A. Lacroix, Verboeckhover et Cie. (p. 220-246).


CHAPITRE IX


Résumé de ce livre.


Les développements que j’ai donnés à ma théorie de la propriété peuvent se résumer en quelques pages.

Une première chose à observer, c’est que, sous le nom générique de propriété, les apologistes de l’institution ont confondu, soit ignorance, soit artifice de discussion, toutes les façons de posséder : régime communier, emphytéose, usufruit, système féodal et allodial ; ils ont raisonné du fonds comme des fruits, des choses fongibles comme de l’immeuble. Nous avons fait justice de cette confusion.

La possession indivisible, incessible, inaliénable, appartient au souverain, prince, gouvernement, collectivité, dont le tenancier est plus ou moins dépendant, feudataire ou vassal. Les Germains, avant l’invasion, les barbares au moyen âge, n’ont connu qu’elle ; c’est le principe de toute la race slave, appliqué en ce moment par l’empereur Alexandre à soixante millions de paysans. Cette possession implique en elle les différents droits d’usage, d’habitation, de culture, pâture, chasse, pêche, tous droits naturels que Brissot appelait PROPRIÉTÉ selon la nature ; c’est à une possession de cette espèce, mais que je n’ai pis définie, que je concluais dans mon premier Mémoire et mes Contradictions. Cette forme de posséder est un grand pas dans la civilisation ; elle vaut mieux en pratique que le domaine absolu des Romains, reproduit dans notre propriété anarchique, laquelle s’en va mourante des atteintes du fisc et de ses propres excès. Il est certain que l’économiste ne peut exiger rien de plus : là le travailleur est récompensé, ses fruits garantis ; tout ce qui lui appartient légitimement est protégé. La théorie de la possession, principe de la civilisation et de la société slaves, est le fait le plus honorable pour cette race : il rachète le retard de son développement et rend inexpiable le crime de la noblesse polonaise.

Mais est-ce là le dernier mot de la civilisation et du droit même ? Je ne le pense pas ; on peut concevoir quelque chose au delà ; la souveraineté de l’homme n’est pas entièrement satisfaite, la liberté, la mobilité pas assez grandes.

La propriété franche ou allodiale, partageable, engageable, aliénable, est le domaine absolu du détenteur sur sa chose, « le droit d’user et d’abuser, » dit d’abord la loi quiritaire ; « autant que le comporte la raison du droit, » ajoute plus tard la conscience collective. La propriété est romaine ; je ne la trouve nettement articulée qu’en Italie ; et encore sa formation est lente.

La justification du domaine de propriété a fait de tout temps le désespoir des juristes, des économistes et des philosophes. Le principe de l’appropriation est que tout produit du travail appartient de plein droit à celui qui l’a crée, tels qu’un arc, des flèches, une charrue, un râteau, une maison. L’homme ne crée pas la matière ; il la façonne seulement. Néanmoins, quoiqu’il n’ait pas créé le bois dont il a fabriqué un arc, un lit, une table, des chaises, un seau, la pratique veut que la matière suive la forme, et que la propriété du travail implique celle de la matière. On suppose que celle-ci est offerte à toits, qu’elle ne manque a personne, et que chacun petit se l’approprier.

Ce principe, que la forme emporte le fonds, s’applique-t-il à la terre défrichée ? On prouve très bien que le producteur a droit à son produit, le colon aux fruits qu’il a créés. On prouve de même qu’il a droit d’épargner sur sa consommation, de former un capital et d’en disposer a sa volonté. Mais le domaine foncier ne peut sortir de là ; c’est un fait nouveau qui excède la limite du droit du producteur ; il ne crée pas le sol, commun a tous. On prouve encore que celui qui a paré, ameubli, assaini, défriché le sol, a droit à une rémunération, à une compensation ; on démontrera que cette compensation peut consister, non dans une somme payée, mais dans le privilège d’ensemencer le sol défriché durant un temps donné. Allons jusqu’au bout : ou prouvera que chaque année de culture, impliquant des améliorations, entraîne pour le cultivateur droit à une compensation toujours nouvelle. Soit ! ce n’est toujours pas la propriété. Les baux à ferme pour neuf, douze ou trente années peuvent tenir compte de lotit cela au fermier, a l’égard duquel le propriétaire représente le domaine public. Le régime foncier de la commune slave en tient compte également au paysan partiaire ; le droit est satisfait, le travail récompensé : il n’y a point de propriété. Le droit romain et le Code civil ont parfaitement distingué toutes ces choses : droits d’usage. d’usufruit, d’habitation, d’exploitation, de possession. Comment les économistes affectent-ils de les confondre avec le droit de propriété ? Que signifient la bucolique de M. Thiers et toutes les sottes déclamations de la coterie ?

