Textes choisis (Léonard de Vinci, 1907)/Fables

Traduction par Joséphin Péladan.
Société du Mercure de France (p. 289-309).

XVI

FABLES

LA FLAMME ET LA CHANDELLE.

329. Une flamme durait déjà depuis un mois dans le four du verrier, lorsqu’elle vit près d’elle une chandelle placée sur un beau et brillant chandelier, et avec un grand désir elle s’efforça de l’atteindre. Abandonnant son cours naturel et quittant les autres, elle choisit un tison où elle s’augmente et sort par une petite fissure et se jette sur la chandelle qui était voisine et avec avidité et gloutonnement la dévore jusqu’à la consumer.

Voulant ensuite parer au prolongement de sa vie, elle tente de retourner au four d’où elle est partie, mais elle mourut et s’éteignit avec la chandelle ; enfin avec plaintes et pétillements elle se résolut en détestable fumée, tandis que toutes ses sœurs, les autres flammes, resplendissaient de longue vie et de beauté. (CA. 67, r.)

FAUSSE SPLENDEUR.

530. — L’étourdi et vagabond papillon ne se contenta pas de pouvoir commodément voler dans l’air, il vint à l’attirante flamme de la chandelle, résolu à voler sur elle ; et son joyeux mouvement fut suivi d’une subite douleur. À cette lumière ses délicates ailes se consumèrent et le malheureux insecte tomba brûlé au pied du chandelier.

Après beaucoup de plaintes et lamentations il essuie les larmes qui baignent ses yeux et levant son visage dit : — Ô trompeuse lumière, combien, comme moi, tu dois avoir déjà abominablement trompés ! Oh ! j’ai voulu voir la lumière ; ne devais-je pas discerner le soleil de la fausse lueur du sale suif ? (CA. 67, r.)

LA FLAMME ET LA MARMITE.

531. — Un peu de feu, qui dans un petit charbon s’était caché, sous la cendre tiède, se jugeait avec dépit dans une situation misérable.

Quand la femme de la cuisine, pour faire sa nourriture habituelle, survient et pose le bois dans le foyer et ressuscite avec le soufflet une petite flamme et sur les bouts du bois apportés elle pose la marmite sans s’inquiéter si elle est bien d’aplomb.

Alors, ranimé le feu prend au bois sec et commence à s’élever.

Chassant l’air des interstices du bois qu’il remplit avec force et joyeux passage.

Il commence à souffler aux interstices du bois comme si c’étaient des fenêtres faites à souhait et pousse au dehors des flammes longues et rutilantes, éclairant soudain les ténèbres de la cuisine fermée.

Avec joie la flamme déjà croissante joue avec l’air qui l’entoure et comme chante avec un doux murmure, fait un joli son.

Le feu réjoui par le bois sec trouvé dans le four et par lequel il s’était réveillé, commence à folâtrer en ses petites flammèches et de moment en moment, par les interstices qu’il trouve dans le bois, il tire à soi.

Courant entre les bois, joyeux et passant gaiement il commence à souffler et apparaît aux intervalles supérieurs du bois, comme à des fenêtres propices, de temps à autre.

Déjà il apparaît au-dessus du bois, accru et assez vif, et commence à lever son esprit doux et tranquille jusque-là, en enflure et insupportable orgueil, faisant comme s’il croyait attirer tout le superbe élément sur le peu de bois. Et il commence à souffler et à coups d’étincelles d’une façon pétillante, tout autour du foyer, déjà la flamme, devenue grosse, se divisait sous la pression de l’air, quand plus haute, parcourant la marmite du fond au bord supérieur… (CA. 116, v.)

QUI S’HUMILIE SERA EXALTÉ.

