Traité élémentaire de la peinture/315

Traduction par Roland Fréart de Chambray.
Texte établi par Jean-François DetervilleDeterville, Libraire (p. 258-260).


CHAPITRE CCCXV.

Des termes ou extrémités inférieures des corps éloignés.

Les termes ou les extrémités inférieures des choses qui sont éloignées, sont moins sensibles à l’œil que leurs parties supérieures : cela se remarque aux montagnes, dont la cime a pour champ les côtés et la base de quelque autre montagne plus éloignée. Dans les montagnes qui sont près de l’œil, on voit les parties d’en haut plus distinctes et plus terminées que celles d’en bas, parce que le haut n’est point environné de cet air épais et grossier qui entoure les parties basses des mêmes montagnes, et qui empêche qu’on ne les voie distinctement ; et la même chose arrive à l’égard des arbres et des bâtimens, et de tous les autres corps qui sont fort élevés : de-là vient que souvent si l’on voit de loin une tour fort élevée, elle paroît plus grosse par le haut que par le bas, parce que l’air subtil qui l’environne vers le haut n’empêche point qu’on n’apperçoive les contours, et qu’on ne distingue toutes les parties de cette tour qui sont effacées en bas par l’air grossier, comme je l’ai montré ailleurs, lorsque j’ai prouvé que l’air épais répand sur les objets une couleur blanchâtre qui en rend les images moins vives ; au lieu que l’air subtil en donnant aux objets sa couleur d’azur, n’affoiblit point l’impression qu’ils font sur nos yeux. On peut encore apporter un exemple sensible de ce que je dis. Les créneaux des forteresses ont leurs intervalles également espacés du plein au vide, et néanmoins il paroît dans une distance médiocre que l’espace vide est beaucoup plus grand que la largeur du créneau, et dans un plus grand éloignement, les créneaux paroissent extrêmement diminués : enfin l’éloignement est quelquefois si grand, que les créneaux disparoissent entièrement, comme si les tours qu’on voit étoient terminées en haut par un mur plein sans créneaux.