Traité élémentaire de chimie/Partie 1/Chapitre 10

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CHAPITRE X.


De la combinaison des Substances combustibles les unes avec les autres.


Les substances combustibles étant en général celles qui ont une grande appétence pour l’oxygène, il en résulte qu’elles doivent avoir de l’affinité entr’elles, qu’elles doivent tendre à se combiner les unes avec les autres: quæ sunt eadem uni tertio sunt eadem inter se ; & c’est ce qu’on observe en effet. Presque tous les métaux, par exemple, sont susceptibles de se combiner les uns avec les autres, & il en résulte un ordre de composés qu’on nomme alliage dans les usages de la société. Rien ne s’oppose à ce que nous adoptions cette expression : ainsi nous dirons que la plupart des métaux s’allient les uns avec les autres ; que les alliages, comme toutes les combinaisons, sont susceptibles d’un ou de plusieurs degrés de saturation : que les substances métalliques dans cet état sont en général plus cassantes que les métaux purs, sur-tout lorsque les métaux alliés diffèrent beaucoup par leur degré de fusibilité ; enfin nous ajouterons que c’est à cette différence des degrés de fu-sibilité des métaux que sont dus une partie des phénomènes particuliers que présentent les alliages, tels, par exemple, que la propriété qu’ont quelques espèces de fer d’être cassans à chaud. Ces fers doivent être considérés comme un alliage de fer pur, métal presqu’infusible, avec une petite quantité d’un autre métal, quel qu’il soit, qui se liquéfie à une chaleur beaucoup plus douce. Tant qu’un alliage de cette espèce est froid, & que les deux métaux sont dans l’état solide, il peut être malléable : mais si on le chauffe à un degré suffisant pour liquéfier celui des deux métaux qui est le plus fusible, les parties liquides interposées entre les solides doivent rompre la solution de continuité, & le fer doit devenir cassant.

À l’égard des alliages de mercure avec les métaux, ou a coutume de les désigner sous le nom d’amalgame, & nous n’avons vu aucun inconvénient à leur conserver cette dénomination.

Le soufre, le phosphore, le charbon sont également susceptibles de se combiner avec les métaux ; les combinaisons du soufre ont été en général désignées sous le nom de pirites ; les autres n’ont point été nommées, ou du moins elles ont reçu des dénominations si modernes que rien ne s’oppose à ce qu’elles soient changées.

Nous avons donné aux premières de ces combinaisons le nom de sulfures, aux secondes celui de phosphures, enfin aux troisièmes celui de carbures. Ainsi le soufre, le phosphore, le charbon oxygénés forment des oxides ou des acides ; mais lorsqu’ils entrent dans des combinaisons sans s’être auparavant oxygénés, ils forment des sulfures, des phosphures & des carbures. Nous étendrons même ces dénominations aux combinaisons alkalines ; ainsi nous désignerons sous le nom de sulfure de potasse la combinaison du soufre avec la potasse ou alkali fixe végétal, & sous le nom de sulfure d’ammoniaque la combinaison du soufre avec l’alkali volatil ou ammoniaque.

L’hydrogène, cette substance éminemment combustible est aussi susceptible de se combiner avec un grand nombre de substances combustibles. Dans l’état de gaz il dissout le carbone, le soufre, le phosphore & plusieurs métaux. Nous désignerons ces combinaisons sous le nom de gaz hydrogène carboné, de gaz hydrogène sulfuré, de gaz hydrogène phosphoré. Le second de ces gaz, le gaz hydrogène sulfurisé, est celui que les chimistes ont désigné sous le nom de gaz hépatique, & que M. Schéele a nommé gaz puant du soufre ; c’est à lui que quelques eaux minérales doivent leurs vertus ; c’est aussi à son émanation que les déjections animales doivent principalement leur odeur infecte. À l’égard du gaz hydrogène phosphoré, il est remarquable par la propriété qu’il a de s’enflammer spontanément lorsqu’il a le contact de l’air ou mieux encore celui du gaz oxygène, comme l’a découvert M. Gengembre. Ce gaz a l’odeur du poisson pourri, & il est probable qu’il s’exhale en effet un véritable gaz hydrogène phosphoré de la chair des poissons par la putréfaction.