532. — Un peu de neige se trouvait sur la cime d’un rocher formant la dernière cime d’une très haute montagne, et se recueillant en ses imaginations elle commence à se comparer à la montagne et à se dire à elle-même :

« Je ne dois pas me juger altière et superbe, petit peu de neige placé en ce haut lieu et supporter qu’une telle quantité de neige que je vois soit située bien au-dessous de moi. Ma petite quantité ne mérite pas cette altitude qui peut bien, par le témoignage de ma petite figure, connaître celle que le soleil faisait hier à mes compagnes qui en peu de temps furent fondues par le soleil. Et cela leur est arrivé parce qu’elles étaient placées plus haut qu’il n’était nécessaire. Je veux fuir la colère du soleil et m’abaisser et trouver un endroit convenable à ma petitesse. Elle se jette en bas et commence à descendre, roulant de la roche élevée sur l’autre neige. Plus elle cherche un lieu bas, plus sa quantité s’accroît, de telle façon qu’au terme de son cours sur une colline qui se trouve guère moins grande que celle qu’elle soutient : ce fut la dernière neige que dans ce lieu le soleil fondit. Cela enseigne que ceux qui s’humilient seront exaltés. (CA. 66, v.)

533. — La boule de neige plus elle roule et descend la montagne de neige, plus elle augmente de volume. (CA. 67, v.)

LE RASOIR.

534. — Sortant un jour du manche qui lui fait une gaine, le rasoir placé au soleil vit l’astre se refléter sur lui ; de cela il prit grande gloire, et se révolta en pensée et commença à se dire : « Je ne retournerai plus à cette boutique dont je viens de sortir. Certes non : ne plaise à Dieu qu’une si splendide beauté tombe en telle vileté d’âme ! Quelle place, celle qui me conduit à raser les barbes ensavonnées de vilains rustres et de faire un office mécanique. Suis-je fait pour semblable exercice ? Certes non. Je veux me cacher dans quelque lieu secret et y passer ma vie en parfait repos. » Et ainsi, il reste caché pendant quelques mois et un beau jour revient à l’air et se dresse hors de sa gaine et il se voit semblable à une scie rouillée et sa surface ne reflétait plus le splendide soleil. Avec un vain repentir il déplore son irréparable dam, se disant : « Oh ! comme il valait mieux exercer chez le barbier mon fin tranchant maintenant perdu ? Où est l’éclat de ma surface ? L’implacable et brutale rouille l’a dévoré. »

Il en advient de même aux esprits qui quittent l’exercice pour se donner à l’inertie ; comme ce rasoir, ils perdent le tranchant de leur subtilité et la rouille de l’ignorance les déforme. (CA. 172, v.)

L’AGITATION.

535. — Le torrent apporta tant de terre et de pierres dans son lit qu’il fut contraint de changer son cours. (R. 1314.)

LE PAPIER ET L’ENCRE.

536. — Se voyant tout mâchuré par la noirceur épaisse de l’encre, le papier se lamente ; mais elle lui montre que les paroles qui sont tracées sur lui seront une raison de sa conservation. (R. 1322.)

LA PIERRE.

537. — Une pierre de belle grandeur se trouva couverte par l’eau ; elle était située à un certain endroit relevé où elle terminait un charmant bosquet, au-dessus d’un chemin rocailleux, parmi les herbes et les fleurs aux couleurs variées. Elle voyait la grande quantité de pierres qui se trouvaient placées sur le chemin. Le désir lui vint de se laisser tomber, se disant à elle-même : « Que fais-je parmi ces herbes ? je veux être en compagnie de mes sœurs. » Et elle se laisse tomber et vient rouler dans la compagnie désirée. Au bout de peu de temps, les roues des voitures, les pieds ferrés des chevaux et ceux des passants ne la laissaient pas en repos ; ce fut à qui la pousserait, la frapperait et parfois elle perdit des morceaux. Quand elle fut couverte de boue et de la fiente des animaux, elle regarda avec regret l’endroit qu’elle avait quitté, ce lieu de la solitude et de la tranquille paix.

