Théorie mathématique de la lumière/1/Chap.01

Georges Carré (1p. 3-48).

CHAPITRE PREMIER


ÉTUDE DES PETITS MOUVEMENTS DANS UN MILIEU ÉLASTIQUE

1. Première hypothèse. — Nous considérerons un milieu élastique comme formé de molécules séparées les unes des autres ; c’est-à-dire que nous admettrons la discontinuité de la matière. — Remarquons que la concordance des faits expérimentaux avec les conséquences mathématiques obtenues en partant de cette hypothèse n’est pas une preuve de la discontinuité de la matière. Cette hypothèse a seulement pour effet de simplifier les calculs ; on pourrait supposer la matière continue et la concordance que nous signalons existerait encore.

2. Seconde hypothèse. — Nous admettrons que les molécules sont soumises à certaines forces, qu’il existe une position d’équilibre stable du milieu, et que, si on écarte les molécules de leurs positions d’équilibre, puis qu’on les abandonne à elles-mêmes, elles prennent des mouvements d’oscillation très petits autour de leur position d’équilibre.

3. Équations du mouvement. — Considérons molécules de masses Les coordonnées d’une de ces molécules seront, dans la position d’équilibre,  ; après le déplacement, . Nous admettrons qu’il existe une fonction des forces , c’est-à-dire qu’il y a conservation de l’énergie. Les équations du mouvement de la molécule seront :

(1)

4. Propriétés de la fonction des forces. — Si on développe suivant les puissances croissantes des (en désignant par l’ensemble des quantités ), on a :

, qui représente le terme constant, peut être supposé nul, car la fonction n’entre dans les équations du mouvement que par ses dérivées.

, qui représente l’ensemble des termes du premier degré par rapport aux c’est-à-dire

est nul, car représente la projection sur de la force s’exerçant sur la molécule , force qui est nulle dans la position d’équilibre, c’est-à-dire pour . est nul, et par suite aussi.

Enfin, comme les quantités sont supposées très petites (2), on peut négliger les termes d’un degré supérieur au second par rapport aux et on a simplement :

(2)

est une forme quadratique par rapport aux quantités  ; on peut donc la mettre sous la forme d’une somme de carrés. Cette somme doit être négative, car, l’équilibre étant stable quand les sont nuls, la fonction doit passer par un maximum pour , et une des conditions pour qu’une fonction passe par un maximum est que l’ensemble des termes du second degré du développement soit négatif.

Si on divise les forces agissant sur le système en deux groupes, forces intérieures et forces extérieures, et si l’on désigne par la fonction des forces relative au premier groupe, par celle qui est relative au second groupe, on aura :

(3)

5. Propriétés des fonctions et . — Si les diverses molécules se déplacent de manière que leurs distances respectives ne varient pas, le travail des forces intérieures est nul ; est alors nulle. peut donc être considérée comme une fonction de la distance des molécules. En désignant par les carrés de ces distances, nous poserons :

(4)

6. Si nous supposons que deux molécules et s’attirent ou se repoussent suivant des forces égales, dirigées suivant la droite qui les joint, et ne dépendant que de la distance  ; en d’autres termes, si nous nous plaçons dans l’hypothèse des forces centrales, sera la somme des fonctions des forces relatives à deux molécules et  ; nous aurons dans ce cas :

(5)

7. Les forces extérieures au système peuvent être de deux espèces :

1o Les forces qui s’exercent à la fois sur les molécules intérieures et sur les molécules superficielles, comme, par exemple, les forces dues à la pesanteur.

2o Les forces qui n’agissent que sur les molécules superficielles, comme celles qui s’exercent sur la surface interne des parois d’une enceinte contenant un gaz.

Les forces du premier groupe ne se rencontrent pas en optique, l’éther étant supposé impondérable. Quant à celles du second groupe, nous n’avons pas le droit de nier leur existence. Si l’on suppose qu’elles n’existent pas, la fonction des forces relative aux forces extérieures au système est nulle. On a alors .

8. Nous pouvons développer les fonctions et par rapport aux puissances croissantes des , et nous aurons, en négligeant les puissances des supérieures au second degré :

En identifiant le développement de la fonction (4) avec la somme des fonctions et développées, nous obtiendrons les relations suivantes :

Nous pouvons d’ailleurs supposer que les constantes et sont séparément nulles.

