Tes seins/Imprécations

(p. 2-3).

IMPRÉCATIONS




Prends garde ! Mon amour, femme, devient la haine,
J’ai conçu dans l’âme un désir immodéré.
Ô torture ! et d’amers dégoûts j’ai l’âme pleine.
Prends garde ! Quelque nuit sombre je te tuerai.
 
J’aime ton sein de nacre et ton ventre d’agate,
J’aime tes cheveux d’or, ton œil de diamant,
J’aime tes fins contours et ta peau délicate,
Toute la nudité de ton corps embaumant.

Et ta prunelle à mes regards fous s’est éteinte,
Ta gorge s’est fripée à mon baiser ardent,
Ta chair entière s’est flétrie en mon étreinte,
Femme, splendide fruit qui pourrit sous ma dent.

Un seul de tes regards fait naître des souffrances,
Que toutes tes douceurs ne sauraient apaiser,
Mon être a tressailli d’exquises espérances,
Étreinte misérable ! ô décevant baiser !

Femme, parfum menteur, éblouissant fantôme,
Te tenir en ses bras palpitante, vainqueur,
Fouillant éperdûment jusqu’en ton moindre atome.
Ta chair avec sa chair, ton cœur avec son cœur ;
 
Dans la rage de la possession suprême,
Presser, pétrir, broyer ton être, enfin jaillir,
S’exprimant d’un effort sublime de soi-même.
Et se donner ! ô rage immense, défaillir,

Tomber anéanti des ruines de son rêve,
Meurtri, brisé, damné, tandis que le désir,
Implacable phénix, de ses cendres sans trêve
Renaissant, vous revient en ses serres saisir !
 
Oui, Tantale altéré de vouloirs brûlants, l’onde
Rafraîchissante fuit mes lèvres ! Oh jamais !
Hélas donc, ne pourrai-je assouvir ce qui gronde,
En moi ! Dois-je pleurer et souffrir désormais !

Mon Dieu, prenez pitié de ma longue détresse !
Oh ! laissez-moi croire à ces mornes visions !
Oh ! donnez-moi l’amour ! oh ! donnez-moi l’ivresse !
Ô mon Dieu, donnez-moi quelques illusions !

Ainsi, j’irai de la prière à la menace,
De l’écœurement à la rage des baisers.
Me débattant pris dans l’inextricable nasse
Des vivaces désirs et des songes brisés.

Je reviendrai toujours vers toi, femme maudite,
À tes genoux vainqueurs je me prosternerai,

Et je t’implorerai de ma plainte redite
Cent fois, cent fois encore, et je t’adorerai.

Et pourtant je te hais, je te hais tout entière,
Je hais ta beauté fourbe et hais ton cœur navrant.
Je hais ton rêve ainsi que je hais ta matière.
Je te hais et j’irai toujours en t’abhorrant.

Sois sans crainte ! Car c’est de l’amour que ma haine.
J’ai conçu dans l’âme un dégoût immodéré.
Ô rage, et de vouloirs cuisants j’ai l’âme pleine.
Sois sans crainte ! Une nuit sombre je me tuerai.