Cela arrive à ceux qui veulent sortir de la vie solitaire et contemplative pour venir habiter dans la ville, parmi le peuple, parmi d’infinis maux. (CA. 172, v.)

L’EAU.

538. — Se trouvant dans la superbe mer, son élément, l’eau vient à ambitionner de s’élever au-dessus de l’air, et aidée par le feu élémentaire elle monta en subtile vapeur et parut aussi subtile que l’air. En s’élevant elle atteint une zone plus subtile et plus froide où le feu l’abandonne et les petits grains restreints déjà s’unissent et se font pesants et en tombant l’orgueilleuse coule. Elle tombe du ciel : elle fut la bienvenue pour la terre sèche où absorbée pour longtemps elle fit pénitence de son péché. (SKM. III, 98, v.)

LE CHÂTAIGNIER ET LE FIGUIER.

539. — Le châtaignier voyant l’homme sur le figuier pliant ses branches à l’envers, en arrachant les fruits mûrs et les mettant dans sa bouche ouverte, les ouvrant et mangeant à belles dents, agita ses longs rameaux et dit avec un bruissement tumultueux : — Ô figuier, comme la nature t’a moins bien traité que moi ! Vois comme mes doux fils sont préservés, d’abord vêtus d’une fine enveloppe sur laquelle la peau ferme et résistante est placée. Et non content du bénéfice que leur donne leur forte écorce, au-dessus d’elle, des épines fortes et pointues empêchent la main des hommes de leur luire ?

Alors, le figuier se mit à rire avec ses fils et quand il eut fini, il répondit : — L’homme est d’un tel esprit, qu’il te récolte avec les gaules, les pierres ; et les serpes fourragent dans tes rameaux, faisant peu de cas de tes fruits qui tombés sont foulés aux pieds avec les cailloux, de façon qu’ils sont écrasés et arrachés de leur armature : moi, on me prend soigneusement dans les mains, tandis qu’on t’aborde avec le bâton et les pierres. (CA. 67, v.)

MAUVAISE COMPAGNIE.

540. — La vigne vieillie sur le vieil arbre tomba en même temps que lui et fut entraînée par son triste compagnon dans la même ruine. (R. 1314.)

541. — Le saule qui, par ses longues frondaisons, veut croître jusqu’à dépasser toute autre végétation, pour avoir fait compagnie avec la vigne, qui chaque année se boit, fut encore estropié. (R. 1314.)

LE TROÈNE ET LE MERLE.

542. — Un troène sentant sur ses subtils rameaux, remplis de fruits nouveaux, les coups de griffes et de bec d’un merle importun, se désolait, avec piteux reproches, contre ce merle et lui demanda pourquoi il lui prenait ses fruits délicats, et au moins qu’il ne le privât pas de ses feuilles qui le défendaient des rayons trop chauds du soleil et que son ongle aigu n’excoriât pas son écorce. À cela le merle vilainement répondit : « Tais-toi, sauvage rejeton ! Ne sais-tu pas que la nature te fait produire ces fruits pour me nourrir ? Ne vois-tu pas que seul au monde, je me sers de cet aliment ? Tu ne sais, vilain, que tu seras, au prochain hiver, l’aliment du feu. » L’arbre écouta ces paroles patiemment, mais non sans larmes ; peu après le merle fut pris en des rêts et on coupa des rameaux pour faire une cage et enfermer le merle ; un bout des branches forma les barreaux de cage, qui firent perdre la liberté à l’oiseau et le troène lui dit : « Ô merle, je ne suis pas encore consumé par le feu, selon ton dire, je te vois d’abord prisonnier, toi qui m’as rongé. » (CA. 67, v.)

543. — Le filet qui servait à prendre les poissons fut enlevé et déchiré par leur fureur. (R. 1314.)

544. — Comme la branche du noyer — qui seule est frappée et battue, quand elle a conduit ses fruits à maturité — si on examine que moyennant la fin de leur fameuse opération elles sont frappées de l’envie par divers modes. (H. 98, r.)