L’économie sociale, de même que le droit, ne connaît pas du domaine, et subsiste tout entière en dehors de la propriété : notion de valeur, salaire, travail, produit, échange, circulation, rente, vente et achat, monnaie, impôt, crédit, théorie de la population, monopole, brevets, droits d’auteur, assurances, services publics, association, etc. Les rapports de famille et de cité ne requièrent pas davantage la propriété, ; le domaine peut être réservé à la commune, à l’État ; la rente alors devient impôt ; le cultivateur devient possesseur ; il est mieux que fermier, mieux que métayer ; la liberté, l’individualité jouissent des mêmes garanties.

Il faut bien le comprendre : l’humanité même n’est pas propriétaire de la terre : comment une nation, comment un particulier se dirait-il souverain de la portion qui lui est échue ? Ce n’est pas l’humanité qui a créé le sol : l’homme et la terre ont été créés l’un pour l’autre et relèvent d’une autorité supérieure. Nous l’avons reçue, cette terre, en fermage et usufruit : elle nous a été donnée pour être possédée, exploitée par nous solidairement et individuellement, sous notre responsabilité collective et personnelle. Nous devons la cultiver, la posséder, eu jouir, non pas arbitrairement, mais selon des règles que la conscience et la raison découvrent, et pour une fin qui dépasse notre plaisir : règles et fin qui excluent tout absolutisme de notre part, et reportent le domaine terrien plus haut que nous. L’homme, dit un jour un de nos évêques, est le contre-maître du globe. Cette parole a été beaucoup louée. Or, elle n’exprime pas autre chose que ce que je viens de dire, que la propriété est supérieure à l’humanité, surhumaine, et que toute attribution de ce genre, à nous pauvres créatures, est usurpation.

Tous nos arguments en faveur d’une propriété, c’est-à-dire d’une souveraineté éminente sur les choses, n’aboutissent qu’à prouver la possession, l’usufruit, l’usage, le droit de vivre et de travailler, rien de plus.

Il faut arriver toujours à conclure que la propriété est une vraie fiction légale ; seulement il pourrait se faire que cette fiction fût telle dans ses motifs que nous dussions la regarder comme légitime. Sans cela nous ne sortons pas dit possessoire, et toute notre argumentation est sophistique et de mauvaise foi. Il se pourrait que cette fiction, qui nous révolte parce que nous n’en apercevons pas le sens, fût si sublime, si splendide, si élevée en justice, qu’aucun de nos droits les plus réels, les plus positifs, les plus immédiats, les plus immanents, n’en approchât, et qu’ils ne subsistassent eux-mêmes qu’au moyen de cette clef de voûte, une vraie fiction.

Le principe de propriété, ultra-légal, extra-juridique, anti-économique, supra-humain, n’en est pas moins un produit spontané de l’Être collectif et de la société, et il nous incombe d’en chercher, sinon la justification complète, du moins l’explication.

. Le droit de propriété est absolu, jus utendi et abutendi, droit d’user et d’abuser. il s’oppose à un autre absolu, le gouvernement, qui commence par imposer à son antagoniste la restriction, quatenùs juris ratio patitur, « autant que le comporte la raison du droit. » De la raison du droit à la raison d’État, il n’y a qu’un pas ; nous sommes en péril constant d’usurpation et de despotisme. La justification de la propriété, que nous avons vainement demandée à ses origines, prime-occupation, usucapion, conquête, appropriation par le travail, nous la trouvons dans ses fins : elle est essentiellement politique. Là ou le domaine appartient à la collectivité, sénat, aristocratie, prince ou empereur, il n’y a que féodalité, vassalité, hiérarchie et subordination ; pas de liberté, par conséquent, ni d’autonomie. C’est pour rompre le faisceau de la SOUVERAINETÉ COLLECTIVE, si exorbitant, si redoutable, qu’on a érigé contre lui le domaine de propriété, véritable insigne de la souveraineté du citoyen ; que ce domaine a été attribué-à l’individu, l’État ne gardant que les parties indivisibles et communes par destination : cours d’eau, lacs, étangs, routes, places publiques, friches, montagnes incultes, forêts, déserts, et tout ce qui ne peut être approprie. C’est afin d’augmenter la facilité de locomotion et de circulation qu’on a rendit la terre mobilisable, aliénable, divisible, après l’avoir rendue, héréditaire. La propriété allodiale est un démembrement de la souveraineté : à ce titre elle est particulièrement odieuse au pouvoir et à la démocratie. Elle est odieuse au premier en raison de son omnipotence ; elle est l’adversaire de l’autocratie, comme la liberté l’est de l’autorité ; elle ne plaît point aux démocrates, tous enfiévrés d’unité, de centralisation, d’absolutisme. Le peuple est gai quand il voit faire la guerre aux propriétaires. Et pourtant l’alleu est la base de la république.

La constitution d’une république, — qu’on me permette au moins d’employer ce mot dans sa haute acception juridique, — est la condition sine quâ non du salut. Le général Lafayette dit un jour, en montrant Louis-Philippe : « Celui-ci est la meilleure des républiques ; » et la royauté constitutionnelle fut définie : « Une monarchie entourée d’institutions républicaines. » Le mot république n’est donc pas par lui-même séditieux : il répond aux vues de la science autant qu’il satisfait aux aspirations.

