Traduction par Wikisource.
Cosmopoli (Ip. 69-93).

CHAPITRE III

Alors vous n’aviez jamais aimé avant de faire la connaissance de Teleny ?

— Jamais ; c’est la raison pour laquelle, pendant un certain temps, je n’ai pas tout à fait compris ce que je ressentais. En y réfléchissant, cependant, j’en suis venu à la conclusion que j’avais déjà ressenti le premier faible stimulus de l’amour longtemps auparavant, mais comme cela avait toujours été avec mon propre sexe, je n’avais pas conscience qu’il s’agissait d’amour.

— Était-ce pour un garçon de votre âge ?

— Non, toujours pour des hommes adultes, des spécimens virils musclés et vigoureux. Dès l’enfance, j’ai eu envie d’hommes du genre boxeur, avec des membres énormes, des muscles ondulants, des dents puissantes ; pour une force brutale en fait.

Mon premier coup de foudre fut pour un jeune Hercule, un boucher qui venait faire la cour à notre bonne, une jolie fille, autant que je m’en souvienne. C’était un homme robuste et athlétique, aux bras musclés, qui semblait pouvoir abattre un bœuf d’un coup de poing.

J’avais souvent l’habitude de m’asseoir et de l’observer à son insu, notant chaque expression de son visage pendant qu’il faisait l’amour, ressentant presque le désir qu’il ressentait lui-même.

Comme j’aurais aimé qu’il me parle au lieu de plaisanter avec ma stupide bonne. Je me sentais jaloux d’elle, bien que je l’aimasse beaucoup. Parfois, il me prenait et me caressait, mais c’était très rare ; un jour, cependant, alors que, apparemment excité, il avait essayé de l’embrasser sans y parvenir, il me prit et pressa avidement ses lèvres contre les miennes, m’embrassant comme s’il était assoiffé.

Bien que je ne fusse qu’un tout petit enfant, je pense que cet acte a dû provoquer une érection, car je me souviens que tous mon pouls battait la chamade. Je me souviens encore du plaisir que j’éprouvais lorsque, comme un chat, je pouvais me frotter contre ses jambes, me nicher entre ses cuisses, le renifler comme un chien, ou le caresser et le tapoter ; mais, hélas ! il m’écoutait rarement.

Mon plus grand plaisir, dans mon enfance, était de voir les hommes se baigner. J’avais du mal à m’empêcher de me précipiter vers eux ; j’aurais voulu les prendre dans mes bras et les embrasser partout. J’étais tout à fait hors de moi lorsque je voyais l’un d’entre eux nu.

Un phallus agit sur moi, comme je suppose qu’il le fait sur une femme très chaude ; ma bouche salivait à sa vue, surtout si c’était un phallus de bonne taille, gonflé de sang, avec un gland décalotté épais et charnu.

En outre, je n’ai jamais compris que j’aimais les hommes et non les femmes. Ce que je ressentais, c’était cette convulsion cérébrale qui enflamme les yeux d’un feu plein de folie, d’un plaisir bestial et avide, d’un désir sensuel et féroce. Je pensais que l’amour était un flirt tranquille de salon, quelque chose de doux, de sentimental et d’esthétique, tout à fait différent de cette passion pleine de rage et de haine qui brûlait en moi. En un mot, bien plus un sédatif qu’un aphrodisiaque.

— Alors je suppose que vous n’avez jamais eu de femme ?

— Oh, si ! plusieurs ; mais par hasard, plutôt que par choix. Néanmoins, pour un Français de mon âge, j’avais commencé ma vie assez tard. Ma mère, bien que considérée comme une personne très frivole, très portée sur le plaisir, avait pris plus de soin de mon éducation que ne l’auraient fait beaucoup de femmes sérieuses, timorées, tatillonnes, car elle avait toujours eu beaucoup de tact et d’observation. C’est pourquoi je n’ai jamais été en pension dans aucune école, car elle savait que ces lieux d’éducation ne sont, en règle générale, que des foyers de vice. Quel interne[trad 1] de l’un ou l’autre sexe n’a pas commencé sa vie par le tribadisme, l’onanisme ou la sodomie ?