545. — L’épine entée sur les bons fruits signifie que l’âme par elle-même n’est pas disposée pour la vertu, mais moyennant l’adjuvance du précepteur, elle se rend très utile. (H. 99, r.)

546. — Le lin est dédié à la mort et à la corruption des mortels ; à la mort par les lacèrements des oiseaux, animaux et poissons ; à la corruption par la toile où s’enveloppent les défunts qu’on ensevelit qui corrompent leur linceul. Et encore ce lin ne se détache que par fétu ; s’il ne commence à macérer et à se corrompre, car il doit couronner et orner les offices funéraires. (G. 68, v.)

547. — Par le mouchoir qui se tient avec la main au cours de l’eau courante où la toile laisse toutes ses saletés, cela signifie… (G. 68, r.)

547 bis. — L’aigle en son vol méprisa le hibou, mais il englua ses ailes dans la poix et fut pris et tué par l’homme. (C. A. 67, r.)

548. — Le lys se pose sur la rive du Ticino, et le courant traîne ensemble la rive et le lys. (CA. 76, r.)

549. — Le noyer montrant au-dessus du chemin la richesse de ses fruits aux passants, tout le monde le lapide. (C. A. 76, r.)

550. — Le figuier sans fruits, personne ne le regarde ; il voulut être loué des hommes, avec ces mêmes fruits, il fut plié et rompu. (C. A. 76, r.)

551. — La plante se désole du pieu sec et vieux qui est placé à son côté et des autres vieux pieux qui l’environnent, l’un la fait tenir droite et les autres la gardent des mauvaises compagnes. (C. A. 76, r.)

552. — La couleuvrée mécontente de sa haie commença à passer ses rameaux sur le chemin commun et à s’attacher à la haie opposée : elle fut rompue par les passants. (C. A. 76, r.)

553. — Le cèdre infatué de sa beauté méprisait toutes les plantes d’alentour : et la fatalité l’exauçant, ces plantes disparurent et le cèdre s’éleva solitaire comme il voulait. Mais survint un grand vent, qui n’étant arrêté par végétation déracina le cèdre et le jeta bas. (C. A. 76, r.)

554. — Ce cèdre désira former un bel et grand fruit à son sommet ; il le fit avec toute la force de sa sève ; ce fruit crût beaucoup, et fut cause que la cime si droite et élevée déclina. (C. A. 76, r.)

555. — Le pêcher, enviant la grande quantité de fruits qu’il voit à son voisin le noyer, délibère de faire comme lui et il charge ses branches de telle façon que le poids des fruits le tire, l’arrache et le courbe jusqu’à terre. (C. A. 76, r.)

LA NOIX ET LE MUR.

556. — Une noix portée sur un haut clocher par une corneille tomba, libérée du bec mortel ; elle pria le mur, au nom de la grâce que Dieu lui avait faite d’être si haut et enrichi d’une si belle cloche d’un si beau son, de la secourir puisqu’elle n’avait pu tomber sous les rameaux verts de son vieux père et dans la terre grasse recouverte par les feuilles qui tombent, qu’il veuille ne pas l’abandonner.

Après s’être trouvée dans le bec de la fière corneille, changeant d’existence, elle désirait finir sa vie en un petit trou. Ému et compatissant à ces paroles, le mur fut contraint de la garder à l’endroit où elle était tombée. En peu de temps, le noyer commença à pousser et à glisser ses racines entre les fissures des pierres et à allonger des rameaux hors de son trou, et ses branches bientôt s’élevèrent au-dessus de l’édifice et les racines noueuses ayant grossi se mirent à ouvrir le mur et à chasser les pierres antiques de leur emplacement. Alors le mur trop tard et en vain comprend la raison de son malheur et en peu de temps il voit la ruine de la plus grande partie de ses membres. (C. A. 67.)

