Théorie des fonctions analytiques/Partie II/Chapitre 07

Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome IXp. 248-257).
Seconde partie


CHAPITRE VII.

Théorie du contact des courbes à double courbure. Du rayon osculateur, des centres de courbure et du lieu de ces centres. Des développées des courbes à double courbure. Quadrature et rectification de ces courbes.

32. Les courbes planes appartiennent à la Géométrie de deux dimensions et dépendent, par conséquent, que de deux coordonnées. Les courbes à double courbure doivent appartenir à la Géométrie de trois dimensions, puisqu’elles ne peuvent être tracées que sur la surface des corps solides ; aussi dépendent-elles de trois coordonnées perpendiculaires entre elles, dont deux sont fonctions de la troisième, de sorte qu’elles ne peuvent être représentées que par deux équations entre trois indéterminées.

Soient donc, pour une courbe quelconque à double courbure,

étant les trois coordonnées rectangulaires. Soient de même, pour une autre courbe donnée,

étant pareillement ses trois coordonnées rapportées aux mêmes axes que les précédentes. Si l’on veut que ces deux courbes aient un point commun pour l’abscisse il faudra qu’en faisant on ait aussi

donc

Pour un autre point quelconque répondant à l’abscisse les ordonnées et seront et les ordonnées seront et, faisant, pour abréger,

il est facile de concevoir que la distance entre les points des deux courbes qui répondent à la même abscisse sera exprimée par

De là, par une analyse semblable à celle qui a été développée au commencement de cette deuxième Partie, on prouvera que, si il sera impossible qu’aucune autre courbe donnée qui ne satisferait pas aux mêmes conditions puisse passer entre les deux courbes dont il s’agit.

Si l’on avait de plus

on prouverait de la même manière qu’aucune autre courbe pour laquelle ces équations n’auraient pas lieu ne pourrait passer entre les mêmes courbes ; et ainsi de suite.

Ainsi, en appliquant aux courbes à double courbure les mêmes notions des différents ordres de contact des courbes ordinaires, on en conclura que les deux premières conditions détermineront un contact du premier ordre, que les deux suivantes détermineront un contact du second ordre ; et ainsi de suite.

En général, en nommant les coordonnées d’une courbe proposée et les coordonnées de la courbe donnée, pour laquelle on demande les conditions du contact d’un ordre donné avec la courbe proposée, si

sont les deux équations de la courbe donnée, on aura, pour un contact

du premier ordre, les quatre équations

pour un contact du second ordre, on aura de plus les deux équations

et ainsi de suite, en regardant, dans ces fonctions dérivées, et comme fonctions de On satisfera à ces équations par le moyen des constantes arbitraires qui entreront dans les fonctions données et et qu’on pourra appeler, comme ci-dessus (no 10), éléments du contact, lorsqu’elles seront déterminées en fonction de

33. Prenons pour la courbe donnée une ligne droite déterminée par les deux équations

pour qu’elle ait un contact du premier ordre, c’est-à-dire pour qu’elle soit tangente d’une courbe quelconque proposée et rapportée aux coordonnées on aura ces quatre équations

d’où l’on tire

de sorte que les équations de la tangente rapportée aux coordonnées seront

Il est facile de voir que ces deux équations représentent les deux tangentes des courbes planes qui forment les projections de la courbe proposée sur les deux plans des et et des et (no 6), de sorte que, pour mener une tangente à une courbe à double courbure, il suffira toujours de mener les tangentes à ses deux projections, et la droite dont ces deux tangentes seront les projections sera la tangente cherchée.

34. Supposons qu’on demande le cercle osculateur d’une courbe à double courbure.

Pour avoir, de la manière la plus simple, les équations générales d’un cercle tracé sur un plan quelconque, nous considérerons le cercle comme formé par l’intersection d’un plan qui passe par le centre d’une sphère ; le rayon et le centre de la sphère deviendront alors ceux du cercle, et le plan sera le plan même du cercle.

L’équation générale d’une sphère rapportée aux trois coordonnées est

sont les coordonnées du centre et est le demi-diamètre ou rayon. L’équation d’un plan rapporté aux mêmes coordonnées et passant par le point qui répond aux coordonnées est, en général,

et étant deux constantes arbitraires qui déterminent l’inclinaison du plan à l’égard des plans fixes des coordonnées. Le système de ces deux équations représentera donc un cercle dont le rayon sera dont le centre sera déterminé par les coordonnées et dont le plan dépendra des quantités et

Si donc on change dans ces équations les quantités en et qu’on en prenne les équations primes et secondes, on aura ces six équations,

dont les quatre premières renfermeront les conditions nécessaires pour

que le cercle dont il s’agit ait un contact du premier ordre avec toute courbe à double courbure dont seront les coordonnées, et étant données en fonction de et, si l’on y joint les deux dernières, on aura les conditions nécessaires pour un contact du second ordre, c’est-à-dire pour que le cercle devienne osculateur de la courbe.

Comme il y a dans ces équations six quantités indéterminées et on pourra satisfaire à toutes ces conditions, et le cercle osculateur sera déterminé de grandeur et de position. Mais, si l’on ne demande qu’un cercle tangent, il restera deux indéterminées pour lesquelles on pourra prendre le rayon et une des deux quantités et Dans ce cas donc, l’équation

déterminera le plan dans lequel se trouveront les centres de tous les cercles qui peuvent être tangents, et, comme le rayon du cercle tangent est nécessairement perpendiculaire à la courbe, cette équation sera celle d’un plan perpendiculaire à la courbe, en prenant pour les coordonnées du plan.

Considérons maintenant le contact du second ordre. Les trois premières équations donneront

en faisant, pour abréger,

Ces valeurs étant substituées dans la cinquième équation, on en tirera

Enfin, la quatrième et la sixième équation donneront

valeurs qu’on substituera dans les expressions précédentes.

