Textes choisis (Léonard de Vinci, 1907)/Descriptions et paysages

Traduction par Joséphin Péladan.
Société du Mercure de France (p. 267-288).

XV

DESCRIPTIONS. — PAYSAGES

REPRÉSENTATION DU DÉLUGE[1]

515. — L’air sera obscur, à cause de la pluie serrée frappant obliquement, sous la pression transversale du vent et faisant des ondes dans l’air, comme on le voit par la poussière, avec cette différence que cette inondation sera traversée par les lignes que forment les gouttes de l’eau qui tombe. Mais sa couleur viendra du feu engendré par la foudre, fendant et déchirant les nues, dont les flammes frapperont et ouvriront les abîmes des vallées remplies, dont les ouvertures montreront dans leurs abris le haut des plantes courbé. Et Neptune se voit au milieu des eaux avec son trident et aussi Éole avec ses vents enveloppant les plantes arrachées et qui flottent dans l’énorme courant.

L’horizon, avec toute l’hémisphère, sera troublé et en feu par les flammes incessantes de la foudre. On verra les hommes et les oiseaux remplir les grands arbres non encore couverts par la croissance des eaux, et d’autres sur les collines et d’autres autour des grands gouffres. (G. 6, v.)

On verra l’atmosphère obscure et nébuleuse combattue par le cours de vents contraires et désordonnés par la pluie continuelle et mêlée de grêle, et entraînant une infinité de branchages arrachés avec toutes leurs feuilles. Aux alentours, on voit les plus anciennes végétations déracinées et brisées par la fureur du vent et la ruine des monts déjà déchaussés, par le cours de leurs fleuves, s’éboulant dans ces mêmes fleuves et obstruer leurs vallées ; et ces fleuves débordant, inondant et submergeant les terres et leurs habitants.

Encore vous auriez pu voir, sur la cime de beaucoup de montagnes, les animaux les plus variés réunis ensemble par la peur et réduits au contact familier en compagnie des hommes qui fuient avec leurs femmes et leurs enfants.

La campagne submergée montre ses ondes couvertes de tables, de couchettes, de barques et autres objets accommodés par la nécessité et dans la peur de la mort. Sur ces objets, des femmes et des hommes avec leurs enfants crient et se lamentent épouvantés de la fureur du vent, qui en tempête retourne l’eau sens dessus dessous, avec les morts qu’elle a noyés. Aucune chose plus légère que l’eau qui ne fut couverte de divers animaux. Ceux-ci, faisant trêve, se tenaient ensemble, en un groupement peureux, loups, renards, serpents de toute sorte qui fuient la mort. Et toute l’onde frappant les rivages, les attaquant avec le choc des corps noyés et ces corps achevant de tuer ceux qui gardent un reste de vie.

On peut voir des groupes d’hommes qui à main armée défendent le petit espace qui leur reste contre les lions, les loups et autres rapaces qui viennent y chercher leur salut.

Oh ! quelles rumeurs effrayantes on entend dans l’air obscur, déchiré par la fureur du tonnerre et les fulgurances de ces secousses qui dévastent et passent, frappant tout ce qui leur fait obstacle ! Oh ! combien vous en auriez vu boucher leurs oreilles avec leurs mains pour ne pas entendre l’immense rumeur qui emplit l’air ténébreux de la fureur des vents mêlés a la pluie, aux tonnerres célestes et à la fureur de la foudre.

D’autres ne se bornent pas à fermer leurs yeux, ils y posent leurs mains superposées et les serrent pour ne pas voir le cruel destin que la colère de Dieu fait à l’espèce humaine.

Oh ! quels désespoirs et combien d’affolés se précipitent du haut des rochers ! On voit les rameaux d’un grand chêne chargé d’hommes transporté dans l’air par l’impétuosité du vent.

Autant qu’elles sont, les barques sont renversées les unes entièrement, les autres en morceaux sur les gens qui se débattent, pour leur salut, avec des attitudes et des mouvements douloureux, sentant la mort menaçante. D’autres en désespérés se suicident, désespérant de pouvoir supporter pareille angoisse ; les uns se jettent du rocher, les autres s’étranglent de leurs propres mains, d’autres prenant leurs enfants très rapidement les jettent au remblai, d’autres se frappent de leurs armes et se tuent eux-mêmes, mêmes, d’autres tombent à genoux se recommandant à Dieu.

