Tragédies (Euripide)/Traduction Artaud/Andromaque



Pour les autres éditions de ce texte, voir Andromaque.

Traduction par Nicolas Louis Marie Artaud.
Charpentier (1p. 391-442).


ANDROMAQUE,


TRAGÉDIE.


NOTICE SUR ANDROMAQUE.


L’Andromaque d’Euripide a subi, dans la tragédie de Racine, une transformation analogue à celle que nous avons déjà remarquée dans le personnage de Phèdre. Il ne faut pas s’attendre à retrouver dans la pièce grecque cet idéal de délicatesse, ces scrupules, ce raffinement de fidélité, même au delà du tombeau, que le dix-septième siècle, avec son esprit de galanterie perfectionnée, regardait comme parfaitement naturels de la part de la veuve d’Hector. Dans la tragédie grecque, Andromaque est captive de Pyrrhus, et de plus sa concubine, et elle en a un fils. Hermione, son épouse légitime, est animée d’une violente jalousie contre l’esclave troyenne, qu’elle accuse de causer sa stérilité par des sortiléges. Aidée de son père Ménélas, elle veut faire périr Andromaque et son fils Molosse, pendant l’absence de Pyrrhus. Tout l’intérêt de la pièce roule sur leur danger. Andromaque a caché son fils dans une retraite ignorée, et elle-même s’est retirée dans l’asile inviolable du temple de Thétis. Mais Ménélas découvre la retraite de l’enfant, et amène, par des promesses trompeuses, la mère à quitter son asile. Tous deux sont au moment d’être immolés, lorsque survient Pélée, aïeul de Pyrrhus, qui prend la défense des opprimés, et les arrache à la mort. Hermione, craignant le ressentiment de son époux, s’échappe de la demeure conjugale, et s’enfuit avec Oreste, à qui sa main avait été promise autrefois. Enfin, un messager vient annoncer à Pélée que Pyrrhus a été massacré à Delphes, par suite d’un complot dont Oreste est l’auteur.

Le souvenir des amours de Thétis avec Pélée, père d’Achille, plane sur toute la pièce, et c’est encore cette déesse qui vient au dénouement consoler Pélée, et lui ordonner de rendre les derniers devoirs à son petit-fils.

Un passage de cette tragédie prouve que les Grecs n’observaient pas la règle de l’unité de temps, du moins dans le sens strict des vingt-quatre heures, auxquelles on a voulu la restreindre. En effet, nous venons de voir sur la scène Oreste avec Hermione, qu’il décide à partir avec lui. Le Chœur chante un hymne assez court ; et immédiatement arrive le messager qui annonce l’assassinat de Pyrrhus à Delphes. Or, il a fallu le temps nécessaire pour qu’Oreste allât de Phthie à Delphes, pour que le messager revînt de Delphes à Phthie, et de plus l’intervalle nécessaire pour tramer le complot ; car le messager dit qu’Oreste animait les habitants contre eux. Nous voulons seulement conclure de ceci, que l’intervalle d’une scène suffisait au spectateur pour concevoir le laps de temps indéterminé, plus ou moins étendu selon les besoins de l’événement, sans le mesurer rigoureusement sur le lever ou le coucher du soleil.

Divers traits d’animosité lancés contre Lacédémone prouvent que la guerre était flagrante entre cette république et Athènes, lorsque cette pièce fut représentée. Quand Ménélas vient d’avouer à Andromaque qu’il l’a trompée, elle s’écrie : « Voilà donc la sagesse qu’on estime sur les bords de l’Eurotas ! » (V. 438.) Un peu après, elle fait cette violente sortie : « Ô de tous les mortels les plus odieux au genre humain, habitants de Sparte, conciliabule de perfidies, rois du mensonge, artisans de fraudes, pleins de pensées tortueuses, perverses et fallacieuses, votre prospérité dans la Grèce blesse la justice. Quel crime est inconnu parmi vous ? où voit-on plus de meurtres ? N’êtes-vous pas avides de gains honteux ? ne vous surprend-on pas toujours à dire une chose et à en penser une autre ? » Barnès suppose que ce passage fait allusion à la cruauté des Lacédémoniens envers les Platéens, qu’ils massacrèrent jusqu’au dernier, après qu’ils se furent rendus. V. Thucydide, l. III, 5e année de la guerre du Péloponnèse, 2e année de la quatre-vingt-huitième olympiade.

Un autre passage a servi à déterminer la date de cette tragédie d’une manière plus précise. Ménélas dit (v. 724-727) : « Une ville voisine, et jusqu’ici notre alliée, se montre aujourd’hui notre ennemie ; je vais marcher contre elle à la tête d’une armée, et la soumettre à ma puissance. » Samuel Petit (Miscell., l. III, c. 16) rapporte ces paroles à la guerre de Lacédémone contre les Argiens, à l’occasion des violences de ceux-ci contre les Trézéniens, alliés de Sparte ; et il en conclut que l’Andromaque fut jouée la 2e année de la quatre-vingt-dixième olympiade, sous l’archonte Archias, 420 avant J.-C. Euripide avait alors soixante ans.

Une phrase de l’argument grec donne à penser que cette pièce remporta le second prix.



ANDROMAQUE.




PERSONNAGES.

ANDROMAQUE.

Une ESCLAVE troyenne.

Le CHŒUR, composé de femmes phthiotes.

HERMIONE.

MÉNÉLAS.

La NOURRICE d’Hermione.

MOLOSSE, jeune enfant, fils d’Andromaque et de Néoptolème.

PÉLÉE, père d’Achille, et grand-père de Néoptolème.

ORESTE.

Un MESSAGER.

THÉTIS.

La scène est à Phthie, a l’entrée du temple de Thétis et du palais de Néoptolème.



Andromaque.

Ornement de l’Asie, ville de Thèbes[1], d’où je partis jadis avec une dot opulente, pour venir au foyer du roi Priam, donnée en épouse[2] à Hector, moi, Andromaque, autrefois objet d’envie ; et maintenant il n’est point de femme plus malheureuse que moi, et il n’y en aura jamais. J’ai vu mourir Hector mon époux, par la main d’Achille ; j’ai vu le fils que je lui avais enfanté, Astyanax, précipité du haut d’une tour, quand les Grecs se furent rendus maîtres du sol de Troie. Et moi, issue d’une noble famille, j’ai été envoyée esclave en Grèce, donnée à l’insulaire Néoptolème comme prix de la guerre, et comme sa part des dépouilles de Troie. J’habite les champs qui séparent cet état de Phthie, de la ville de Pharsale ; c’est là que Thétis, divinité marine, vécut avec Pélée, loin du commerce des hommes : en mémoire de son hymen, le peuple thessalien appelle ce lieu Thétidée. Le fils d’Achille possède ce palais ; mais il laisse Pélée régner sur la terre de Pharsale, ne voulant pas reprendre le sceptre à ce vieillard tant qu’il vit. Unie au fils d’Achille mon maître, je lui ai donné dans ce palais un enfant mâle. Et d’abord, malgré mon malheur, je me flattais de l’espoir que, tant que mon fils vivrait, je trouverais en lui un appui et une consolation : mais depuis que mon maître, dédaignant ma couche d’esclave, a épousé la Lacédémonienne Hermione, je suis accablée par elle de mauvais traitements. Elle dit que par de secrets maléfices je la rends stérile, et odieuse à son époux ; que je veux être maîtresse à sa place dans cette maison, et la chasser violemment de son lit, moi qui n’y pris place qu’à regret, et qui en suis sortie pour toujours. Le grand Jupiter le sait, c’est malgré moi que je suis entrée dans cette couche. Mais je ne puis la persuader ; elle veut me faire mourir, et Ménélas, son père, seconde ses projets. Il arrive de Sparte en ces lieux, dans cette intention même. Saisie de crainte, je suis venue chercher un asile contre la mort dans ce sanctuaire consacré à Thétis, et qui touche aux murs du palais. Pélée et sa famille le révèrent comme un monument de son alliance avec la déesse. J’ai envoyé en secret mon fils, mon unique espérance, dans une maison étrangère, de peur qu’on n’attente à sa vie ; car son père n’est pas là pour me défendre, et pour secourir son fils. Il est allé à Delphes expier une offense faite à Apollon, dans un moment de délire, où il vint demander au dieu vengeance du meurtre de son père[3]. Il tâche aujourd’hui d’obtenir le pardon de sa faute, et de se rendre Apollon propice à l’avenir.


l’esclave.

Ô ma maîtresse,… car je ne crains pas de t’appeler de ce nom, que je te donnais dans ton palais, quand nous habitions la terre troyenne, je te servis toujours avec zèle, ainsi que ton époux lorsqu’il vivait ; et maintenant je viens t’apporter des nouvelles, non sans crainte d’être découverte par quelqu’un de nos maîtres, mais pleine de compassion pour ton sort ; car Ménélas et sa fille trament contre toi des complots dont il faut te garder.

andromaque.

Chère compagne de mon esclavage, car tu es l’égale de celle qui fut ta reine, et qui à présent partage ta misère, que font-ils ? Quels piéges dressent-ils, pour ajouter la mort à toutes mes infortunes ?

l’esclave.

Malheureuse, ils vont donner la mort à ton fils, que tu avais mis en sûreté hors du palais.

andromaque.

Ah ! dieux ! la retraite de mon fils est découverte ? Qui m’a trahie ? Ah ! malheureuse, je meurs !

l’esclave.

Je ne sais ; mais j’ai entendu le fait de leur propre bouche. Ménélas est sorti du palais pour chercher sa proie.

andromaque.

Je suis perdue ! ô mon fils, deux vautours vont te saisir et te tuer. Et celui que tu appelles ton père s’arrête encore à Delphes, loin de toi !

l’esclave

Je pense bien que tu ne serais pas si malheureuse, s’il était ici ; mais maintenant tu es sans défenseur.

Andromaque

N’a-t-on pas de nouvelles de Pélée ? dit-on s’il doit venir ?

l’esclave

Il est trop vieux pour que sa présence pût te protéger.

Andromaque

J’ai envoyé vers lui à plusieurs reprises.

l’esclave

Crois-tu donc qu’aucuns de ces messagers se soucient de toi ?