Les conséquences immédiates de la propriété allodiale sont : 1º l’administration de la commune par les propriétaires, fermiers et ouvriers réunis en conseil ; partant l’indépendance communale et la disposition de ses propriétés ; 2º l’administration de la province par les provinciaux : d’où la décentralisation et le germe de la fédération. La fonction royale, définie par le système constitutionnel, est remplacée ici par des citoyens propriétaires, ayant tous l’œil ouvert sur les affaires publiques : point n’est besoin de médiation.

La propriété féodale n’engendrera jamais une république ; et réciproquement une république qui laissera tomber l’alleu en fief, qui ramènera la propriété au communisme slave, ne subsistera pas ; elle se convertira en autocratie

De même, la vraie propriété n’engendrera pas une monarchie ; une monarchie n’engendrera pas une vraie propriété. Si le contraire arrivait, si une agglomération de propriétaires élisait un chef, par cela même ils abdiqueraient leur quote-part de souveraineté, et tôt ou tard le principe propriétaire serait altéré en leurs mains ; ou si une monarchie créait des propriétaires, elle abdiquerait implicitement, elle se démolirait, à moins qu’elle ne se transformât volontairement en royauté constitutionnelle, plus nominale qu’effective, représentant des propriétaires. On l’a vit en France, quand, sous Louis-Philippe, libéraux et républicains firent la guerre à l’esprit de clocher. On servait la cause de la royauté.

Ainsi toute ma critique antérieure, toutes les conclusions égalitaires que j’en ai déduites, reçoivent une éclatante confirmation.

Le principe de propriété est ultra-légal, extra-juridique, absolutiste, égoïste de sa nature jusqu’à l’iniquité : il faut qu’il soit ainsi.

Il a pour contre-poids la raison d’État, absolutiste, ultra-légale, illibérale et gouvernementale jusqu’à l’oppression : il faut qu’elle soit ainsi.

Voilà comment, dans les prévisions de la raison universelle, le principe d’égoïsme, usurpateur par nature et improbe, devient un instrument de justice et d’ordre, à ce point que propriété et droit sont idées inséparables et presque synonymes. La propriété est l’égoïsme idéalisé, consacré, investi d’une fonction politique et juridique.

Il faut qu’il en soit ainsi : parce que jamais le droit n’est mieux observé qu’autant qu’il trouve un défenseur dans l’égoïsme et dans la coalition des égoïsmes. Jamais la liberté ne sera défendue contre le pouvoir, si elle ne dispose d’un moyen de défense, si elle n’a sa forteresse inexpugnable.

Que le lecteur se garde de voir dans cet antagonisme, ces oppositions, ces équilibrations, un simple jeu de mon esprit. Je sais qu’une théorie simpliste, comme le communisme ou l’absolutisme de l’État, est d’une conception beaucoup plus facile que l’étude des antinomies. Mais la faute n’en est pas à moi, simple observateur et chercheur de séries. J’entends dire par certains réformateurs : Supprimons toutes ces complications d’autorité, de liberté, de possession, de concurrence, de monopole, d’impôt, de balance du commerce, de services publics ; créons un plan de société uniforme, et tout sera simplifié, résolu. Ils raisonnent connue le médecin qui dirait : Avec ses éléments si divers, os, muscles, tendons, nerfs, viscères, sang artériel et veineux, suc gastrique, pancréatique, chyle, humeurs lacrymales, synoviales, gaz, liquides et solides, le corps est ingouvernable. Réduisons-le à une matière unique, solide, résistante, les os par exemple ; l’hygiène et la thérapeutique deviendront jeu d’enfants. — D’accord, seulement la société, pas plus que le corps humain, ne petit s’ossifier. Notre système social est compliqué, beaucoup plus qu’on ne l’avait cru. Si toutes les données nous en sont acquises aujourd’hui, elles ont besoin d’être coordonnées, synthétisées d’après leurs lois propres. Là se découvre une pensée, une vie intime collective qui évolue en dehors des lois de la géométrie et de la mécanique ; qu’il répugne d’assimiler au mouvement rapide, uniforme, infaillible d’une cristallisation ; dont la logique ordinaire, syllogistique, fataliste, unitaire, est incapable de rendre compte, mais qui s’explique merveilleusement à l’aide d’une philosophie plus large, -admettant dans un système la pluralité des principes, la lutte des éléments, l’opposition des contraires et la synthèse de toits les indéfinissables et absolus.

