Traité de la lumière/Préface

Gauthier-Villars (p. ix-x).

PRÉFACE


J’écrivis ce Traité pendant mon séjour en France, il y a douze ans ; et je le communiquai en l’année 1678 aux personnes savantes, qui composaient alors l’Académie Royale des Sciences, à laquelle le Roi m’avait fait l’honneur de m’appeler. Plusieurs de ce corps, qui sont encore en vie, pourront se souvenir d’avoir été présents quand j’en fis la lecture, et mieux que les autres, ceux d’entre eux qui s’appliquaient particulièrement à l’étude des Mathématiques, desquels je ne puis plus citer que les célèbres Messieurs Cassini, Rœmer, et de La Hire. Et quoique depuis j’y aie corrigé et changé plusieurs endroits, les copies que j’en fis faire dès ce temps-là, pourraient servir de preuve, que je n’y ai pourtant rien ajouté, si ce n’est des conjectures touchant la formation du Cristal d’Islande, et une nouvelle remarque sur la réfraction du Cristal de Roche. J’ai voulu rapporter ces particularités pour faire connaître depuis quand j’ai médité les choses que je publie maintenant, et non pas pour déroger au mérite de ceux, qui, sans avoir rien vu de ce que j’avais écrit, peuvent s’être rencontrés à traiter des matières semblables : comme il est arrivé effectivement à deux excellents géomètres, Messieurs Newton et Leibnitz, à l’égard du problème de la figure des verres pour assembler les rayons, lorsqu’une des surfaces est donnée.

On pourrait demander pourquoi j’ai tant tardé à mettre au jour cet ouvrage. La raison est que je l’avais écrit assez négligemment en la langue où on le voit, avec intention de le traduire en latin, faisant ainsi pour avoir plus d’attention aux choses. Après quoi je me proposais de le donner ensemble avec un autre Traité de Dioptrique, où j’explique les effets des télescopes, et ce qui appartient de plus à cette science. Mais le plaisir de la nouveauté ayant cessé, j’ai différé de temps à autre d’exécuter ce dessein, et je ne sais pas quand j’aurais encore pu en venir à bout, étant souvent diverti, ou par des affaires, ou par quelque nouvelle étude. Ce que considérant, j’ai enfin jugé qu’il valait mieux de faire paraître cet écrit tel qu’il est, que de le laisser courir risque, en attendant plus longtemps, de demeurer perdu.

On y verra de ces sortes de démonstrations, qui ne produisent pas une certitude aussi grande que celles de géométrie, et qui même en diffèrent beaucoup, puisque au lieu que les géomètres prouvent leurs propositions par des principes certains et incontestables, ici les principes se vérifient par les conclusions qu’on en tire ; la nature de ces choses ne souffrant pas que cela se fasse autrement. Il est possible toutefois d’y arriver à un degré de vraisemblance, qui bien souvent ne cède guère à une évidence entière. Savoir lorsque les choses, qu’on a démontrées par ces principes supposés, se rapportent parfaitement aux phénomènes que l’expérience a fait remarquer ; surtout quand il y en a grand nombre, et encore principalement quand on se forme et prévoit des phénomènes nouveaux, qui doivent suivre des hypothèses qu’on emploie, et qu’on trouve qu’en cela l’effet répond à notre attente. Que si toutes ces preuves de la vraisemblance se rencontrent dans ce que je me suis proposé de traiter, comme il me semble qu’elles font, ce doit être une bien grande confirmation du succès de ma recherche, et il se peut malaisément que les choses ne soient à peu près comme je les représente. Je veux donc croire que ceux qui aiment à connaître les causes, et qui savent admirer la merveille de la lumière, trouveront quelque satisfaction dans ces diverses spéculations qui la regardent, et dans la nouvelle explication de son insigne propriété, qui fait le principal fondement de la construction de nos yeux, et de ces grandes inventions qui en étendent si fort l’usage. J’espère aussi qu’il y en aura qui, en suivant ces commencements, pénétreront plus avant toute cette matière que je n’ai su faire, puisqu’il s’en faut de beaucoup qu’elle ne soit épuisée. Cela paraît par les endroits que j’ai marqués, où je laisse des difficultés sans les résoudre ; et encore plus par les choses que je n’ai point touchées du tout, comme sont les corps luisants de plusieurs sortes, et tout ce qui regarde les couleurs ; en quoi personne jusqu’ici ne peut se vanter d’avoir réussi. Enfin il reste bien plus à chercher touchant la nature de la lumière, que je ne prétends d’en avoir découvert, et je devrai beaucoup de retour à celui qui pourra suppléer à ce qui me manque ici de connaissance.

À la Haye, le 8 janvier 1690.