Ma mère, en outre, craignait que je n’hérite du tempérament sensuel de mon père, et elle fit donc de son mieux pour me soustraire à toutes les tentations précoces ; en fait elle a vraiment réussi à me tenir à l’écart des sottises.

J’étais donc, à quinze et seize ans, bien plus innocent que n’importe lequel de mes camarades d’école, mais je parvenais à cacher mon ignorance totale en faisant semblant d’être plus libertin et blasé[trad 1].

Chaque fois qu’ils parlaient des femmes, et ils le faisaient tous les jours, je souriais d’un air entendu, de sorte qu’ils en vinrent rapidement à la conclusion que “il n’y a pire eau que l’eau qui dort[ws 1]”.

— Et vous ne saviez absolument rien ?

— Je savais seulement qu’il y avait quelque chose à mettre et à retirer.

À quinze ans, je me trouvais un jour dans notre jardin, flânant sans enthousiasme dans une petite prairie au bord de la route, à l’arrière de la maison.

Je marchais sur l’herbe moussue, douce comme un tapis de velours, de sorte qu’on n’entendait pas mes pas. Soudain, je m’arrêtai devant une vielle niche désaffectée qui me servait souvent de siège.

En arrivant, j’entendis une voix à l’intérieur. J’ai tendu l’oreille et écouté sans bouger. J’entendis alors la voix d’une jeune fille qui disait :

« Mets-le, puis retire-le, puis mets-le à nouveau, puis retire-le, et ainsi de suite pendant un certain temps. »

« Mais je ne peux pas le rentrer », fut la réponse.

« Maintenant, dit la première. J’ouvre largement mon trou avec mes deux mains. Enfonce-le, enfonce-le plus, beaucoup plus, autant que tu le peux. »

« Eh bien, mais enlève tes doigts. »

« Voilà, il est encore dehors, essaye de l’enfoncer. »

« Mais je ne peux pas. Ton trou est fermé, murmura la voix du garçon. »

« Pousse. »

« Mais pourquoi dois-je le mettre dedans ? »

« Eh bien, tu vois que ma sœur a un soldat pour bon ami ; et ils font toujours comme ça quand ils sont seuls ensemble. N’as-tu pas vu les coqs sauter sur les poules et leur donner des coups de bec ? Eh bien, ils font aussi cela, mais ma sœur et le soldat s’embrassent et s’embrassent encore, si bien qu’il leur faut beaucoup de temps pour le faire. »

« Et il le met et le retire toujours ? »

« Bien sûr, mais juste à la fin, ma sœur lui dit toujours de faire attention et de ne pas finir en elle, afin qu’il ne lui fasse pas d’enfant. Alors maintenant, si tu veux être mon bon ami, comme tu le dis, enfonce-le, avec les doigts, si tu ne peux pas faire autrement ; mais fais attention et ne finis pas en moi, parce que tu pourrais me faire un enfant. »

J’ai alors jeté un coup d’œil à l’intérieur et j’ai vu la plus jeune fille de notre jardinier, une fille de dix ou douze ans, étendue sur le dos, tandis qu’un petit vagabond d’environ sept ans s’étalait sur elle, faisant de son mieux pour mettre en pratique les instructions qu’il avait reçu.

Ce fut ma première leçon, et je n’avais qu’une faible idée de ce que font les hommes et les femmes lorsqu’ils sont amants.

— Et vous n’étiez pas curieux d’en savoir plus ?

— Oh, si ! J’aurais souvent cédé à la tentation, et j’aurais accompagné mes amis dans leur visite à certaines femmes, dont ils vantaient toujours les charmes d’une voix basse, nasillarde et capiteuse particulière, et avec un frisson inexplicable de tout le corps si je n’avais pas été retenu par la peur d’être moqué par eux et par les femmes elles-mêmes. Car j’aurais été aussi inexpérimenté que Daphnis lui-même pour ce qui est de savoir ce qu’il faut faire avec une femme, avant que Lycénion ne se soit glissé sous lui et ne l’ait ainsi initié aux mystères de l’amour ; et pourtant il ne faut guère plus d’initiation en la matière que pour que le nouveau-né prenne le sein.

— Mais quand avez-vous visité un bordel pour la première fois ?