Or, comme nous savons qu’il y a des degrés dans l’intelligence aussi bien que dans la force ; des degrés dans la mémoire, la réflexion, l’idéalisation, la faculté d’invention ; des degrés dans l’amour et dans la pensée ; des degrés dans la sensibilité ; des degrés même dans le moi ou la conscience ; comme il est impossible de dire où commence ce que nous appelons âme et où elle finit, pourquoi nous refuser à admettre que les principes sociaux, si bien liés, si bien raisonnés, où se découvrent tant de raison, de prévoyance, de sentiment, de passion, de justice, sont l’indice d’une véritable vie, d’une pensée supérieure, d’une raison autrement constituée que la nôtre ?

Pourquoi, s’il en est ainsi, ne verrions-nous pas dans ces faits l’accomplissement de la création directe de la société par elle-même, résultant du simple rapprochement des éléments et du jeu des forces qui constituée la société ?

Nous avons surpris une logique à part, des maximes qui ne sont pas celles de notre raison individuelle, bien que celle-ci arrive, par l’étude de la société, à les découvrir et à se les approprier. Il y à donc une différence entre la raison individuelle et la raison collective.

Nous avons pu observer encore, grâce à la propriété et à ses accompagnements, un autre phénomène, une autre loi, celle des forces libres, allant et revenant, approximations indéfinies, latitude d’action et de réaction, élasticité de nature, diapason étendu, qui est le propre de la vie, de la liberté, de la fantaisie. Propriété et gouvernement sont deux créations spontanées d’une loi d’immanence qui se refuse à l’idée d’une initiation étrangère, dans l’hypothèse de laquelle chaque groupe humain aurait eu besoin d’un initiateur spécial, ainsi qu’on voit un métropolitain investir un évêque, celui-ci imposer les mains au curé, qui à son tour baptise et administre les ouailles.

Ceci compris, nous remarquerons que les lois générales de l’histoire sont les mêmes que celles de l’organisation sociale. Faire l’histoire de la propriété chez un peuple, c’est dire comment il a traversé les crises de sa formation politique, comment il a produit ses pouvoirs, ses organes, équilibré ses forces, réglé ses intérêts, doté ses citoyens ; comment il a vécu, comment il est mort. La propriété est le principe le plus fondamental à l’aide duquel on puisse expliquer les révolutions de l’histoire. Elle n’a pas encore existé dans les conditions ou la place la théorie ; aucune nation n’a jamais été à la hauteur de cette institution ; mais elle régit positivement l’histoire, quoique absente, et elle précipite les nations à la reconnaître, les punissant de la trahir.

La loi romaine ne l’a reconnue que d’une manière incomplète, unilatérale. Elle avait bien défini la souveraineté du citoyen sur la terre à lui échue ; elle n’avait nullement reconnu le rôle et défini le droit de l’État. La propriété romaine est la propriété indépendante du contrat social, absolue, sans solidarité ni réciprocité, antérieure et même supérieure au droit public, propriété égoïste, vicieuse, inique, et que condamna justement l’Église. La république et l’empire ont croulé l’un sur l’autre, parce que le patriciat n’a voulu la propriété que pour lui seul ; que la plèbe victorieuse ensuite n’à pas su l’acquérir, la faire valoir, et la consolider ; et que l’esclavage, le colonat gâtèrent tout. Du reste, c’est par la propriété allodiale qu’ont été vaincues toutes les aristocraties et tous les despotismes, depuis la fin de l’empire d’Occident jusqu’à aujourd’hui. La propriété allodiale, abandonnée aux communes à la roture, par le noble, a étouffé la puissance seigneuriale, et, en 1789, englouti le fief ; — c’est ce même principe qui, après avoir amené l’usurpation du noble polonais, simple usufruitier au commencement, s’est retourné contre lui, et lui a fait perdre la nationalité ; qui, en 1846, a amené les massacres de Gallicie.

C’est contre le principe allodial que se raidit l’Angleterre, aimant mieux, à l’exemple du patriciat romain, jeter le monde en pâture à ses travailleurs que de laisser partager et mobiliser le sol, et équilibrer la propriété.

Le principe de propriété synthétique, allodiale ou équilibrée, devait conduire progressivement la France de 89 à une République égalitaire, avec on sans dynastie : le principe dynastique devant être subalternisé en France comme il l’est en Angleterre, mais d’après un autre système. On l’espéra un moment, en 1830. Malheureusement, les esprits prévenus des idées anglaises n’avaient pas saisi la différence profonde qui devait distinguer la Constitution française, basée sur l’alleu, de la constitution anglaise, basée sur le fief. Ce fut Sieyès, l’un de nos politiques les plus profonds, qui répandit cette erreur. L’idée de deux Chambres prévalut là où il n’en fallait réellement qu’une ; Napoléon la recueillit dans son Sénat et son Corps législatif ; il créa des majorats, des titres de noblesse. 1814 répéta l’erreur, devenue vieille, dans sa Chambre des pairs et sa Chambre des députés.

