M. Blanc a trouvé cette même matière dans les dépôts des sources d’Échaillon et de Salins-Moutiers ; il a constaté qu’elle suit les réactions du thorium. Il a aussi prouvé que l’on peut extraire le radiothorium du nitrate de thorium du commerce ; pour cela on additionne la solution chaude de ce sel d’une petite quantité de solution de baryte, et l’on précipite ensuite le baryum par l’acide sulfurique ; le précipité de sulfate de baryum formé à chaud entraîne du thorium et du radiothorium. On transforme les sulfates en chlorures, et l’on précipite la solution des chlorures par l’ammoniaque ; les hydrates obtenus ne donnent pas d’abord l’émanation du thorium, mais peu à peu la production de celle-ci augmente et atteint une limite constante après un mois environ. M. Blanc a ainsi obtenu des hydrates qui donnaient 5000 fois plus d’émanation que l’hydrate de thorium à poids égal[32]. MM. Elster et Geitel ont trouvé du radiothorium dans les dépôts des sources de Bade et ils en ont également extrait des sels de thorium du commerce[33].

Les travaux de MM. Blanc, Elster et Geitel prouvent que, conformément à ce qu’on pouvait supposer, l’activité des sels de thorium du commerce est due, sinon totalement, au moins en grande partie, au radiothorium qui y est contenu.

Il résulte de tous ces travaux que le radiothorium est une substance fortement radioactive probablement voisine du thorium. Cette substance a une activité très durable ; toutefois l’activité n’est pas constante, et l’on peut observer une baisse lente en fonction du temps à partir de la préparation. D’après M. Blanc l’activité du radiothorium diminue suivant une loi telle que la diminution de moitié a lieu en une période de 737 jours, soit deux ans environ[34].

Les caractères de la radioactivité du radiothorium sont les mêmes que ceux de l’activité du thorium ; mais nous constatons cette différence importante que l’activité du radiothorium va en diminuant suivant une loi régulière, tandis que l’activité des sels de thorium du commerce subit des variations plus compliquées. L’étude de ces variations a conduit à la découverte d’une nouvelle substance : le mésothorium qui ne se détruit que très lentement en donnant naissance au radiothorium[35]. Cette substance est considérée comme dérivant du thorium et peut être obtenue à partir des minerais et des sels de thorium ; elle se sépare en particulier du thorium dans la précipitation par l’ammoniaque[36].

51. Ionium. — Une nouvelle substance fortement radioactive a été découverte dans les minerais d’urane par MM. Rutherford et Boltwood et a reçu de ce dernier le nom d’ionium[37]. Cette substance appartient vraisemblablement au groupe des terres rares, et l’on a des raisons pour penser qu’elle possède une radioactivité permanente, c’est-à-dire de très longue durée. D’après M. Boltwood l’ionium est surtout voisin du thorium et précipite en même temps que celui-ci d’une solution des chlorures des terres rares par addition d’un excès d’hyposulfite de sodium. L’intérêt particulier qui s’attache à l’ionium consiste en ceci que ce corps semble donner lieu à une production continue de radium et constitue, suivant la terminologie adoptée dans les théories actuelles de la radioactivité, le parent direct du radium. Nous verrons plus loin quel a été la marche du développement de cette idée.

Il est utile d’attirer l’attention sur les difficultés que l’on rencontre, quand on cherche à préciser les caractères chimiques des substances radioactives nouvelles. On a, en effet, fréquemment fait observer que les réactions chimiques des substances qui se trouvent dans un mélange, en proportion extrêmement faible, doivent dépendre de la nature des substances qui se trouvent dans le même mélange à l’état plus concentré. Une substance fortement radioactive, telle que le polonium ou le radium, se trouve dans la solution du minerai à un tel état de dilution, qu’elle ne doit en réalité pouvoir précipiter par aucun réactif si on la considère isolément ; tous les sels possèdent en effet une certaine solubilité si faible qu’elle soit, et, dans le cas considéré, cette solubilité devrait, semble-t-il, être toujours suffisante pour empêcher la précipitation. Si celle-ci a lieu, c’est qu’elle est déterminée par la présence dans la solution d’une quantité suffisante d’une matière qui est elle-même précipitée par le réactif employé, et qui a le pouvoir d’entraîner avec elle la matière active. L’entraînement est souvent déterminé par cette circonstance que les deux substances sont liées par une réelle parenté chimique, et qu’elles peuvent en particulier cristalliser ensemble en toute proportion, leurs sels étant isomorphes. Tel est le cas du radium et du baryum. Dans les solutions radifères obtenues directement à partir du minerai, le radium est si dilué que sa précipitation ne semble pas possible ; cette précipitation se fait cependant d’une manière complète en présence d’un peu de baryum, par tous les réactifs qui précipitent le baryum.