9. Étude de la fonction . — Soient deux molécules et , dont les coordonnées sont dans la position d’équilibre,

Nous désignons par la notation l’accroissement d’une des coordonnées, car la distance de ces molécules voisines n’est pas infiniment petite. Le carré de cette distance est :

Si on écarte ces molécules de leurs positions d’équilibre, leurs coordonnées deviennent :

et le carré de leur distance est alors :

L’accroissement du carré de cette distance est donné par la relation :

et, si nous posons :
(8)
(9)
nous aurons, pour  :
(10)

La fonction des forces relative aux forces intérieures (5) a pour valeur, quand les molécules sont écartées de leurs positions d’équilibre :

et, si on la développe par rapport aux puissances croissantes des , on obtient :

Dans cette expression, le terme ne dépend pas du déplacement ; c’est donc le terme constant obtenu en développant la fonction par rapport aux  ; par suite, ce terme est nul. Comme les quantités sont du même ordre de grandeur que les , on peut, dans le développement de négliger les termes qui contiennent à un degré supérieur au second ; on a donc :

En remplaçant par la valeur tirée de la relation (10), on obtient :

(11)
Si maintenant on identifie ce développement avec celui de la même fonction par rapport aux (8), on a, pour le second terme ,
(12)

10. Dans le cas particulier où la pression extérieure est nulle dans la position d’équilibre, l’expression précédente permet de trouver six relations importantes. En effet, la fonction des forces relative aux forces extérieures a le second terme de son développement égal à zéro, puisque les dérivées partielles de par rapport aux quantités représentent les composantes de la pression extérieure ; la relation (6) montre que l’on doit avoir identiquement :

Une substitution quelconque faite dans à la place de doit donner pour résultat zéro ; en particulier, si on fait , on a
On aura évidemment aussi :

Si maintenant on fait la substitution on obtiendra :

et des substitutions analogues donneraient :

Ainsi, si la pression extérieure est nulle dans l’état d’équilibre, les six relations suivantes :

sont satisfaites. Cauchy a démontré que, réciproquement, si ces six relations sont satisfaites, la pression extérieure est nulle. Dans la suite du cours nous serons amenés à démontrer cette réciproque.

11. Le troisième terme du développement de par rapport aux quantités a pour expression, si on néglige les termes du troisième et du quatrième degré en  :

(15)
En substituant cette valeur de dans la relation (7), on obtient :

Le premier terme, , de cette expression ne jouera en général aucun rôle dans l’élasticité ; il ne dépend, en effet, que des pressions extérieures et ne peut provenir que des déplacements des molécules superficielles. Or, quand on étudie le mouvement dans un milieu indéfini, on est conduit à admettre que les quantités sont nulles à l’infini ; en outre, dans un milieu limité, les conséquences déduites des calculs dans lesquels la quantité est supposée nulle, rigoureusement vraies pour les portions du milieu situées à une certaine distance des surfaces extérieures, sont à peine modifiées pour les portions voisines de ces surfaces.

Le second terme

est nul dans un cas, celui où on suppose la pression extérieure nulle dans l’état d’équilibre. Cette propriété sera démontrée plus loin.

Quant au troisième terme, il subsiste dans tous les cas.

Enfin, le quatrième terme, , disparaît dans l’hypothèse des forces centrales. Nous avons vu (6) que cette hypothèse réduisait la fonction à une somme de termes dont chacun ne dépendait que d’une seule quantité. En différentiant la relation (5) par rapport à , on obtient :

,
et, comme la fonction est indépendante de , une nouvelle différentiation par rapport à donnera pour résultat :
.

Le quatrième terme de la fonction est donc nul dans ce cas.

12. Troisième hypothèse. — Nous allons maintenant introduire dans notre étude une nouvelle hypothèse. Nous supposerons que les molécules des corps, extrêmement nombreuses et séparées par des intervalles très petits, n’exercent leurs actions mutuelles qu’à des distances très petites. La distance maxima à laquelle ces actions peuvent s’exercer s’appelle le rayon d’activité moléculaire.

L’introduction de cette hypothèse va nous permettre de simplifier l’expression de la fonction
Fig. 1.
Considérons un certain volume occupé par le milieu élastique et divisons ce volume en deux parties et (fig. 1). La fonction des forces dues aux actions mutuelles des molécules du volume total pourra être considérée comme la somme des trois quantités suivantes : 1o du potentiel relatif aux actions mutuelles des molécules du volume 2o du potentiel dû aux actions mutuelles des molécules du volume 3o enfin, du potentiel résultant de l’action des molécules du volume sur les molécules du volume Ce dernier potentiel est très petit. En effet, les molécules réagissant l’une sur l’autre doivent être à une distance moindre que le rayon de la sphère d’activité moléculaire ; par suite, les molécules du volume agissant sur celles du volume et les molécules du volume agissant sur celle du volume seront comprises à l’intérieur d’un volume limité par deux surfaces parallèles à la surface de séparation de et de et situées à une distance de cette surface égale au rayon d’activité moléculaire. Ce volume sera négligeable par rapport à et à et, si nous admettons que le nombre des molécules d’un milieu est proportionnel au volume qu’elles occupent, les molécules de chacun des volumes et qui réagissent sur les molécules de l’autre volume seront en nombre négligeable par rapport aux molécules contenues dans ou dans Par conséquent, le potentiel dû à l’action des molécules du volume sur celles du volume pourra être négligé vis à vis de et on aura :