LE PAYSAN ET LA VIGNE.

557. — Voyant l’utilité de la vigne un paysan lui fait beaucoup de tuteurs pour la soutenir et le fruit cueilli, il enlève les perches et la laisse tomber et fait du feu avec les tuteurs. (C. A. 67, r.)

LE SAULE ET LA CITROUILLE.

558. — Le saule s’estimait malheureux de ne pouvoir jouir du plaisir de voir ses fins rameaux arriver à la grandeur désirée, attesta le ciel, à propos de la vigne et autres plantes voisines, qu’il était sans cesse estropié, dérangé et gâté ; rassemblant tous ses esprits et donnant un âpre cours à son imagination longtemps pensive, il recherchait quelle plante il pouvait s’allier qui n’eût pas besoin de ses liens, et comme il était dans ses cogitations, le cours de ses pensées l’amena à la citrouille. Dans l’allégresse d’avoir trouvé la compagnie désirée, il agita ses rameaux, car la citrouille est moins apte à rattacher les autres qu’à être attachée. Ayant délibéré il dressa ses rameaux vers le ciel attendant quelque obligeant oiseau qui lui servît à réaliser son désir.

Bientôt il aperçut une pie : « Gentil oiseau, je te prie, au nom du secours que tu as trouvé un matin de ces derniers jours dans mes branches, quand le faucon affamé, cruel et rapace, te voulait dévorer, et par le repos que tu as goûté sur moi quand tu as senti le besoin de fermer tes ailes, et pour les plaisirs que tu as goûtés sous mes feuilles avec ta compagne à la saison des amours, je te prie donc d’aller trouver la citrouille et de lui demander de sa semence, que je la traiterai comme si elle était générée par mon corps ; use de tous les moyens de persuasion et je n’ai pas besoin de te faire la leçon, à toi qui es maître dans l’art de parler. Si tu fais cela, je recevrai ton nid à la naissance de mes rameaux, avec toute la famille, sans paiement d’aucune sorte. »

Alors la pie ayant pactisé avec le saule et arrêté d’autres points plus que serpent et fouine si elle n’acceptait pas, haussa la queue et baissa la tête, et quittant les branches rendit son poids aux ailes.

Et battant l’air d’ici et de là curieusement et se dirigeant avec le timon de sa queue, elle parvient à la citrouille et avec un beau salut et de bonnes paroles demande la semence désirée. Revenue vers le saule qui la reçut avec joie, elle remua un peu la terre au pied de l’arbre avec son bec et planta autour de lui la graine. Celle-ci bientôt crût, enveloppa de ses rameaux toutes les branches et avec ses grandes feuilles cacha la beauté du ciel et du soleil. Et ne s’arrêtant pas là, la citrouille par l'augmentation de son poids commença à tirer la cime des tendres rameaux vers la terre, les torturant et les distendant. Alors le saule se secoua et s’agita pour faire lâcher prise à la citrouille, mais les jours se passèrent en vains efforts, car la ligature était si forte que c’était impossible de la rompre. Voyant passer le vent, le saule lui demanda de souffler très fort. Alors le tronc du vieux saule s’ouvrit en deux jusqu’à ses raciet tomba en deux morceaux ; et alors il se rendit compte qu’il n’était pas né pour un meilleur destin (G. A. 119, r.)

LE CHIEN ET LA PUCE.

559. — Un chien dormait sur la peau d’un chevreau. Une de ses puces, à l’odeur de la laine grasse, juge que ce doit être un meilleur lieu pour vivre et être à l’abri des dents et des ongles du chien, et sans autre pensée abandonne le chien.

Entrée sous la laine épaisse, elle commence avec grande fatigue à vouloir atteindre la racine des poils.