Andromaque

D’où vient ? Veux-tu donc te charger toi-même de mon message ?

l’esclave

Que dirai-je pour excuser ma longue absence ?

Andromaque

Tu trouveras bien des prétextes ; car tu es femme.

l’esclave

Il y va de ma vie ; car Hermione est vigilante.

Andromaque

Abandonnes-tu tes amis dans la détresse ?

l’esclave

Non certes ; ne me fais point de reproche. Je pars ; la vie d’une pauvre esclave n’est pas si précieuse, dût-il m’arriver malheur.

Andromaque

Va donc : pour moi, toujours baignée de larmes, je ferai retentir les airs de mes gémissements et de mes sanglots ; car c’est pour les femmes une consolation dans leurs maux, de les avoir toujours à la bouche. Et j’ai plus d’un sujet de gémir : la ruine de ma patrie, la mort d’Hector, et la cruelle destinée qui m’enchaîne, et m’a fait tomber dans une indigne servitude. Il ne faut jamais appeler aucun mortel heureux, avant d’avoir vu comment, à son dernier jour, il descendra aux enfers[4].

[5] Ce n’était pas une épouse, mais une furie, que Paris conduisit à Ilion, lorsqu’il emmena Hélène pour partager sa couche. C’est à cause d’elle, ô Troie, que le terrible Mars vint de la Grèce, avec mille vaisseaux, porter le fer et la flamme dans tes murs ; c’est à cause d’elle qu’il fit périr Hector, que le fils de Thétis traîna attaché à son char, autour des murailles[6] ; et que du lit de mon époux je fus conduite sur le rivage, couverte du voile odieux des captives. Bien des larmes coulèrent de mes yeux, quand il fallut quitter et la ville, et ma couche nuptiale, et mon époux étendu sur la poussière ! Infortunée ! que me servait de voir encore le jour, pour devenir l’esclave d’Hermione ? Victime de sa cruauté, j’entoure de mes mains suppliantes la statue de la déesse, consumée par la douleur, comme la source qui coule goutte à goutte d’un rocher.


le chœur

Ô femme, réfugiée sur le sol consacré à Thétis, et dans ce temple que tu ne quittes pas depuis longtemps, quoique Phthie m’ait vu naître, je viens vers toi, malheureuse fille de l’Asie, pour chercher quelque remède aux maux irréparables qui ont suscité entre Hermione et toi une discorde haineuse, au sujet du lit de Pyrrhus, que tu partages avec elle.

Songe au triste sort auquel tu es réduite. Combattras-tu contre tes maîtres, une captive troyenne contre les filles de Lacédémone ? Abandonne ce temple, où nous offrons nos sacrifices à la déesse. Que sert de te consumer dans la douleur, et de t’exposer aux violences des maîtres ? La force te soumettra. Pourquoi vouloir lutter, toi qui n’es rien ?

Allons, quitte la brillante demeure de la fille de Nérée ; songe que tu es esclave sur une terre étrangère, dans une ville étrangère, où tu ne vois aucun de tes amis, ô infortunée, ô déplorable épouse !

Je me sens émue de pitié, ô Troyenne, en te voyant parmi nous ; mais la crainte que m’inspirent mes maîtres m’arrête ; et je me borne à plaindre ton sort, dans la crainte que la fille d’Hélène ne découvre l’affection que tu m’inspires.


Hermione

Ces parures d’or qui brillent sur ma tête, ces riches vêtements, ces tissus précieux dont je suis couverte, ne sont point les richesses de la maison d’Achille ou de Pélée ; mais je les ai apportés de la terre de Sparte ; Ménélas, mon père, me les a donnés avec une dot magnifique : j’ai donc le droit de parler librement. Telle est donc la réponse que j’ai à vous faire[7]. Et toi, esclave et captive, tu voudrais me chasser de ce palais, pour y être maîtresse ; tu me rends par tes maléfices odieuse à mon époux, et tu as frappé mon sein de stérilité. L’esprit des femmes de l’Asie est habile dans ces arts funestes ; mais je réprimerai ton audace. Ni la demeure de la Néréide, ni ce temple, ni cet autel, ne te protégeront ; mais tu mourras. Et si quelqu’un des mortels ou des dieux veut sauver tes jours, il te faudra, au lieu de cet ancien orgueil si hautain, prendre des sentiments plus humbles, trembler, tomber à mes genoux, balayer ma maison, répandre des vases d’or la rosée d’Achéloüs[8], et connaître où tu es : car il n’y a plus ici ni Hector, ni Priam, ni opulence, mais une ville grecque. Malheureuse, tu en viens à ce point d’égarement, d’oser entrer dans le lit de celui dont le père a tué ton époux, et avoir des enfants d’un meurtrier ! Telles sont les mœurs des Barbares : le père couche avec la fille, le fils avec la mère, le frère avec la sœur ; les plus chers amis s’entre-égorgent ; la loi ne défend aucun de ces crimes. Mais ne t’avise pas de les introduire chez nous : il n’est pas honnête qu’un seul homme tienne deux femmes sous ses lois[9] ; mais celui-là doit se contenter d’une seule compagne, qui veut avoir une maison bien gouvernée.

le chœur

La jalousie est la passion des femmes : toujours elles haïssent celles qui partagent avec elles le lit de leur époux.

Andromaque

Hélas ! hélas ! la jeunesse est un mal pour les mortels, et dans la jeunesse l’injustice. Pour moi, je crains que ma qualité d’esclave ne fasse tort à mes raisons, quoique j’en aie beaucoup de bonnes à dire, et que si, au contraire, j’ai raison, je n’en sois que plus maltraitée ; car l’orgueil des grands supporte impatiemment la supériorité des petits. Mais je n’aurai pas la faiblesse de me trahir moi-même. Dis-moi, jeune femme, à quel titre pourrais-je te disputer les droits d’un hymen légitime ? Serait-ce que la ville de Lacédémone est inférieure à celle des Phrygiens, ou que ma fortune efface la tienne, et que ma liberté te fait envie ? Est-ce l’éclat de ma jeunesse et de ma beauté ? est-ce la grandeur de ma patrie et le crédit de mes nombreux amis, qui m’enfle le cœur, et m’inspire le désir de régner à ta place ? Serait-ce pour donner le jour à des enfants esclaves, nouveau surcroît de misère pour moi ? Ou bien souffrira-t-on que mes fils soient rois de Phthie, à défaut des tiens ? En. effet, les Grecs me chérissent ! et par le nom d’Hector, et par moi-même, je leur suis inconnue ; ils ignorent qu’Andromaque fut reine des Phrygiens. Ce ne sont pas mes maléfices qui te font haïr de ton époux ; mais tu ne sais pas lui rendre ton commerce agréable. Le véritable philtre, le voici : ce n’est pas la beauté, ce sont les vertus qui plaisent aux maris. Mais toi, si quelque chose te blesse, tu parles avec emphase de la grandeur de Lacédémone, et de Scyros avec dédain ; tu étales ta richesse parmi des pauvres ; Ménélas est à tes yeux plus grand qu’Achille : voilà ce qui te rend odieuse à ton époux. Une femme, fût-elle unie à un méchant époux, doit chercher à lui plaire, et ne pas lutter avec lui d’arrogance. Si tu avais eu pour époux quelque roi de la Thrace, pays couvert de neige, où le même homme fait tour à tour partager sa couche à plusieurs femmes, tu les aurais donc tuées ? et, par les excès d’une passion insatiable, tu aurais déshonoré toutes les femmes ? Si cette passion fermente en nous avec plus de violence que chez les hommes, du moins nous la réglons avec décence. Ô cher Hector, si Vénus t’inspira quelque faiblesse, j’aimais, à cause de toi, les femmes que tu aimais ; souvent même je présentai mon sein aux enfants qu’une autre mère t’avait donnés, pour ne te faire sentir aucune amertume. En agissant ainsi, je gagnais, par ma douceur, le cœur de mon époux. Mais toi, dans ta crainte jalouse, tu ne souffres pas même qu’une goutte de rosée céleste approche de ton époux. Femme, prends garde de surpasser en impudicité celle qui t’a donné le jour : les enfants sensés doivent fuir l’exemple d’une mère vicieuse.

le chœur

Reine, autant que la chose t’est possible, suis mes conseils, et réconcilie-toi avec Andromaque.

Hermione

D’où vient ce langage arrogant ? Oses-tu te mesurer en paroles avec moi, comme si toi seule étais chaste et que je ne le fusse pas ?

Andromaque

Ce n’est pas du moins dans le langage que tu viens de tenir.

Hermione

Que jamais, femme, ton esprit n’habite en moi[10] !

Andromaque

Tu es jeune, et tu offenses la pudeur dans tes paroles !

Hermione

Pour toi, ce n’est pas dans tes paroles, mais dans tes actions, qui me blessent autant qu’il est en toi.

Andromaque

Ne peux-tu souffrir en silence les douleurs que te cause l’amour ?

Hermione

Eh quoi ! n’est-ce pas là le plus précieux des biens pour les femmes ?

Andromaque

Oui, lorsque la pudeur le règle ; sinon, c’est un opprobre.

Hermione

Notre ville ne se gouverne pas par les lois des Barbares.

Andromaque

Ce qui est une honte chez les Barbares n’est pas moins honteux chez les Grecs.

Hermione

Tu raisonnes bien, oh ! très bien ; mais tu n’en mourras pas moins.

Andromaque

Vois-tu la statue de Thétis qui tourne sur toi ses regards ?

Hermione

Elle déteste ta patrie, à cause du meurtre d’Achille.

Andromaque

C’est Hélène, c’est ta mère qui a causé sa mort, et non pas moi.

Hermione

Pousseras-tu plus loin tes outrages contre moi ?

Andromaque

Je me tais, je tiens ma bouche fermée.

Hermione

Réponds enfin sur l’objet qui m’amène.

Andromaque

Je dis que tes sentiments ne sont pas ce qu’ils devraient être.

Hermione

Enfin, quitteras-tu ce temple saint de la déesse de la mer ?

Andromaque

La mort seule pourra m’en arracher.

Hermione

La résolution en est prise, je n’attendrai pas le retour de mon époux.