Ce raisonnement subsiste d’ailleurs si on divise le volume occupé par le milieu élastique en un nombre infiniment grand de volumes infiniment petits, pourvu que les dimensions de ces volumes élémentaires restent infiniment grandes par rapport au rayon d’activité moléculaire ; cela sera toujours possible puisque ce rayon est un infiniment petit en valeur absolue. En désignant par un de ces éléments de volume, par le potentiel dû aux actions mutuelles des molécules situées à l’intérieur de cet élément, le potentiel des forces intérieures du volume total sera :

(16)

13. Nous pouvons développer suivant les puissances croissantes des et, en négligeant les termes d’un degré supérieur au second, nous aurons :

Le terme constant peut être supposé nul et la relation (16) nous donnera :

(17)
(18)

La fonction des forces qui entre dans les équations du mouvement deviendra, en tenant compte de la relation (7) :

(19)

Nous pouvons aussi développer la fonction suivant les puissances croissantes des comme nous l’avons fait pour la fonction et, en nous reportant à la formule (15), nous écrirons :

(20)
la sommation s’étendant seulement aux molécules de l’élément

La quantité étant homogène et linéaire par rapport aux quantités et étant homogène et du second degré par rapport à ces mêmes quantités, il résulte de l’expression précédente que est une fonction homogène et du second degré de

14. Nouvelles hypothèses. — Nous admettrons que les déplacements sont des fonctions continues des coordonnées de la molécule dans la position d’équilibre, et qu’il en est de même de leurs dérivées successives. Cette hypothèse est légitime ; car, s’il en était autrement et si le déplacement relatif de deux molécules très voisines n’était pas très petit, il en résulterait des réactions élastiques très considérables qui ne permettraient pas à un pareil état de choses de subsister.

La continuité des fonctions et de leurs dérivées étant admise, nous pouvons développer ces fonctions suivant les puissances croissantes des variables et nous aurons :

Les quantités qui sont les accroissements des coordonnées quand on passe d’une molécule à une molécule voisine, sont de l’ordre du rayon d’activité moléculaire ; les carrés de ces quantités seront des infiniment petits qu’en général on pourra supprimer. Nous verrons cependant qu’on n’a pas toujours le droit de faire disparaître ces carrés, et que l’une des théories données pour l’explication de la dispersion de la lumière nécessite leur conservation. En les supprimant, sont données par des fonctions linéaires et homogènes des neuf dérivées partielles :

On a :
(21)

15. Étude de la fonction — Nous avons vu (13) que était une fonction homogène du second degré par rapport aux quantités c’est donc aussi une fonction homogène et du second ordre par rapport aux neuf dérivées partielles dérivées que nous représenterons souvent dans la suite par la notation de Lagrange : Une forme quadratique à neuf variables indépendantes contient neuf termes carrés et un nombre de termes rectangles égal au nombre des combinaisons de neuf objets deux à deux : elle peut donc renfermer quarante-cinq coefficients arbitraires. Nous allons chercher le nombre des coefficients de la fonction

Considérons d’abord le premier terme de cette fonction développée suivant la formule (20). Les termes en qui entrent dans ne peuvent provenir que de car, ni ni ne renferment Or on a, en élevant au carré les deux membres de la première des relations (21) :

et le coefficient de dans est :

On trouverait la même quantité pour le coefficient de et de Les coefficients des carrés des neuf dérivées partielles se réduisent donc à trois :

Le coefficient du double produit est Il est facile de voir, en développant les carrés de et de que les produits ont pour coefficients cette même quantité. Les coefficients des neuf doubles produits qui entrent dans se réduisent donc aux trois suivants :

Par conséquent le premier terme de ne contient que six coefficients arbitraires. Ces six coefficients sont nuls quand on suppose la pression extérieure nulle dans l’état d’équilibre, ainsi que nous l’avons établi au no 10.

