Traité élémentaire de la peinture/302

Traduction par Roland Fréart de Chambray.
Texte établi par Jean-François DetervilleDeterville, Libraire (p. 246-247).


CHAPITRE CCCII.

Avertissement touchant les lumières et les ombres.

Prenez garde qu’où les ombres finissent il paroît toujours une demi-ombre, c’est-à-dire, un mélange de lumière et d’ombre ; et que l’ombre dérivée s’unit d’autant mieux avec la lumière, que cette ombre est plus éloignée du corps qui est dans l’ombre ; mais la couleur de cette ombre ne sera jamais simple. Je l’ai prouvé ailleurs par ce principe, que la superficie de tout corps participe à la couleur de son objet, quand même ce seroit la superficie d’un corps transparent, comme l’air, l’eau, et d’autres semblables ; parce que l’air reçoit sa lumière du soleil, et que les ténèbres ne sont autre chose que la privation de la lumière du soleil. Et parce que l’air n’a de lui-même aucune couleur, non plus que l’eau et tous les corps parfaitement transparent, comme il est répandu par-tout, et qu’il environne tous les objets visibles, il prend autant de teintes différentes qu’il y a de couleurs entre les objets et l’œil qui les voit. Mais les vapeurs qui se mêlent avec l’air dans sa basse région près de la terre le rendent épais, et font que les rayons du soleil venant à battre dessus, lui impriment leur lumière, qui, ne pouvant passer librement au travers d’un air épais, est réfléchie de tous côtés : au contraire, l’air qui est au-dessus de la basse région paroît de couleur d’azur ; parce que l’ombre du ciel qui n’est pas un corps lumineux, et quelques parties de lumière que l’air, quelque subtil qu’il soit, retiennent, forment cette couleur, qui est la couleur naturelle de l’air ; de-là vient qu’il a plus ou moins d’obscurité, selon qu’il est plus ou moins épais et mêlé de vapeurs.