Oh, combien de mères pleurent leurs fils noyés qu’elles tiennent sur leurs genoux, levant leurs bras ouverts vers le ciel et d’une voix qui hurle maudissent la colère divine. D’autres, mains jointes et crispées, se mordent d’une dent cruelle comme s’ils se dévoraient, priant avec supplication, écrasés par une immense et insupportable douleur.

On voit les troupeaux d’animaux, chevaux, bœufs, chèvres déjà entourés d’eau et restés isolés sur la haute cime des monts ; ils reculent ensemble et ceux du milieu s’élèvent en haut et marchent sur les autres et cela fait entre-eux grande mêlée et beaucoup meurent par manque de nourriture.

Et les oiseaux se posent sur les hommes et sur d’autres animaux, ne trouvant plus de terre découverte qui ne soit occupée par des vivants ; déjà la faim, servante de la mort, a ôté la vie à beaucoup d’animaux ; et les corps morts déjà soulevés montent du fond de l’eau et surgissent à la surface. Dans le combat des ondes qui entre elles l’une l’autre se harcèlent et, comme une balle pleine de vent, bondissent en arrière du lieu de leur percussion, les eaux deviennent la source des morts prédites.

Ett sur toute cette malédiction, l’air étend des nuées obscures divisées par les mouvements serpentins de la foudre céleste en furie, illuminant tantôt ici, tantôt là, l’horreur des ténèbres.

On voit le mouvement de l’air au milieu de celui de la poussière soulevée comme par la course du cheval et ce mouvement est si rapide à remplir le vide, que de lui-même il rejette l’air qui le revêt ; telle est la vélocité de ce cheval à fuir devant l’air susdit.

Et il te paraîtra raisonnable peut-être de me reprendre d’avoir figuré la vue faite par l’air du mouvement du vent, car le vent par lui-même ne se voit pas dans l’air. À quoi on répond, non qu’il s’agit du mouvement du vent, mais des choses qu’il met en mouvement et qui seules le manifestent.

Ténèbres, vent, tempête marine, déluge d’eau, forêt en feu, pluie, foudre du ciel, tremblement de terre, éboulement de montagne, villes rasées !

Vents tourbillonnants qui portent l’eau, les branches et les hommes dans l’air !

Branches arrachées par le vent, mêlées dans l’ouragan aux gens qui sont dessus.

Arbres déracinés chargés d’hommes.

Navires réduits en pièces et battus contre les écueils !

Sur les troupeaux, grêle, foudre, vents vertigineux !

Gens gîtés sur les arbres et qui ne peuvent se soutenir ; arbres et rochers, tours, collines pleines d’humains, planches, vaisseaux et autres instruments pour surnager ; collines couvertes d’hommes, de femmes, d’animaux, et foudre des nuages qui illumine toutes ces choses !

Il faut figurer d’abord la cime d’une âpre montagne avec une vallée à sa base ; et sur les côtés, on voit l’écorce de la terre se soulever avec les minces racines des petits rejetons et dénuder ainsi beaucoup des rochers d’alentour, descente calamiteuse d’un tel éboulement ; l’eau par la turbulence de la course va frappant et déchaussant les liens, les bulbes et racines des grands arbres et les ruine, comme il est dit. Et sur les montagnes dénudées s’ouvrent profondes fissures faites par les anciens tremblements de terre ; et les pieds des montagnes sont en grande partie soutenus et vêtus des débris des arbustes précipités des côtés de la haute cime et mêlés à la fange ; racines, rameaux et feuilles se mêlent dans la boue, la terre et les cailloux.

Et les ruines de certains monts tombent dans la profondeur des vallées et font obstacle à l’eau enflée du fleuve ; et cet obstacle bientôt surmonte l’eau, court violemment et va ruiner et frapper les murs de la cité et les habitations de la vallée.