Lorsque l’hydrogène & le carbone s’unissent ensemble sans que l’hydrogène ait été porté à l’état de gaz par le calorique, il en résulte une combinaison particulière connue sous le nom d’huile, & cette huile est ou fixe ou volatile, suivant les proportions de l’hydrogène & du carbone.

Il ne sera pas inutile d’observer ici qu’un des principaux caractères qui distingue les huiles fixes retirées des végétaux par expression d’avec les huiles volatiles ou essentielles, c’est que les premières contiennent un excès de carbone qui s’en sépare lorsqu’on les échauffe au delà du degré de l’eau bouillante : les huiles volatiles au contraire étant formées d’une plus juste proportion de carbone & d’hydrogène, ne sont point susceptibles d’être décomposées à un degré de chaleur supérieur à l’eau bouillante ; les deux principes qui les constituent demeurent unis ; ils se combinent avec le calorique pour former un gaz, & c’est dans cet état que les huiles passent dans la distillation.

J’ai donné la preuve que les huiles étoient ainsi composées d’hydrogène & de carbone dans un mémoire sur la combinaison de l’esprit de vin & des huiles avec l’oxygène, imprimé dans le recueil de l’Académie, année 1784, page 593. On y verra que les huiles fixes en brûlant dans le gaz oxygène se convertissent en eau & en acide carbonique, & qu’en appliquant le calcul à l’expérience, elles sont composées de 21 parties d’hydrogène & de 79 parties de carbone. Peut-être les substances huileuses solides, telles que la cire, contiennent-elles en outre un peu d’oxygène auquel elles doivent leur état solide. Je suis au surplus occupé dans ce moment d’expériences qui donneront un grand développement à toute cette théorie.

C’est une question bien digne d’être examinée, de savoir si l’hydrogène est susceptible de se combiner avec le soufre, le phosphore & même avec les métaux dans l’état concret. Rien n’indique sans doute à priori que ces combinaisons soient impossibles ; car puisque les corps combustibles sont en général susceptibles de se combiner les uns avec les autres, on ne voit pas pourquoi l’hydrogène feroit exception. Mais en même temps aucune expérience directe ne prouve encore ni la possibilité ni l’impossibilité de cette union. Le fer & le zinc sont de tous les métaux ceux dans lesquels on seroit le plus en droit de soupçonner une combinaison d’hydrogène : mais en même-temps ces métaux ont la propriété de décomposer l’eau ; & comme dans les expériences chimiques il est difficile de se débarrasser des derniers vestiges d’humidité, il n’est pas facile de s’assurer si les petites portions de gaz hydrogène qu’on obtient dans quelques expériences sur ces métaux leur étoient combinées, ou bien si elles proviennent de la décomposition de quelques molécules d’eau. Ce qu’il y a de certain, c’est que plus on prend soin d’écarter l’eau de ce genre d’expériences, plus la quantité de gaz hydrogène diminue, & qu’avec de très-grandes précautions on parvient à n’en avoir que des quantités presque insensibles.

Quoi qu’il en soit, que les corps combustibles, notamment le soufre, le phosphore & les métaux, soient susceptibles ou non d’absorber de l’hydrogène, on peut assurer au moins qu’il ne s’y combine qu’en très-petite quantité ; & que cette combinaison loin d’être essentielle à leur constitution, ne peut être regardée que comme une addition étrangère qui en altère la pureté. C’est au surplus à ceux qui ont embrassé ce système à prouver par des expériences décisives l’existence de cet hydrogène, & jusqu’à présent ils n’ont donné que des conjectures appuyées sur des suppositions.