Si l’entraînement régulier par une certaine substance est une indication sérieuse de parenté chimique, on connaît cependant des cas où l’entraînement a lieu entre deux substances qui ne font pas partie de la même famille. On sait, par exemple, avec quelle facilité un précipité de sulfate de baryum entraîne une partie du fer qui se trouve en solution avec le baryum ; ce sulfate étant ensuite transformé en chlorure, on peut séparer le fer et le baryum, en précipitant la dissolution peroxydée par l’ammoniaque.

Les précipités gélatineux possèdent aussi le pouvoir d’entraîner certaines matières ; c’est ainsi qu’un précipité d’hydrate d’aluminium entraîne les hydrates alcalins présents dans la solution.

Enfin l’entraînement peut aussi être obtenu au moyen de substances insolubles qui sont mises en présence d’une dissolution, et qui, sans être attaquées elles-mêmes, exercent sur certaines matières dissoutes un effet absorbant ou agglutinant. Tel est, par exemple, le rôle du noir de fumée qui absorbe certaines matières radioactives (uranium X) quand il se trouve mélangé à une dissolution bouillante de ces matières.

On voit que les propriétés chimiques des matières très diluées ne peuvent être appréciées, sans crainte d’erreur, que d’après l’ensemble des expériences qui indiquent comment la matière considérée se comporte en présence des diverses matières connues. La distinction peut se montrer facile quand il s’agit d’éléments appartenant à une famille à caractères chimiques très tranchés ; c’est le cas du radium dont la nature chimique s’est manifestée dès le début sans ambiguïté. Mais quand il s’agit de substances qui accompagnent volontiers les éléments des groupes chimiques plus compliqués, l’interprétation des résultats expérimentaux peut être rendue difficile par le manque de netteté dans les réactions chimiques (actinium, radioactinium, etc.).


Je n’ai décrit ou tout au moins indiqué dans ce Chapitre que celles des substances radioactives qui sont douées d’une radioactivité assez permanente pour que l’on puisse les conserver pendant un temps de l’ordre de quelques années. On peut espérer isoler ces substances à l’état de sel pur, ainsi que cela a été fait pour le radium.

Mais les théories actuelles de la radioactivité nous conduisent à envisager l’existence d’un très grand nombre d’autres substances radioactives dont la vie est éphémère, et dont l’état de dilution dans la matière qui les contient est tel qu’il est difficile d’espérer pouvoir les obtenir en quantité pondérable. Ces substances peuvent être solides ou gazeuses ; en ce dernier cas elles portent le nom d’émanations. L’émanation du radium est celle que l’on peut obtenir en quantité relativement plus grande, et l’on a réussi à observer son spectre et son volume.

Ces substances seront généralement caractérisées par la nature des rayons qu’elles émettent, et que nous étudierons en détail dans le chapitre sur les radiations. Ces rayons font partie de trois groupes principaux qui peuvent, en première approximation, être caractérisés par leur pouvoir pénétrant, et auxquels on donne, suivant la notation de M. Rutherford, le nom de rayons et

Les rayons ou rayons positifs, sont formés par des particules chargées positivement et animées d’une grande vitesse ; ils ne peuvent traverser une épaisseur d’aluminium égale à 0mm,1.

Les rayons ou rayons négatifs, sont formés par des particules chargées négativement et animées d’une grande vitesse. Ils peuvent traverser des épaisseurs de métal qui atteignent plusieurs millimètres.

Les rayons très pénétrants, peuvent traverser les métaux sur une épaisseur de plusieurs centimètres. Ils ne portent pas de charge électrique.