Puis on établit un cens électoral, de grands et petits collèges : ce qui supposait une grande et une petite propriété ; insensiblement, tandis que le sol s’émiettait à outrance dans la classe inférieure, il s’agglomérait de nouveau, et la grande propriété se reformait à l’aide des capitaux industriels ; la féodalité financière, manufacturière, voiturière, minière, judaïque, arrivait ensuite ; si bien que la France ne se connaît plus aujourd’hui ; les uns se disent que le gouvernement constitutionnel, importé d’Angleterre, n’était pas fait pour elle ; les autres redemandent leur royauté bourgeoise de 1830 ; le petit nombre, qui affirme la République, et ne veut qu’une Chambre, ne sait pas lui-même la raison de son désir et quels sont les principes constitutifs du gouvernement de la Révolution.

La propriété a subi de nombreuses éclipses dans l’histoire, chez les Romains, chez les barbares, dans les temps modernes et de nos jours. Les causes de cette défaillance, nous les trouvons dans l’ignorance, l’impéritie, et surtout l’indignité des propriétaires. A Rome, l’avarice des nobles, leur résistance aveugle aux légitimes réclamations du peuple, la déchéance des plébéiens, préférant à la culture le brigandage des armées, le pillage militaire et les subventions césariennes, font table rase, avec la propriété, du droit, des libertés et de la nationalité. L’oppression féodale, au moyen âge, rejette, tous les petits propriétaires d’alleu dans le fief, La propriété, éclipsée pour plus de mille ans, reparaît avec la Révolution française. Sa période ascendante s’arrête à la fin du règne de Louis-Philippe ; depuis, elle est sur son déclin : indignité.

Les propriétaires indignes, c’est la masse, surtout dans les campagnes. La Révolution, en vendant les biens d’Église et d’émigrés, a créé une nouvelle classe de propriétaires ; elle a cru les intéresser à la liberté. Point du tout : elle les a intéressés a ce que les émigrés et les Bourbons ne revinssent pas, voilà tout. Pour cela, les bénéficiaires n’ont rien imaginé de mieux que de se donner un maître, Napoléon. Et quand celui-ci, usant de clémence, autorisa les émigrés à revenir, ils lui en firent un crime : jamais ils ne les auraient trouvés assez loin.

La propriété, créée par la Révolution, ne se comprend plus elle-même comme institution politique, faisant équilibre à l’État, garantie de la liberté, de la bonne administration ; elle se considère, par effet de l’habitude, comme privilège, jouissance,, aristocratie nouvelle, alliée au pouvoir par le partage des emplois, par conséquent des impôts, et intéressée de la sorte à l’exploitation des masses. Elle n’a songé qu’à sa proie. Le chaos est profond, et l’on ne saurait, en accuser en particulier aucun système. C’est le législateur de 89 qui a manqué de prévoyance ; ce sont les nouveaux, acquéreurs de biens nationaux, qui ont manqué de caractère et d’esprit public en disant à Napoléon 1er : Règne et gouverne, pourvu que nous jouissions. Sous la Restauration, il y eut un instinct de réforme ; la bourgeoisie passa dans l’opposition, où est sa place ; elle fit antithèse à l’État ; mais ce motif était accidentel : on voyait dans les Bourbons les princes de l’ancien régime ; on faisait la guerre pour le maintien des ventes ; et quand la Révolution de juillet eut changé la dynastie, la propriété se donna au pouvoir. Leur marché fut bientôt conclu : la bourgeoisie, par ses députés, consentait l’impôt, dont les neuf dixièmes lui revenaient par les emplois. Elle a érigé la corruption en système, et déshonoré la propriété par l’agiotage ; elle a voulu joindre les bénéfices de la banque à ceux de la rente ; elle a préféré les traitements de l’État, les gains du trafic et de la bourse à la production terrienne, obtenue soit par le travail, soit par une bonne administration ; elle s’est laissé surcharger d’impôts ; elle a laissé prendre la prépondérance à la manufacture et au commerce ; elle est serve des grandes compagnies.

Un point capital qu’il ne faut pas oublier, c’est que le citoyen, par le pacte fédératif qui lui confère la propriété, réunit deux attributions contradictoires : il doit suivre d’un côté la loi de son intérêt, et de l’autre il doit veiller, comme membre du corps social, à ce que sa propriété ne fasse détriment à la chose publique. En un mot, il est constitué agent de police et voyer sur lui-même. Cette double qualité est essentielle à la constitution de la liberté : sans elle tout édifice croule ; il faut revenir au principe policier et autoritaire. Où en est la moralité publique sur ce chapitre ?