Andromaque

Ni moi non plus, jusque-là, je ne me livrerai pas à toi.

Hermione

Je t’y contraindrai, en employant le feu[11], sans m’inquiéter de toi.

Andromaque

Allume donc l’incendie : les dieux en seront témoins.

Hermione

Et je laisserai sur ton corps de cuisantes blessures.

Andromaque

Immole-moi, ensanglante l’autel de la déesse ; elle saura t’en punir.

Hermione

Ô race barbare, audace intraitable, tu veux braver la mort ? Va, je sais le moyen de te faire quitter de bon gré ton asile : je possède un appât puissant sur toi : mais couvrons mes paroles ; les faits parleront bientôt. Demeure ferme à ton poste ; quand tu serais attachée de toutes parts avec du plomb fondu[12], je saurai t’en arracher avant le retour du fils d’Achille, en qui tu mets ta confiance.

Andromaque

Oui, je mets en lui ma confiance. Chose étrange ! les dieux ont donné aux mortels des remèdes contre la morsure des serpents, et personne n’en a encore trouvé contre une méchante femme, pire que la vipère et que le feu, tant nous sommes un fléau pour les hommes !

le chœur

Certes, le fils de Jupiter et de Maïa fut l’auteur de bien des maux, lorsqu’il vint dans le bois de l’Ida, conduisant le char brillant des trois déesses, armées pour le funeste combat de la beauté, vers un jeune berger solitaire, dans sa retraite déserte.

Arrivées dans le bocage touffu, les déesses lavèrent leurs beaux corps dans l’eau des sources des montagnes ; et elles allèrent trouver le fils de Priam, en se lançant tour à tour des paroles blessantes. Vénus vainquit par son langage artificieux, qui charme les oreilles, mais amer à la malheureuse ville des Phrygiens, qui en fut victime, et vit ses tours détruites.

Plût au ciel qu’elle eût jeté ce fléau par-dessus sa tête[13], celle qui jadis enfanta Paris, avant qu’il pût habiter les riants coteaux de l’Ida, lorsque Cassandre, auprès du laurier prophétique, s’écriait qu’il fallait faire périr le destructeur de la ville de Priam ! À qui ne s’adressa-t-elle pas ? auquel des chefs du peuple ne demanda-t-elle pas la mort de l’enfant fatal ?

Les malheureuses Troyennes n’auraient pas subi le joug de la servitude ; et toi, femme, tu n’habiterais pas la maison d’un maître ; la Grèce n’aurait pas eu à souffrir les pénibles travaux que, pendant dix années, ses jeunes guerriers errants affrontèrent sous les murs d’Ilion ; tant d’épouses ne seraient pas restées abandonnées, ni tant de vieillards privés de leurs enfants.

Ménélas, portant le jeune Molosse

Je ramène ce fils, que tu avais caché dans une maison étrangère, à l’insu de ma fille ; tu croyais tes jours en sûreté, à l’abri de cette image de la déesse, et ceux de ton fils dans l’asile qui l’avait reçu : mais tu t’es trouvée moins prudente que Ménélas. Si tu ne quittes cette retraite, nous l’immolerons à ta place : choisis donc de mourir toi-même, ou de voir la mort de ton fils expier tes offenses envers moi et envers ma fille.

Andromaque

Ô opinion, opinion, à une foule de mortels, qui réellement ne sont rien, tu donnes une brillante apparence. Ceux dont la bonne renommée repose sur la vérité, je les estime heureux ; mais ceux dont la renommée repose sur le mensonge, je ne leur reconnais d’autre mérite que de devoir au hasard la réputation de sages. Est-ce donc toi qui, jadis commandant l’élite des Grecs, as enlevé la ville de Troie à Priam, tout lâche que tu es ? toi qui, sur les discours de ta fille, encore presque enfant, étales des sentiments si fiers, et qui entres en lutte avec une malheureuse femme, avec une esclave ! Non, tu n’étais pas un ennemi digne de Troie ; et Troie méritait un autre vainqueur que toi. Tels, avec une apparence de sagesse, sont brillants au dehors, mais au dedans ils ressemblent au vulgaire des hommes, si ce n’est par la fortune, dont la puissance est grande. Voyons, Ménélas, terminons cet entretien. Que je périsse victime de ta fille, elle n’échappera pas à l’expiation du sang versé. Toi-même, aux yeux de la foule, tu partageras avec elle l’infamie de cette action, pour la part que tu y auras prise. Et si je me dérobe à la mort, ferez-vous périr mon enfant ? Mais son père supportera-t-il patiemment la mort de son fils ? Troie ne lui a pas donné, comme à toi, le nom de lâche. Mais il va où le devoir l’appelle ; il se montrera, par ses actions, digne de Pélée et de son père Achille. Il chassera ta fille de sa maison ; et toi, en la donnant à un nouvel époux, que diras-tu ? que sa pudeur s’est soustraite à un indigne mari ? ou bien la garderas-tu chez toi, où elle vieillira dans le veuvage ? Malheureux, qui ne vois pas les maux prêts à fondre sur toi ! Ne préférerais-tu pas pour ta fille les persécutions d’une foule de rivales, au sort qui la menace ? Il ne faut pas pour un petit mal attirer de grandes calamités ; et si les femmes sont des êtres si malfaisants, les hommes ne doivent pas les imiter. Pour moi, si j’ai employé des maléfices contre ta fille pour frapper son sein de stérilité, comme elle le prétend, de mon plein gré j’abandonne aussitôt cet autel, et je me soumets au jugement de ton gendre : il n’est pas moins offensé que toi, si je le frappe dans sa postérité. Tels sont mes sentiments. Mais il y a dans ton cœur une chose qui m’effraye : c’est pour une querelle de femme, que tu as ruiné la malheureuse ville des Phrygiens.

le chœur

Tu parles aux hommes avec plus d’audace qu’il ne convient à une femme, et ta modestie naturelle t’a abandonnée.

Ménélas

Femme, c’est là une bien faible victoire, peu digne de ma puissance, comme tu le dis, et de la Grèce ; mais sache-le, pour chaque homme, obtenir ce qu’il désire, est un bien plus précieux que la prise même de Troie. Je viens en aide à ma fille ; car c’est un cruel outrage d’être bannie de la couche nuptiale. Il en est d’autres moins graves, qu’une femme peut supporter ; mais perdre son époux, c’est perdre la vie. L’époux de ma fille a droit de commander à mes esclaves, comme elle et moi nous avons droit de commander aux siens : les vrais amis n’ont rien en propre, tous les biens sont communs entre eux. Si pendant son absence je ne veille pas sur mes biens, c’est de ma part lâcheté, et non sagesse. Sors donc au plus tôt du temple de la déesse ; si tu meurs, ton fils échappera à la mort ; mais si tu refuses de mourir, je le tuerai. L’un de vous deux doit perdre la vie.

Andromaque

Hélas ! cruelle alternative, choix affreux ! Malheureuse si je choisis, non moins malheureuse si je ne choisis pas ! Toi qui, pour une légère offense, déploies tant de rigueur, écoute-moi : pour quelle raison veux-tu ma mort ? Ai-je trahi ta patrie ? ai-je fait mourir tes enfants ? ai-je incendié ton palais ? La violence m’a fait entrer dans le lit de mon maître ; et c’est moi que tu veux tuer, et non l’auteur de la faute ! Tu oublies le principe, pour tomber sur l’effet qui l’a suivi[14]. Ah ! Malheureuse Andromaque ! ô ma déplorable patrie ! ô cruelles souffrances ! fallait-il devenir mère, et ajouter ce double fardeau au poids de mes infortunes ? Mais pourquoi déplorer ces malheurs passés, et ne pas m’occuper de ceux qui me frappent à présent ? moi qui ai vu le corps sanglant d’Hector traîné à un char, Ilion devenue la proie des flammes, moi-même réduite à l’esclavage, et traînée par les cheveux dans les vaisseaux des Grecs ; et à peine arrivée à Phthie, contrainte d’épouser le meurtrier d’Hector. En quoi donc la vie peut-elle me plaire ? Où tourner mes regards ? sur ma fortune présente, ou sur ma fortune passée ? Il me restait un fils, l’œil de ma vie : ils vont le tuer, pour satisfaire leur caprice. Non, je ne sauverai pas ma vie misérable aux dépens de la sienne : le seul espoir qui me reste est de le conserver : ce serait une honte à moi de ne pas mourir pour mon fils. Venez, je quitte cet autel, je me livre à vous, frappez, égorgez, chargez-moi de chaînes, livrez-moi au dernier supplice[15]. Ta mère, ô mon fils, descend dans le tombeau pour racheter tes jours. Si tu échappes à la mort, souviens-toi de ta mère et de ses souffrances ; et en recevant les baisers de ton père, dis-lui, en versant des larmes et en l’entourant de tes bras, dis-lui ce que j’ai fait pour toi. Oui, nos enfants sont notre vie : celui qui me blâme, parce qu’il ne fut jamais père, a sans doute moins de souffrances ; mais son bonheur n’est qu’un malheur.

le chœur

Ses paroles m’ont émue ; les malheurs de tous les mortels, fussent-ils même étrangers, sont dignes de pitié. Tu aurais dû, Ménélas, réconcilier cette infortunée avec ta fille, et mettre fin à ses douleurs.

Ménélas

Esclaves, saisissez cette femme, et chargez-la de chaînes : ce qu’elle va entendre n’est pas fait pour lui plaire. Pour te faire quitter l’autel sacré de la déesse, je t’ai menacée de la mort de ton fils, je t’ai menée ainsi à te livrer entre mes mains pour mourir. Pour ce qui te regarde, sache que l’arrêt est irrévocable ; pour ce qui regarde ton fils, ma fille décidera si elle veut ou non le faire périr. Allons, rentre, et apprends, vile esclave, à ne pas outrager les personnes libres.

Andromaque

Ô ciel ! tu m’as trompée, tu t’es joué de ma crédulité !

Ménélas

Proclame-le à tout le monde ; je ne m’en défends pas.

Andromaque

Voilà donc la sagesse qu’on estime sur les bords de l’Eurotas[16] !

Ménélas

À Troie aussi, on aime à venger une offense.