Et les ruines des autres édifices de la cité jettent une grande poussière, l’eau s’élève en forme de fumée. En désordre, les nuées s’agitent contre la pluie qui descend.

Mais l’eau débordante va tournoyant vers la mer qui l’absorbe et avec des ricochets et des tourbillons aux divers objets, frappant et giclant en l’air avec une écume boueuse, puis retombant et faisant rejaillir en l’air l’eau frappée. Et les ondes circulaires qui fuient le lieu du choc cheminent avec violence au travers, sur le mouvement des autres ondes circulaires qui se meuvent dans le sens contraire et après le choc jaillissent en air, sans se détacher de leur base.

Et à la sortie d’un tel abîme, on voit les ondes mortes se répandre à l’inverse de leur sortie et, tombant ou descendant à travers l’air, elles acquièrent du poids et un mouvement impétueux ; ensuite pénétrant l’eau frappée qui s’ouvre et heurte furieusement à la percussion du fond, d’où ensuite repoussée, elle rebondit à la surface de l’abime, accompagnée de l’air qu’elle a submergé avec elle. Elle ressort en écumant, mêlée avec des bois et autres choses plus légères que l’eau, autour desquelles, selon son principe, elle accroît son circuit et partant acquiert du mouvement ; ce qui la fait plus basse, quand elle prend une base plus large, cela est peu perceptible dans la consommation. L’onde, repoussée par de variés objets, alors jaillit sur l’approche de l’autre onde, observant l’accroissement de la même curvité, qu’elle avait acquise selon l’observation du mouvement commencé. Mais si la pluie dans sa descente des nuages est de même couleur qu’eux, savoir dans sa partie ombrée ; si déjà les rayons solaires ne la pénètrent pas : et si cela était, la pluie se montrerait de moindre obscurité que le nuage. Et si les énormes poids des grandes ruines des grands monts et autres importants monuments, en tombant, frappaient les grands abîmes de l’eau, alors jaillirait une grande quantité en l’air et son mouvement présenterait l’aspect contraire à celui de la percussion de l’eau, savoir l’angle de réflexion étant égal à l’angle d’incidence.

Des choses portées par le cours de l’eau, celle qui s’éloignera le plus de la rive opposée sera la pluss lourde ou de plus grand volume.

Les tournants de l’eau dans ses parties sont d’autant plus rapides qu’ils sont plus voisins de son centre. La cime de l’onde marine descend auparavant à sa base, battant et s’écrasant sur la rondeur de sa surface : et cette conflagration, broyée en petites particules d’eau retombante, se change en gros nuage et se mêle au cours des vents à la manière d’une fumée désordonnée et une révolution nuageuse se lève dans l’air et se convertit en nuée. Mais la pluie, qui descend à travers l’air dans son action combattive et frappée par le cours du vent, se fait rare ou dense, selon la rareté ou la densité des vents, et ainsi se génère dans l’air une inondation de transparence, faite de la tombée de la pluie qui est proche de l’œil qui la voit.

L’onde marine que frappe l’obliquité des monts qui avec elle se combine, sera écumante et rapide contre le dos des collines et dans le tournant se rencontrera avec la venue de la seconde eau, et ensuite le grand bruit revenant, avec grande inondation, ira à la mer d’où elle est partie. Grande quantité de peuples d’humains et d’animaux divers se virent périr par cette montée du déluge vers la cime des monts

voisins de l’eau susdite. (R. 327.)
MANIÈRE DE REPRÉSENTER UNE BATAILLE

516. — Tu feras d’abord la fumée de l’artillerie mêlée à l’air avec la poussière soulevée par l’action des cavaliers et des combattants. Tu useras aussi de ce mélange : la poussière, qui est chose terrestre et pondérable, quoique par sa légèreté elle s’élève facilement et se mêle à l’air, ne retombe pas volontiers en bas et sa plus haute élévation se fait par sa partie la plus légère, celle qui se voit le moins et se confond presque avec la coloration de l’air ; la fumée qui se mêle à l’air se charge de poussière, d’autant plus qu’elle monte à une certaine hauteur, elle paraît un nuage obscur ; la fumée arrive en haut plus vite que la poussière.