16. Les deux derniers termes de sont homogènes en et En remplaçant, dans l’expression de

par leurs valeurs (21), on trouve :
(22)

c’est-à-dire que est une fonction linéaire et homogène des six quantités

La somme des deux derniers termes de est donc une fonction homogène et du second degré de ces six quantités ; par suite elle ne contiendra que coefficients arbitraires ( coefficients pour les carrés et pour les doubles produits).

17. Nous voyons déjà que, dans le cas le plus général, la fonction ne contiendra que coefficients arbitraires, nombre qui se réduira à quand la pression extérieure sera nulle dans l’état d’équilibre.

Dans l’hypothèse des forces centrales, nous avons vu (11) que l’on avait :

Le troisième terme du développement (20) de disparaît, et si, dans le second terme, on remplace par sa valeur tirée de la relation (22), on constate que, parmi les coefficients, six sont égaux deux à deux. Ainsi on a :

Le nombre des coefficients arbitraires se trouve alors réduit à

En résumé, nous aurons dans

1o coefficients arbitraires dans le cas général ;

2o coefficients quand la pression extérieure est nulle dans l’état d’équilibre et que les forces ne sont pas centrales ;

3o coefficients quand les forces sont centrales et la pression extérieure différente de zéro dans l’état d’équilibre (hypothèses de Cauchy) ;

4o coefficients quand les forces sont centrales et la pression extérieure nulle dans l’état d’équilibre.

La valeur de ces coefficients, dans un milieu quelconque, dépendra en général des coordonnées du centre de gravité de l’élément de volume Pour simplifier la question et nous placer dans le cas le plus ordinaire, nous supposerons le milieu homogène : les coefficients deviendront des constantes.

18. Fonctions isotropes. — Un milieu homogène est dit isotrope quand, dans ce milieu, toutes les directions sont identiques. L’éther dans le vide, les corps gazeux, les liquides, les solides amorphes sont isotropes ; les solides cristallisés ne le sont pas. De cette définition il résulte que, dans un isotrope, un plan quelconque est un plan de symétrie ; en particulier les plans de coordonnées sont des plans de symétrie. Les équations du mouvement et, par suite, la fonction ne doivent pas changer quand on substitue et à et ou et à et ou enfin et à et Remarquons d’ailleurs que les corps isotropes ne sont pas les seuls qui jouissent de cette propriété : elle appartient à tous les corps cristallisés qui possèdent trois plans de symétrie rectangulaires, c’est-à-dire aux corps cristallisés appartenant aux quatre premiers systèmes cristallins. Pour ces corps et les isotropes la fonction ne doit pas contenir de termes changeant de signe par l’une des trois substitutions précédentes ; il est facile de reconnaître que les termes qui peuvent subsister forment quatre groupes :

1o les termes carrés de la forme 2o ceux de la forme 3o les termes rectangles tels que 4o le terme et ceux qu’on en déduit par permutation.

Dans les corps isotropes et les corps cristallisés du système cubique, tous les termes d’un même groupe ont le même coefficient. En effet, dans ces corps les trois directions des axes de coordonnées jouent le même rôle ; par conséquent, nous pouvons permuter deux des axes ou les trois axes sans changer c’est-à-dire que doit conserver la même valeur quand on y permute, par exemple, et et Pour qu’il en soit ainsi il faut que les coefficients des termes soient les mêmes : par suite, les termes du premier groupe entrent dans la fonction par leur somme :

Comme il en est de même pour les termes des trois autres groupes, la fonction est la somme de quatre polynômes, homogènes et du second degré par rapport aux neuf dérivées partielles, multipliés respectivement par des coefficients numériques. Ces quatre polynômes sont :

19. Il reste à chercher si ces quatre polynômes indépendants subsisteront dans le cas d’un corps parfaitement isotrope. Nous allons montrer qu’ils se réduisent à trois que nous appellerons polynômes isotropes.

Puisque dans un corps isotrope toutes les directions sont identiques, l’expression d’un polynôme isotrope ne doit pas changer quand on fait un changement quelconque de coordonnées en conservant la même origine ; la forme d’un polynôme isotrope doit être indépendante du choix des axes.


Fig. 2.