Les rayons et sont respectivement considérés comme analogues aux rayons positifs et aux rayons cathodiques des ampoules de Crookes. Les rayons sont le plus souvent considérés comme n’étant pas de nature corpusculaire.

Les rayons et dans leur ensemble portent le nom de rayons pénétrants.

Le rayonnement constitue, toutes les fois qu’il est présent, la partie la plus importante du rayonnement des corps radioactifs, quand celui-ci est évalué par son effet ionisant. La valeur de l’ionisation, obtenue en utilisant le rayonnement total, diffère peu, en général, de la valeur obtenue en utilisant le rayonnement seulement et peut le plus souvent être confondue avec cette dernière, au moins en première approximation.


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  1. P. Curie et Mme  Curie, Comptes rendus, juillet 1S98 ; P. Curie,Mme  Curie et G. Bémont, Comptes rendus, décembre 1898.
  2. Demarçay, Comptes rendus, décembre 1898.
  3. Debierne, Comptes rendus, octobre 1899 et avril 1900.
  4. Demarçay, Comptes rendus, décembre 1898, novembre 1899 et juillet 1900.
  5. Runge et Precht, Ann. de Chim. et de Phys., 1904.
  6. Mme  Curie, Comptes rendus, 1899, 1900, 1902, 1907.
  7. Il est à remarquer que sur cette reproduction les raies les plus faibles sont avantagées par rapport aux raies les plus fortes, par comparaison avec le cliché directement obtenu par photographie. Ainsi la raie 455,42 du baryum dans le spectre du sel pur est bien plus visible sur la reproduction que sur le cliché.
  8. Thorpe, Proc. Roy. Soc., 1908.
  9. Runge et Precht, Phys. Zeit., 1903.
  10. Watts, Phil. Mag., 1909.
  11. Rinne, Jahrbuck d. Rad., 1906.
  12. Curie et Chéneveau, Soc. de Physique, 1903.
  13. En 1899 M. Saint-Meyer a annoncé que le carbonate de baryum radifère est paramagnétique (Wied. Ann., t. LXVIII). Cependant M. Meyer avait opéré avec un produit très peu riche en radium et ne contenant probablement que de sel de radium. Ce produit aurait dû se montrer diamagnétique. Il est probable que la substance contenait une petite impureté ferrifère.
  14. Mme Curie, Comptes rendus, janvier 1900.
  15. Crookes, Proc. Roy. Soc., 1900. — Berndt, Phys. Zeit., 1900.
  16. Marckwald, Ber. d. deutsch chem. Gesell., 1902 et 1903.
  17. Marckwald, Jahrbuch d. Rad., 1905 — Mme  Curie, Comptes rendus, 1906.
  18. M. Curie et A. Debierne, Comptes rendus, 1910.
  19. A. Debierne, Comptes rendus, 1899 et 1900.
  20. Debierne, Comptes rendus, 1904.
  21. Debierne, Comptes rendus, 1900 et 1903.
  22. Giesel, Ber. d. deutsch. chem. Gesell., 1902 et 1903.
  23. Giesel, Chem. Ber., 1905.
  24. Debierne, Comptes rendus, 1903 et 1904. — Giesel, Chem. Ber., 1904. — Hahn et Sackur, Chem. Ber., 1905.
  25. Debierne, Comptes rendus, 1905.
  26. Hofmann et Strauss, Ber. d. deulsch. chem. Gesell., 1901.
  27. Giesel, Ber. d. deulsch. chem. Gesell., 1901.
  28. Ann. d. Phys., 1904.
  29. Hofmann et Zerban, Ber. d. deutsch. chem. Gesell., 1903.
  30. Baskerville et Zerban, Amer, chem. Soc., 1904.
  31. Hahn, Jahrbuch d. Rad., 1905.
  32. Blanc, Phys. Zeit., 1906.
  33. Elster et Geitel, Phys. Zeit., 1906.
  34. Blanc, Phys. Zeit., 1907.
  35. Hahn, Phys. Zeit., 1907.
  36. Boltwood, Phys. Zeit., 1907.
  37. Rutherford, Phil. Mag., 1907. — Boltwood, Amer. Journal of Science, 1908.