La fumée prendra une couleur un peu azurée et la poussière celle même de la terre ; du côté d’où vient la lumière ce mélange d’air, de fumée et de poussière, paraîtra plus clair que du côté opposé ; les combattants se verront d’autant moins et on verra moins de différence entre leurs lumières et les ombres, d’autant qu’ils seront plus enveloppés dans cet air troublé.

Tu feras rougeoyer les nuages et les personnages et l’air et les fusiliers ensemble avec ce qui les avoisine, et cette rougeur diminue en s’éloignant de sa cause ; les figures qui sont entre toi et la lumière, étant lointaines, paraîtront obscures sur un champ clair et leurs jambes seront d’autant moins visibles qu’elles approcheront davantage du sol, parce qu’en bas la poussière est plus épaisse et plus dense.

Si tu fais les chevaux courant hors de la mêlée, fais-leur de petits nuages de poussière, distants l’un de l’autre, de l’intervalle d’un saut de cheval, et que ce petit nuage se voie d’autant moins qu’il est plus éloigné du cheval et alors qu’il soit plus haut, épars et petit. Plus près, qu’il soit plus évident et petit et plus épais.

L’air sera plein de flèches de divers genres, qui montent, qui descendent ou qui vont en ligne plane ; et que les coups des fusils soient accompagnés de quelque fumée droit à leur but.

Et les figures du premier plan tu les feras poudreuses, les chevelures et les cils et autres parties lisses propres à garder la poussière.

Tu feras les vainqueurs courant avec des crinières et autres ornements légers flottant au vent ; avec les cils bas et poussant en avant les membres opposés, savoir : tel enverra en avant le pied droit, dont le bras gauche retombe fatigué. Et il y aura des chutes ; tu feras la trace de la glissade dans la poussière devenue une fange sanglante ; et autour, sur la terre mouillée, tu feras voir les traces du piétinement des hommes et des chevaux qui ont passé par là.

Tu feras un cheval traînant le cadavre de son maître, et derrière lui, il laissera, dans la poussière et la fange, la trace du corps traîné ; tu feras les vaincus abattus et pâles avec les sourcis haut en leur conjonction et la chair qui leur reste sera criblée de douloureuses rides. Les trous des naseaux se fronceront en arc des narines jusqu’à la naissance de l’œil, les narines hautes, à raison de leurs plis ; les lèvres arquées découvriront les dents de dessus. Les dents très visibles, en manière de crier avec désespoir. L’une des mains fait bouclier aux yeux effrayés, tournant droit vers l’ennemi, l’autre s’appuie à terre pour soutenir le buste soulevé. Tu feras les autres criant avec la bouche tordue et fuyant ; beaucoup d’armes diverses au pied des combattants comme boucliers brisés, lances, tronçons d’épées et autres semblables ; tu feras des hommes morts, les uns à moitié recouverts par la poussière, d’autres dont le sang coule et se mêle à la terre et forme une boue rouge ; et on verra le sang courir, par un cours tortueux, du corps à la terre ; d’autres mourants grinceront des dents, et, les yeux révulsés, serreront poings à quelqu’un et les jambes écartées.

On pourra voir quelques-uns désarmés et abattus par l’ennemi se retourner contre lui et le mordre et le griffer, en une cruelle et âpre vengeance ; et aussi un cheval courir sans cavalier les crins au vent dans les rangs ennemis et à coups de sabots faire grand dommage ; en pourra voir un blessé tombé à terre et se couvrant de son bouclier et l’ennemi se courbant pour l’achever.

On pourrait encore représenter un tas de cadavres sur un cheval mort.