On trouvera d’abord, après quelques réductions,

et de là

La quantité sera le rayon osculateur de la courbe proposée et les quantités seront les coordonnées de la courbe des centres de tous les cercles osculateurs ; mais cette courbe ne sera pas pour cela une développée, comme dans les courbes à simple courbure.

35. Pour s’en assurer et trouver en même temps les conditions nécessaires pour qu’elle devienne une développée de la courbe à double courbure, il n’y a qu’à employer des considérations semblables à celles du no 23.

Reprenons les valeurs de tirées des trois premières équations nous aurons

Ces expressions, en regardant les quantités ainsi que et comme constantes, et la quantité comme seule variable, donnent les coordonnées de la droite dans laquelle est placé le rayon osculateur ; mais, en regardant toutes ces quantités comme variables et comme données en puisque et sont censées données en ces mêmes expressions représentent alors les coordonnées de la courbe des centres : Or, pour que la même droite devienne tangente de cette courbe, il faut que les valeurs de et en regardant et comme fonctions de ou, en général, comme fonctions d’une autre variable quelconque, soient les mêmes dans les deux cas. Donc les valeurs de devront être aussi les mêmes, soit que les quantités soient seules variables, soit que les quantités et varient aussi en même temps ; par conséquent, il faudra que les équations qui déterminent ces valeurs aient lieu également dans les deux hypothèses.

Or, si l’on considère les équations qui ont servi à déterminer les quantités et en et qu’on regarde toutes ces quantités comme variables à la fois, il est clair que les deux équations

emporteront encore celle-ci,

qui n’est que l’équation prime de la première, en supposant seules variables. De même les deux équations

emporteront celle-ci,

qui est également l’équation prime de la première, en ne prenant que pour variables. Ces deux équations ont donc la condition demandée mais, comme elles ne suffisent pas pour la détermination des trois quantités il faudra trouver, de la même manière, une

troisième équation qui contienne les fonctions primes or, les deux précédentes ayant été déduites de l’équation de la sphère, il faudra tirer la troisième de l’équation du plan

laquelle, en faisant tout varier et ayant égard à l’équation

donnera celle-ci,

qui est, comme l’on voit, l’équation prime de la précédente, en supposant variables à la fois ; par conséquent, cette équation n’aura pas la condition demandée, à moins que la partie dépendante de la variation des quantités et ne disparaisse, c’est-à-dire à moins qu’on n’ait

Si cette condition a lieu, alors l’équation restante

combinée avec les deux équations qu’on vient de trouver, donnera les valeurs de qui seront les mêmes soit que les quantités soient seules variables, soit que et varient aussi à la fois. Par conséquent, la droite dans laquelle est placé le rayon osculateur devieridra tangente à la courbe des centres ; donc aussi ce rayon sera tangent de la même-courbe, puisqu’il est terminé à cette courbe. Dans ce même cas, les expressions précédentes de donneront sur-le-champ ces fonctions primes,

d’où l’on tire

et de là

Or nous verrons ci-après (no 37) que cette équation montre que est l’arc de la courbe dont sont les coordonnées. Donc le rayon osculateur sera non-seulement tangent à la courbe des centres, mais encore égal à l’arc de cette courbe. Il ne sera donc autre chose que le développement de cette même courbe, laquelle sera, par conséquent, la développée de la courbe proposée, dont sont les coordonnées.

36. La condition

que nous venons de trouver pour que la courbe ait une développée, a évidemment lieu lorsque et sont constantes, et, dans ce cas, la courbe sera toute dans un plan déterminé par ces constantes. Si ces quantités ne sont pas constantes, elles détermineront le plan tangent de la courbe, et, lorsque l’équation précédente aura lieu, les rayons osculateurs formeront une surface courbe développable. Car, en ajoutant à cette équation l’équation

qui est une de celles du no 34, on aura celle-ci,

qui n’est autre chose que l’équation prime de l’équation du plan

en regardant les coordonnées du plan comme constantes et la quantité qui sert ici de paramètre et dont les autres quantités sont supposées fonctions, comme seule variable, ce qui constitue le principe des surfaces développables, comme on le verra plus bas.

Au reste, il y a une manière plus générale de concevoir les développées des courbes, laquelle consiste à prendre le rayon de la développée dans une position inclinée au plan tangent, et qui donne lieu à plusieurs belles propriétés des courbes et des surfaces. Comme les bornes que nous nous sommes prescrites ne nous permettent pas d’entrer dans ce détail, nous ne pouvons qu’inviter nos lecteurs à voir cette nouvelle théorie dans le Tome X des Mémoires présentés à l’Académie des Sciences.

37. Si l’on trace la projection d’une courbe à double courbure sur le plan des et on peut regarder cette courbe de projection comme l’axe curviligne de la courbe à double courbure, de sorte qu’en nommant l’arc de la courbe de projection dont les coordonnées sont , et supposant que cet arc soit étendu en ligne droite, on aura et pour les coordonnées rectangulaires de la courbe à double courbure supposée appliquée sur un plan.

Cette considération nous offre le moyen d’appliquer immédiatement aux courbes à double courbure les formules de la quadrature et de la rectification des courbes planes (nos 27, 29). Pour cela, il n’y aura qu’à substituer au lieu de et au lieu de dans les expressions de et on aura et et, comme l’arc est déterminé par l’équation

en faisant cette substitution, on aura les deux formules

dont la première sera la fonction prime de l’aire ou de la surface du cylindre droit qui a pour base la projection de la courbe à double courbure et qui est terminé par le contour de cette courbe, et dont la seconde sera la fonction prime de l’arc de la même courbe.


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