Théorie de la grande guerre/Avertissement du t. I

Librairie militaire de L. Baudoin et Cie (p. ix-xi).



Le général prussien Charles de Clausewitz est mort en 1831. Il avait fait les campagnes de 1812, 1813, 1814 et 1815, et dirigé de 1818 à 1830 l’école générale de guerre. L’ouvrage qu’il a consacré à l’étude de la grande guerre, et qui ne fut édité que comme œuvre posthume par les soins de sa veuve, comprend huit livres. Dans notre traduction nous avons laissé de côté les deux premiers livres trop essentiellement philosophiques, et les deux derniers parce qu’ils sont beaucoup plus à l’état d’ébauche que les précédents. Les quatre livres intermédiaires que nous publions nous ont paru former un ensemble où se montrent suffisamment mis en lumière les grands principes stratégiques de l’auteur. Ce fut en 1816 que le général commença son œuvre, et quand une courte maladie l’emporta en 1831 il n’avait pu encore y mettre la dernière main ; aussi lisons-nous dans une note par lui écrite vers la fin de sa vie : « Le manuscrit sur la conduite de la guerre que l’on trouvera après ma mort ne doit être considéré que comme l’ensemble des pierres d’assises sur lesquelles il y aurait à édifier la théorie de la grande guerre....., les six premiers livres, seuls déjà mis au net, ne constituent qu’une masse passablement informe qu’il faudrait entièrement remanier....., quant aux livres 7 et 8, les différents chapitres n’en sont encore qu’esquissés. »


Tel qu’il l’a laissé cependant, ce manuscrit a suffi pour immortaliser son nom en Allemagne où l’esprit militaire est si profondément imbu de ses préceptes, que maintes traces de leur application apparaissent dans la méthode qui a présidé à la dernière invasion de la France.

Ce sont les douloureux souvenirs de nos désastres et la recherche des causes qui les ont amenés qui nous ont inspiré l’idée de vulgariser une œuvre où le vainqueur de 1870 a puisé plus d’un enseignement. Il nous a fallu, à vrai dire, des années d’efforts pour accomplir la tâche ardue d’un traducteur, souvent obligé de paraphraser plutôt que de traduire afin d’être mieux compris du lecteur. Si pourtant ce travail peut attirer l’attention bienveillante de nos camarades de l’armée, s’il doit épargner à quelques-uns la peine de se heurter contre les difficultés du texte allemand et l’ennui de reculer peut-être devant elles, s’il parvient enfin, comme l’œuvre du général de Clausewitz chez nos voisins, à développer en France la saine intelligence des choses de la guerre si nécessaire aux hommes d’État, aux diplomates, aux élus de la nation, à tous ceux en un mot dont l’action personnelle, les conseils ou les votes peuvent exercer de l’influence sur les décisions du Gouvernement et la direction des grands intérêts politiques internationaux, nous nous réjouirons d’y avoir consacré les longues heures de solitude et de repos forcé que la maladie et la retraite nous ont faites.


Lt -Colonel de Vatry.
Paris, le 1er  mars 1886.