Théâtre de campagne/La Dévote
LA
DÉVOTE,
COMÉDIE
En un Acte & en Prose.
PERSONNAGES.
M. DE PÉRANVAL.
Mde DE PERANVAL.
Mde D’ANVORT.
HENRIETTE, Femme-de-Chambre de Madame de Péranval.
Scène première.
Réellement nous serons mieux ici.
Je vous assure que nous aurions été à merveille dans votre Boudoir.
Il est trop petit.
Je sais bien que c’est un lieu fait pour vous recueillir, il ne doit pas être habité par des prophanes comme moi.
Je ne dis pas cela, chacun a sa manière de penser & de se conduire, Madame.
Je ne prétends pas blâmer la vôtre ; mais c’est une plaisanterie à laquelle vous devez être un peu accoutumée.
Aussi je vous réponds que cela ne me fait rien du tout.
Pour moi, je ne conçois pas comment à votre âge, ayant été élevée dans le monde, vous le fuyez autant.
Ce n’est pas qu’il me déplaise, je ne blâme personne.
Vous voyez que nous avons été réduites à souper seules.
Je n’en suis fâchée que parce que je crains que vous ne vous soyez ennuyée.
Je ne m’ennuie point avec vous, Madame.
Je croyois que nous aurions l’Abbé & Madame de Berval ; sans quoi je ne vous aurois pas retenue.
Quelle folie ! je vous assure que j’aime mieux qu’ils ne soient pas venus ; je ne puis les souffrir, parce qu’ils vous confirment dans le projet de retraite que vous avez, & qu’ils sont de ces gens qui veulent qu’on n’aime qu’eux. De quel œil Monsieur de Péranval les voit-il ?
Mais je crois qu’il n’est pas fâché qu’ils soient de mes amis.
Si vous voulez que je vous dise ce que j’en crois, un homme comme lui, qui pense comme tout le monde, doit être fâché que sa femme n’ait point d’autre compagnie que celle des gens de ce ton-là.
Qu’est-ce qu’ils ont donc qu’on puisse leur reprocher ?
Mon Dieu…
Non ; mais dites ?
Je jurerois que Madame de Berval est cause que vous ne vous mettez pas de rouge, elle a fait la sottise de le quitter, & par cette raison, elle veut persuader à toutes les femmes que rien ne sied plus mal.
Ce n’est point elle qui me détermine ; c’est mon goût, c’est la raison.
La raison ? D’être extraordinaire.
Extraordinaire ?
Oui, extraordinaire ; c’est une affiche de vertu qui choque tout le monde.
Pourquoi cela ?
Parce que ce n’est pas l’usage. Ce n’est point pour conserver votre teint ?
Non, sûrement.
Vous contrariez par-là votre Mari.
Il veut bien là-dessus n’avoir nulle volonté, & il sait qu’il me fait plaisir.
Croyez que c’est pure complaisance, d’ailleurs le rouge est actuellement comme la poudre. Ne seriez-vous pas choquée de voir une femme qui s’obstineroit à ne vouloir pas se poudrer ?
Oui parce que cela n’a pas l’air propre.
Et sans rouge, on n’a pas l’air d’être achevée d’habiller, il vous manque toujours quelque chose ; avec des diamans, avez-vous remarqué comme on est jaune ?
Je ne trouve point cela.
Ce sont aussi les gens que vous voyez, qui sont cause que vous n’allez point aux Spectacles.
Je vous assure que non.
Vous me direz encore que vous avez des raisons pour cela, mais une jeune Femme qui ne fait point toutes les choses honnêtes que l’on fait ordinairement, fait parler d’elle d’un ton d’ironie qu’elle ne mérite pas.
Si on ne les mérite pas, il n’y a rien à se reprocher.
Je vous demande pardon, celle dont on ne peut rien dire est toujours la plus louable. Plaire est notre lot, sans cela nous ne sommes rien.
Une honnête Femme ne doit s’occuper que de plaire à son Mari.
Eh bien, je le veux, mais qui vous assurera qu’il se plaira toujours avec vous ?
Je crois que ma tendresse pour lui, mes soins, mes égards, doivent m’en répondre.
Oui, si cela suffisoit avec les hommes ; mais il faut encore qu’ils trouvent leurs maisons agréables par les gens qu’on y rassemble, par les amusemens qu’on y peut rencontrer ; il faut que les gens qu’ils aiment y soient bien reçus, sans quoi, peu-à-peu ils s’éloignent de nous, & une fois échappés, on ne les voit point revenir.
Vous m’effrayeriez si je ne connoissois pas mon Mari.
Mais vous conviendrez bien que ses goûts sont très-différens des vôtres, & les mêmes goûts sont, à Paris, la chaîne la plus forte ; oui, souvent plus durable que celles de l’amitié & de l’amour même. Votre Mari aime la musique, les spectacles, enfin tout ce qu’on aime dans le monde ; que trouve-t-il chez vous ? De tristes lectures, des gens qui, pour lui, semblent être revenus de l’autre monde.
Mais…
Vous-même, sans cesse retirée, ou occupée de choses qui lui sont tout-à-fait étrangères.
Il ne m’a jamais paru se déplaire avec moi.