— En quittant l’université, lorsque le laurier mystique et les baies eurent couronné nos fronts. Selon la tradition, nous devions prendre part à un dîner d’adieu et nous amuser ensemble, avant de nous séparer sur les différents chemins de la vie.

— Oui, je me souviens de ces joyeux soupers du Quartier Latin[trad 1].

— Quand le dîner fut terminé…

— Et tout le monde plus ou moins éméché…

— Précisément, il fut convenu que nous passerions la soirée à visiter quelques maisons de divertissement nocturne. Bien que je fusse moi-même assez gai et d’habitude prêt à toutes les plaisanteries, je me sentais encore un peu timide, et j’aurais volontiers donné le change à mes amis, plutôt que de m’exposer à leurs moqueries et à toutes les horreurs de la syphilis ; mais j’ai eu beau faire, il m’a été impossible de me débarrasser d’eux.

On me traitait de sournois, on s’imaginait que je voulais passer la soirée avec quelque maîtresse, une jolie grisette[trad 1], ou une cocotte[trad 1] à la mode, car le terme horizontale[trad 1] n’était pas encore à la mode. Un autre insinua que j’étais attaché au tablier de ma maman, que mon père ne m’avait pas permis de prendre la clé de la serrure. Un troisième dit que je voulais aller menarmi la rilla[ws 2], comme l’exprime crûment Aretino.

Voyant qu’il était impossible de s’échapper, je consentis de bonne grâce à les accompagner.

Un certain Biou, jeune d’âge, mais vieux dans le vice, qui, comme un vieux matou, avait déjà perdu à seize ans un œil dans une bataille d’amour (il y avait attrapé quelque virus syphilitique), se proposa de nous montrer la vie dans les parties méconnues du vrai Quartier Latin.

« D’abord », dit-il, « je vais vous emmener dans un endroit où nous allons passer un peu de temps et nous amuser ; cela nous mettra en train et de là nous irons dans une autre maison pour tirer avec nos pistolets, ou plutôt nos revolvers, car le mien a un barillet de sept coups. »

Son œil unique brillait de plaisir et son pantalon s’agitait de l’intérieur lorsqu’il disait cela. Nous avons tous accepté sa proposition, et j’étais particulièrement heureux de pouvoir rester d’abord un simple spectateur. Je me demandais cependant à quoi ressemblerait le spectacle.

Nous fîmes un trajet interminable à travers des rues étroites et tortueuses, des allées et des chemins de traverse, où des femmes peinturlurées apparaissaient dans des robes voyantes aux fenêtres crasseuses de certaines maisons misérables.

Comme il se faisait tard, toutes les boutiques étaient fermées, à l’exception de ceux qui vendaient du poisson frit, des moules et des pommes de terre. Ceux-ci dégageaient une odeur nauséabonde de saleté, de graisse et d’huile chaude, qui se mêlait à la puanteur des caniveaux et à celle des égouts au milieu des rues.

Dans l’obscurité des rues mal éclairées, plus d’un café chantant[trad 1] et d’une brasserie avaient allumés des becs de gaz rouges, et lorsque nous en les dépassant, nous sentîmes les bouffées d’air chaud et confiné empestant l’alcool, le tabac et la bière aigre.

Toutes ces rues étaient envahies par une foule bigarrée. Il y avait des hommes ivres aux visages hideux et renfrognés, des mégères en goguette et des enfants pâles, précocement flétris, en haillons déchirés, chantant des chansons obscènes.

Enfin, nous arrivâmes à une sorte de taudis, où les voitures s’arrêtèrent devant une maison basse, au fronton saillant, qui semblait avoir souffert de l’humidité. Elle avait un air fou et, comme elle était peinte en rouge jaunâtre, ses nombreuses excoriations lui donnaient l’air d’être atteinte d’une maladie de peau répugnante et galeuse. Ce lieu de villégiature infâme semblait prévenir le visiteur de la maladie qui couvait entre ses murs.

Nous entrâmes par une petite porte et empruntâmes un escalier en colimaçon, gras et glissant, éclairé par une lampe à gaz asthmatique et vacillante. Bien que je répugnait à poser la main sur la rampe, il était presque impossible de monter ces marches boueuses sans le faire.