Andromaque

Les dieux ne sont-ils plus des dieux ? Ne crois-tu pas à la justice vengeresse ?

Ménélas

Quand elle viendra, je la subirai ; mais toi, je te tuerai.

Andromaque

Et tu arracheras ce pauvre petit de dessous l’aile de sa mère ?

Ménélas

Non ; mais je le livrerai à ma fille, pour le faire mourir, si elle veut.

Andromaque

Hélas ! ne pourrai-je donc te pleurer, mon enfant ?

Ménélas

N’a-t-il pas lieu de compter sur un espoir bien fondé ?

Andromaque

Ô de tous les mortels les plus odieux au genre humain, habitants de Sparte, conciliabule de perfidies, rois du mensonge, artisans de fraudes, pleins de pensées tortueuses, perverses et fallacieuses, votre prospérité dans la Grèce blesse la justice[17]. Quel crime est inconnu parmi vous ? où voit-on plus de meurtres ? N’êtes-vous pas avides de gains honteux ? ne vous surprend-on pas toujours à dire une chose, et à en penser une autre ? Malheur à vous ! pour moi la mort n’est pas si redoutable que tu le crois. Je ne vis plus, depuis le jour où je vis périr la malheureuse ville des Phrygiens et mon illustre époux, dont la lance te força plus d’une fois à chercher un asile sur tes vaisseaux[18]. Guerrier aujourd’hui, terrible contre une femme, tu me tues. Frappe, car jamais ma langue ne s’abaissera à vous flatter, toi et ta fille. Si tu es grand à Sparte, je fus puissante aussi à Troie : et si je suis dans le malheur, n’en triomphe pas trop, car tu peux y tomber à ton tour.

le chœur

Jamais je n’approuverai le mortel qui forme un double hymen, et qui a des enfants de plusieurs mères, source de discorde et d’amers chagrins dans les familles. Puisse mon époux se contenter de mon seul amour, et ne jamais admettre de rivales dans ma couche !

Dans les états, deux autorités ne sont pas plus faciles à supporter qu’une seule : c’est un fardeau ajouté à un autre, et une cause de sédition parmi les citoyens. Les Muses mêmes allument la discorde entre deux poëtes qui travaillent au même ouvrage.

Quand les vents rapides poussent les navires, deux pilotes assis au gouvernail et une foule de sages ont moins de force qu’un seul moins habile, mais seul maître absolu. Le pouvoir d’un seul est nécessaire dans les cités comme dans les familles, quand on veut saisir l’à-propos.

La fille du roi de Sparte le prouve par son exemple : elle a porté le feu dans un autre ménage ; elle immole à la triste discorde la Troyenne infortunée, avec son enfant. Meurtre sacrilège, injuste, dénaturé ! Un jour, Hermione, tu seras en proie au repentir de ces attentats.

Mais je vois s’avancer devant le palais ce couple si étroitement uni, frappé par une sentence de mort. Ô femme infortunée, et toi, malheureux enfant qui meurs pour expier l’hymen de ta mère, innocent de toute faute et irréprochable devant tes maîtres !


Andromaque

Je descends au tombeau, les mains ensanglantées par d’indignes liens.

Molosse

Ah ! ma mère, ma mère, j’y descends avec toi, sous ton aile, victime dévouée à la mort. Ô maîtres du pays de Phthie ! ô mon père ! viens au secours de ta famille.

Andromaque

Ô cher enfant ! tu seras donc couché dans la terre sur le sein de ta malheureuse mère ; ton corps, privé de vie, reposera sur son corps glacé.

Molosse

Hélas ! hélas ! que va-t-on me faire, ainsi qu’à toi, ma mère ?


Ménélas

Descendez dans le séjour des ombres, vous qui venez d’une ville ennemie. Vous mourez tous deux par deux arrêts différents : toi, c’est ma sentence qui te condamne ; et ton fils, c’est ma fille Hermione. De la part d’un ennemi, c’est une grande démence d’épargner ses ennemis, lorsqu’on peut les tuer, et délivrer sa maison de toute crainte.

Andromaque

Cher époux, cher époux, que n’ai-je ton bras et ta lance pour me défendre, fils de Priam !

Molosse

Infortuné ! quels chants magiques trouverai-je pour me garantir de la mort ?

Andromaque

Jette-toi aux pieds de ton maître, mon fils, et adresse-lui tes supplications.

Molosse

Ô ami, ami, ne me livre pas à la mort !

Andromaque

Malheureuse ! je fonds en larmes ; mes yeux se mouillent sans relâche, comme la source qui, dans l’ombre, s’échappe d’un rocher.

Molosse

Hélas ! quel remède trouver à mes maux ?

Ménélas

Pourquoi tombes-tu à mes pieds en suppliant, comme devant un rocher battu par les flots de la mer ? Je suis le protecteur naturel de ma famille : mais je n’ai aucune affection pour toi ; car j’ai employé une grande partie de ma vie à m’emparer de Troie et de ta mère. Puisque tu as le bonheur d’être son fils, tu descendras avec elle chez Pluton.


le chœur

Mais je vois Pélée qui s’approche ; il hâte vers nous ses pas appesantis par l’âge.

Pélée

Répondez-moi, femmes, et toi qui présides à cette immolation, qu’est-il arrivé ? quelle cause jette le trouble dans le palais ? que signifie cette exécution sans jugement ? Arrête, Ménélas ; ne te presse pas d’agir sans forme de procès. Hâtons-nous[19], car, à ce qu’il me semble, cette affaire ne souffre pas de retard : c’est ici ou jamais que je voudrais retrouver la vigueur de ma jeunesse. Et d’abord dirigeons vers cette infortunée un vent propice, comme celui qui enfle les voiles. Dis-moi, je te prie, en vertu de quel jugement on te charge ainsi de liens et l’on te traîne au supplice avec ton fils ? car, telle qu’une brebis qui allaite son agneau, tu succombes, pendant mon absence et celle de ton maître.

Andromaque

Ô vieillard, ces gens, comme tu le vois, me conduisent à la mort avec mon fils. Ce n’est pas une fois, c’est par mille messages que mon impatience t’a fait appeler. Tu connais peut-être la discorde qui divise cette famille, et qui anime la fille de Ménélas ; elle est la cause de ma mort. Et maintenant on m’arrache à l’autel de Thétis, qui a donné le jour à ton noble fils, et qui est l’objet de ton culte ; on m’entraîne sans jugement, sans attendre le retour d’un maître absent ; on profite de l’abandon où je me trouve, ainsi que cet enfant, qu’ils veulent, malgré son innocence, livrer à la mort avec moi. Je t’en conjure, vieillard, en tombant à tes genoux (hélas ! mes mains ne peuvent toucher ton visage chéri), sauve-moi, au nom des dieux ! autrement nous mourrons, et mon malheur sera une honte pour vous.

Pélée

Brisez ses liens, ou craignez ma colère ; laissez ses mains en liberté.

Ménélas

Et moi je le défends, moi qui ne suis pas moins que toi, et qui ai bien plus de droits que toi sur cette femme.

Pélée

Comment ! Es-tu venu ici faire la loi dans mon palais ? Ne te suffit-il pas de commander à Sparte ?

Ménélas

Elle est ma captive, je l’ai prise à Troie.

Pélée

Le fils de mon fils l'a reçue comme prix de la victoire.

Ménélas

Ses biens ne sont-ils pas à moi, comme les miens sont à lui ?

Pélée

Pour en faire un bon usage et non un mauvais, non pour tuer violemment.

Ménélas

Jamais tu ne l’arracheras de mes mains.

Pélée

J’ensanglanterai ta tête avec ce sceptre.

Ménélas

Touche-moi, ose m’approcher, afin d’apprendre à me connaître.

Pélée

Lâche que tu es, fils de lâches, as-tu droit d’élever la voix parmi des hommes ? mérites-tu d’être compté parmi les hommes, toi à qui un vil Phrygien osa ravir son épouse ; toi qui laissas ta maison ouverte aux ravisseurs, et qui livras à elle-même la plus perfide des femmes ? Quand elle le voudrait, comment une jeune Lacédémonienne pourrait-elle se conserver chaste, accoutumée qu’elle est à quitter la maison maternelle, pour se mêler aux exercices de la course et de la lutte avec les jeunes gens, les cuisses nues, et sans autre vêtement qu’une tunique courte et flottante[20] ? Faut-il ensuite s’étonner si vous ne formez pas de femmes chastes ? Demandez-le à Hélène, qu’on vit abandonner la couche nuptiale, et suivre, sans pudeur, un jeune amant dans une terre étrangère. Voilà donc le digne objet qui t’a fait rassembler et conduire à Troie toutes les forces de la Grèce ! Ah ! loin de vouloir reprendre, les armes à la main, une femme si méprisable, tu devais la rejeter loin de toi, l’abandonner à son ravisseur, la payer même, pour ne la plus recevoir dans ta maison. Mais ton esprit ne s’est point arrêté à cette heureuse idée : tu as sacrifié une foule d’âmes généreuses ; tu as plongé les mères dans le deuil ; tu as ravi aux pères leurs courageux enfants, l’espoir de leur vieillesse. Moi-même je suis un de ces pères infortunés, et je vois en toi comme un mauvais génie, comme le meurtrier d’Achille. Seul tu es revenu de Troie sans blessure, et tu as rapporté tes armes magnifiques, enfermées dans de riches étuis, et dans le même état qu’au jour où tu quittas la Grèce. Plus d’une fois j’ai dit au fils d’Achille, avant son mariage, de se garder de ton alliance, et de ne point recevoir dans sa maison la fille d’une mère coupable ; car les filles reproduisent les vices maternels. Vous donc qui cherchez une épouse, attachez-vous surtout à choisir celles qui sont nées de mères vertueuses. À tous ces torts ajoute tes crimes envers ton frère, l’ordre insensé d’immoler sa fille, tant tu craignais de ne pas recouvrer une méchante femme ; et, une fois maître de Troie (car j’en viens à tes derniers exploits), quand cette femme est retombée entre tes mains, tu ne l’as pas fait mourir. À peine a-t-elle découvert son sein à ta vue, le glaive vengeur est tombé de tes mains, tu as reçu ses baisers, tu as comblé de caresses un monstre souillé de vices[21], ô le plus lâche des hommes, vil esclave de l’amour ! et tu viens dans la maison de mes enfants exercer tes fureurs en leur absence, et tu viens égorger lâchement une femme infortunée et un faible enfant ! Mais sache que, sa naissance fût-elle encore plus illégitime[22], il te prépare de cruels repentirs à toi et à ta fille. Souvent un sol aride l’emporte sur une terre bien engraissée, et bien des bâtards valent mieux que les enfants légitimes. Emmène ta fille. Il vaut mieux s’allier à l’homme pauvre et vertueux, qu’à celui qui unit le vice à l’opulence. Pour toi, je te méprise.


le chœur

Les contestations d’abord les plus modérées engendrent de violentes disputes parmi les hommes ; aussi le sage évite d’entrer en discussion avec ses amis.