On verrait quelques-uns des vainqueurs quitter le combat et sortir de la mêlée, et des deux mains s’essuyant les yeux et les joues couvertes de fange, faites des larmes de l’œil irrité par la poussière. On verrait l’escadron de réserve se tenir plein d’espoir et attentif, avec les sourcils joints et faisant ombre avec la main et regarder parmi la fourmillante confusion de l’action, attentif au commandement du capitaine ; et celui-ci le bâton levé et courant vers la réserve pour lui montrer à quel endroit il faut appuyer ; et une rivière encore où des chevaux s’élancent remplissant l’eau autour d’eux d’une agitation jaillissante et écumante, éclaboussant l’air et les jambes et le corps des chevaux : et ne laisser aucun endroit vide, si ce n’est les piétinements sanguinolents[2]. (ASH. I. 30, v.)

COMME SE DOIT REPRÉSENTER UNE TEMPÊTE

517. — Si tu veux bien représenter une tempête, considère et pose d’abord ses effets : quand le vent souffle sur la surface de la mer et de la terre, et remue et emporte avec lui tout ce qui ne résiste pas à l’universelle marée.

Et pour bien figurer cette tempête, tu feras d’abord des nuages en désordre et rompus, poussés par le cours du vent, accompagné d’une poussière terreuse sortie du lit marin et des rameaux et des feuilles arrachés par la fureur du vent, épars dans l’air avec beaucoup d’autres objets légers.

Les arbres et les herbes pliés jusqu’à terre comme pour montrer qu’ils veulent suivre le cours du vent avec des branches emportées loin de leur lieu naturel et des feuilles éparpillées.

Les hommes qui se trouvent là, les uns tombés et comme retournés dans leurs habits et dans la poussière, presque méconnaissables et ceux restés debout embrassant quelque arbre pour n’être pas emportés par le vent ; d’autres les mains sur les yeux à cause de la poussière, courbés vers la terre, les habits et la coiffure droits au sens du vent.

La mer troublée et soulevée sera pleine de lames et écumante en ses ondes soulevées, et le vent se lève dans l’air combattu par l’écume plus légère et à la façon des nuages qui s’embrouillent.

Les navires qui sont là, les uns avec la voile rompue et dont les lambeaux claquent au vent avec leurs cordages brisés ; quelques arbres cassés et tombés avec le navire pris au travers et brisé entre les eaux impétueuses, certains hommes criant accrochés à quelque débris du vaisseau : tu feras les nuages chassés par l’impétuosité du vent et battus à la haute cime des monts et en des tourbillons confus comme fait l’onde frappant sur les rochers. L’air effrayant par les ténèbres faites dans l’air, par la poussière, les nuages, l’épaisse brume. (ASH. I. 21, r.)

LA MANIÈRE DE REPRÉSENTER UNE NUIT

318. Cette chose entièrement privée de lumière est toute ténèbre. La nuit étant en semblable état, si tu veux y figurer une histoire tu y mettras un grand feu. Ce qui est le plus près du feu se teint davantage de sa couleur, parce que plus la chose est voisine de l’objet, plus elle participe à sa nature. Et faisant le feu tirer vers la couleur rouge, tu feras toutes les choses illuminées de cette couleur rougeoyante, et celles situées le plus loin du feu participeront davantage à la couleur noire de la nuit.

Les figures qui sont entre toi et le feu apparaîtront obscures dans l’obscurité de la nuit et non éclairées par le feu ; celles qui se trouvent sur les côtés seront moitié obscures et moitié rougeoyantes ; et celles qui se peuvent voir après les extrémités des flammes seront toutes illuminées de lumière rouge sur un fond noir.

Quant aux attitudes, tu feras ceux qui sont près du feu se couvrant de leurs mains et de leur manteau pour éviter la trop grande chaleur ; tu montreras courbés avec le visage retourné pour fuir, les plus lointains ; tu feras grand effet en leur élevant les mains pour défendre leurs yeux effrayés par l’éclat surabondant. (ASH, I. 18, v.)

PAYSAGES
Un effet de nuage sur le lac Majeur.

519. — J’ai déjà observé de semblables condensations d’air ; et au-dessus de Milan, vers le lac Majeur, j’ai vu un nuage en forme de grande montagne pleine de rochers creux : car les rayons du soleil qui était déjà à l’horizon tiraient sur le rouge et teignaient le nuage de leurs couleurs. Et ce nuage attirait à lui tous les autres petits nuages qui le suivaient : quant au grand nuage il ne bougeait pas de sa place ; même sur son sommet la lumière du soleil resta jusqu’à une heure et demie de la nuit, tellement ce nuage était immense ; et vers deux heures de la nuit, il se leva un grand vent qui fut

chose étonnante et inouïe. (R. 1021.)
Des variées colorations de la mer.