Dès le premier pallier, nous fûmes accueillis par une vieille sorcière aux cheveux gris, au visage boursouflé et exsangue. Je ne sais vraiment pas ce qui la rendait si repoussante à mes yeux, peut-être était-ce ses yeux irrités et dépourvus de cils, son expression méchante ou son métier, mais le fait est que de toute ma vie je n’avais jamais vu une créature aussi repoussante. Sa bouche, avec ses gencives édentées et ses lèvres pendantes, ressemblait à la ventouse d’un poulpe, tant elle était fétide et visqueuse.

Elle nous accueillit avec beaucoup de basses politesses et de mots d’affection, et nous a conduisit dans une pièce basse et sordide, où une lampe à pétrole allumée répandait son éclat brut aux alentours.

Quelques rideaux froncés aux fenêtres, quelques vieux fauteuils et un long sopha abîmé et très taché complétaient le mobilier de cette pièce, qui dégageait une odeur mélangée de musc et d’oignon ; mais, comme j’étais alors doué d’une imagination assez forte, je décelais, ou je croyais déceler, une odeur d’acide phénique et d’iode ; cependant, l’odeur détestable du musc l’emportait sur toutes les autres.

Dans ce repaire, plusieurs, comment dois-je les appeler ? sirènes ? non, harpies ! étaient accroupies ou se prélassaient.

Bien que je m’efforçasse de prendre un air indifférent et blasé[trad 1], mon visage devait exprimer toute l’horreur que j’éprouvais. C’est donc là, me dis-je, une de ces délicieuses maisons de plaisir sur lesquelles j’ai entendu tant de récits élogieux ?

Ces Jézabels peintes, cadavériques ou boursouflées, sont les servantes de Paphos, les splendides adoratrices de Vénus, dont les charmes magiques font tressaillir les sens, les houris sur les seins desquelles on se pâme et on se ravit au paradis.

Mes amis, voyant mon ahurissement total, se mirent à rire de moi. Je me suis alors assis et j’essayai bêtement de sourire.

Trois de ces créatures s’approchèrent immédiatement de moi, l’une d’elles me passa les bras autour du cou, m’embrassa et voulut introduire sa langue dégoûtante dans ma bouche ; les autres commencèrent à me tripoter de la manière la plus indécente qui soit. Plus je résistais, plus elles semblaient vouloir faire de moi un Laocoon.

— Mais pourquoi vous choisirent-elles comme leur victime ?

— Je ne sais vraiment pas, mais ce doit être parce que j’avais l’air si innocemment effrayé, ou parce que mes amis riaient tous de mon visage horrifié.

L’une de ces pauvres femmes, une grande fille brune, une Italienne, je crois, était manifestement au tout dernier stade de la phtisie. Elle n’était plus qu’un squelette, et pourtant, sans le masque de craie et de rouge dont son visage était recouvert, on aurait pu discerner en elle les traces d’une ancienne beauté ; en la voyant maintenant, quiconque ne fût pas habitué à de tels spectacles ne pouvait qu’éprouver le sentiment de la plus profonde pitié.

La seconde était rousse, décharnée, grêlée, les yeux exorbités et repoussante.

La troisième : vieille, petite, trapue et obèse ; un sacré sac de graisse. Elle portait le nom de cantinière[trad 1].

La première était vêtue de vert gazon ou de prassino ; la rousse portait une robe qui avait dû être bleue autrefois ; la vieille garce était vêtue de jaune.

Toutes ces robes, cependant, étaient tachées et très usagées. En outre, un liquide visqueux qui avait laissé de grandes taches partout donnait l’impression que tous les escargots de Bourgogne avaient rampé dessus.

Je réussit à me débarrasser des deux plus jeunes, mais je n’eus pas autant de succès avec la cantinière[trad 1].

Ayant vu que ses charmes et toutes ses petites attentions n’avaient aucun effet sur moi, elle essaya d’éveiller mes sens endormis par des moyens plus désespérés.