Nous avons eu une réglementation de la boulangerie. Or, elle eût été inutile si le corps social avait été organisé de manière que le commerce et la fabrication du pain, la vente des blés fussent véridiques et probes ; ce qui n’a pas lieu et n’aura pas lieu tant que nos mœurs ne seront pas renouvelées. La réglementation, d’ailleurs, n’a jamais rien pu contre les effets d’un pacte de famine, aussi réel aujourd’hui qu’avant 89. On a réglementé la boucherie, qui vend des cadavres pour viande fraîche, des chevaux pour des bœufs ; réglementé les marchés : poids et mesures, qualité et quantité. Légumes, fruits, volailles, poisson, gibier, beurre, laitage, tout est tare, surenchéri. Il n’y a de remède que dans la répression, tant que la conscience publique n’aura pas été renouvelée, tant que, par cette régénération, le citoyen producteur et vendeur ne sera pas devenu son propre et plus sévère surveillant. Cela se peut-il, oui ou non ? La propriété peut-elle devenir sainte ? La condamnation, dont l’Évangile l’a frappée, est-elle indélébile ? Dans le premier cas, nous pouvons être libres ; dans le second, nous n’avons qu’à nous résigner ; nous sommes fatalement, et pour jamais, sous la double loi de l’Empire et de l’Église, et toutes nos démonstrations de libéralisme sont hypocrisie pure et surcroît de misère.

En fin de compte, c’est une question de savoir si la nation française est capable de fournir aujourd’hui de vrais propriétaires. Ce qu’il y a de sûr, c’est que la propriété est à régénérer parmi nous. L’élément de cette régénération, c’est, avec la révolution morale dont nous venons de parler, l’équilibration.

Toute institution de propriété foncière suppose : 1º soit une distribution égale des terres entre les détenteurs ; 2º soit, en faveur de ceux qui ne possèdent rien du sol, un équivalent. Mais c’est là une pure supposition : l’égalité de propriété n’est point un fait initial ; elle est dans la fin de l’institution, non dans ses origines. Nous avons remarqué d’abord que la propriété, parce qu’elle est abusive, absolutiste, basée sur l’égoïsme, doit forcément tendre à se limiter, à se faire concurrence, et par conséquent équilibre. Sa tendance est à l’égalité des conditions et des fortunes. Justement parce qu’elle est absolue, elle repousse toute idée d’absorption. Pesons bien ceci.

La propriété ne se mesure pas sur le mérite, puisqu’elle n’est ni salaire, ni récompense, ni décoration, ni titre honorifique ; elle ne se mesure pas sur la puissance de l’individu, puisque le travail, la production, le crédit, l’échange ne la requièrent point. Elle est un don gratuit, accordé à l’homme, en vue de le protéger contre les atteintes du pouvoir et les incursions de ses semblables. C’est la cuirasse de sa personnalité et de l’égalité, indépendamment des différences de talent, génie, force, industrie, etc.

« Supposons, disais-je en 1840, que la tâche sociale journalière, évaluée en labour, sarclage, moisson, soit de deux décamètres carrés, et que la moyenne de temps nécessaire pour s’en acquitter soit de sept heures : tel travailleur aura fini en six heures, tel autre en huit seulement ; le plus grand nombre en emploient sept ; mais pourvu que chacun fournisse la quantité demandée, quel que soit le temps qu’il y emploie, il a droit à l’égalité de salaire. Le travailleur capable de fournir sa tâche en six heures aura-t-il le droit, sous prétexte de sa force et de son activité plus grande, d’usurper la tâche du travailleur le moins habile et de lui ravir ainsi le travail et le pain ? Qui oserait le soutenir ?… Si le fort vient au secours du faible, sa bienfaisance mérite louange et amour ; mais son aide doit être librement acceptée, non imposée par force et mise a prix. » (Qu’est-ce que la Propriété ? 1er mémoire).

Sous le régime communautaire et gouvernementaliste, il faut de la police et de l’autorité pour garantir le, faible des envahissements du fort ; malheureusement la police et l’autorité, depuis qu’elles existent, n’ont jamais fonctionné qu’au profit du fort, dont elles ont grandi les moyens d’usurpation. La propriété, absolue, incoercible, se protège d’elle-même. C’est l’arme défensive du citoyen, son bouclier ; le travail est son épée.

Voilà pourquoi elle convient à tous : au pupille comme à l’adulte majeur, au nègre comme au blanc, au retardataire comme au précoce, à l’ignorant comme au savant, à l’artisan comme au fonctionnaire, à l’ouvrier comme à l’entrepreneur, au paysan comme au bourgeois et au noble. Voilà pourquoi l’Église la préfère au salaire ; et, par la même raison, pourquoi la papauté requiert à son tour la souveraineté. Tous les évêques, au moyen âge, furent souverains ; tous, jusqu’en l789, furent propriétaires ; le pape seul est resté comme relique.

L’équilibre de la propriété requiert encore des garanties politiques et économiques. Propriété, -État, tels sont les deux pôles de la société. La théorie de la propriété est le pendant de la théorie de la justification, par les sacrements, de l’homme déchu.

Les garanties de la propriété contre elle-même sont :

1. Crédit mutuel et gratuit. 2. Impôt. 3. Entrepôts, docks, marchés. (Voir mon projet sur le Palais de l’Exposition universelle, p.249) 4. Assurance mutuelle et balance du commerce. 5. Instruction publique, universelle, égale. 6. Association industrielle et agricole. 7. Organisation des services publics : canaux, chemins de fer, routes, ports, postes, télégraphes, dessèchements, irrigations.