520. — L’ondoyante mer n’a pas partout la même couleur : pour qui la voit de la terre ferme, elle est de couleur obscure et d’autant plus obscure qu’elle est plus voisine de l’horizon et vous voyez certaines clartés ou luisances qui se meuvent lentement à la manière de petites brebis blanches dans les troupeaux ; celui qui regarde se trouvant en haute mer, la voit azurée ! Cela vient, pour l’obscurité de la mer vue de la terre, de ce que tu vois l’eau qui réfléchit l’obscurité de la terre ; et pour l’effet azuré qu’on voit en haute mer, tu vois dans l’eau l’azur du ciel qu’elle reflète. (LU. 327.)

L’île de Chypre.

521. Aux bords méridionaux de la Cilicie se voit, au midi, la belle île de Chypre qui fut le royaume de la déesse Vénus. Beaucoup attirés par sa beauté eurent leurs navire et haubans brisés parmi les rochers environnés de l’eau vertigineuse. La beauté de la douce colline invite les navires vagabonds à se récréer parmi ses verdures fleuries, car des vents trompeurs emplissent l’île et la mer qui la baigne de suave arômes.

Oh ! que de navires ont été déjà submergés ! Oh ! que de nefs brisées sur ces rochers ! Là, on pourrait voir d’innombrables vaisseaux qui gisent désemparés et à moitié couverts par le sable ; ici se montre une proue, là une poupe, celui-là sa carène, cet autre est sur le flanc et cela semble un Jugement dernier qui doit ressusciter les navires morts, tant leur nombre est grand et couvre le bord septentrional.

Là les vents d’aquilon soufflent et font un bruit imprévu et apeurant.

522. — Décris les paysages avec le vent et l’eau, avec le coucher et le lever du soleil. (R. 417)

523. — Décris un vent terrestre et maritime, une pluie. (R. 605.)

Une ascension au mont Rose.

524. — Je dis que l’azur que montre l’air n’est pas sa couleur propre et qu’il est causé par l’humidité chaude, vaporée en atomes minuscules et insensibles ; et cette humidité chaude ensuite, reçoit la percussion des rayons solaires qui la rend lumineuse sous l’obscurité des immenses ténèbres de la région du feu qui de dessus lui fait couvercle.

On le verra, comme je l’ai vu, si on va sur le mont Rose, sommet des Alpes qui sépare la France de l’Italie. Cette montagne à sa base donne naissance à quatre fleuves qui arrosent par quatre directions contraires toute l’Europe ; et aucune montagne n’a sa base en semblable hauteur.

Elle s’élève à une telle hauteur qu’elle dépasse tous les nuages et rarement il y tombe de la neige, mais seulement de la grêle qui demeure, quand les nuages sont à leur plus grande hauteur. Et cette grêle se conserve de telle façon que si ce n’était la rareté de sa chute et de l’ascension des nuages qui n’arrivent pas deix fois en un été, elle serait la plus haute quantité de glace élevée par les couches de grêle qui au milieu de juillet se trouvent considérables ; et j’ai vu l’air, au-dessus de moi, ténébreux et le soleil, qui frappait la montagne, plus lumineux que dans les basses plaines, parce que moins d’épaisseur d’air s’interposait entre la cime du mont et le soleil. (R. 300.)

La végétation sur une colline.

223. — Ces herbes et ces plantes seront de coloration d’autant plus pâle que le terrain qui les nourrit est plus maigre et privé d’humidité : et le terrain est plus pauvre et maigre sur les rochers qui forment la montagne. Et les arbres seront plus petits et plus minces, à mesure qu’on monte vers le sommet, et aussi le terrain est d’autant plus maigre qu’on approche du sommet ; et au contraire le terrain est plus riche et plus gras à mesure qu’on descend vers le creux de la vallée.