Comme je l’ai déjà dit, j’étais assis sur le sopha bas ; elle se plaça alors devant moi et remonta sa robe jusqu’à la taille, montrant ainsi tous ses attraits jusqu’alors cachés. C’était la première fois que je voyais une femme nue, et celle-ci était vraiment détestable. Et pourtant, maintenant que j’y pense, sa beauté pourrait être comparée à celle de la Sulamite, car son cou était comme la tour de David, son nombril ressemblait à une timbale ronde, son ventre à un énorme tas de blé pourri. Sa toison, qui partait de la taille et descendait jusqu’aux genoux, n’était pas exactement comme un troupeau de chèvres, comme la chevelure de la fiancée de Salomon, mais, en quantité, elle était certainement comme celle d’une bonne peau de mouton noir.

Ses jambes, semblables à celles décrites dans le chant biblique, étaient deux colonnes massives, droites de haut en bas, sans aucun signe de mollet ou de cheville. Tout son corps, en fait, n’était qu’une masse volumineuse de graisse tremblotante. Si son odeur n’était pas tout à fait celle du Liban, elle était certainement celle du musc, du patchouli, du poisson pourri et de la transpiration ; mais au fur et à mesure que mon nez se rapprochait de la toison, l’odeur du poisson pourri prédominait.

Elle resta une minute devant moi, puis, s’approchant d’un pas ou deux, posa un pied sur le sopha et, ouvrant les jambes, elle prit ma tête entre ses mains grasses et moites.

« Viens mon chéri, fais minette à ton petit chat[trad 1]. »

Pendant qu’elle disait cela, j’ai vu la masse noire de ses poils se séparer ; deux énormes lèvres sombres sont d’abord apparues, puis se sont ouvertes, et à l’intérieur de ces lèvres saillantes, qui avaient la couleur et l’aspect de la viande de boucherie rassise, j’ai vu quelque chose qui ressemblait à l’extrémité d’un pénis de chien en érection, dardé vers mes lèvres.

Tous mes camarades de classe éclatèrent de rire. Je n’ai pas vraiment compris, car je n’avais pas la moindre idée de ce qu’était une minette[trad 1], ni de ce que la vieille putain attendait de moi ; je ne voyais pas non plus qu’une chose aussi répugnante puisse être transformée en plaisanterie.

— Bien, Et comment s’est terminée cette joyeuse soirée ?

— Des boissons avaient été commandées, bière, spiritueux, et quelques bouteilles d’un mousseux, appelé[ws 3] champagne, qui n’était certainement pas le produit des vignes ensoleillées de France, mais dont les femmes s’abreuvaient copieusement.

Après cela, ne voulant pas que nous quittions la maison sans avoir été amusés d’une manière ou d’une autre, et pour tirer quelques francs[trad 1] de plus de nos poches, elles se proposèrent de nous montrer quelques tours qu’elles savaient faire entre elles.

C’était apparemment un spectacle rare, et celui pour lequel nous étions venus dans cette maison. Mes amis acquiescèrent à l’unanimité. Sur ce, la vieille boule de graisse se déshabilla complètement et secoua ses fesses dans une sorte de pauvre imitation de la danse orientale du ventre. La malheureuse phtisique suivit son exemple et fit glisser sa robe par une simple secousse du corps.

À la vue de cette énorme masse de lard flasque qui s’étalait de part et d’autre de la croupe, la putain maigre leva la main et donna à son amie une bonne claque sur les fesses, mais la main sembla s’y enfoncer comme dans une motte de beurre.

« Ah ! » dit la cantinière[trad 1] ; « c’est le petit jeu que tu aimes, n’est-ce pas ? »

Et elle répondit au coup par un coup plus fort sur le derrière de son amie.

La fille phtisique se mit alors à courir dans la pièce, et la cantinière[trad 1] la suivit dans l’attitude la plus provocante, chacune essayant de donner une claque à l’autre.

Lorsque la vieille prostituée passa devant Biou, il lui donna une grande claque avec sa paume ouverte, et peu après, la plupart des autres étudiants firent de même, manifestement très excités par ce petit jeu de flagellation, jusqu’à ce que les fesses des deux femmes soient d’un rouge cramoisi.

La cantinière[trad 1] ayant enfin réussi à saisir son amie, elle s’assit et la plaça sur ses genoux en disant : « Maintenant, mon amie, tu vas en avoir pour ton argent ».

Et joignant le geste à la parole, elle la rossa sévèrement, c’est-à-dire qu’elle la frappa aussi fort que ses petites mains potelées le lui permettaient.