Les garanties de la propriété contre l’État sont :

1. Séparation et distribution des pouvoirs. 2. Égalité devant la loi. 3. Jury, juge du fait et juge du droit. 4. Liberté de la presse. 5. Contrôle public. 6. Organisation fédérale. 7. Organisation communale et provinciale.


L’État se compose : 1º de la fédération des propriétaires, groupés par districts, départements et provinces ; 2º des associations industrielles, petites républiques ouvrières ; 3º des services publics (à prix de revient) ; 4º des artisans et marchands libres. Normalement, le nombre des industrieux, artisans, marchands, est déterminé par celui des propriétaires fonciers. Tout pays doit vivre de sa propre production ; par conséquent la production industrielle doit être égale à l’excédant de subsistances non consommé par les propriétaires.

Il y a des exceptions à cette règle : en Angleterre, par exemple, la production industrielle dépasse cette proportion, grâce au commerce extérieur. C’est une anomalie temporaire ; à moins que certaines races ne soient vouées à une éternelle subalternisation. Ailleurs il existe des productions exceptionnelles partout demandées - celles de la pêche, par exemple, celles d’une exploitation minière. Mais, calculée sur le globe entier, la proportion est telle que je le, dis : la quotité des subsistances est le régulateur ; par conséquent, l’agriculture est l’industrie primordiale et prépondérante.

En constituant la propriété foncière, le législateur a voulu une chose : c’est que la terre ne fût pas aux mains de l’État, communisme et gouvernementalisme dangereux, mais sous la main de tous. La tendance est, en conséquence, on ne cesse de nous le dire, à l’ équilibre des propriétés, et ultérieurement à celui des conditions et fortunes.

C’est ainsi que, par les règles de l’association industrielle, qui tôt ou tard, à l’aide d’une législation meilleure, comprendra de vastes corps d’industrie, chaque travailleur a la main sur une, portion du capital.

C’est ainsi que, par la loi de diffusion du travail et la répercussion de l’impôt, tout le monde doit payer sa part, à peu près égale, des charges publiques.

C’est ainsi que, par une véritable organisation du suffrage universel, tout citoyen a la main sur le gouvernement ; c’est ainsi encore que, par l’organisation du crédit, tout citoyen a la main sur la circulation, se trouve à la fois commanditaire et commandite, escompteur et banquier devant le public.

C’est ainsi que, par l’enrôlement, chaque citoyen a part dans la défense ; par l’éducation, part dans la philosophie et la science.

C’est ainsi enfin que, par le droit de libre examen et de libre publicité, chaque citoyen a la main sur toutes les idées et les idéalités qui peuvent se produire.

L’humanité procède par des approximations :

1º Approximation de l’égalité des facultés par l’éducation, la division du travail, le dégagement des aptitudes ; 2º Approximation de l’égalité des fortunes par la liberté commerciale et industrielle ; 3º Approximation de l’égalité de l’impôt ; 4º Approximation de l’égalité de propriété ; 5º Approximation de l’anarchie ; 6º Approximation de la non-religion, ou non-mysticisme ; 7º Progrès indéfini dans la science, le droit, la liberté, l’honneur, la justice.


C’est une preuve que la FATALITÉ ne gouverne pas la société ; que la géométrie et les proportions arithmétiques ne régissent pas ses mouvements, comme la minéralogie et la chimie ; qu’il y a là une vie, une âme, une liberté qui échappe aux mesures précises, fixes, gouvernant la matière. Le matérialisme, en ce qui touche la société, est absurde.

Ainsi, sur cette grande question, notre critique au fond reste la même, et nos conclusions sont toujours les mêmes - nous voulons l’égalité de plus en plus approximée des conditions et des fortunes, comme nous voulons l’égalisation de plus en plus approximée des charges. Nous repoussons, avec le gouvernementalisme, le communisme sous toutes les formes ; nous voulons la définition des fonctions officielles et des fonctions individuelles ; des services publics et des services libres. Il n’y a qu’une chose nouvelle pour nous dans notre thèse : c’est que cette même propriété, dont le principe contradictoire et injurieux soulevait notre improbation, nous l’acceptons aujourd’hui tout entière, avec sa réserve également contradictoire : Dominium est jus utendi et abutendi re suâ, quatenus juris ratio patitur. Nous avons compris enfin que cette opposition de deux absolus, dont un seul serait irrémissiblement condamnable ; qui tous deux ensemble devraient être rejetés, s’ils marchaient séparément, cette opposition est le fondement même de l’économie sociale et du droit public : sauf à nous à la gouverner et à la faire agir selon les lois de la logique.

Que faisaient les apologistes de la propriété ? Les économistes de l’école de Say et de Malthus ?

