Traité élémentaire de la peinture/182

Traduction par Roland Fréart de Chambray.
Texte établi par Jean-François DetervilleDeterville, Libraire (p. 152-154).


CHAPITRE CLXXXII.

Du mouvement de l’homme.

Dans la Peinture, la principale partie consiste à former des compositions heureuses dans quelque sujet que ce puisse être ; et la seconde partie qui concerne l’expression et les actions des figures, consiste à leur donner de l’attention à ce qu’elles font, et à faire qu’elles agissent avec promptitude et avec vivacité, selon le degré d’expression qui leur convient, aussi bien dans les actions lentes et paresseuses, que dans celles qui demandent beaucoup d’activité et de feu, et que la promptitude et la fierté soient autant exprimées que le demande la disposition présente de celui qui est en action ; comme quand quelqu’un doit jeter un dard, ou des pierres, ou d’autres choses semblables, qu’il paroisse dans son attitude et dans la

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disposition de tous ses membres, quelle est son intention ; voici deux figures dont la différente altitude montre qu’elles font un effort bien différent : la figure A est celle qui fait paroître plus de vigueur et de force, et la figure B en fait paroître moins ; mais la figure A jettera plus loin le dard qu’elle lance, que la figure B ne jettera la pierre qu’elle tient ; parce qu’encore bien que les deux figures paroissent vouloir jeter du même côté et arriver au même but, la figure A fait un plus grand effort : car elle a les pieds tournés du côté opposé à celui vers où elle veut porter ce coup ; ce qui fait qu’elle le porte en effet avec beaucoup de force, en pliant et remuant le corps fort vite et fort commodément pour le ramener vers le but où elle veut tirer. Au contraire, la figure B ayant le corps et les pieds dans une situation naturelle, elle n’agit pas avec tant de facilité, et elle ne fait pas tant d’efforts, par conséquent l’effet est foible, et le mouvement peu violent ; parce qu’en général tout effort, pour avoir un grand effet, doit commencer par des contorsions violentes, et finir par des mouvemens libres, aisés et commodes ; de même que si une arbalète n’est pas bandée avec force, le mouvement de la chose qu’elle doit tirer n’aura pas grand effet, parce qu’où il n’y a point d’effort et de violence, il n’y a qu’un mouvement foible ; ainsi un arc qui n’est point bandé ne peut produire de mouvement ; et s’il est bandé, il ne se débandera pas de lui-même sans une force étrangère, par le moyen de laquelle il décochera sa flèche : tout de même l’homme qui ne fait aucun effort et aucune contorsion, demeure sans force ; quand donc celui qui est représenté par la figure A aura jeté son dard, et qu’il aura épuisé toute sa force dans sa contorsion de corps vers le côté où il a lancé son dard, en même temps il aura acquis une autre nouvelle puissance, mais qui ne lui peut servir qu’à retourner de l’autre côté, et à faire un mouvement contraire à celui qu’il a fait.