Ménélas

Que penser de la sagesse des vieillards, et de ceux dont la Grèce estime le jugement ? Quoi ! Pélée, toi, fils d’un héros illustre, allié à ma famille, tu profères des paroles déshonorantes pour toi-même et injurieuses pour moi ; et cela pour une esclave barbare, que tu aurais dû renvoyer par delà le Nil, par delà le Phase : et moi, je devais t’y exhorter sans cesse, car c’est une femme de l’Asie, terre jonchée des cadavres des Grecs ; et elle est complice de la mort de ton fils. Pâris, en effet, le meurtrier d’Achille, était frère d’Hector ; Hector était son époux ; et tu habites sous le même toit, et tu souffres qu’elle prenne place à ta table, et qu’elle enfante chez toi une race odieuse ! et lorsque, dans ton intérêt comme dans le mien, je veux l’immoler, tu l’arraches à mes mains ! Cependant voyons (car il n’y a pas de honte à discuter), si ma fille n’a pas d’enfants, et que cette esclave en mette au monde, les placeras-tu sur le trône de la Phthiotide ? Issus d’un sang barbare, les verra-t-on régner sur les Grecs ? Est-ce encore moi qui suis insensé, qui foule aux pieds la justice, et toi seul qui aies raison ? Considère encore ceci : si après avoir marié ta fille à un citoyen, elle éprouvait un pareil outrage, le supporterais-tu en silence ? Non sans doute ; et cependant, pour une étrangère, tu lances de telles injures contre tes amis naturels ! Cependant le mari et la femme ont les mêmes droits, celle-ci lorsqu’elle est outragée par son mari, et le mari lorsqu’il a dans sa maison une femme infidèle. Celui-ci se confie dans la force de son bras ; celle-là a pour appui sa famille et ses amis. Il est donc juste que je prête mon secours à ma fille. Tu es vieux, tu es vieux : ce que tu dis de moi comme général des Grecs m’est plus honorable que le silence. Quant à Hélène, son malheur ne fut pas volontaire, mais il fut envoyé par les dieux ; et il a eu les suites les plus heureuses pour la Grèce. Ses peuples, inexpérimentés dans les armes et les combats, se sont formés aux vertus guerrières[23] ; la pratique en toutes choses est l’école des mortels. Si, quand je revis mon épouse, je retins mon bras prêt à l’immoler, ma modération fut digne d’éloges. Je voudrais aussi pour ton honneur que tu n’eusses pas tué Phocus[24]. C’est par intérêt pour toi que j’en ai tant dit, et non par colère : si tu t’irrites, c’est que chez toi l’intempérance de langue est plus forte : moi, j’aurai l’avantage de la prudence.

le chœur

Ah ! mettez fin à ces vaines paroles, pour ne pas avoir tort l’un et l’autre.

Pélée

Oh ! quel mauvais usage règne en Grèce[25] ! Lorsqu’une armée érige des trophées sur les ennemis vaincus, on ne regarde pas cette victoire comme l’ouvrage des soldats ; mais le général en remporte toute la gloire, lui qui, sans avoir fait plus que les autres avec sa lance, recueille cependant toute la renommée. Ils siègent avec gravité dans les magistratures de l’état, et écrasent le peuple de leur orgueil, tout méprisables qu’ils sont ; à côté d’eux pourtant on en voit d’infiniment plus habiles, auxquels il ne manque que d’oser et de vouloir. Ainsi ton frère et toi vous êtes enflés d’orgueil pour la prise de Troie et pour avoir commandé nos armées, tout fiers ainsi des peines et des travaux d’autrui. Mais je t’apprendrai à ne pas regarder le berger Pâris comme un ennemi plus redoutable que Pélée, si tu ne disparais au plus tôt de ce palais avec ta fille stérile ; autrement le héros issu de mon sang l’en chassera, en la traînant par les cheveux. Cette génisse stérile, parce qu’elle n’a pas d’enfants, ne veut pas souffrir que d’autres enfantent. Mais parce qu’elle est malheureuse dans sa postérité, faut-il que nous en soyons privés nous-mêmes ? Laissez cette femme, esclaves ; voyons si quelqu’un m’empêchera de lui délier les mains. Lève-toi, infortunée, pour que je détache, en tremblant, les nœuds qui te retiennent. Barbare, as-tu osé meurtrir ainsi ces mains délicates ? Croyais tu donc avoir à enchaîner un taureau ou un lion ? Craignais-tu qu’elle ne s’armât d’un glaive pour te repousser ? Viens dans mes bras, jeune enfant ; aide-moi à détacher les liens de ta mère. Je t’élèverai dans Phthie, pour être leur ennemi. Si la gloire des armes et la valeur dans les combats manquaient aux Spartiates, dans le reste ils n’ont aucune supériorité.

le chœur

Les vieillards sont des êtres violents ; l’irascibilité les rend intraitables.

Ménélas

Tu te laisses trop aller à ton goût pour les injures. Je suis venu à Phthie contre mon gré ; je n’y ferai et je n’y souffrirai rien d’indigne. Et maintenant, car j’ai peu de loisir, je retourne dans ma patrie ; une ville voisine, et jusqu’ici notre alliée, se montre aujourd’hui notre ennemie : je vais marcher contre elle à la tête d’une armée, et la soumettre à ma puissance[26]. Quand j’aurai terminé cette expédition à mon gré, je reviendrai, et en présence de mon gendre je m’expliquerai, et j’écouterai à mon tour ses raisons. S’il punit cette esclave, et qu’il se montre à l’avenir honnête à mon égard, il me trouvera à son tour honnête pour lui ; mais s’il s’emporte, il éprouvera mon emportement, et sera traité comme il me traitera. Quant à tes outrages, je les supporte sans peine ; car, semblable à une ombre, tu n’as plus que la voix, incapable d’autre chose que de parler.

Il sort.

Pélée

Marche devant moi, mon enfant, sous l’égide de mon bras ; et toi aussi, infortunée. Après une cruelle tempête, tu as enfin trouvé un port tranquille.

Andromaque

Ô vieillard, que les dieux accordent toutes les prospérités aux tiens et à toi-même, qui as sauvé mon fils ainsi que moi ! Mais prends garde que, cachés dans quelque endroit écarté de la route, ils ne m’enlèvent de force, en voyant un vieillard, une faible femme, et un enfant. Vois donc si, en échappant à présent, nous ne risquons pas d’être repris plus tard.

Pélée

Ne fais pas entendre le timide langage des femmes. Va, qui oserait porter la main sur toi, certes il ne le ferait pas impunément. Grâce aux dieux, à ma cavalerie, et à mes nombreux fantassins, je commande dans Phthie. J’ai encore de la vigueur, et ne suis pas si vieux que tu le penses. Avec un tel homme, il me suffirait d’un regard pour triompher de lui, quel que soit mon âge. Un vieillard, s’il a du cœur, vaut plus que bien des jeunes gens. Que sert la force, unie à la lâcheté ?

Il emmène Andromaque et Molosse.

le chœur

Souhaitons ou de n’être pas nées, ou d’appartenir à de nobles parents et à une famille puissante : car, dans les situations critiques, les nobles ne manquent pas de secours. C’est dans les grandes maisons que brillent sur tout l’honneur et la gloire. Le temps n’efface pas la trace des grands hommes, et la vertu brille même parmi les morts.

Il vaut mieux ne point remporter une victoire souillée d’opprobre, que de violer la justice par une puissance odieuse. Un tel triomphe a d’abord quelque douceur mais avec le temps il se change en amertume, et couvre les maisons d’infamie. La vie que j’honore, la vie que je pratique, est celle où nulle puissance n’existe hors de la justice, ni dans la famille, ni dans l’état.

Ô vieillard fils d’Éaque, oui, je le crois, tu signalas ta vaillance contre les Lapithes et les Centaures ; sur le navire Argo, dans une expédition célèbre, tu franchis les Symplégades sauvages, marécageuses, inhospitalières ; et lorsque pour la première fois l’illustre fils de Jupiter porta le carnage sous les murs d’Ilion, tu partageas ses exploits, et l’Europe te revit couvert de gloire.


la nourrice d'Hermione

Ô chères amies, quelle succession de maux fond sur nous aujourd’hui ! Hermione, ma maîtresse, abandonnée de son père, et troublée par la conscience du crime qu’elle a voulu commettre en faisant périr Andromaque et son fils, veut mourir ; elle craint que son époux ne la chasse ignominieusement, ou ne la punisse de mort, pour avoir attenté à des jours qu’elle devait respecter. À peine les esclaves qui la gardent peuvent-ils l’empêcher d’attacher à son cou le cordon fatal, et arracher de ses mains le glaive dont elle veut se percer : tant sa douleur est profonde, tant elle se sent coupable, en pensant à ce qu’elle a fait ! Pour moi, je lutte pour empêcher ma maîtresse de se perdre ; mais vous, entrez dans le palais, et détournez-la de mourir : des amis nouveaux sont plus persuasifs que ceux qu’on voit tous les jours.

le chœur

Nous entendons dans le palais les cris des serviteurs, excités par les scènes que tu nous annonces. L’infortunée ! elle montre bien le désespoir que lui cause son crime ; elle s’élance hors du palais, elle s’échappe des mains de ses serviteurs, pour se donner la mort.