Pour eux, la propriété était un sacrement qui subsistait seul et par lui-même, antérieurement, et supérieurement à la raison d’État, indépendamment de l’État, qu’ils déprimaient au delà de toute mesure.

Ils voulaient donc la propriété indépendamment du droit, comme ils veulent encore la concurrence indépendamment, du droit ; la liberté d’importation et d’exportation, indépendamment du droit ; la commandite industrielle, la Bourse, la Banque, le salariat, le fermage, indépendamment du droit. — C’est-à-dire que dans leurs théories de la propriété, de la concurrence, du crédit, non contents de professer une liberté illimitée, une initiative illimitée, que nous voulons aussi, ils font abstraction des intérêts de collectivité, qui sont le droit ; ne comprenant pas que l’économie politique se compose de deux parties fondamentales : la description des forces et phénomènes économiques en dehors du droit, et leur régularisation par le droit.

Qui oserait dire que l’équilibration de la propriété, comme je l’entends, est sa destruction même. Quoi donc ! N’y aura-t-il plus de propriété, parce que le fermier participera à la rente et à la plus-value ; parce que les droits du tiers qui a bâti ou planté seront consacrés et reconnus ; parce que la propriété du sol n’emportera. plus nécessairement celle du dessus et du dessous ; parce que le locateur, en cas de faillite, viendra avec les autres créanciers au partage de l’actif, sans privilège ; parce qu’entre détenteurs légitimes il y aura égalité, non hiérarchie ; parce qu’au lieu de ne voir dans la propriété que la jouissance et la rente, le détenteur y trouvera le gage de son indépendance et de sa dignité ; parce qu’au lieu de n’être qu’un personnage vulgaire et ridicule, M. Prudhomme ou M. Jourdain, le propriétaire. sera un citoyen digne, conscient de son devoir comme de son droit, la sentinelle avancée de la liberté contre le despotisme et l’usurpation ? La propriété, transformée, humanisée, purifiée du droit d’aubaine, ne sera plus sans doute l’antique domaine quiritaire ; mais elle ne sera pas davantage la possession octroyée, précaire, provisoire, grevée de redevance, tributaire et subordonnée.

J’ai développé les considérations qui rendent la propriété intelligible, rationnelle, légitime, hors desquelles elle demeure usurpatoire et odieuse.

Et même dans ces conditions, elle conserve quelque chose d’égoïste qui m’est toujours antipathique. Ma raison égalitaire, anti-gouvernementale, ennemie de l’acharnement et des abus de la force, peut admettre, appuyer la propriété comme un bouclier, une place de sûreté pour le faible : mon cœur ne sera jamais à elle. Je n’ai pas besoin, quant à moi, ni pour gagner mon pain, ni pour remplir mes devoirs civiques, ni pour ma félicité, de cette concession. Je n’ai pas besoin de la rencontrer chez les autres pour venir en aide à leur faiblesse et respecter leur droit. Je me sens assez d’énergie de conscience, de force intellectuelle pour soutenir dignement toutes mes relations ; et si la majorité de mes concitoyens me ressemblait, qu’aurions-nous à faire de cette institution ? Où serait le danger de tyrannie ? où le risque de ruine par la concurrence et le libre échange ? où le péril pour le petit, le pupille et le travailleur ? Où serait aussi le besoin d’orgueil, d’ambition, d’avarice, qui ne se peut satisfaire que par l’immensité de l’appropriation ?

Une petite maison tenue à loyer, un jardin en usufruit me suffisent largement : mon métier n’étant pas de cultiver le sol, la vigne ou le pré, je n’ai que faire d’un parc, ou d’un vaste héritage. Et quand je serais laboureur et vigneron, la possession slave me suffirait : la quote-part échéant à chaque chef de famille dans chaque commune. Je ne puis souffrir l’insolence de cet homme qui, le pied sur cette terre qu’il ne tient que par une concession gratuite, vous interdit le passage, vous défend de cueillir un bluet dans son champ ou de passer le long du sentier.

Quand je vois toutes ces clôtures, aux environs de Paris, qui enlèvent la vue de la campagne et la jouissance du sol au pauvre piéton, je sens une irritation violente. Je me demande si la propriété qui parque ainsi chacun chez soi n’est pas plutôt l’expropriation, l’expulsion de la terre. Propriété particulière ! Je rencontre parfois ce mot écrit en gros caractères à l’entrée d’un passage ouvert, et qui semble une sentinelle vous défendant de passer. J’avoue que ma dignité d’homme se hérisse de dégoût. Oh ! je suis resté en cela de la religion du Christ, qui recommande le détachement, prêche la modestie, la simplicité d’âme et la pauvreté du cœur. Arrière le vieux patricien, impitoyable et avare ; arrière le baron insolent, le bourgeois cupide et le dur paysan, durus arator. Ce monde m’est odieux ; je ne puis l’aimer ni le voir. Si jamais je me trouve propriétaire, je ferai en sorte que Dieu et les hommes, les pauvres surtout, me le pardonnent !…