Soient les coordonnées d’une molécule (fig. 2) d’un milieu isotrope ; celles d’une molécule voisine Lorsque la molécule sera dérangée de sa position d’équilibre, elle viendra en dont les coordonnées sont la molécule occupera le point de coordonnées Par le point menons la droite égale et parallèle à et joignons à Par le point origine des coordonnées, traçons une droite égale et parallèle à et une droite égale et parallèle à les coordonnées du point seront celles du point seront En désignant par la longueur de la droite nous aurons :

(23)

et comme, d’après les équations (21), sont des fonctions homogènes et du premier degré par rapport à est une fonction homogène et du second degré par rapport aux coordonnées du point Par suite le lieu des points tels que la longueur reste constante est un ellipsoïde dont le centre est en Le milieu étant isotrope on doit trouver le même ellipsoïde, quelle que soit la direction des axes. L’équation de l’ellipsoïde dépendra naturellement du choix des axes ; mais l’ellipsoïde lui-même ne changera pas quand on changera les trois plans de coordonnées. Or on sait que, si un ellipsoïde est fixe dans l’espace, il existe certaines fonctions des coefficients de son équation connues sous le nom d’invariants, qui sont indépendantes du choix des axes ; elles devront être des fonctions isotropes. L’un des invariants est la somme des carrés des coefficients des termes carrés. Pour le trouver, remplaçons dans l’équation (23) les quantités par les valeurs (21). Nous aurons entre les coordonnées du point une relation qui sera précisément l’équation de notre ellipsoïde et nous obtiendrons pour le coefficient de la somme :

celui de sera :
et celui de

La somme de ces trois coefficients sera donc une fonction isotrope. Nous la désignerons par ce sera la somme des carrés des neuf dérivées partielles

(24) .

20. Pour trouver d’autres fonctions isotropes, considérons le cas où les molécules et se déplacent de façon que la droite reste toujours parallèle à elle-même : les droites et sont parallèles, et, en désignant par le rapport de leurs longueurs, on a :

Si on porte ces valeurs dans les équations (21) du no 14, on obtient :

et l’élimination de entre ces équations conduit au déterminant :

Cette équation déterminera Or cette quantité est évidemment indépendante du choix des axes de coordonnées, par conséquent les coefficients de cette équation en sont des invariants. Le coefficient du terme en est :

Nous désignerons cette nouvelle fonction isotrope par et, comme elle entrera au second degré dans la fonction nous considérerons son carré :

(25)

21. Cette fonction a une signification géométrique intéressante.

Le volume d’une portion du milieu élastique dans sa position d’équilibre a pour expression :

Par suite de la déformation du milieu, les coordonnées du centre de gravité de chaque élément du volume deviennent et le volume de la portion considérée prend pour valeur :

Rappelons que, si l’on a une intégrale

sont des fonctions de trois nouvelles variables cette intégrale devient, lorsqu’on prend pour variables

désignant le déterminant fonctionnel de par rapport à En nous appuyant sur ce théorème nous aurons, pour l’expression du volume après la déformation :

Le déterminant fonctionnel qui entre dans cette intégrale a pour valeur :

et si, dans le développement de ce déterminant, on néglige les puissances des dérivées qui sont supérieures au premier degré, on obtient :

c’est-à-dire

Si nous portons cette valeur du déterminant fonctionnel dans l’intégrale qui donne le volume après la déformation, nous obtenons :

Un élément de volume devient donc, après la déformation, par suite est le coefficient de dilatation cubique du milieu.

22. Revenons à notre équation en Le coefficient du terme en est :

(26)
C’est un troisième polynôme isotrope qui peut s’écrire :

23. Les trois polynômes isotropes du second degré sont trois polynômes indépendants. Il ne peut y en avoir d’autres, car, s’il y en avait quatre, tous les corps jouissant de la symétrie cubique, pour laquelle la fonction est une somme de quatre polynômes du second degré et indépendants, jouiraient en même temps de l’isotropie. D’ailleurs le premier des polynômes qui entre dans dans le cas des corps à symétrie cubique (18) :

n’est pas un polynôme isotrope, car il change quand on fait tourner les axes, comme il est facile de s’en convaincre en faisant tourner les axes des et des de dans le plan des

24. Expression de dans le cas des corps isotropes. — La fonction ne peut contenir que les trois polynômes isotropes que nous venons de trouver, et comme cette fonction est homogène et du second degré par rapport aux neuf dérivées partielles elle doit être linéaire et homogène par rapport aux trois polynômes isotropes qui sont eux mêmes homogènes et du second degré par rapport aux neuf dérivées partielles ; elle sera de la forme

(27)

Comparons cette expression au développement (20) de cette même fonction. Le premier terme de ce développement et l’ensemble des deux derniers devront être séparément isotropes, car, dans un milieu isotrope, toute fonction symétrique des distances mutuelles des points occupés par les molécules avant et après le déplacement doit être une fonction isotrope.

Considérons d’abord le premier terme de cette expression ; nous allons démontrer qu’il est égal au polynôme multiplié par un facteur constant.