Hermione

Hélas ! hélas ! laissez mes mains arracher mes cheveux ; laissez-les déchirer mon visage.

la nourrice

Ma fille, que veux-tu faire ? pourquoi défigurer ton corps ?

Hermione

Ah ! hélas !… vole dans les airs, loin de ma tête, voile léger.

la nourrice

Ma fille, cache ta poitrine, couvre-la de ton péplus.

Hermione

Pourquoi cacher ma poitrine ? mes torts envers mon époux ne sont-ils pas à découvert, visibles à tous les yeux ? Rien n’est caché.

la nourrice

Te désoles-tu d’avoir tramé la mort de ta rivale ?

Hermione

Je déplore les attentats odieux qui me rendent un objet d’horreur, oui d’horreur pour tous les hommes.

la nourrice

Ton époux te pardonnera cette faute.

Hermione

Pourquoi m’arracher ce poignard ? rends-le-moi, chère amie, rends-le-moi, que je perce mon sein. Pourquoi m’éloigner du lacet fatal ?

la nourrice

Puis-je t’abandonner dans ton délire, pour te laisser mourir ?

Hermione

Ô destinée ! où trouverai-je des flammes amies pour me dévorer ? où pourrai-je gravir des rochers voisins de la mer, ou dans les montagnes couvertes de forêts, pour mourir et appartenir aux enfers ?

la nourrice

Pourquoi te tourmenter ainsi ? Les calamités envoyées par les dieux n’épargnent aucun mortel, soit dans un temps, soit dans un autre.

Hermione

Tu m’as abandonnée, mon père, tu m’as abandonnée, comme un vaisseau sans rames et sans gouvernail sur un rivage désert. Mon époux me tuera, il me tuera : je n’habiterai plus sous ce toit conjugal. De quelle divinité irai-je en suppliante embrasser la statue ? Tomberai-je en esclave aux pieds d’une esclave ? Que ne puis-je m’élancer loin de la terre de Phthie, sur des ailes rapides, comme un oiseau ! ou que ne suis-je le navire qui, le premier poussé par la rame agile, franchit les îles Cyanées[27] !

la nourrice

Ma fille, je n’ai pas approuvé l’excès de tes torts envers cette Troyenne ; et maintenant je n’approuve pas plus l’excès de tes craintes. Ton époux ne rejettera pas ainsi ton alliance, en cédant aux instigations d’une femme barbare. Tu n’es pas une captive qu’il ait ramenée de Troie, mais la fille d’un illustre père, qu’il a reçue avec une riche dot, et dans une ville florissante. Ton père ne te trahira pas comme tu le crains, et ne te laissera pas chasser de cette maison. Rentre donc, et ne te montre pas au devant du palais, de peur qu’il ne fût malséant pour toi d’être vue dehors.


le chœur

Voici un étranger, comme son extérieur l’annonce, qui s’avance vers vous à pas précipités.

Oreste

Étrangères, est-ce ici la demeure royale du fils d’Achille ?

le chœur

Tu l’as dit ; mais qui es-tu, toi qui nous fais cette question ?

Oreste

Je suis le fils d’Agamemnon et de Clytemnestre ; Oreste est mon nom. Je vais consulter l’oracle de Jupiter à Dodone. En passant par le pays de Phthie, j’ai jugé à propos de m’informer d’une parente. Hermione, de Sparte, est-elle vivante et heureuse ? Malgré la distance qui la sépare de nous, elle ne m’est pas moins chère.


Hermione

Fils d’Agamemnon, qui m’apparais comme le port au nautonier dans la tempête, prends pitié de nous, dont tu vois l’infortune. Si je n’ai pas le rameau des suppliants, mes mains embrassent tes genoux.

Oreste

Eh quoi ! me trompé-je ? Est-ce la fille de Ménélas que je vois, la maîtresse de ce palais ?

Hermione

C’est elle-même, celle qu’Hélène fille de Tyndare donna à son père.

Oreste

Ô Apollon secourable, délivre-la de ses maux. Qu’y a-t-il ? qui des dieux ou des mortels te persécute ?

Hermione

Moi-même, mon époux, les dieux enfin, tout s’unit pour me perdre.

Oreste

Pour une femme, lorsqu’elle n’a pas encore d’enfant, peut-il y avoir d’autre peine que l’amour outragé ?

Hermione

C’est là mon mal ; tu l’as bien deviné.

Oreste

Ton époux en aime-t-il une autre que toi ?

Hermione

Sa captive, la veuve d’Hector.

Oreste

C’est une chose mauvaise, qu’un homme ait deux épouses.

Hermione

Il en est ainsi : j’ai voulu me venger.

Oreste

Tu lui as sans doute tendu quelque piège, tel qu’une femme en dresse à sa rivale ?

Hermione

J’ai voulu la faire périr avec son fils bâtard.

Oreste

L’as-tu tuée ? ou quelque accident te l’a-t-il ravie ?

Hermione

Le vieillard Pélée a protégé les méchants.

Oreste

Avais-tu quelque complice de ce meurtre ?

Hermione

Mon père, venu de Sparte dans ce dessein même.

Oreste

Aurait-il ensuite été vaincu par la main d’un vieillard ?

Hermione

Non, mais par la honte : il est parti, et m’a laissée seule.

Oreste

Je comprends ; tu crains la colère de ton époux, quand il saura ce que tu as fait.

Hermione

Tu l’as dit. Il me tuera, et je le mérite : à quoi bon le nier ? Mais je t’en conjure par Jupiter protecteur des liens du sang, emmène-moi le plus loin possible de ce pays, ou dans la maison paternelle ; envoie-moi aux extrémités de la terre. Ces murs me semblent prêts à me chasser, s’ils pouvaient prendre la parole ; la terre de Phthie m’a en horreur. Si mon époux, laissant l’oracle d’Apollon, arrive avant que tu ne m’aies délivrée, la mort punira mon forfait ; ou je deviendrai l’esclave de cette concubine, dont j'étais naguère la maîtresse.

Oreste

Comment donc as-tu commis une pareille faute ?

Hermione

De méchantes femmes m’ont perdue par leurs conseils ; elles m’ont enflé le cœur par un langage tel que celui-ci : « Souffriras-tu dans ta maison une vile captive, une esclave qui partage ta couche ? J’en jure par notre souveraine, chez moi du moins celle qui m’outragerait ainsi ne jouirait pas longtemps de la lumière. » Je prêtai l’oreille aux discours de ces artificieuses sirènes ; leur langage insinuant et dangereux m’égara jusqu’à la folie : car enfin pourquoi voulais-je garder un époux à vue ? Que manquait-il à mes désirs ? je nageais dans l’opulence, je régnais dans ce palais. J’aurais mis au jour des enfants légitimes, et ceux de ma rivale étaient des bâtards à moitié esclaves des miens. Oh ! que jamais, je le répète, que jamais les hommes sensés ne permettent aux femmes d’entrer dans leurs maisons, de s’introduire auprès de leurs épouses ! ce sont elles qui leur enseignent le vice. L’une est payée pour la corrompre ; une autre, qui se sent coupable, cherche à l’entraîner avec elle ; un grand nombre, par le libertinage. Voilà comment le désordre trouble les familles. Fermez les portes avec des grilles et des verrous. Les visites des femmes du dehors ne produisent rien de bon ; au contraire, elles font beaucoup de mal.

le chœur

Ta langue se déchaîne à l’excès contre ton sexe. Il faut te le pardonner : cependant il convient aux femmes de parer les défauts des femmes.

Oreste

Celui-là était sage, qui a donné le précepte d’entendre les discours des hommes de leur propre bouche. Car moi, connaissant le trouble qui règne dans ce palais, et tes querelles avec la veuve d’Hector, j’aurais pu attendre pour savoir si tu restes en ces lieux, ou si la crainte de la captive t’obligera d’en sortir. Mais je me suis décidé à venir, sans attendre tes ordres, et si tu pensais comme je vois que tu le fais, pour t’emmener de cette maison. Car tu m’appartenais ; et si un autre est devenu ton époux, c’est par le manque de foi de ton père, qui, avant son départ pour Troie, t’avait donnée à moi pour femme, et qui ensuite te promit à celui qui te possède, s’il renversait les murs de Troie. Mais lorsque le fils d’Achille fut de retour ici, je pardonnai à ton père, et je priai Néoptolème de renoncer à ton hymen, en lui disant mes infortunes et le mauvais génie qui me poursuit ; que je pourrais trouver une épouse dans ma famille, mais difficilement ailleurs, dans l’exil qui m’éloignait de ma patrie. Il répondit par des outrages, et me reprocha durement le meurtre de ma mère, et les Furies vengeresses. Humilié par mes calamités domestiques, je souffrais, oui je souffrais ; mais je supportai mon malheur, et, forcé de renoncer à ta main, je partis à regret. Maintenant que ta fortune a changé de face, et que, tombée dans l’adversité, tu ne sais que résoudre, je te tirerai de ces lieux, et te remettrai aux mains de ton père. Telle est la force des liens du sang ; et dans le malheur il n’est rien de meilleur que les affections de la famille.

Hermione

Pour ce qui est de mon hymen, ce soin regarde mon père, et ce n’est pas à moi d’en décider. Mais éloigne-moi au plus tôt de cette demeure ; craignons d’être prévenus par le retour de mon époux, et que Pélée, apprenant que j'abandonne le palais de son fils, ne se mette à ma poursuite avec des coursiers rapides.

Oreste

Ne redoute pas le bras d’un vieillard, et ne crains pas non plus le fils d’Achille, qui m’a outragé : cette main vient de lui dresser un piège mortel et inévitable ; je ne l’expliquerai pas d’avance, mais le rocher de Delphes le connaîtra quand il sera temps. Le parricide lui apprendra, si les serments de mes amis sont fidèlement gardés sur la terre delphique, qu’il ne devait pas épouser celle qui me fut promise. La vengeance qu’il a demandée à Apollon du meurtre de son père, lui coûtera cher, et son repentir lui servira peu auprès du dieu qui doit le punir. Mais la mort sera le châtiment de ses accusations contre le dieu et contre moi, et il apprendra ce que peut ma haine : car Dieu renverse la fortune de ses ennemis, et se plaît à briser leur orgueil.

