Théorie de la grande guerre/Livre VII/Chapitre 3

Traduction par Marc-Joseph-Edgar Bourdon de Vatry.
Librairie militaire de L. Baudoin et Cie (Tome troisièmep. 11-12).

CHAPITRE III.

objet de l’offensive stratégique.


Dans l’une comme dans l’autre forme de l’action à la guerre renverser l’ennemi est le but et détruire ses forces armées est le moyen. En détruisant les forces armées de l’adversaire, le défenseur en arrive à l’offensive et l’attaquant à la conquête du pays. La conquête est donc l’objet de l’offensive, que ce soit d’ailleurs la conquête du territoire entier ou seulement la conquête d’une partie de ce territoire telle qu’une province, un district, une place forte, etc. Au point de vue politique, en effet, qu’on la conserve ou qu’on l’échange, chacune de ces conquêtes peut avoir une certaine valeur au moment de la conclusion de la paix.

On voit que l’objet de l’offensive stratégique comporte un nombre infini de degrés, depuis la conquête du pays entier jusqu’à celle de la place forte la moins importante. Aussitôt que ce but est atteint, l’offensive cesse et la défensive commence. On pourrait donc être porté à se représenter une attaque stratégique comme une unité nettement déterminée. Il n’en est cependant pas réellement ainsi, et, dans la pratique, l’instant où l’offensive se transforme en défensive est aussi indéterminé que l’instant où, dans la défensive, l’action passe à la forme contraire.

Il n’arrive pas toujours que le général se fixe d’avance la conquête qu’il veut faire et, généralement, il laisse les événements en décider. Son offensive le conduit parfois plus loin qu’il ne l’aurait supposé. Parfois aussi, après un temps d’arrêt plus ou moins long, l’accroissement de ses forces lui permet d’aller de nouveau de l’avant, sans qu’il faille pour cela séparer le premier acte du second. Dans d’autres circonstances, il s’arrête plus tôt qu’il ne le voulait faire sans abandonner néanmoins ses projets et passer à la défensive. On voit en un mot que si la défensive heureuse peut insensiblement tourner à l’offensive, celle-ci peut réciproquement peu à peu se transformer en défensive.

S’il venait à perdre de vue ces nuances de l’action dans l’offensive, le lecteur s’exposerait à faire de fausses applications de tout ce que nous avons à dire à ce propos.