Dans l’étude de la fonction (15) nous avons vu que, si on remplaçait dans le premier terme du développement de cette fonction les quantités par leurs valeurs données par les relations (21), nous obtenions pour ce terme un polynôme homogène et du second degré par rapport aux neuf dérivées partielles, contenant les carrés de ces dérivées et les neuf doubles produits de la forme Mais ce terme, étant une fonction isotrope, ne peut contenir ces doubles produits qui ne rentrent pas dans les quatre groupes des termes subsistant dans le cas des corps à symétrie cubique (18) ; le premier terme de se réduit donc à un polynôme ne contenant que les carrés des dérivées partielles. Il ne peut renfermer ni ni car dans la fonction se trouvent des doubles produits tels que ne pouvant se réduire avec les doubles produits de qui ne sont pas de cette forme. Nous devons donc avoir :

(28)

25. L’ensemble des deux derniers termes :

du développement (20) de la fonction est aussi, dans le cas des corps isotropes, une fonction isotrope, et des relations (20), (27) et (28) nous déduisons l’égalité

(29)

Dans l’étude de la fonction (16), nous avons montré que, dans le cas général, le premier membre de cette égalité est une fonction homogène et du second degré des six quantités :

Les termes et ne peuvent provenir que du carré de la quantité par conséquent, ces termes doivent avoir même coefficient. Or le terme ne se trouve que dans la fonction où il a le coefficient il entrera donc dans le second membre de la relation (29) avec le coefficient Le terme ne peut provenir que de la fonction où il a le coefficient son coefficient, dans le second membre de (29), sera Les deux termes considérés ayant le même coefficient dans le premier membre de la relation, il doit en être de même dans le second membre ; par suite, nous aurons :

(30)

26. Quand on suppose que la pression extérieure est nulle dans l’état d’équilibre, le terme du développement (20) disparaît (15) ; par conséquent est nul et la relation précédente devient :

(31)

Il ne reste alors que deux coefficients arbitraires dans la fonction

Dans l’hypothèse des forces centrales le terme est nul (17), et le premier membre de la relation (29) se réduit à Or nous avons vu que, si on remplace par sa valeur tirée de la relation (22), on obtenait

par suite, le coefficient de doit être égal à celui de dans le premier membre de l’égalité (29), et il doit en être de même dans le second membre. Le terme s’y trouve avec le coefficient le terme entrant dans avec le coefficient et dans avec le coefficient il est dans le second membre de (29) avec le coefficient Par conséquent, on a la relation :

En y remplaçant par sa valeur donnée par (30), on obtient :

(32)

et le nombre des coefficients arbitraires se trouve réduit à deux.

27. En résumé, la fonction relative aux forces intérieures qui résultent de la déformation d’un milieu isotrope est une fonction homogène et du second degré des neuf dérivées des quantités qui contient au plus trois coefficients arbitraires Le nombre de ces coefficients pouvant se réduire dans certains cas particuliers, nous aurons :

1o Trois coefficients arbitraires dans le cas général ;

2o Deux coefficients quand la pression extérieure est nulle dans l’état d’équilibre et que les forces ne sont pas centrales ;

3o Deux coefficients quand les forces sont centrales et la pression extérieure différente de zéro dans l’état d’équilibre (hypothèses de Cauchy) ;

4o Un seul coefficient quand les forces sont centrales et la pression extérieure nulle dans l’état d’équilibre, car, dans ce cas, les relations (31) et (32) sont vérifiées simultanément.

28. Expression de en fonction des dérivées partielles. — La fonction est le terme du premier degré du développement de la fonction par rapport aux puissances croissantes des (13) ; cette dernière fonction peut comme la fonction être développée par rapport aux puissances croissantes des et, en nous reportant aux relations (12) et (17), nous obtiendrons :

la sommation s’étendant seulement aux molécules de l’élément de volume En remplaçant par sa valeur tirée de la relation (22), la fonction devient :

C’est donc une fonction homogène et du premier degré par rapport aux neuf dérivées partielles.

29. Pressions extérieures. — Équations du mouvement. — Considérons une surface fermée (fig1) divisant le milieu élastique en deux parties : l’une intérieure à la surface, l’autre extérieure. Les diverses molécules de exercent des actions sur les molécules de mais, le rayon de la sphère d’activité moléculaire étant très petit, il n’y a que les molécules de voisines de la surface qui sont soumises aux actions de Ces actions peuvent être remplacées par un système de forces appliquées aux éléments de la surface et qui, en général, agiront obliquement sur l’élément considéré. Nous désignerons par

les composantes suivant les trois axes de la pression s’exerçant sur l’élément ce sont des forces extérieures au système, si on ne considère que le volume limité par la surface. L’application du principe de d’Alembert et du principe des vitesses virtuelles à ce système va nous permettre de trouver les valeurs des composantes des pressions, et, en même temps, nous donner une nouvelle forme des équations du mouvement.