Donc, peintre, tu montreras au sommet de la montagne les rochers qui la composent couverts en majeure partie de terre, et les herbes qui y poussent courtes et maigres et pour la plupart pâles et sèches par manque d’humidité ; et la terre pauvre et sablonneuse se verra transparaître dans cette végétation blême ; et les petites plantes rabougries et vieilles sans croissance avec une courte et épaisse ramification avec peu de feuilles, laissant à nu leurs racines rousses et arides au bord et aux crevasses des rocs escarpés dont les souches froissées par les hommes et les vents montrent en maints endroits le roc dépassant le col des hautes montagnes couvertes de légère et pâle rouille ; et ailleurs on voit leurs vertes couleurs étalées sous les coups de la foudre du ciel qui dans son cours, non sans vengeance, de tels rochers, souvent sont brisés.

À mesure qu’on descend vers le pied des monts, les plantes seront plus vigoureuses et riches de rameaux et de feuilles ; leur verdure si variée selon les espèces qui composent cette forêt dont la ramification avec ses divers genres et ses variétés de rameaux et de feuilles, de configuration et de hauteur ; et certains arbres avec les rameaux hérissés comme le cyprès et semblablement pour les autres aux rameaux étendus et développés comme le chêne, le châtaignier et autres semblables, certains avec de très petites feuilles ; d’autres à peine feuillus comme le genévrier, le platane semblables ; une certaine quantité de plantes nées ensemble et séparées par des espaces inégaux ou par d’autres unis, sans division de zone ou disséminés. (LU. 806.)

ALLÉGORIES
L’irrité.

526. — À la figure irritée tu feras tenir un homme par les cheveux dont le chapeau sera tombé à terre, avec un autre à genoux sur le côté et la figure lèvera en l’air le poing du bras droit ; cette figure aura les cheveux élevés, les sourcils bas et drus, les dents serrées et les deux extrémités auprès de la bouche arquée ; le cou gras et se courbant vers l’ennemi, qu’il soit plein de rides (ASH. I. 29, r.)

Le désespéré.

527. — Au désespéré tu donneras un couteau et avec ses mains il aura arraché ses vêtements, et une de ses mains sera à l’ouvrage pour débrider sa blessure ; et fais-le les pieds distants et les jambes un peu pliées et toute sa personne vers la terre avec des cheveux arrachés et épars (ASH, I. 29, r.)

528. — L’envie attaque avec une infamie aiguë, savoir elle éloigne la vertu qu’elle épouvante.


On la représente regardant le ciel, car si elle pouvait, elle emploierait ses forces contre Dieu même. Fais-la avec un masque sur un visage de bel aspect. Fais-la blessée à la vue de palmes et de branches d’olivier ; fais-la blessée à l’oreille par des lauriers et des myrtes qui signifient que la victoire et la vérité l’offensent. Fais sortir d’elle des fumées pour signifier son mauvais dire. Fais-la maigre et sèche, parce qu’elle est en transes continuelles ; fais-lui le corps rongé par un serpent. Donne-lui un carquois et les flèches longues, car c’est ainsi qu’elle attaque. Habille-là d’une peau de léopard, parce que cet animal tue le lion par ruse. Mets dans sa main un vase plein de fleurs, et parmi elles des scorpions, des crapauds et autres venimeux. Fais-lui chevaucher la mort, parce que l’envie ne meurt pas mais seulement languit ; fais la bride chargée de diverses armes, instruments de mort. Dès que naît la vertu, elle éveille contre elle l’envie et il n’y a pas plus de corps sans ombre que de vertu sans envie. (ASH. II. 22, v.)
  1. Les huit pages de cette description révèlent le dessein d’une composition où le maître eût employé ses connaissances de géologue et de physicien, en même temps qu’il aurait donné aux figures tous les traits de la souffrance et du désespoir. À Windsor, de nombreux dessins étudient les mouvements de l’eau.
  2. Les fragments que nous possédons de la bataille d’Anghiari réalisent des parties de cette description, entre autres l’épisode de l’étendard gravé par Edelinck, d’après un dessin de Rubens.