Après beaucoup de sueur elle la trouve sèche parce que ses poils avaient été tant pressés qu’ils se touchaient et il n’y avait pas une place où la puce pût entamer la peau. Après beaucoup de travail pénible elle veut retourner à son chien ; il était parti, elle fut contrainte, après une longue souffrance et d’amers regrets, à mourir de faim. (C. A. 119, r.)

LA GUENON ET L’OISELET.

560. — Trouvant un nid de petits oiseaux, la guenon toute contente s’empresse ; ils étaient en état de voler, elle ne garda que le petit. Pleine d’allégresse, elle le prit dans ses mains et alla à son gîte et se mit à considérer l’oiselet et à le baiser. Et, par ardente tendresse, elle le baise tant et l’étreint, de sorte qu’elle l’étouffe. Ceci est dit pour ceux qui, ayant mal corrigé leurs fils, ceux-ci finissent mal. (C. A. 67, r.)

LA SOURIS, LA BELETTE ET LE CHAT.

561. — Assise en face de la petite habitation d’une souris, la belette, avec une continuelle vigilance, attendait sa mort. Par un petit soupirail, la souris regardait son grand péril. Sur ces entrefaites, arrive une chatte qui se jette sur la belette et aussitôt la dévore. Alors le rat fait un sacrifice à Jupiter de quelques-uns de ses noyaux et remercie avec effusion la divinité et sort hors de son réduit pour jouir de sa liberté. Soudain elle lui est ravie avec l’existence par les ongles féroces et les dents de la chatte. (C. A. 67, r.)

L’ARAIGNÉE ET LA GRAPPE.

562. — L’araignée se tenant dans les raisins prenait les mouches qui venaient s’y poser. La vendange arriva et l’araignée fut écrasée avec le raisin. (R. 1314.)

563. — L’araignée trouvant une grappe de raisin dont la douceur attirait les abeilles et diverses espèces de mouches, crut avoir trouvé un endroit très propice à ses embûches. Elle tissa avec son mince fil et entra dans sa nouvelle habitation et tous les jours à travers les spirales placées entre les grappes de raisin elle enserrait, comme un larron, les misérables bestioles qui ne se méfiaient pas. Les jours passèrent, le vendangeur cueille la grappe et l’araignée avec. Ainsi le raisin fut le lac et l’embûche de l’araignée comme il l’avait été des mouches. (C. A. 67, v.)

L’HUITRE, LE RAT ET LA CHATTE.

564. — L’huître mêlée aux autres poissons dans la main du pêcheur voulut rentrer dans la mer, et pria le rat de la conduire : le rat, dans le dessein de la manger, la fait ouvrir et celle-ci lui serre la tête et ferme sa coquille ; la chatte survient qui tue le rat. (H. 51, v.)

LE FAUCON ET LE CANARD.

565. — Le faucon, ne pouvant supporter sans impatience la cachette que fait le canard fuyant et entrant sous l’eau, veut le suivre et se mouille les plumes et reste dans l’eau ; et le canard se lève en l’air et se rit du faucon qui se noie. (H. 44, v.)

L’HUITRE ET L’ÉCREVISSE.

566. — À la pleine lune l’huître s’ouvre toute et quand l’écrevisse la voit, elle la guette de quelque pierre : et l’huître qui ne se peut fermer, devient la nourriture de l’écrevisse. Ainsi fait quiconque ouvre la bouche et dit son secret et se fait prendre par l’indiscret auditeur. (C. 67, v.)

LES GRIVES ET LA CIVETTE.

567. — Les grives se réjouissaient en voyant que l’homme prît la civette et lui ôtât la liberté, lui liant les pieds avec de forts liens. Cette civette fut ensuite cause, par l’emploi de la glu, que les grives perdirent non la liberté, mais la vie même. Cela est dit pour ceux qui se réjouissent jouissent de voir leurs amis perdre la liberté ainsi que tout secours, restés liés en la puissance de leurs ennemis, et perdent la liberté et parfois la vie. (C. A. 67, v.)