Si est la densité d’un élément de volume (la lettre sera désormais exclusivement employée dans ce sens), la masse de l’élément est et les trois composantes de la force d’inertie qu’il faut supposer appliquée à cet élément, pour que, d’après le principe de d’Alembert, cet élément puisse être considéré comme étant en équilibre, sont :

Tous les éléments du volume étant en équilibre sous l’action des forces effectives et des forces d’inertie, on pourra appliquer à ce volume le principe des vitesses virtuelles : dans un système en équilibre la somme des travaux virtuels est nulle. En désignant par la fonction des forces relatives aux forces intérieures et extérieures à la somme des travaux virtuels de ces forces est et, en appelant les projections du déplacement virtuel d’un élément le travail virtuel de la force d’inertie est :

La somme des travaux de toutes les forces d’inertie sera :

et, d’après le principe des vitesses virtuelles, on aura :
(33)
quels que soient

Remarquons que, d’après la relation (19), nous avons :

étant la somme des travaux virtuels des forces extérieures, c’est-à-dire des pressions précédemment définies, nous aurons donc :

l’intégrale étant étendue à toute la surface Si on suppose que les composantes et du déplacement sont nulles, le travail virtuel des forces extérieures se réduit à :

La fonction relative aux forces intérieures est une fonction des neuf dérivées partielles des Par suite du déplacement virtuel donné au système, chacune de ces dérivées varie en général, mais dans le cas particulier où l’on a les seules dérivées qui changent de valeur sont Par conséquent :

Or c’est-à-dire est égal à et l’expression de devient

Par suite, on a :

et, en portant cette valeur dans l’égalité (33) où l’on fait dans le terme relatif aux travaux des forces d’inertie, on obtient :

(34)

30. Il faut maintenant transformer cette expression qui contient à la fois et la dérivée de cette quantité par rapport à Pour cela nous nous appuierons sur le lemme suivant, qui sert ordinairement à la démonstration du théorème de Green dans la théorie du potentiel :

Étant donnée une fonction des coordonnées d’un point, l’intégrale de la différentielle est le premier cosinus directeur de la normale à l’élément d’une surface fermée cette intégrale étant étendue à tous les éléments de la surface est égale à l’intégrale de la différentielle étendue à tous les éléments du volume limité par la surface

Si nous posons :

nous aurons :
ou, en développant l’intégrale du second membre,
Nous obtiendrons de la même manière les deux relations :

En additionnant ces trois relations membre à membre, nous avons :

ou,

Le premier membre de cette relation est précisément le terme de l’égalité (34) qui contient la dérivée de remplaçons ce terme par sa valeur, nous obtiendrons :

ou, en réunissant sous le même signe les quantités qui subissent la même intégration,

Cette égalité devant avoir lieu, quel que soit il faut que les coefficients de et de soient nuls ; par conséquent, nous aurons :

(35)
(36)

31. La première de ces égalités donne la valeur de la composante de la pression suivant l’axe des en posant

l’expression de cette composante devient :

Considérons l’une des quantités qui entrent dans cette expression, on a :

Or est une fonction linéaire et homogène des dérivées partielles, une fonction du second degré de ces mêmes quantités, donc le premier terme de est une constante et le second une fonction du premier degré des dérivées partielles. Lorsque le milieu est dans sa position d’équilibre, les quantités sont nulles et, comme zéro est un minimum pour ces quantités, leurs dérivées sont nulles aussi ; le second terme de disparaît et la valeur de dans la position d’équilibre est :

Si l’on se reporte à la valeur de que nous avons trouvée (28), on voit que :

On trouverait que, pour la position d’équilibre du système, on a de même :

Ces expressions montrent que, si les six quantités

sont nulles, la pression extérieure est nulle dans l’état d’équilibre. C’est la réciproque de la propriété que nous avons démontrée au no 10.

32. Considérons maintenant l’équation (36) qui est une des équations du mouvement ; en y remplaçant par son développement elle devient :

étant linéaire et homogène par rapport aux dérivées partielles, est une constante ; la dérivée de cette fonction par rapport à est nulle et le premier terme du second membre de l’équation disparaît. Les équations du mouvement se réduiront donc à :

33. Équations du mouvement dans les corps isotropes. — Dans le cas des corps isotropes, la fonction est donnée par la relation (27) (24) :

En portant cette valeur dans les équations du mouvement, la première de ces équations devient :

Cherchons la valeur de chacun des termes qui composent le second membre.