Je le veux croire, mais y reste-t-il beaucoup ?
Je serois très-fâchée de le gêner.
Vous ne le gênerez point, les Maris sont toujours libres ; mais vous le perdrez.
Je ne renoncerai point à mes occupations, quoique vous puissiez dire, Madame.
Vous ferez tout ce qu’il vous plaira ; mais c’est mon amitié & mon expérience qui m’ont engagée à vous faire ces observations.
Madame, je vous suis obligée.
Je crains de vous gêner en restant davantage.
Mais point du tout.
Je suis sûre que vous avez beaucoup de choses à faire.
Rien ne me presse.
Pardonnez-moi. Et si mes chevaux sont mis, je vous laisserai, parce que je compte aller veiller un peu chez Madame de Birteil.
Madame, ce sera comme il vous plaira, je m’en vais sonner. Elle sonne.
Scène II.
Ah, c’est vous ?
Oui, Madame.
Demandez un peu si les chevaux de Madame sont mis.
Ses Gens sont là.
Allons, je m’en vais. Madame, allez-vous à Péranval bientôt ?
Je ne sais pas, Madame, il n’y a encore rien de décidé.
En ce cas j’aurai l’honneur de vous revoir.
C’est moi, Madame, qui aurai celui de vous aller chercher.
Allons, où voulez-vous aller ?
Je n’irai pas plus loin.
Scène III.
Avez-vous jamais vu une femme comme celle-là, qui vient me demander à souper pour me contrarier toute la soirée.
Comment donc ?
Elle prétend que mon goût pour la retraite, que de ne pas mettre de rouge, de ne point aller au spectacle, tout cela dégoûtera mon Mari de moi.
Il est vrai que Monsieur pense bien différemment de Madame.
Cela peut être ; mais m’en aime-t-il moins ?
Je ne le crois pas.
Elle ne sait donc ce qu’elle dit. Je ne vas pas l’exhorter à quitter le monde, moi, de quoi se mêle-t-elle ?
Je lui aurois dit que j’avois affaire, à la place de Madame.
Cela ne se pouvoit pas ; mais quand elle a voulu s’en aller, je ne l’ai pas retenue. Donnez-moi mes livres.
Lesquels, Madame ?
Le rouge & le bleu, ceux du soir.
Les voilà.
Cette Femme est cause que je n’ai rien lu encore de la journée. Elle se met à lire.
Madame n’a pas besoin de moi ?
Non. Elle lit.
Si Monsieur vient & qu’il trouve Madame comme cela…
Eh bien ? Lisant.
Madame d’Anvort aura peut-être raison.
Allons, n’allez-vous pas être aussi comme elle ?
Non, Madame, mais je disois…
Laissez-moi. Elle lit.
Scène IV.
L’amour m’enfla a a a a ame pour jamais.
Ah, Monsieur, je vous en prie, un moment.
Ah, que Diable, laissez-là votre livre.
Non, je ne peux pas.
Lorsqu’Annette est avec Lubin,
Il fait le plus beau tems du monde,
Il fait le plus beau tems du monde.
Laissez-moi donc, j’aurai bientôt fini.
Vous lirez cela une autre fois. Il veut lui ôter son Livre.
Je ne peux pas remettre, en vérité !
Je quitte un souper charmant, pour venir vous trouver, une musique excellente, & c’est là comme vous me recevez ?
Mais, je ne vous reçois point mal.
Oui, en lisant ; c’est être fort occupée de moi. Allons, allons. Il s’approche.
Je vous dis que j’aurai bientôt fini.
Il n’y a qu’à cesser, c’est le moyen de finir promptement.
Cela m’est impossible.
Impossible ?
Oui, réellement. Tenez, mettez-vous-là.
Eh bien, auprès de vous.
Non, un peu plus loin.
Oh, je veux rester là. Il s’assied dans un fauteuil près de Madame de Péranval.
Hum, hum, hum, &c. Pendant ce tems, Monsieur de Péranval s’endort & ronfle. Madame de Péranval lit toujours, puis elle prononce, Per omnia secula seculorum. Elle regarde Monsieur de Péranval qui dort toujours, elle élève un peu la voix : Per omnia secula seculorum. Il dort toujours. Elle dit plus haut, Per omnia secula seculorum. Impatientée de ce qu’il ne s’éveille pas, elle lui crie dans l’oreille, Per omnia secula seculorum.
Qu’est-ce que vous dites donc là, de seculorum ?
Mon ami ; c’est que j’ai fini.
Vous avez fini ?
Oui, mon ami.
Eh bien, vous n’avez qu’à recommencer ; pour moi, je m’en vais me coucher.
Monsieur, mais dites donc ?…
Bon soir, bon soir. À ses Gens, en sortant. Allons, allons.
Scène dernière.
Madame, est-ce qu’il est tard que Mon-sieur s’en va ?
Taisez-vous.
Mais…
C’est Madame d’Anvort qui m’a porté malheur.
Madame d’Anvort ?
Oui, & vous aussi. Allons, prenez cette bougie.
Il y a de la lumière là-dedans.
Qu’est-ce que cela fait ? Passez donc. Elles sortent.