La jeune femme ayant enfin réussi à se lever, les deux femmes commencèrent à s’embrasser et se caresser. Puis, cuisses contre cuisses et seins contre seins, elles restèrent un moment dans cette position ; après quoi, elles écartèrent les poils touffus qui couvraient le bas de ce qu’on appelle le mont de Vénus, et, ouvrant leurs épaisses lèvres brunes et bombées, elles mirent leurs clitoris en contact l’un avec l’autre, et ceux-ci, en se touchant, remuèrent avec délice ; puis, s’étreignant de leurs bras, les bouches toutes proches, respirant l’haleine fétide de l’autre, se suçant alternativement la langue l'une de l’autre, elles se mirent à se frotter puissamment l’une contre l’autre. Elles se tordirent, se tortillèrent et se secouèrent, se mettant dans toutes sortes de contorsions pendant un certain temps, maintenant elles étaient à peine capables de se tenir debout à cause de l’intensité de la jouissance qu’elles éprouvaient.

Enfin, la fille phtisique, serrant de ses mains le derrière de l’autre, et ouvrant ainsi les énormes fesses charnues, s’écria :

« Une feuille de rose[trad 1]. »

Bien sûr, je me suis demandé ce qu’elle voulait dire, et où elle pourrait trouver une feuille de rose, car il n’y avait pas une seule fleur dans la maison ; et puis je me suis dit, une fois qu’elle en aura eu une, que va-t-elle en faire ?

Je n’eus pas à m’étonner longtemps, car la cantinière[trad 1] fit à son amie ce qu’elle lui avait fait. Deux autres prostituées vinrent alors s’agenouiller devant les fesses qui leur étaient ainsi ouvertes, mirent leur langue dans les petits trous noirs des anus et commencèrent à les lécher, au grand plaisir des prostituées actives et passives, et de tous les spectateurs.

En outre, les femmes agenouillées, enfonçant leurs index entre les jambes des femmes debout et sur l’extrémité inférieure des lèvres, ont commencèrent à frotter vigoureusement.

La fille phtisique, ainsi masturbée, embrassée, frottée et léchée, commença à se tordre furieusement, à haleter, à sangloter et à crier de joie, de plaisir et presque de douleur, jusqu’à ce qu’elle s’évanouisse à moitié.

« Aïe, là, là, assez, aïe, c’est fait[trad 1] », suivi de cris, de hurlements, de monosyllabes, d’expressions de plaisir intense et d’insoutenable jouissance.

« Maintenant c’est mon tour », dit la cantinière[trad 1], et s’étendant sur le sopha bas, elle ouvrit largement ses jambes de façon à ce que ses deux épaisses lèvres sombres s’ouvrent largement et révèlent un clitoris qui, dans son érection, était d’une telle taille que, dans mon ignorance, j’en ai conclu que cette femme était hermaphrodite.

Son amie, l’autre gougnotte[trad 1], c’était la première fois que j’entendais cette expression, à peine remise, alla placer sa tête entre les jambes de la cantinière, lèvres contre lèvres, et sa langue sur le clitoris raide, rouge, humide et frétillant, elle aussi dans une position telle que ses propres parties intimes était à la portée de la bouche de l’autre putain.

Elles se tortillaient, bougeaient, se frottaient, se cognaient, et leurs cheveux ébouriffés se répandaient non seulement sur le sopha mais aussi sur le sol ; elles s’étreignaient, enfonçaient leurs doigts dans leurs trous du derrière, pressaient les tétons de leurs seins, et enfonçaient leurs ongles dans les parties charnues de leurs corps, car dans leur fureur érotique ils étaient comme deux Ménades sauvages, et n’étouffaient leurs cris que dans la fureur de leurs baisers.

Bien que leur désir sembla de plus en plus fort, il ne parvint pas à les vaincre, et la grosse et coriace vieille fille, dans son impatience de jouir, pressait maintenant la tête de son amante avec ses deux mains et de toutes ses forces, comme si elle essayait vraiment de tout faire entrer dans son vagin.

Le spectacle était vraiment répugnant et j’ai détourné la tête pour ne pas le voir, mais la vue qui s’offrait tout autour était encore plus répugnante.

