Théorie des fonctions analytiques/Partie II/Chapitre 08

Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome IXp. 258-267).
Seconde partie


CHAPITRE VIII.

Des surfaces courbes et de leurs plans tangents. Théorie du contact des surfaces courbes. Des contacts des différents ordres.

38. Les surfaces courbes se déterminent aussi par trois coordonnées rectangulaires, comme les lignes à double courbure, mais avec cette différence que, pour les surfaces, deux des coordonnées sont indépendantes entre elles et la troisième est fonction de ces deux, de sorte qu’une surface n’est représentée que par une seule équation entre les trois coordonnées. Ainsi, les deux équations qui déterminent une courbe à double courbure représentent chacune en particulier une surface courbe, et la courbe représentée par le système de ces deux équations est formée par l’intersection des deux surfaces. La théorie des surfaces dépend donc de l’analyse des fonctions de deux variables, et peut être traitée comme la théorie des courbes et par les mêmes principes. Ainsi, de même qu’une ligne droite peut être tangente d’une courbe, un plan peut être tangent d’une surface, et l’on déterminera le plan tangent par la condition qu’aucun autre plan ne puisse être mené par le point de contact entre celui-là et la surface.

Soient les trois coordonnées de la surface donnée et les coordonnées du plan tangent rapportées aux mêmes axes rectangulaires on aura, par la nature de la surface,

et, par la nature du plan,

étant les trois constantes qui déterminent la position du plan.

D’abord, pour que le plan ait avec la surface un point commun, il faut que son équation subsiste, en supposant que les coordonnées deviennent ce qui donnera cette première équation :

Considérons maintenant un autre point de la surface répondant aux coordonnées l’ordonnée perpendiculaire deviendra Faisons aussi, dans l’équation du plan,

l’ordonnée perpendiculaire deviendra

et la distance entre les points correspondants de la surface et du plan sera exprimée par

La fonction peut se développer dans cette série (no 73, Ire Partie)

Donc, à cause de

la distance dont il s’agit, que nous désignerons par sera exprimée ainsi :

où l’on voit d’abord que, les quantités et demeurant indéterminées, la valeur de deviendra la plus petite si l’on détermine les quantités et de manière que les termes multipliés par et disparaissent, ce

qui donnera (no 77, Ire Partie)

et, comme on a déjà trouvé

on aura les valeurs des trois constantes de l’équation du plan en fonction de Ces valeurs seront donc

et la position du plan sera entièrement déterminée.

Par l’évanouissementdes termes multipliés par les quantités et l’expression de la distance ne contiendra plus que des termes multipliés par des puissances ou des produits de ces mêmes quantités. Si l’on faisait passer un autre plan par le même point quï répond aux coordonnées et on trouverait, pour la distance, que je nommerai entre les points de la surface et du nouveau plan correspondants aux coordonnées et une expression semblable à celle de mais où les termes multipliés par et par ne se détruiraient plus. Or il est facile de voir qu’on peut prendre les quantités et assez petites pour que les termes multipliés par les premières puissances de ou de deviennent plus grands que les autres termes multipliés par des puissances ou des produits de plusieurs dimensions, ce qui porterait d’abord à conclure que l’on peut toujours donner à et des valeurs assez petites pour que la distance surpasse la distance en sorte qu’il soit impossible que le dernier plan passe entre le premier et la surface.

39. Mais cette conséquence, qui serait légitime si les expressions de et n’étaient composées que d’un nombre déterminé de termes, pourrait souffrir des difficultés à raison des suites infinies qui entrent dans ces expressions. On peut néanmoins les éviter en employant le développement que nous avons donné dans le Chapitre XIII de la première Partie et en s’arrêtant aux termes du premier ordre. On aura ainsi

et la valeur de la distance se réduira à

Pour tout autre plan représenté par l’équation

et ayant le même point commun avec le premier plan et la surface, cette distance, que j’appellerai contiendrait, outre les termes précédents, encore ceux-ci du premier ordre

d’où il est facile de conclure qu’on pourra toujours prendre et assez petits pour que cette distance surpasse la distance Donc il sera impossible que ce dernier plan puisse passer entre la surface et le plan représenté par l’équation

par conséquent, celui-ci sera tangent de la surface donnée, en faisant, comme ci-dessus,

d’où l’on voit que la position du plan tangent dépend des deux fonctions primes et

En effet, il est facile de trouver, d’après l’équation

que, si l’on nomme l’inclinaison du plan représenté par cette équation sur le plan des coordonnées et et l’inclinaison de la ligne d’intersection de ces deux plans à l’axe des abscisses on aura

d’où l’on tire

Donc, puisque les axes des coordonnées sont les mêmes que ceux des coordonnées les angles et relativement au plan tangent, seront pareillement déterminés par ces formules :

40. En général,

étant l’équation de la surface proposée et

celle d’une surface donnée, si l’on veut que ces deux surfaces aient un point commun qui réponde aux coordonnées il faudra que l’équation

ait lieu aussi en faisant ce qui donnera

Ensuite, si l’on considère-les points des deux surfaces qui répondent aux mêmes coordonnées et et qu’on nomme la distance entre l’un et l’autre, c’est-à-dire la partie de l’ordonnée qui se trouvera comprise entre les deux surfaces, il est visible qu’on aura

