Théorie et pratique des droits de l’homme/Appendix

Traduction par F. Lanthenas.
R. Vatar fils (p. 156-160).


A P P E N D I X

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La publication de cet ouvrage a été différée plus qu’elle auroit dû l’être. Il ne sera pas inutile d’en dire ici les causes. Elles sont un exemple des intrigues ministérielles & aristocratiques.

On ne sauroit trop les démasquer.

Le lecteur aura pu observer que quelques parties de cet ouvrage qui ont rapport à la réduction des impôts, & quelques parties du discours par lequel M. Pitt a ouvert la session actuelle du parlement d’Angleterre, sont si parfaitement les mêmes, quelles doivent faire croire que l’auteur les a prises de M. Pitt, ou que M. Pitt les a eues de l’auteur. Voici une chaîne de circonstances & de faits, qui décident parfaitement la question.

La première mention de la nécessité de diminuer les taxes en Angleterre, comme une conséquence de la révolution de France, se trouve dans une adresse & déclaration des citoyens réunis le 20 août dernier. Entre autres choses remarquables, on y lit, comme une question faite aux partisans du gouvernement, qui se déclarent contre la révolution de France : « Sont-ils fâchés de voir finir les prétextes de mettre de nouvelles taxes oppressives, & même les motifs de continuer beaucoup de celles qui existent ?  » Cette adresse, signée de M. Hornetooke, comme président de l’assemblée, lui a été attribuée ; mais la vérité est, que j’en suis seul l’auteur. Frappé de la belle occasion qu’il y avoit pour le peuple Anglais de tirer avantage de la révolution de France, je jettai sur le papier cette production & la montrai à quelques personnes qui, aussitôt voulurent se réunir pour l’appuyer, & formèrent une souscription de cinquante guinées pour les frais. Je pense qu’il est aujourd’hui un plus grand nombre de citoyens en angleterre, qu’il n’en fut jamais, conduits par des principes désintéressés, résolus d’examiner eux-mêmes la nature & les actes du gouvernement, & décidés à ne plus se confier aveuglement, comme on l’a fait jusques à ce jour au parlement, & à l’opposition parlementaire. Car, on doit voir par-tout, aujourd’hui, que si le peuple eût agi ainsi, il y a cent ans, l’impôt & la corruption ne se seroient point élevés à la hauteur où ils sont montés.

Mais l’adresse dont il est question ne dût pas plaire aux hommes de la cour. Aussi a-t-on su que ceux qui fréquentent la même taverne où l’assemblée qui l’a votée s’est tenue, en ont été si mécontens, qu’ils ont agi de manière à empêcher qu’une seconde assemblée des mêmes citoyens, ne fût tenue dans le même lieu.

Ce que cette adresse n’a fait qu’indiquer, relativement aux impôts & aux principes du gouvernement, je l’ai développé dans cet ouvrage ; mais, comme le discours de m. pitt contient, sur l’imposition, des choses qui sont à-peu-près les mêmes, je dois ajouter ce qui suit :

Cet ouvrage devoit paroître avant l’ouverture du parlement. J’avois remis à l’imprimeur la copie à temps. Il étoit avancé jusqu’aux trois quarts ; quinze jours avant cette ouverture, quand tout-à-coup, sans que j’eusse eu lieu, par rien de précédent, de m’y attendre, je reçus de lui la fin de mon manuscrit ; il me faisoit dire par un ouvrier, que pour rien au monde, il ne le continuerait.

Je ne pouvois expliquer une conduite aussi extraordinaire, qu’en me souvenant que le même imprimeur m’avoit offert mille liv. sterling si je voulois lui livrer mon manuscrit entier ; ce que j’avois refusé de faire, parce qu’il n’étoit pas dans mes principes, de mettre quelqu’un à même de supprimer & d’altérer mes idées, ou de les vendre, s’il vouloit, comme une chose de trafic, à un ministre ou à quelqu’autre personne.

Le refus de mon imprimeur de terminer l’ouvrage qu’il avoit commencé, ne pouvant pas l’acheter, me força d’en chercher un autre : & c’est-là la cause qui en a retardé la publication jusqu’après la rentrée du parlement. Sans cela elle l’eut certainement précédée ; & alors il auroit paru évident que M. Pitt n’avoit pris qu’une partie d’un plan que j’avois pleinement développé.

Si M. Pitt, ou quelqu’autre de sa part, a vu mon ouvrage ou une partie, c’est ce dont je ne suis pas assez certain pour l’assurer.

Mais on ne pourra s’empêcher de le soupçonner, si l’on fait attention à la manière dont l’imprimeur m’a renvoyé mon manuscrit, au temps qu’il a choisi pour le faire & aux propositions qu’il m’avoit faites. Je sais ce que peuvent en penser les libraires, les éditeurs, & tous ceux qui sont au courant de ce genre d’affaires. Pour moi, je préfère, néanmoins, de ne point en dire mon avis, parce qu’il est bien des manières, pour les hommes qui ont de l’intrigue & de l’argent, de se procurer la connoissance des feuilles d’un ouvrage, avant qu’il paroisse.

Je sais, par exemple, qu’un libraire ministériel, qui demeure dans Picadilly, & qui a été employé par un commis des conseils du commerce & colonies, dont Hawksbury est président. Je sais que ce libraire étoit employé, par ce commis, pour publier ce qu’il appelle ma vie ; je souhaite que la sienne & celle de ses pareils soit aussi pure ; je sais que ce libraire se sert de la même imprimerie à laquelle je m’étois adressé. Je sais qu’il est venu y offrir cet ouvrage, dix jours environ avant qu’on me renvoyât le mien, & que le sien a été accepté. Je sais qu’il a ainsi dû avoir accès dans l’imprimerie où il a pu par conséquent voir les feuilles de mon ouvrage ; & comme les imprimeurs & les libraires ne se cachent rien, on a pu lui en montrer la suite.

Au reste, quoiqu’il en soit, le plan de m. pitt, tout écourté qu’il est, eût fait une assez sotte figure, si mon ouvrage eût paru quand il le devoit, si mon imprimeur ne m’eût manqué de parole.

J’ai dit au public ce qui s’est passé depuis l’offre, qui m’a été faite de payer chèrement mon manuscrit, jusqu’au refus qui est ensuite venu de la part de la même personne de l’imprimer. On conviendra que si tous ces messieurs que j’ai désignés sont innocens, il est bien extraordinaire que des circonstances si propres à inspirer de la méfiance, se soient ainsi rapprochées d’elles-mêmes sans aucun dessein.

Après cela je n’ai plus qu’à rapporter encore une autre circonstance.

Quinze jours environ, ou trois semaines avant la rentrée du parlement, on a fait une petite augmentation à la paye du soldat environ de 12 schellings & six pences par an ; ou plutôt, on, a diminué sa paye de cela de moins. Quelques personnes qui savoient en partie que cet ouvrage renfermeroit un plan de réforme relativement à l’oppression qu’éprouve le soldat, vouloient que j’ajoutasse une note à l’ouvrage où je préviendrois que ces feuilles de mon ouvrage étaient à l’imprimerie quelques semaines avant que l’on pensât à cette diminution. Je ne voulus pas les faire d’abord, crainte qu’on ne l’attribuât à quelque mouvement de vanité, ou que l’on ne crût que je voulois faire soupçonner que le gouvernement avait eu connoissance de ce que cet ouvrage devoit renfermer. Mais si une interruption inexplicable de la part de l’imprimeur, ne l’avoit pas empêché de paraître à l’époque où le public devoit l’avoir, jamais je n’aurois pensé à rien dire de ce que renferme cet appendix.


THOMAS PAYNE.