Il sort avec Hermione.
le chœur

Ô Phébus, qui élevas de solides remparts sur la colline d’Ilion, et toi, dieu des mers, dont le char traîné par des chevaux marins traverse la plaine liquide, pourquoi avez-vous laissé outrager l’ouvrage de vos mains, en abandonnant la malheureuse Troie aux fureurs du dieu des combats ?

Vous avez attelé les chars belliqueux sur les bords du Simoïs ; vous avez moissonné les guerriers dans des combats meurtriers, pour lesquels il n’est point de couronne ; et les rois d’Ilion sont renversés dans la poussière : le feu ne brûle plus sur les autels des dieux dans Troie, et ne fait plus monter aux cieux la fumée des sacrifices.

Le fils d’Atrée est mort par la main de son épouse ; elle-même a payé son crime de la vie, en tombant sous les coups de son fils. La parole d’un dieu le fit agir : sur la foi de l’oracle, le fils d’Agamemnon, parti d’Argos, pénétra dans l’asile intérieur, et devint le meurtrier de sa mère !… Ô dieu ! ô Phébus ! comment pourrais-je le croire ? Combien de femmes, dans la Grèce, ont célébré par des gémissements et des cris douloureux la perte de leurs fils infortunés ! elles ont abandonné leurs maisons désertes, pour voler vers un nouvel époux.

Toi et les tiens, vous n’êtes pas les seuls que de cruels chagrins aient éprouvés : la Grèce a été en proie à des maux terribles ; et la foudre a sillonné les fertiles plaines de la Phrygie, en y semant la mort.


Pélée

Femmes de Phthie, répondez à mes questions : j’ai appris, par un bruit confus, que la fille de Ménélas a quitté ce palais et qu’elle est disparue. Je viens dans le désir de m’informer de la vérité ; car, en l’absence de nos amis, ceux qui restent doivent veiller sur leurs intérêts.

le chœur

Pélée, il est trop vrai : il ne serait pas convenable à moi de cacher un mal auquel je prends part moi-même. La reine s’est enfuie de ce palais.

Pélée

Quelle crainte l’y a portée ? Achève de m’instruire.

le chœur

Elle tremblait que son époux ne la forçât d’en sortir.

Pélée

Est-ce à cause du projet qu’elle avait conçu de faire périr cet enfant ?

le chœur

Oui, et par crainte de la captive, sa rivale.

Pélée

Est-ce avec son père qu’elle a fui ? ou quel autre l’accompagne ?

le chœur

C’est le fils d’Agamemnon qui l’a emmenée.

Pélée

Dans quel espoir ? Veut-il en faire son épouse ?

le chœur

Oui, et il médite la mort de ton fils.

Pélée

Par des embûches secrètes, ou en l’attaquant en face ?

le chœur

Dans le temple sacré d’Apollon, aidé des habitants de Delphes.

Pélée

Dieux ! quelle horreur !… Vite, courez au temple de Delphes ; racontez à nos amis ce qui s’est passé ici, et prévenez la mort du fils d’Achille.


le messager

Hélas ! quelle funeste nouvelle j’apporte pour toi, vieillard, et pour les amis de mon maître !

Pélée

Ah ! quel sinistre pressentiment saisit mon cœur !

le messager

Le fils de ton fils n’est plus, ô Pélée ! il est tombé sous les coups des habitants de Delphes et de l’étranger de Mycènes.

le chœur

Hélas ! hélas ! que vas tu devenir, vieillard ? Ne tombe pas… soutiens-toi.

Pélée

Je suis perdu, je me meurs ; la voix me manque, mes membres se dérobent sous moi.

le messager

Reprends tes forces, et écoute ce récit funeste, si tu veux venger les tiens.

Pélée

Ô destin, au dernier terme de la vieillesse, voilà les coups dont tu me frappes ! Comment est-il mort, cet unique enfant de mon unique fils ? Parle : je veux entendre ce récit, quelque pénible qu’il soit à entendre.

le messager

Depuis que nous étions arrivés sur la terre célèbre de Phébus, trois fois le soleil avait achevé sa course brillante, et nous avions donné ce temps à satisfaire notre curiosité ; cela parut suspect, et le peuple de ce pays consacré aux dieux s’assemblait tumultueusement : le fils d’Agamemnon, parcourant la ville, semait sourdement des discours hostiles contre nous. « Voyez, disait-il, cet étranger qui parcourt les grottes du dieu remplies d’or, trésor des mortels ; il vient, pour la seconde fois, dans le dessein qui déjà l’a amené, de piller le temple d’Apollon. » Dès lors cette rumeur dangereuse se répand dans la ville, les magistrats se rassemblent ; ils établissent des gardes dans les conseils, et, en particulier, tous ceux qui ont la charge de veiller sur les trésors sacrés mettent une garde dans le temple entouré de colonnades. Ignorant ce qui se passait, nous étions devant les autels, entourés de brebis nourries dans les bocages touffus du Parnasse ; près de nous étaient nos hôtes et les prophètes de Delphes. L’un d’eux dit à Néoptolème : « Jeune homme, que demanderons-nous au dieu pour toi ? quel est le sujet qui t’amène ? — Je viens, répondit-il, expier une faute que j’ai commise envers Phébus : je lui avais autrefois demandé vengeance du meurtre de mon père. » Mais Oreste fit prévaloir son accusation, que mon maître mentait, et qu’il était venu dans des intentions coupables. Celui-ci s’avance dans le sanctuaire du temple, pour invoquer Apollon en présence de l’oracle : il était occupé à observer la flamme des victimes. Une troupe d’hommes armés était cachée sous des lauriers voisins, conduite par le fils de Clytemnestre, auteur du complot. Pyrrhus debout, exposé à tous les regards, invoquait le dieu : la troupe, armée de glaives, fond à l’improviste sur le fils d’Achille, et le frappe. Il recule, car il n’était pas mortellement blessé, et, arrachant les armes suspendues au portique du temple, il se retire derrière l’autel, et se présente comme un guerrier terrible. Alors, élevant la voix, il s’adresse aux citoyens de Delphes : « Pourquoi me tuer, s’écrie-t-il, quand je viens dans des intentions pieuses ? Quelle est la cause de ma mort ? » Personne, dans cette multitude, ne prend la parole pour lui répondre : mais ils l’attaquent à coups de pierres. Accablé sous cette grêle, il se couvrait derrière ses armes, et parait les coups, en opposant son bouclier de côté et d’autre. Mais ce fut en vain ; des traits de toute espèce, les flèches, les dards, les broches des sacrifices, les couteaux à égorger les bœufs, tombaient à ses pieds. Tu aurais vu les bonds merveilleux[28] de ton fils pour éviter les attaques. Enfin, voyant qu’ils le tenaient enveloppé de toutes parts, sans lui laisser le temps de respirer, abandonnant le foyer de l’autel destiné à recevoir les victimes, il s’élance contre eux par un bond qui rappelait le saut troyen[29] : ceux-ci, comme des colombes à la vue de l’épervier, tournent le dos et se mettent à fuir. Ils tombent pêle-mêle, ou succombant sous leurs blessures, ou étouffés les uns par les autres à l’étroite issue des portes. Le lieu sacré retentit de clameurs profanes, répétées par les échos. Semblable au calme, mon maître brillait sous ses armes étincelantes, jusqu’à ce que, du milieu du sanctuaire, se fit entendre une voix terrible, effroyable, qui ranima la fureur assoupie et rappela ses ennemis au combat. Alors le fils d’Achille tomba, percé par un habitant de Delphes, qui le fit périr avec beaucoup d’autres. Dès qu’on le vit renversé, ce fut à qui l’atteindrait avec le fer ou avec les pierres, soit de loin, soit de près. Tout son beau corps est défiguré par d’horribles blessures. Ils enlevèrent son cadavre étendu près de l’autel, et le jetèrent hors du temple. Mais nous, aussitôt, nous avons recueilli cette triste dépouille, et nous te l’apportons, ô vieillard, pour que tu l’arroses de tes larmes et que tu l’enfermes dans la tombe. Voilà comment le dieu qui prophétise aux mortels, et qui rend la justice aux hommes, a reçu les expiations du fils d’Achille. Comme un homme méchant, il a fait revivre de vieilles querelles. Comment mériterait-il le nom de sage ?

le chœur

Voici le corps du roi qu’on apporte de la terre de Delphes dans ce palais. Ô malheureuse victime, et toi aussi malheureux vieillard, en quel état faut-il que tu revoies le jeune fils d’Achille ? En le frappant, le sort cruel t’a frappé toi-même.

Pélée

Hélas ! triste objet de douleur que je vois ici, et que mes mains reçoivent dans mon palais ! Hélas ! hélas ! ô ville de Thessalie ! je succombe, je meurs… je n’ai plus de postérité ; il ne me reste plus d’enfants dans ma maison ! Ô trop cruelle destinée ! Vers quel ami tourner mes yeux, pour adoucir l’amertume de ma douleur ? Ô bouche, ô joues, ô mains chéries ! Ah ! pourquoi le destin ne t’a-t-il pas frappé devant Troie, aux bords du Simoïs ?

le chœur

Sa mort, ô vieillard, en eût été plus glorieuse, et ton sort plus heureux.

Pélée

Ô funeste hyménée, qui as perdu ma ville et ma famille ! Ah ! plût au ciel que jamais ma race n’eût contracté cette alliance funeste ! que jamais, ô mon fils, le mauvais génie d’Hermione n’eût causé ta ruine ; mais qu’auparavant la foudre l’eût frappée ! Plût au ciel que jamais, pour venger ton père atteint par une flèche fatale, tu n’eusses accusé Phébus d’avoir versé le sang de ton père, le sang de Jupiter, osant, faible mortel, attaquer un dieu !

le chœur

Hélas ! hélas ! commençons à déplorer par des lamentations la mort de notre maître, selon la loi des mânes.

Pélée

Ah ! vieillard infortuné, je répondrai par des larmes à vos tristes accents.

le chœur

C’est par l'ordre d’un dieu ; un dieu a frappé ce coup affreux.