Développons ces deux fonctions par les formules du no 78 (Ire Partie), en nous arrêtant d’abord aux termes du premier ordre ; nous aurons, en mettant et à la place de

Supposons que les termes multipliés par et par disparaissent, ce qui a lieu en faisant et l’expression de ne contiendra plus que des termes d’un ordre supérieur, et il est facile de prouver qu’on pourra toujours prendre et assez petits pour que cette valeur de devienne moindre que la valeur d’une pareille quantité pour une autre surface donnée, dans laquelle les termes multipliés par et par ne se détruiraient pas. Donc, si l’équation

de la surface donnée contient trois constantes arbitraires et qu’on les détermine de manière à satisfaire aux trois équations

il sera impossible qu’aucune autre surface qui ne satisferait pas aux mêmes conditions puisse passer entre cette même surface et la surface proposée dont les coordonnées sont

Il est visible que les trois équations précédentes ne sont autre chose que l’équation même de la surface donnée, en y changeant les coordonnées en et les deux équations primes de celle-ci, prises suivant et suivant d’où l’on peut conclure, en général, que, si

est l’équation de la surface donnée, les trois équations dont il s’agit seront renfermées dans celles-ci,

en regardant comme fonction de et de sorte que, si l’on désigne simplement par les fonctions primes de prises relativement à seuls, les deux dernières équations deviendront

Donc, si la surface proposée est représentée par l’équation

et que la surface donnée, qui doit avoir un point de contact avec celle-là, soit représentée par l’équation

la première donnera, en prenant les fonctions primes relatives à et ces deux-ci :

Ces deux équations combinées avec les deux précédentes, de manière à en chasser les dérivées et on aura ces deux-ci :

d’où il s’ensuit que les trois fonctions dérivées doivent être respectivement proportionnelles aux fonctions dérivées

41. Si, dans l’expression générale de la distance on développe les deux fonctions qu’elle contient, en poussant le développement jusqu’aux secondes dimensions de et et qu’on suppose que les trois équations ci-dessus aient déjà lieu, on aura simplement

en faisant, pour abréger,

Donc, si l’équation

de la surface donnée est telle qu’on puisse encore satisfaire aux trois équations

les termes du second ordre disparaîtront aussi dans l’expression de et l’on prouvera aisément qu’il sera toujours possible de prendre les quantités et assez petites pour que la distance soit plus petite que la distance pour toute autre surface donnée qui ne satisferait pas aux mêmes conditions, d’où il suit qu’il sera impossible que cette surface passe entre la surface donnée, dont l’équation est

et la proposée, dont l’équation est

et ainsi de suite.

Si l’on représente en général par

l’équation de la surface donnée, qui doit avoir un point de contact avec une autre surface dont les coordonnées sont les trois dernières équations seront renfermées dans celles-ci,

en regardant comme fonction de et et ainsi des autres.

On pourra donc étendre aux surfaces la théorie des contacts de différents ordres que nous avons exposée relativement aux lignes courbes et en déduire des résultats semblables. Ainsi, pour le contact du premier ordre, on aura l’équation

avec ses deux équations primes suivant et pour le contact du second ordre, on aura, outre les trois équations précédentes, les trois équations secondes de

suivant suivant et suivant et et ainsi de suite.

42. Prenons, pour la surface donnée, la sphère dont l’équation la plus générale est

étant les trois coordonnées d’un point quelconque de sa surface, les trois coordonnées qui déterminent la position du centre, et le demi-diamètre ou le rayon.

En changeant dans cette équation en et prenant ensuite les deux équations primes suivant et on aura ces trois équations,

par lesquelles on pourra déterminer d’abord les trois constantes on trouvera ainsi

et le rayon sera encore arbitraire.

La sphère déterminée par ces éléments sera donc tangente de la surface, et, par conséquent, son rayon sera perpendiculaire à la même surface. Ainsi, en regardant la valeur de e rayon comme indéterminée, les trois quantités seront les coordonnées de la perpendiculaire à la surface, étant variable et constantes.

Si l’on veut avoir ces éléments ainsi que les angles et du no 39, exprimés en différentielles, il n’y aura qu’à représenter les fonctions dérivées par les différences partielles

43. Pour que la sphère devienne osculatrice de la surface, on aura encore trois autres équations, qui seront les trois équations secondes de la première équation ci-dessus ; mais, comme il ne reste plus qu’une arbitraire il est clair qu’on ne pourra pas satisfaire à toutes ces équations ; d’où il suit qu’il est impossible de trouver en général une sphère osculatrice d’une surface comme on trouve le cercle osculateur d’une courbe.

Si, au lieu d’une sphère, on voulait employer la surface formée par la rotation d’un arc de cercle autour de sa corde, comme on aurait dans l’équation de cette surface six constantes arbitraires, on pourrait alors déterminer ces éléments de manière que le contact du second ordre eût lieu en général avec une surface quelconque. Il en serait de même pour toute autre surface dont l’équation renfermerait au moins six constantes arbitraires.


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