Théorie et pratique des droits de l’homme/Chapitre 2

Traduction par F. Lanthenas.
R. Vatar fils (p. 12-14).


CHAPITRE II.


De l’origine des anciens gouvernemens actuels.


Il est impossible que les gouvernemens qui ont existé jusqu’à présent sur la terre, puissent avoir commencé autrement que par une violation de tous les principes. L’obscurité qui enveloppe leur origine prouve les iniquités qui ont présidé à leur formation. Mais l’origine des gouvernemens actuels de l’amérique & de la france ne s’effacera jamais, parce qu’il est honorable de s’en souvenir ; tandis que la flatterie a enseveli les autres dans la poussière des temps & sans aucune inscription.

Dans les âges anciens où les hommes étoient occupés isolément du soin de leurs troupeaux, il ne fut point difficile à des bandes de brigands de bouleverser une contrée & de la mettre à contribution. Leur pouvoir établi, le chef quitta le nom de voleur pour celui de monarque, de là l’origine des monarchies & des rois.

L’origine du gouvernement anglais à l’époque qu’on nomme celle de la monarchie, quoique des plus anciennes, est encore dans la mémoire des hommes. La haine pour les normands & leur tyrannie a poussé de trop profondes racines pour tomber dans l’oubli ; aucun courtisan ne parlera du couvre feu[1], mais aucun village de l’angleterre n’en a perdu le souvenir.

Ces bandes de voleurs ayant partagé la terre & formé leurs souverainetés, commencèrent à se quereller. Il parut juste à plusieurs que ce qui avoit été enlevé par la violence pouvoit être légitimement pris une seconde fois ; un second brigand déposséda le premier. Successivement ils s’emparèrent des souverainetés qu’ils s’étoient eux-mêmes assignées, & la barbarie avec laquelle ils se traitaient entr’eux, montre le caractère primitif de la monarchie ; un scélérat torturant un autre scélérat. Le conquérant voyant dans l’homme soumis, non un prisonnier, mais une propriété ; il le traînoit dans son triomphe chargé de chaînes & le condamnoit par caprice à la mort ou à l’esclavage. Lorsque le temps eut effacé la mémoire de cette origine, les successeurs prirent une forme nouvelle, mais leurs principes & leur but restèrent les mêmes. Ce qui étoit pillage, ils l’admirent sous le nom modéré d’impôt, & leur pouvoir usurpé dans l’origine devint un droit héréditaire.

Que peut-on attendre d’une telle origine de gouvernemens ? Un systême continuel de guerre & d’extorsion. Il s’est établi en trafic. Ce vice n’est pas d’un seul gouvernement, mais le principe commun de tous. Il ne peut exister dans de pareils gouvernemens aucun germe de réforme, le remède le plus efficace est de recommencer l’ouvrage.

Quelles scènes d’horreur, quels rafinemens d’iniquité se présentent d’eux-mêmes dans la contemplation du caractère & dans l’histoire de pareils gouvernemens. Si nous voulions peindre la nature humaine avec une telle bassesse de cœur & une telle hypocrisie qu’on fût forcé d’en reculer d’horreur, que l’humanité la désavouera ; c’est d’après vous, rois courtisans, diplomates, qu’il faudroit tracer ce portrait. L’homme tel qu’il est avec tous les vices qu’il tient de la nature, n’est pas au niveau de ce caractère.

Peut-on supposer que si les gouvernemens avoient été formés dès leur origine sur des principes, & n’eussent pas été intéressés à des principes contraires, le monde eut existé dans cet état de malheurs & de dissentions ? Quel motif auroit dans cet état le fermier pour quitter sa charrue, afin d’attaquer le cultivateur d’un autre pays ? Quel motif auroit le manufacturier ? Quel prix a la domination pour lui & pour telle autre classe de la société ? augmente-t-elle d’un seul arpent la fortune d’aucun individu ? augmente-t-elle la valeur de l’arpent ? Le prix d’une victoire ou d’une défaite n’est-il pas le même ? Un surcroît d’impôt n’en est-il pas la conséquence inévitable ? Mais cette manière de raisonner qu’adopte une nation, ne plaît pas à un gouvernement. La guerre est une table de biribi, où les gouvernemens sont les banquiers & les nations les dupes.

Si quelque chose peut surprendre dans ce tableau des gouvernemens, ce sont les progrès des arts paisibles, de l’agriculture, des manufactures & du commerce, sous cette longue accumulation de découragement & d’oppression : il sert à faire voir que l’instinct n’agit pas par de plus fortes impulsions sur les animaux, que le besoin de la société & de la civilisation n’agit sur l’homme. Malgré tous ces découragemens il se dirige vers son but & ne cède qu’à l’impossibilité,

  1. Curfen-bell, cloche qu’on sonnoit à 8 heures du soir sous guillaume le conquérant pour faire éteindre les lumières & le feu des âtres.