De la valeur de donnée par la relation (26) (22) on tire :

et, par suite,

En additionnant ces dernières égalités, on obtient :

le coefficient disparaît donc des équations du mouvement, mais il entrerait dans la valeur des pressions si l’on cherchait ces quantités dans le cas des corps isotropes.

En se reportant à la valeur de donnée par la relation (24) :

on en déduit :
et

Cherchons maintenant la valeur du terme contenant nous aurons

et

Par conséquent, les équations du mouvement deviennent :

(38)

Elles contiennent deux coefficients arbitraires, qui se réduisent à un seul dans le cas où les forces sont centrales et la pression extérieure nulle dans l’état d’équilibre. On a vu, en effet (27), que l’on avait alors :

ce qui donne

34. Mouvements longitudinaux et mouvements transversaux. — Nous allons montrer que le mouvement d’une molécule d’un milieu isotrope peut être considéré comme résultant de la superposition de deux mouvements ; nous appellerons l’un, mouvement transversal, l’autre, mouvement longitudinal, et nous justifierons plus tard ces dénominations.

Prenons les équations (38), dérivons la première par rapport à la seconde par rapport à la troisième par rapport à et additionnons ; nous obtiendrons

Or, on a, d’après la relation (25) :

par suite
et

On voit donc que la somme précédente peut s’écrire :

équation différentielle à laquelle doit satisfaire la fonction Si on suppose qu’à l’origine des temps, c’est-à-dire pour la fonction et sa dérivée par rapport au temps sont nulles, l’équation précédente montre que la dérivée seconde est encore nulle. En dérivant cette équation, on en obtiendrait une nouvelle de laquelle on conclurait facilement que la dérivée troisième de par rapport au temps est nulle pour Les autres dérivées seraient également nulles, ce qui exige que la fonction soit identiquement nulle. Les petits mouvements pour lesquels la fonction est identiquement nulle sont les mouvements appelés transversaux.

35. Considérons les quantités

et cherchons l’équation différentielle qui les lie. Pour cela, différentions la seconde des équations (38) par rapport à la troisième par rapport à et retranchons : nous aurons

ou
Nous obtiendrions de la même manière deux autres relations analogues :

Si, pour les quantités et leurs dérivées du premier ordre sont nulles, les relations précédentes montrent que, pour cette même valeur de les dérivées de second ordre le sont aussi. En différentiant ces relations, on en obtiendrait de nouvelles montrant que les dérivées du troisième ordre sont nulles pour Par conséquent les fonctions sont identiquement nulles. Les mouvements pour lesquels il en est ainsi sont appelés mouvements longitudinaux.

36. Remarquons que les trois relations identiques

sont les trois conditions nécessaires et suffisantes pour que la quantité

soit une différentielle exacte. Dans le cas des mouvements longitudinaux, nous pouvons donc poser

et alors on a :

37. Ces préliminaires établis, considérons un déplacement Pour démontrer que le mouvement peut être considéré comme résultant de la superposition d’un mouvement longitudinal et d’un mouvement transversal, il faut montrer que l’on peut avoir

se rapportant à un mouvement transversal, et à un mouvement longitudinal. Nous aurons, d’après ce qui précède :

et, par suite,

satisfaisant à l’équation différentielle des mouvements transversaux,

Différentions successivement par rapport à et additionnons : nous aurons

relation qui, d’après nos hypothèses, se réduit à

D’après l’équation de Poisson, la somme des dérivées secondes du potentiel en un point est égale à étant la densité de la matière attirante au point considéré ; on aura donc une fonction satisfaisant à la relation

en cherchant le potentiel dû à l’attraction d’une matière attirante dont la densité serait Il existe toujours une telle fonction, et, par conséquent, le mouvement d’une molécule peut toujours être considéré comme résultant de la superposition d’un mouvement longitudinal et d’un mouvement transversal.

38. Équations des mouvements transversaux dans les corps isotropes. — Les équations des mouvements transversaux dans les corps isotropes s’obtiendront en faisant dans les équations (38) ; elles seront :

(39)

39. Équations des mouvements longitudinaux.

Les équations des mouvements longitudinaux prennent également une forme simple. On sait que

donc
mais, puisque sont nuls, on a
d’où l’on tire :

En portant ces valeurs dans l’expression de on obtient

et si on remplace par cette valeur dans les équations (38), on a, pour les équations des mouvements longitudinaux :

(40)