L’ARAIGNÉE.

568. — L’araignée, voulant prendre la mouche dans ses rêts trompeurs, fut cruellement tuée par le frelon. (C. A. 67, r.)

L’ÉCREVISSE.

569. — L’écrevisse se tenait sous les pierres pour prendre les poissons qui y entraient ; survint une crue, avec un grand mouvement de cailloux, et leur roulement écrasa l’écrevisse. (R. 1314.)

570. — Le figuier regardait l’orme, son voisin, et voyant ses branches sans fruits résister aux flèches acerbes du ciel, avec reproche lui dit : Ô orme, tu n’as vergogne à te tenir en ma présence ! Mais attends que mes fils soient en état de maturité et tu verras où je te trouverai. »

Ces fils, ayant mûri, passa une escouade de soldats, qui jeta ses figues à terre, brisa ses branches et l’arracha. Il resta ensuite comme estropié de ses membres. L’orme lui dit : — Ô figuier, que valait-il mieux d’être sans fils, ou qu’ils vous mettent en si misérable état ? (C. A. 76, r.)

LES PLANTES ET LE POIRIER.

571. — Voyant tailler le poirier, le laurier et le myrte crièrent à haute voix : — Ô poirier, où vas-tu ? où est ton orgueil quand tu portais tes fruits mûrs ? Maintenant tu ne feras plus d’ombre avec ton épais feuillage. Il répondit : — Je vais avec le jardinier qui me taille et me porte à la boutique du meilleur sculpteur qui par son art me fera prendre la forme du dieu Jupiter. Je serai dédié dans le temple et adoré des hommes à l’égal de Dieu. Et toi tu te mets en point à rester estropié et privé de tes rameaux, que les hommes disposeront autour de moi pour m’honorer. (C. A. 76, r.)

L’ÂNE SUR LA GLACE.

572. — Un âne s’était endormi sur la glace d’un lac profond, sa chaleur fit fondre la glace et l’âne tomba sous l’eau et fut noyé. (C. A. 67, v.)

LA FOURMI ET LE GRAIN.

573. — La fourmi trouva un grain de mil, et le grain lui dit : — Si tu me fais la grâce de me laisser jouir de mon désir de naître, je te rendrai cent pour un. Et ainsi fut fait. (C. A. 67, v.)

LÉGENDE DU VIN ET DE MAHOMET.

574. — Se trouvant dans une riche tasse d’or sur la table de Mahomet, le vin, la divine liqueur du raisin, se monte en gloire de tant d’honneur et agité d’une pensée contraire se dit à lui-même : — Que fais-je ? De quoi est-ce que je m’enorgueillis. Ne suis-je pas sur le point de mourir et de laisser l’habitation dorée de la tasse pour entrer dans la grossière et fétide caverne du corps humain, et de changer ma suave et odorante liqueur en une sale et triste urine ? Et tant de mal ne suffit pas, encore faut-il longtemps séjourner dans les sales réduits avec l’autre matière fétide et corrompue sortie du ventre humain. Il cria au ciel, demandant vengeance d’un tel dam et comment il y aura une fin à cette déchéance, alors que les pays produisant les plus beaux et les meilleurs raisins de l’autre monde n’en sont pas moins réduits en vin. Alors Jupiter fait que le vin bu par Mahomet excite son âme à l’inverse de sa raison, le rend fou et lui inspire de telles erreurs, qu’il fait une loi pour défendre aux Asiatiques de boire du vin. Depuis, on laisse les vignes avec leurs fruits (C. A. 76, r.)

En marge.

575. — Le vin, arrivé dans l’estomac, commence à bouillir et à fermenter ; l’âme commence à abandonner le corps ; déjà le visage tourne vers le ciel, le cerveau trouble la raison de la division de son corps ; la contamination commence à le rendre furieux, à la façon des fous ; il commet d’irréparables erreurs, et frappe ses amis…