Pélée

Mon cher fils, tu laisses ta maison déserte et ton vieux père dans l’abandon.

le chœur

Ah ! vieillard, il fallait mourir avant de creuser la tombe de tes enfants.

Pélée

Arrachons mes cheveux blancs, frappons ma tête chenue et désolée ! Ô ma patrie, Phébus m’a ravi mes deux fils.

le chœur

Ô vieillard né pour souffrir et pour voir tant d’horreurs, quelle sera ta vie à l’avenir ?

Pélée

Sans enfants, dans l’abandon, sans voir de terme à mes malheurs, j’épuiserai mes souffrances jusqu’à la mort.

le chœur

En vain une déesse t’honora de son hymen.

Pélée

Frivole honneur dont je m’enorgueillissais ! tout a disparu, tout s’est évanoui.

le chœur

Tu erres solitaire dans ce palais désert.

Pélée

Pour moi plus de patrie. Loin de moi ce sceptre inutile ! Fille de Nérée, qui habites les antres sombres, je suis perdu sans ressources : tu me vois prosterné dans la poussière.

le chœur

Quel soudain tremblement ! un dieu fait sentir sa présence : voyez, mes amies, contemplez cette divinité qui traverse la lumière éthérée, et s’avance sur les fertiles prairies de Phthie.


Thétis

Pélée, en souvenir de notre ancien hymen, moi, Thétis, je quitte le séjour de Nérée ; et d’abord je t’engage à ne pas céder au désespoir, dans le malheur qui t’arrive. Moi-même, hélas ! qui n’aurais pas dû verser des larmes sur mes enfants, j’ai vu périr le fils que j’eus de toi, Achille aux pieds légers, le premier héros de la Grèce. Je vais te faire connaître le sujet qui m’amène ; écoute-moi. Ensevelis le fils d’Achille au pied de l’autel pythien ; que son tombeau soit un éternel reproche pour Delphes, et le monument honteux de la violence et de l’attentat d’Oreste. Quant à la captive Andromaque, elle doit demeurer chez les Molosses, et s’unir à Hélénus par un nœud légitime ; ce fils, seul reste des descendants d’Éaque, doit la suivre : de lui doit descendre une succession de rois qui gouverneront la Molossie avec gloire[30]. Car, vieillard, ta race et la mienne ne doit pas périr ainsi, ni celle de Troie ; elle aussi est l’objet de la sollicitude des dieux, quoique le ressentiment de Pallas l’ait renversée. Pour toi, pour que tu connaisses le prix de mon alliance, déesse et fille de dieu, je te délivrerai des maux de l’humanité ; je ferai de toi un dieu immortel et incorruptible. Désormais, devenu dieu, tu habiteras avec moi le palais de Nérée ; de là, sortant à pied sec du sein des eaux, tu verras Achille, notre fils chéri, habiter l'île aux rives blanchissantes, dans le détroit de l’Euxin[31]. Va donc dans la ville de Delphes, bâtie par la main des dieux ; reporte-s-y ce cadavre, et, après lui avoir donné la sépulture, reviens dans la grotte profonde de l’antique Sépias[32]. Attends là, jusqu’à ce que tu me voies sortir de la mer, suivie du chœur de cinquante Néréides, pour t’emmener au sein des eaux. Ce qui est arrêté par le Destin, tu dois le supporter : telle est la volonté de Jupiter. Cesse de pleurer les morts : c’est le sort que les dieux réservent aux humains ; tous doivent tribut à la mort.

Pélée

Fille de Nérée, illustre et généreuse épouse, je te salue : ta conduite est digne de toi et digne de tes enfants. Tu l’ordonnes, ô déesse, je calmerai ma douleur. Après avoir enseveli mon fils, je reviendrai aux grottes du Pélion, où j’ai tenu entre mes bras ton corps divin. La sagesse ne commande-t-elle pas de s’allier à des épouses issues d’un sang généreux, de marier ses enfants dans de vertueuses familles, et de ne pas convoiter une méchante femme, dût-elle apporter une dot opulente ? Jamais ainsi l’on n’aura à craindre la colère des dieux.

le chœur

Les destinées se manifestent sous bien des formes différentes ; les dieux accomplissent beaucoup de choses contre notre attente, et celles que nous attendions n’arrivent pas ; mais Dieu fraie la voie aux événements imprévus : ce qui vient de se passer en est une preuve éclatante[33].


Fin d’Andromaque.
  1. Andromaque était fille d’Éétion, roi de Thèbes en Cilicie.
  2. Le texte ajoute παιδοποιὸς, pour faire des enfants.
  3. Le meurtrier était Apollon lui-même.
  4. Voir, dans Sophocle, le début des Trachiniennes. Ovide, Métam., III, 155 :

    Expectanda dies hScilicet ultima semper
    Expectanda dies homini ; dicique beatus
    Ante obitum nemo, supremaque funera debet.

  5. Ce morceau est écrit en vers élégiaques.
  6. Virgile a suivi la donnée d’Euripide, Æneid., I, 487 :


    Ter circum Iliacos raptaverat Hectora muros.


    Mais Homère ne dit pas qu’Achille ait traîné trois fois le corps d’Hector autour des murs ; il dit seulement qu’il le traîna des murs de Troie au camp des Grecs. L’erreur est venue sans doute de ce qu’Homère dit ailleurs qu’Hector, en fuyant Achille, fit trois fois le tour des murs.

  7. Ceci semble indiquer qu’il y a une lacune et qu’il manque quelques vers. Sans doute le Chœur avait dit quelques mots, qui amenaient la réponse d’Hermione.
  8. C’est-à-dire de l’eau. Cette périphrase pompeuse, pour dire arroser les appartements, peut sembler assez étrange, immédiatement après un mot des plus vulgaires, balayer.
  9. Littéralement : « Tienne les rênes de deux femmes. »
  10. Ce vers a été parodié par Aristophane, dans les Grenouilles, v. 103 ; cependant le vers cité par le Scholiaste est assez différent de celui qu’offre à présent le texte d’Euripide. Voyez page 416 de ma seconde édition.
  11. Chez les anciens, pour faire périr les suppliants sans violer l’asile on les entourait de feu. V. Hercule furieux, v. 242. Plaute, Rudens, act. III, sc. 4, et Mostellaria, act. V, sc. 1..
  12. Selon le Scholiaste, on affermissait la base des statues par un ciment de plomb fondu. V. aussi Plutarque, De Orac. def. Vitruve parle également de cet usage pour fixer les attaches de fer dans les édifices.
  13. Une des superstitions antiques était de jeter derrière soi, par-dessus la tête, les objets expiatoires, sans les regarder. V. Virgile, Eclog., VIII, 102 :

    Fer cineres, Amarylli, foras, rivoque fluenti
    Transque caput iace ; nec respexeris.

  14. Les précédents traducteurs ont omis ce vers si froid, si ridicule même. Mais le traducteur a-t-il le droit de corriger l'auteur qu'il traduit ?
  15. Grec : « Suspendez mon cou. »
  16. Fleuve de Laconie.
  17. Barnès suppose que ce passage fait allusion à la cruauté des Lacédémoniens envers les Platéens, qu'ils massacrèrent jusqu'au dernier, après qu'ils se furent rendus, cinquième année de la guerre du Péloponnèse, Ol. 88. 3. Voyez Thucydide, I. III. Voyez aussi plus bas la note sur le vers 525.
  18. Littéralement : « Dont la lance fit souvent de toi un lâche matelot, au lieu d’un soldat de terre ferme. »
  19. Le grec dit : « Toi, conduis-moi plus vite. » Il s'adresse au serviteur qui guide ses pas.
  20. Sur ces exercices gymnastiques des jeunes filles lacédémoniennes, voyez Aristophane, Lysistrata, v. 81, page 322 de ma seconde édition.
  21. Grec : « Une chienne qui t'avait trahi. »
  22. Grec : « Fût-il trois fois bâtard. »
  23. Isocrate a fait usage de cette idée, dans son Éloge d'Hélène, vers la fin.
  24. Phocus, frère de Pélée ; l’un et l’autre étaient fils d’Éaque.
  25. Ce furent ces vers que Clytus prononça devant Alexandre, et qui causèrent sa mort. Voyez Plutarque, Vie d’Alexandre, et Quinte-Curce, I. VIII.
  26. Samuel Petit (Miscell., I. III, c. 16) pense que ceci fait allusion à la guerre des Lacédémoniens contre les Argiens, à cause des violences commises par ceux-ci contre Trézène, alliée de Lacédémone : ce qui lui sert à fixer la date de l'Andromaque à la deuxième année de la quatre-vingt-dixième olympiade, sous l'archonte Archias.
  27. Les îles Cyanées ou Symplégades, près du Bosphore de Thrace. Allusion au voyage des Argonautes. V. le début de Médée.
  28. Le texte dit, la pyrrhique, danse vive et guerrière, dont l’invention est attribuée à Pyrrhus.
  29. Allusion au saut d’Achille, lorsqu’il s’élança du vaisseau sur le rivage de Troie.
  30. La race des Éacides régna longtemps sur les Molosses. Le fameux Pyrrhus se glorifiait d'être issus du sang d'Achille. « Néoptolème, dit Plutarque (Vie de Pyrrhus), étant venu dans la Molossie avec beaucoup de troupes, s'empara de tout le pays, et laissa après lui une longue suite de rois, qui furent appelés les Pyrrhides ; car, dans son enfance, il avait eu le surnom de Pyrrhus. »
  31. Sur cette île, appelée Leucé, ou l'île blanche, et renommée pour avoir été le séjour d'Achille, voyez aussi Iphigénie en Tauride, v. 424, et Pindare, Nem., IV, 80.
  32. Hérodote (VII, 191) nous fournit le meilleur commentaire de ce passage. Après avoir parlé de la tempête essuyée par la flotte de Xerxès dans les environs du cap Sépias, il ajoute : « Les mages sacrifièrent à Thétis, d'après l'opinion des Ioniens, qui pensent que c'est dans ces parages qu’elle fut enlevée par Pélée, et que toute la côte de Sépias lui est consacrée, ainsi qu’aux autres Néréides. »
  33. Cette conclusion est aussi celle de Médée, d’Alceste, d’Hélène et des Bacchantes.