Les putains avaient déboutonné tous les pantalons des jeunes hommes, certaines tripotaient leurs organes, caressaient leurs testicules ou léchaient leur derrière ; l’une d’elles était agenouillée devant un jeune étudiant et suçait avidement son phallus énorme et charnu, une autre fille était assise à califourchon sur les genoux d’un jeune homme, bondissant et redescendant comme si elle avait été dans un baby-jumper, faisant manifestement une course paphienne, et (peut-être qu’il n’y avait pas assez de prostituées, ou que c’était fait pour le plaisir de la chose) une femme était prise par deux hommes en même temps, l’un devant, l’autre derrière. Il y avait aussi d’autres dépravations, mais je n’ai pas eu le temps de tout voir.

En outre, de nombreux jeunes gens qui étaient déjà éméchés lorsqu’ils étaient arrivés ici, après avoir bu du champagne, de l’absinthe et de la bière, commencèrent à se sentir mal, à être malades, à avoir le hoquet et finalement à vomir.

Au milieu de cette scène nauséabonde, la putain phtisique entra dans une crise d’hystérie, pleurant et sanglotant à la fois, tandis que la grosse, qui était maintenant complètement excitée, ne lui permettait pas de relever la tête ; et ayant mis son nez à la place de la langue, elle se frottait contre elle de toutes ses forces, en criant :

« Lèche, lèche plus fort, ne retire pas ta langue maintenant que je suis sur le point de jouir ; là, je viens, lèche, suce-moi, mords-moi. »

Mais la pauvre malheureuse cadavérique, dans le paroxysme de son délire, avait réussi à faire glisser sa tête.

« Regarde donc quel con[trad 1] », dit Biou en montrant cette masse de chair frémissante au milieu des poils visqueux, noirs et couverts d’écume. Je vais mettre mon genou dedans et la frotter vigoureusement. Vous allez voir !

Il retira son pantalon et s’apprêtait à joindre le geste à la parole, lorsqu’une légère toux se fit entendre. Elle fut immédiatement suivie d’un cri perçant et, avant que nous ayons pu comprendre ce qui se passait, le corps de la vieille prostituée était baigné de sang. La malheureuse cadavérique, dans un accès de lubricité, s’était rompu un vaisseau sanguin, et elle était en train de mourir, mourir, morte !

« Ah ! la sale bougre[trad 1] ! » dit la femme au visage exsangue. « C’est fini avec la salope maintenant, et elle me doit… »

Je ne me souviens pas de la somme qu’elle a mentionnée. Pendant ce temps, la cantinière[trad 1] continuait à se tordre dans sa rage insensée et incontrôlable, se tordant et se déformant ; puis enfin, sentant le sang chaud couler dans son vagin et baigner ses parties enflammées, elle commença à haleter, à crier et à bondir de plaisir, car l’éjaculation se produisit enfin.

C’est ainsi que le râle d’agonie de l’une se mêla aux halètements et aux gargouillis de l’autre.

Dans cette confusion, je me suis éclipsé, guéri à jamais de la tentation de me rendre à nouveau dans une telle maison de divertissement nocturne.

  1. a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l, m, n, o, p, q, r, s, t, u, v, w et x Note de Wikisource. En français dans le texte.
  1. Note de Wikisource. Littéralement : “les eaux calmes sont profondes” sentence latine popularisée par Shakespeare dans Henri VI, 2e partie, acte III, scène 1, cf. still waters run deep pour la version anglaise et il n’y a pire eau que l’eau qui dort pour l’équivalent en français. On trouve également cette citation dans The Sins of the Cities of the Plain, 1881 T. 1, p. 59, le premier ouvrage anglais érotique ouvertement homosexuel.
  2. Note de Wikisource. Cf. correspondance de l’Arétin, Lettere scritte dai piu rari autori, 1544, p. 36, lettre à M. Francesco Sansovine et note 1 dans Lettere Scelte, éd. 1902 disponible sur Internet archive : « Menarsi la rilla Se tripoter, mot obscène, le même que se tripoter, pour Ne rien faire, Être un fainéant ».
  3. Note de Wikisource : yclept, terme archaïque pouvant être remplacé par called, named, cf. wiktionnaire.